« Jamais le culte du chef ne s’est si bien porté » : comment le charisme est devenu un atout maître en entreprise

Généreux, brave, chevaleresque. Mais aussi délirant, grotesque et détraqué. Don Quichotte, le héros littéraire de Cervantès, n’a jamais cessé d’intriguer les lecteurs depuis le XVIIᵉ siècle. Etrangement, il est aussi devenu un cas d’étude pour professeur de management : l’hidalgo serait ainsi l’incarnation du leader charismatique, doté de brio et d’ambition.

On doit cette analogie à James March, économiste et sociologue, professeur à l’université de Stanford (décédé en 2018), qui a utilisé le personnage – mais aussi ceux de Guerre et Paix, de Tolstoï – pour fonder une théorie du leadership. « Don Quichotte incarne la vision. Sancho Pança représente la fonction support, la praticité », résume Fabien De Geuser, ancien directeur académique de l’ESCP Business School et coauteur de Panne de sens. Manager pour qui, pour quoi, comment ? (Dunod, 2022). Mais le charisme, poursuit-il, « c’est Don Quichotte sans Sancho Pança : il est déconnecté du réel, voué à l’échec. Or un bon leader doit être les deux. Qui cherche une auberge pour dormir et manger le soir, pendant que Don Quichotte affronte des moulins à vent ? Sancho Pança ».

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Sophie Rauch, docteure en sciences de gestion : « Le non-travail permet de faire tomber le masque professionnel et de renouer avec son vrai “moi” »

Sophie Rauch, enseignante-chercheuse postdoctorante en sciences de gestion à l’université Paris-Saclay (chaire Management, innovation et santé du futur), estime, dans son livre On se fait une pause ? (Vuibert, 224 pages, 19,90 euros), que les entreprises peuvent être à la source du non-travail lorsqu’elles favorisent l’émiettement des tâches et poussent les salariés à la réalisation, en simultané, de plusieurs activités.

Comment définissez-vous le non-travail, qui constitue le cœur de vos recherches ?

Le non-travail constitue l’ensemble des actions ou interactions qui, dans l’« espace-temps du travail », ne visent pas – ou pas totalement – l’efficacité, la productivité, l’utilité. On se rapproche ainsi du concept d’autotélisme, qui désigne une activité qui n’a d’autre but qu’elle-même. Cela intègre un grand nombre de situations différentes – j’en ai recensé 38 –, de la pause cigarette au grignotage en passant par des activités en ligne comme la prise de rendez-vous personnels. Cela comprend aussi les temps où l’on est interrompu ou ceux où l’on se remotive.

C’est une notion complexe, mouvante, mais aussi subjective. Une même réunion pourra être considérée comme du non-travail par certains participants quand d’autres estimeront qu’elle s’apparente à du travail.

Cette mise en lumière vous permet de souligner l’hiatus existant entre la représentation dominante du travail, faite d’intensité, de mouvement permanent, et sa réalité, sa « quotidienneté », qui inclut justement du non-travail…

Le discours dominant est celui d’une injonction permanente à la productivité, à l’efficacité. Le travailleur doit être continuellement dans l’effort, afin de démontrer son sérieux. Or, on constate qu’on ne travaille pas tout le temps lorsqu’on est au travail. Cette conception n’est pas nouvelle : c’était l’idéal poursuivi par Frederick Winslow Taylor au début du XXe siècle. Il avait pour ambition que chaque ouvrier réalisât une « journée loyale de travail », débarrassée de toute activité de « flânerie » et moments improductifs – ce qui est, dans les faits, impossible.

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« Même si la révolution de l’IA générative a 3 ans, il est encore tôt pour voir ses effets concrets sur les emplois juniors »

Les jeunes sont-ils les premières victimes de la généralisation en cours des outils d’intelligence artificielle (IA) dans les métiers du tertiaire ? Les derniers rapports et études scientifiques qui évaluent la façon dont l’IA générative va affecter le recrutement des diplômés dans les secteurs concernés par l’automatisation des tâches – tech, finance, conseil, comptabilité, droit… – proposent des conclusions variables sur le sujet.

Pour Gregory Verdugo, professeur des universités en sciences économiques à CY Cergy-Paris Université et auteur de L’IA et l’emploi (Presses de Sciences Po, 122 pages, 9 euros), il est encore trop tôt pour évaluer l’impact concret de cette révolution sur le travail des jeunes.

Doit-on s’inquiéter d’un gel du recrutement des jeunes diplômés au profit d’investissements dans l’IA ?

Les jeunes travailleurs sont la première variable d’ajustement lorsqu’il y a des changements sur le marché du travail, qu’ils soient cycliques ou plus profonds. Et si les investissements dans l’IA visent à automatiser les tâches les plus simples, cela peut en effet concerner celles effectuées par les moins expérimentés. Mais il est assez difficile, à court terme, de distinguer le rôle de la baisse de la conjoncture de celui d’un changement technologique structurel.

Pour l’instant, il y a un consensus dans la littérature académique pour dire que les transitions technologiques prennent du temps, et que les progrès de l’intelligence artificielle sont aujourd’hui beaucoup plus rapides que leur application dans les entreprises. La révolution numérique a mis une trentaine d’années à changer complètement le marché du travail. Donc, même si la révolution des grands modèles de langages a 3 ans, il est encore un peu tôt pour voir ses effets concrets sur les emplois juniors.

Plusieurs études et rapports récents vont cependant dans le sens d’une baisse concrète du recrutement de juniors dans les entreprises. Comment le comprendre ?

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Evaluation professionnelle : l’optimisme n’est pas un critère

Carnet de bureau. La directive européenne sur la transparence des salaires à mettre en œuvre d’ici à l’été 2026 oblige les entreprises à travailler davantage sur les entretiens annuels. Une récente étude de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) publiée le 18 novembre montre à quel point les salariés sont à l’aveugle sur les critères d’évaluation de la compétence professionnelle et en attente de plus de transparence pour comprendre les écarts de rémunération.

Près d’un cadre sur deux estime que la politique salariale de son entreprise manque de transparence. Selon cette étude, 63 % des manageurs auraient même du mal à expliquer certaines différences de rémunération dans leur équipe. Et 49 % des cadres jugent les critères d’augmentation « opaques ».

La question de l’objectivité des critères pour évaluer les salariés est à la fois essentielle et délicate. « Pas évident de rémunérer la performance, car il faut expliquer objectivement les critères », explique Laetitia Niaudeau, la directrice générale adjointe de l’APEC. L’objectivation suscite beaucoup d’interrogations parmi les responsables des ressources humaines.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Evaluer les entretiens d’évaluation

L’article L-1222-3 du code du travail indique que la méthode d’évaluation des salariés doit reposer sur des critères précis, vérifiables et « pertinents au regard de la finalité poursuivie ». La directive européenne mentionne, quant à elle, quatre facteurs de critères objectifs : les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail.

Méthode jugée « illicite »

Les entreprises peuvent se doter de grilles de notation pour apprécier la réalisation des objectifs, le niveau de production, la qualité des relations professionnelles, l’esprit d’équipe, etc. Les compétences comportementales sont, à ce titre, vantées par les responsables des ressources humaines comme le « petit plus » qui fait toute la différence entre deux salariés à qualification équivalente. Mais il s’agit d’évaluer les aptitudes uniquement professionnelles.

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Dans les bureaux, l’intelligence artificielle transforme à bas bruit la nature du travail

Le supercalculateur européen Jupiter, à Jülich (Allemagne), le 5 septembre 2025.

Elle ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour la secrétaire qui travaillait dans l’entreprise familiale de son père. « C’était en 1985 : avec l’avènement de l’informatique dans la comptabilité, cette professionnelle, qui avait l’habitude de consigner les écritures à la main dans de grands livres de comptes, a vu son travail bouleversé, se souvient Annie Martins, qui était alors au lycée. Elle pestait contre l’idée que ce n’était plus son métier. » Avec l’introduction des outils d’intelligence artificielle (IA), cette responsable administrative et financière en poste dans un cabinet d’avocats parisien a désormais l’impression que c’est un peu son tour.

Pour la comptabilité, « l’IA permet désormais de saisir automatiquement les relevés bancaires et les factures, un travail qui prenait 30 % de mon temps », raconte-t-elle, alors qu’elle occupe déjà un poste et la moitié d’un autre. « Dans un sens cela m’allège, c’est plutôt positif, mais il faut voir comment cela va se traduire sur le long terme, se demande-t-elle. Par une qualité au travail améliorée, ou plus de charge encore ? »

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Le géant de l’informatique HP annonce la suppression de 4 000 à 6 000 emplois d’ici 2028 du fait de l’IA

Le logo HP au siège du groupe à Palo Alto, en Californie, le 4 novembre 2016.

Le groupe informatique américain HP a annoncé mardi 25 novembre, dans un communiqué, prévoir la suppression de 4 000 à 6 000 emplois d’ici fin 2028 dans le cadre d’un plan d’adoption de l’intelligence artificielle (IA) qui doit lui permettre d’augmenter la productivité.

Cela pourrait représenter jusqu’à un peu plus de 10 % des effectifs du groupe de Palo Alto (Californie), qui compte environ 58 000 salariés selon son dernier rapport annuel. C’est l’une des premières fois qu’une entreprise de taille importante fait publiquement un lien direct entre des réductions de personnel et la mise en place d’outils IA.

Le plan à trois ans de HP doit « faire progresser la satisfaction des clients, l’innovation produits et la productivité par le biais de l’adoption et l’activation de l’intelligence artificielle » au sein du groupe, selon le communiqué. HP compte générer, grâce à cette initiative, environ un milliard de dollars d’économies en rythme annuel d’ici fin 2028. Les coûts de restructuration devraient, eux, atteindre 650 millions de dollars au total, dont 250 millions pour l’exercice comptable décalé 2026 (de novembre à octobre).

Chute du titre boursier

HP est né en 2015 de la scission du groupe informatique historique Hewlett-Packard, fondé en 1939 et alors en pleine restructuration. L’entreprise avait décidé de loger ses activités d’infrastructures, de logiciels et de services aux entreprises dans HPE, tandis que les ordinateurs personnels et imprimantes se retrouvaient dans HP.

Depuis dix ans et l’éclatement de Hewlett-Packard, HP n’a vu son chiffre progresser que de 7 %. Beaucoup d’observateurs prédisent que la généralisation de l’IA générative va entraîner la suppression de nombreux emplois, certains estimant que ce mouvement pourrait être partiellement ou totalement compensé par la création de fonctions et de métiers nouveaux.

Wall Street a mal réagi à cette annonce, conjuguée à la publication d’objectifs inférieurs aux attentes des analystes pour l’exercice fiscal 2026, et dans les échanges électroniques postérieurs à la clôture de la Bourse de New York, le titre HP abandonnait près de 6 %. Le groupe a fait savoir que ces projections jugées décevantes par le marché intégraient « des coûts supplémentaires liés » aux droits de douane mis en place par le gouvernement de Donald Trump pour les produits importés aux Etats-Unis.

Le Monde avec AFP

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« C’est humiliant, le chômage, et c’est humiliant, le processus d’embauche » : la difficile insertion des jeunes cadres sur le marché du travail

C’est d’abord sur LinkedIn qu’Enzo (le prénom a été modifié) a senti le vent tourner. Encore étudiant ingénieur à l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) en 2023, il recevait plusieurs offres d’emploi par semaine. Puis, pendant son volontariat international en entreprise en Espagne, ces messages se sont raréfiés. Au moment de chercher un contrat en France, fin 2024, la situation est devenue « franchement sordide ». Le jeune homme de 25 ans peut presque réciter par cœur l’e-mail de refus automatisé du réseau social professionnel. « Je l’ai en 200 exemplaires », soupire-t-il.

« Quand je sortais de l’école et que je recevais des messages tout le temps, je me disais que les “trente glorieuses” ne s’étaient jamais finies, qu’il fallait juste traverser la rue pour trouver un travail, soutient Enzo, railleur. Et en fait non : le retour au XXIe siècle est très dur à vivre» Cela fait donc presque un an que l’ingénieur en informatique cherche un emploi dans sa branche. Il vit chez sa mère en banlieue parisienne, et a droit au chômage grâce à l’alternance qu’il a faite en master.

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