Archive dans 2023

« Nous assistons peut-être à l’émergence d’un droit à l’épanouissement au travail »

Une étude du 21 novembre 2022 de l’IFOP montre que le travail est davantage perçu comme une contrainte que comme une source d’épanouissement, tandis qu’une autre étude du 15 mars 2023 du Cevipof nous interpelle sur l’ampleur de la crise dans notre rapport au travail. Ces résultats n’ont malheureusement rien de surprenant et la mobilisation actuelle contre le recul de l’âge de départ à la retraite est symptomatique de cette défiance à l’égard du monde du travail.

Pourtant, en travaillant 36,9 heures en moyenne par semaine, les Français lui consacrent environ deux heures de plus que la durée légale hebdomadaire de 35 heures, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Cette durée effective hebdomadaire est certes inférieure à celle d’autres pays dont l’économie est comparable avec la France (Allemagne, Royaume-Uni, etc.) mais dans l’ensemble, les Français ne rechignent pas à travailler.

En revanche, c’est le niveau d’insatisfaction au travail qui est alarmant. Les Français sont en moyenne bien moins satisfaits par leur vie professionnelle que par leur vie personnelle. Selon une étude commandée par la Fabrique Spinoza, l’argent, la gouvernance, la reconnaissance et les relations dans le travail sont jugés insatisfaisants par une majorité de personnes interrogées. De plus, 49 % des répondants ressentent une impossibilité de faire évoluer leurs pratiques de travail et d’organisation ; tandis que 25 % des personnes interrogées s’ennuient au travail.

Le travail, une forme de développement personnel

En fait, le monde du travail est insatisfaisant, mais il n’y a pas de rejet du travail en tant que tel. En revanche, ils sont contre une relation au travail dans laquelle l’épanouissement est difficile, sinon impossible. Ce paradoxe s’exprime aussi par le fait que la réduction du temps de travail hebdomadaire n’est plus une revendication prioritaire. On ne cherche plus à travailler moins, mais à travailler mieux.

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D’ailleurs, le débat s’est à présent déplacé sur les conditions de travail et le sens de la vie professionnelle, comme le montre l’étude du NewGen Talent Centre de l’Edhec de janvier 2023 conduite auprès des étudiants d’écoles de management.

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Alors que le travail salarié exigeait une forme d’abnégation de sa personne, les jeunes générations – notamment les plus qualifiées – souhaitent de plus en plus que le travail participe à leur émancipation. Pour eux, le travail n’est plus cette activité qui consiste à mettre à disposition son temps, son corps et ses compétences en échange d’un salaire, mais il s’apparente de plus en plus à une forme de développement personnel.

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Handicap au travail : « J’ai préféré ne rien cacher, je ne voulais pas mentir sur l’origine de mes absences »

Dans son magasin Grand Optical de Saint-Etienne, Stéphanie Muguet, 45 ans, conseille sa clientèle avec entrain. Personne ne soupçonnerait le synovialosarcome qui lui a coûté un muscle fessier en 2014, ni les récidives aux poumons limitant sa capacité respiratoire. Mais elle n’en a jamais fait mystère. « Après réflexion, j’ai préféré ne rien cacher dès le début. J’occupais un poste de directrice et je ne voulais pas mentir sur l’origine de mes absences. »

Son choix s’inscrit dans la mouvance des coming out de grands patrons, comme tout récemment celui d’Arthur Sadoun, dirigeant de Publicis, communiquant sur son cancer de la gorge. Dans la foulée, au dernier sommet de Davos, la fondation du groupe a annoncé le lancement de la plate-forme Working With Cancer, invitant toutes les entreprises à rejoindre le mouvement afin de permettre aux collaborateurs concernés de ne pas craindre de stagner ou de perdre leur emploi.

Pour Stéphanie, la transparence a payé : « Ma direction m’a bien accompagnée. Comme je ne pouvais plus assumer pleinement le management, j’ai basculé sur un poste de simple opticienne, mais je ne le vis pas comme une rétrogradation. C’est moins stressant, j’ai bénéficié d’un fauteuil adapté ainsi que d’un espace de repos et je fais bien mon travail. J’ai même le temps de m’investir comme bénévole à la Ligue contre le cancer. »

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La réalité n’est pas toujours aussi enthousiasmante et rassurante sur le plan professionnel. Leila Abes (l’identité a été changée), 47 ans, s’est ainsi vue licenciée pour inaptitude alors qu’elle souffrait de grave dépression, à la suite d’un cancer du sein. « J’étais aide-soignante dans un grand groupe de soins picard au début de ma maladie, et mon employeur informé m’a bien soutenue. C’est en rejoignant un groupe concurrent que les choses se sont gâtées. Je n’ai pas évoqué mon cancer à l’embauche, on m’a postée en unité de soins palliatifs, très anxiogène, et j’ai développé une dépression. »

« Ce qui ne se voit pas n’existe pas ! »

Leila Abes a fini par tout dévoiler à sa cadre qui en a informé le directeur. Celui-ci l’a bien écoutée… mais n’avait rien à lui proposer et l’a poussée vers la sortie. « L’entreprise était pourtant assez grande pour offrir des alternatives », assure-t-elle. L’aide-soignante a préféré se réorienter et, après avoir suivi le programme d’accompagnement « Boostons les talents » de l’APF France handicap, elle a effectué une formation pour se lancer dans le conseil en insertion professionnelle.

Même issue pour Mathilde Bijok, ingénieure de 38 ans, après quatorze ans de carrière dans une PME industrielle lilloise. « J’ai intégré la structure trois ans après l’annonce de ma sclérose en plaques. J’avais alors 23 ans, et je n’étais pas prête à parler de ma maladie. » La jeune femme a alors compensé discrètement ses symptômes (troubles de la vue, douleur, fatigue…) en prenant sur elle, ou en déléguant certaines tâches, et a mis de proches collègues dans la confidence. Mais la dernière poussée l’a contrainte à demander un temps partiel thérapeutique et une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

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A Rennes, des marins pêcheurs expriment « le ras-le-bol d’une profession en danger »

Lors d’une manifestation de marins pêcheurs, à Rennes, mercredi 22 mars 2023.

Une fusée de détresse claque dans le ciel de Rennes. Puis d’autres, mercredi 22 mars au matin. Les 500 marins pêcheurs massés sur l’esplanade Charles-de-Gaulle veulent faire entendre « le ras-le-bol d’une profession en danger ». Ces professionnels se sont donné rendez-vous par le biais de boucles de messageries. Ils viennent des Pays de la Loire, de Normandie, mais surtout de Bretagne, première région maritime du pays.

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Parmi eux : Simon Le Gurun, patron du Keinvor, un fileyeur de Quiberon (Morbihan) employant deux matelots. « On vient crier notre colère de toutes ces contraintes qui tuent la pêche française. Il y en a tant que je ne sais plus par où commencer », s’agace le quadragénaire. Alors, il débute par celle qui lui « pourrit » le quotidien : le prix du carburant. Le litre de gasoil dépasse aujourd’hui les 83 centimes d’euro, quand il oscillait autour de 50 centimes, ces dix dernières années. Un petit navire comme le Keinvor engloutit 300 litres par sortie.

Selon les pêcheurs, leurs charges ont enflé, en moyenne, de 35 % ces derniers mois. La hausse du prix du carburant a, pourtant, été contenue par le soutien, prolongé jusqu’en octobre 2022, du gouvernement à hauteur de 20 centimes par litre. « Ces aides sont ponctuelles. Nous voulons travailler sereinement avec de la visibilité », reprend Grégory Métayer, président du comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes-d’Armor.

Covid-19, puis Brexit

La filière sort de plusieurs années de turbulences, après le Covid-19, mais aussi le Brexit, qui a imposé d’âpres négociations pour arracher les licences nécessaires à la pêche dans les eaux britanniques. Surtout, les professionnels s’agacent de vivre au rythme des quotas annuels imposés par l’Union européenne pour préserver la ressource, mais aussi des restrictions de zones de pêche.

Bruxelles travaille sur l’interdiction de la pratique répandue du chalutage dans les aires marines protégées. Une partie du golfe de Gascogne est concernée. Lundi 20 mars, le Conseil d’Etat, saisi par trois associations, a enjoint au gouvernement d’agir pour préserver les cétacés menacés, là encore, dans le golfe de Gascogne.

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Pêcheur de coquilles Saint-Jacques dans la Manche, Grégory Métayer s’inquiète, lui, des restrictions imposées par le futur parc éolien de la baie de Saint-Brieuc. D’autant que le gouvernement projette de développer une cinquantaine d’installations de la sorte au large des côtes françaises dans les années à venir. Le marin tance : « Comment encourager des jeunes à s’installer quand on est incapables de leur dire où ils pourront pêcher ni dans quelle mesure. Il est temps de taper du poing sur la table ! »

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« Erotique de l’administration », un ouvrage pour explorer les finalités du management

Seulement 20 % des salariés dans le monde se déclaraient engagés dans leur travail en 2021, selon une étude Gallup. Une insatisfaction liée pour partie à la difficulté à trouver un sens aux missions confiées et qui s’est exprimée à travers le phénomène de démission massive observé lors de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19. Mais ce profond malaise est aussi lié au « scepticisme quasi généralisé du monde du travail à l’égard du management tel qu’il est pratiqué ».

Dans un essai paru aux PUF, Erotique de l’administration. Réflexions philosophiques sur la fin du management, le philosophe Ghislain Deslandes évoque ainsi « une conception du management à bout de souffle, qui met au jour le décalage toujours plus criant entre la façon de conduire l’action collective et la manière dont elle est effectivement vécue par les femmes et les hommes qui y participent ». Preuve de ce rejet, « une infime minorité de salariés déclarent souhaiter, un jour, devenir eux-mêmes manageurs ».

La notion de management est aujourd’hui plongée dans un brouillard, expose M. Deslandes. Quels sont les ressorts du désaveu qui la touche ? Quelles nouvelles finalités devrait-elle poursuivre pour amorcer son renouveau ? Et, finalement, « que peut la philosophie dans cette complète remise à plat de l’administration des affaires » ? L’auteur développe ces axes de réflexion à travers son dernier essai, où la pensée de Pascal (1623-1662) sert régulièrement de guide au lecteur.

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S’attachant à décrire la pratique managériale dominante, l’auteur évoque le « Roi chiffre ». Celui qui « tend à imposer un mode de management normatif et univoque, qui décide sans ambiguïté qui sont les gagnants et les perdants, et qui laisse peu de place à l’interprétation et à la discorde ». M. Deslandes déplore une « prédilection pour l’accès à la vérité dans les organisations d’après les chiffres ». Une « gouvernance par les nombres »« la mesure a remplacé le jugement puisque mesurer revient finalement à juger », résume-t-il.

Mérite, respect

Or l’auteur rappelle que manageur doit aussi consister à soupeser, à sentir, à se saisir de l’incalculable. Le management doit « compter sur une exigence éthique où prime le circuit des affects ». L’auteur invite ainsi à penser la crise de l’échange, du « nous », pour une meilleure prise en compte du collectif et de ses interactions dans la gestion des travailleurs. Ce faisant, il estime que, dans la réflexion managériale, le « pourquoi » (la fin en tant que but), jusqu’à présent dans l’ombre du « comment », doit retrouver toute sa place. Une manière de prendre en compte la « quête de sens » des salariés.

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Eboueur, un « métier pénible physiquement, psychiquement et psychologiquement » au cœur de la protestation contre la réforme des retraites

Des conducteurs de camions et éboueurs de la Ville de Paris en grève, au dépôt d’Ivry-sur-Seine-Victor Hugo, dans le Val-de-Marne, le 15 mars 2023.

L’adoption de la réforme des retraites au Parlement, lundi 20 mars, n’a pas entamé leur détermination. Depuis seize jours, les éboueurs de plusieurs villes comme Paris, Nantes, Saint-Brieuc ou Le Havre sont en grève pour dénoncer le report de l’âge légal de départ à la retraite. D’autres, comme ceux de Marseille, ont rejoint le mouvement mardi 21 mars.

Une mobilisation aux conséquences rapidement visibles et qui met en lumière le métier d’éboueur. Dans les rues de Paris, la barre symbolique des 10 000 tonnes de déchets non ramassés a été franchie vendredi, a estimé la mairie. En cause, le débrayage des agents municipaux chargés du ramassage des ordures dans la moitié des arrondissements (2e, 5e, 6e, 8e, 9e, 12e, 14e, 16e, 17e et 20e) – le reste de la capitale est à la charge de quatre entreprises privées.

La situation a poussé la préfecture de police à réquisitionner des agents du service de la propreté de la Ville pour évacuer les ordures. Mais les syndicats et les grévistes sont bien décidés à continuer de s’opposer à la réforme des retraites, pour les agents des régies municipales comme pour les salariés du privé. « Ce n’est pas parce que le temps institutionnel est terminé, que pour nous c’est fini ! », prévient Natacha Pommet, secrétaire générale CGT Services publics, qui rappelle que la grève à Paris a été reconduite jusqu’au 27 mars.

« En fin de carrière, les éboueurs arrivent usés et n’ont pas toujours la possibilité d’obtenir un poste sédentaire. Deux ans de plus, c’est non ! » Dans son préavis de grève reconductible du 13 février, la CGT Services publics rappelle que « les éboueurs [en régie municipale] et les conducteurs [de camions-bennes] peuvent pour l’heure prétendre à la retraite à 57 ans sans bonification, un âge reporté à 59 ans avec la réforme des retraites ». Les salariés du privé, quant à eux, devront partir à 64 ans au lieu de 62 ans actuellement.

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« Tâches répétitives »

« Etre ripeur [personnel chargé de ramasser les déchets et de les vider dans les camions-bennes, par opposition au conducteur], c’est être à l’arrière, faire face à des automobilistes qui s’impatientent, soulever plusieurs tonnes de déchets par jour et constater les conséquences de tout ça sur ses muscles, ses articulations », égrène Mme Pommet.

« Les horaires nocturnes, les efforts physiques importants renforcés par des contraintes de temps sont facteurs de pénibilités sans aucun doute, variables selon les tournées, les villes et les employeurs », ajoute Serge Volkoff, statisticien et coauteur d’une analyse sur la pénibilité du travail des ripeurs commandée au début des années 2000 par le patronat et les syndicats des entreprises de collecte des déchets. « A la fin de leur vie professionnelle, bon nombre des personnes interrogées à l’époque se plaignaient de douleurs aux genoux, aux épaules, de problèmes pulmonaires à répétition – bien que pas forcément graves – en lien avec les intempéries et/ou les gaz d’échappement, même s’ils ne niaient pas les améliorations techniques mises en place au fil des années, notamment les conteneurs et les camions récents plus confortables. »

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Handicap au travail : en parler ou pas ?

Dépression, diabète, cancer… 80 % des handicaps sont invisibles. Pour les personnes concernées se pose une alternative : faut-il dévoiler sa situation au recruteur, à l’employeur, aux collègues, ou est-il plus prudent de garder le silence ? Le Monde abordera ce sujet à l’occasion d’une conférence lors de la 4e édition de l’Université du réseau des référents handicap organisée par l’Agefiph, dont le quotidien est partenaire.

Selon le cinquième baromètre Agefiph-IFOP sur la perception de l’emploi des personnes en situation de handicap, paru en décembre 2022, 61 % des personnes interrogées déclarent qu’elles n’ont pas signalé leur situation sur leur CV de peur que cela ne leur soit préjudiciable. Près de la moitié des répondants ayant mentionné leur handicap sur le CV ou lors de l’entretien d’embauche ont constaté que cela avait constitué « plutôt un frein ». La question du maintien en emploi est tout aussi sensible. Pour Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, quand un salarié fait son « coming out », « ça se termine trop souvent par un licenciement pour inaptitude, avec des étapes plus ou moins longues de mise au placard. Ce sujet est un vrai serpent de mer ».

Le critère du handicap est, depuis plusieurs années, le premier motif de saisine en matière de discrimination, celle-ci se manifestant en particulier dans l’emploi, selon la Défenseure des droits, Claire Hédon. Certes, d’après Pôle emploi, le nombre de personnes en situation de handicap à la recherche d’un travail a baissé à quelque 457 000 en janvier 2023, contre plus de 518 000 en janvier 2019. Et le taux de chômage atteint son plus bas niveau depuis huit ans, mais il représente toujours presque le double du taux de chômage des actifs en population générale (7,2 % selon l’Insee).

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Si des avancées sont à saluer (contrats d’apprentissage multipliés par deux et demi depuis 2019, rencontres Duoday entre des personnes en situation de handicap et des employeurs pour favoriser les ouvertures professionnelles, emplois accompagnés en hausse…), la route vers le plein-emploi reste semée d’embûches. Carole Saleres, conseillère nationale emploi, travail, formation et ressources à l’a ssociation APF France handicap, liste les nombreux obstacles : « Accès insuffisant à la formation, préjugés négatifs du collectif de travail, mobilité interne entravée, rémunération trop faible, manque criant d’accessibilité notamment des locaux de travail, sans parler des freins périphériques que sont les problématiques de transport, la santé, le logement, la garde d’enfants… »

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L’immersion professionnelle, un dispositif pour diversifier et sécuriser les recrutements

Au premier étage d’une grande maison de Château-Thierry (Aisne), au quatrième jour de son immersion dans l’aide à domicile, Laetitia Evrard semble satisfaite. Peinant à trouver du travail depuis deux ans, après avoir emménagé dans la région, cette ancienne salariée du secteur de la petite enfance âgée de 41 ans vient de trouver un CDI à temps partiel dans l’agence franchisée O2 de la ville. Petite originalité, la signature de son contrat est précédée d’une période de mise en situation en milieu professionnelle (PMSMP). Ce dispositif lui permettra de vérifier si le métier lui plaît, et à son employeur de mesurer s’il est satisfait.

Créée en 2014 par la loi relative à la formation professionnelle, la PMSMP est une forme de stage d’observation d’une semaine à un mois, durant lequel le candidat – très souvent demandeur d’emploi – n’est pas rémunéré (en plus de ses allocations-chômage, s’il en perçoit), mais où les missions ne peuvent pas remplacer celles d’un salarié absent. En 2022, 180 000 PMSMP ont été prescrites par Pôle emploi, d’une durée moyenne de quarante-deux heures.

« Cela concerne beaucoup de secteurs, pas mal de tertiaire (administrations, enseignement, social, commerce), la construction, décrit Paul Bazin, directeur adjoint de Pôle emploi, chargé de l’offre de services. On essaie de la promouvoir sur des métiers qui peinent à attirer, en les invitant à viser des profils diversifiés : l’hôtellerie-restauration et le secteur du transport, la santé. »

L’immersion concerne des métiers peu qualifiés, mais aussi des cadres. L’Association pour l’emploi des cadres (Apec) peut prescrire des PMSMP depuis l’automne 2022. « Dans nos études, on observe une vraie appétence des cadres en activité à se réorienter, mais peu engagent des démarches, explique Laetitia Niaudeau, directrice adjointe de l’Apec. Ici, c’est une façon de faciliter la relation, de tester et de se faire connaître par des employeurs potentiels. C’est aussi intéressant pour les métiers qui n’ont pas une bonne réputation et les petites entreprises méconnues. »

Trois profils types

Paul Bazin identifie trois profils types pour l’immersion professionnelle, d’une fréquence sensiblement égale : « Découvrir un métier qui recrute, confirmer un projet professionnel et la situation où le demandeur est sûr de vouloir travailler dans ce métier, et voudrait voir comment ça se passe “en vrai”. »

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L’expérimentation in situ « permet à la fois au candidat de se rassurer, de se dire “c’est vraiment le métier que je veux faire”.  Et, à moi, recruteur, de dépasser la théorie, de valider ce que j’ai pu appréhender pendant les différents entretiens avec le candidat, estime Laurent Brangeon, dirigeant de l’agence O2 de Château-Thierry. Si je lance tout de suite la personne au domicile, avec un risque, quand la mission ne plaît pas, de perdre le candidat, de générer une insatisfaction client, tout le monde est perdant. J’ai fait cinq périodes d’immersion, j’ai validé quatre candidats. Le seul qui est parti, c’était son choix. » « Il y a des abandons, mais qui sont positifs, considère M. Bazin. On évite de s’enfermer dans une relation de travail qui n’est pas bonne. »

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Réformes des retraites : « De nouvelles difficultés annoncées en fin de carrière »

Carnet de bureau. Le management risque d’être compliqué pour les entreprises qui s’efforceront de maintenir les seniors en emploi jusqu’à l’âge du départ à la retraite, si le passage à 64 ans devait être appliqué. Le comité de mobilisation de l’Insee contre la réforme des retraites vient de publier son quatrième numéro d’« Analyse retraites » pour tenter d’éclairer le débat sur la pénibilité au travail.

Présenté jeudi 16 mars à Montrouge (Hauts-de-Seine) par une dizaine d’agents de la direction générale de l’Insee, ce recueil officieux est le produit d’un collectif de cinquante statisticiens, chargés d’études et mathématiciens de la fonction publique. Leurs conclusions annoncent une aggravation des difficultés en fin de carrière.

Avant la réforme, la durée moyenne en emploi après 50 ans n’est que de 9,2 ans (et non pas 14), et, en 2019, 37 % de salariés ne se sentaient déjà pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite, comme le révélait la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail le 9 mars. « Au moment du départ en retraite, indique l’étude, quasiment une personne sur quatre présente une incapacité : 8 % sont fortement limitées depuis au moins six mois dans leurs activités quotidiennes à cause d’un problème de santé et 15 % moins fortement. »

L’espérance de vie sans incapacité

L’incapacité s’accentue en fonction des catégories socioprofessionnelles. « Ces incapacités sont nettement plus fréquentes chez les ouvriers (34 %) que chez les cadres (14 %). » La durée moyenne en emploi après 50 ans est d’ailleurs de quatre ans plus courte pour les ouvriers (7,5 ans) que pour les cadres et les professions intellectuelles supérieures (11,5 ans).

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Un décalage que les statisticiens retrouvent dans la mesure de l’espérance de vie sans incapacité. Toutes catégories confondues, en 2020, l’espérance de vie sans incapacité était de 63,9 ans pour les hommes et de 65,3 ans pour les femmes. Mais « un ouvrier de 30 ans peut espérer vivre sans incapacité jusqu’à 62,4 ans en moyenne pour un homme, et 64,7 ans pour une femme, soit onze ans de moins qu’un ou une cadre du même sexe ». A 62 ans, 14 % des ouvriers sont déjà décédés, contre 6 % des cadres.

Or la réforme de 2010, qui avait reporté l’âge de départ de 60 à 62 ans, s’était accompagnée d’une hausse du nombre d’arrêts maladie après 60 ans : « Ces arrêts maladie qui se substituent à la retraite représentent un surcoût annuel de 68 millions d’euros pour l’Assurance-maladie. Ils peuvent aussi déstabiliser les collectifs de travail et amener à un report du travail sur les autres salariés. Un constat qui ne pourrait que s’aggraver avec un nouveau report de deux ans de l’âge de départ en retraite », alerte l’étude.

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A Marseille, ces trentenaires reconvertis qui gentrifient l’artisanat de bouche

Marseillais, urbains et diplômés, ces trentenaires tranchent avec le stéréotype du cadre en burn-out qui plaque tout pour en découdre avec son bullshit job. Ceux-là trouvaient plutôt du sens dans leur ancien métier : cela ne les a pas empêchés de plonger dans une tout autre activité. Par curiosité, passion ou coup de folie.

S’ils ont en commun d’avoir la tête bien faite, en plus d’un compte Instagram plutôt copieux, tous ces reconvertis ont choisi un métier de bouche en version artisanale. De leurs mains, Audrey Emery, Iris Michalon, Guillaume Strebler, Claire Hollender et Aurélien Ducloux réinventent des savoir-faire traditionnels pour proposer des produits haut de gamme à une clientèle qui cherche, comme eux, à respecter une certaine éthique dans ses modes de consommation.

« On retrouve toujours, parmi ces profils, une opposition globale à la production industrielle, dans une conception parfois fantasmée : ils pensent que la fabrication est polluante, que les produits sont standardisés, pas “naturels” et plein d’additifs, observe Antoine Dain, doctorant en sociologie à Aix-Marseille Université, qui termine sa thèse sur “la mobilité professionnelle des travailleurs qualifiés”, en comparant les reconversions dans l’artisanat de bouche et dans le bâtiment. Par contraste, eux travaillent des produits locaux qui ont souvent une épaisseur historique – comme le levain ou le blé ancien dans la boulangerie – et rejettent une forme de modernité. Ils mettent en avant des produits “d’antan” qu’il faut préserver, avec une personnalisation et une identité très marquée. »

« Viser l’excellence »

Marseille ressemble à un immense laboratoire en la matière. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le nombre de créations d’entreprises dans les métiers de bouche a augmenté de 15 % entre 2019 et 2022, selon la chambre de métiers et de l’artisanat de la région : « C’est énorme », lâche son président, Yannick Mazette, lui-même devenu artisan boulanger il y a trente ans après avoir exercé dans l’industrie du pneumatique. Dans certains secteurs, les chiffres ont explosé : + 50 % d’immatriculations dans la fabrication de produits laitiers, + 250 % dans la transformation du thé et du café. « Ces personnes en reconversion viennent avec une histoire, poursuit Yannick Mazette. Elles bousculent un peu les codes, mais c’est par la différence qu’elles vont exister. Le tout-venant n’a plus sa place, il faut viser l’excellence. »

Loin de la société industrielle, où chacun restait quarante ans dans le même métier, « l’individu privilégie désormais un changement de carrière pour son épanouissement personnel, avec la consommation comme support d’affirmation de soi », analyse Juliette Guidon, doctorante en sociologie à l’université Paris Cité, en contrat Cifre – convention industrielle de formation par la recherche – avec l’école hôtelière Ferrandi, dont la thèse porte sur les « reconversions professionnelles volontaires de cadres dans les métiers de bouche ». « L’origine sociale va beaucoup compter : dès l’enfance, ces cadres ont appris à manger bio, à aller au marché avec les parents… Ils vont se réapproprier ces habitudes familiales de consommation pendant la reconversion, de même que leurs compétences professionnelles : en tant que patrons, ils sont dans une transition horizontale plutôt que dans le déclassement. »

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A Paris, des éboueurs écœurés par les « casseurs de grève » venus du Sud

Intervention de CRS au dépôt de l’entreprise Pizzorno, à Vitry-sur-Seine, bloquée par des grévistes, le 16 mars.

La discussion avec la direction, en ce lundi 20 mars, aura été de courte durée. A la sortie, un responsable syndical résume, devant une quarantaine de salariés et militants mêlés : « Y a pas d’avancée. » Les jours de grève ne seront pas payés, c’était attendu. Mais les concessions proposées par la direction sont minimes. Personne ne semble surpris. « Ils se foutent de notre gueule, poursuit devant l’assemblée Abdelkader Mekhti, délégué central CGT du groupe Pizzorno, spécialiste de la collecte et du traitement des déchets. Ceux qui veulent continuer lèvent la main. » Les bras se dressent. La grève, entamée le 7 mars, contre la réforme des retraites mais aussi pour des hausses de salaire, est reconduite.

A Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), devant les locaux de Pizzorno Environnement, situés au milieu d’une zone industrielle, le temps des braseros et des palettes entassées est pourtant révolu. Ne restent que quelques traces sur des palissades. Ici, un autocollant citant Prévert : « Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés. » Là, un slogan tagué : « + de poubelles dans la rue, – d’ordures au pouvoir ». Le piquet de grève, la sono et les drapeaux rouges ont été démontés le 16 mars.

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Ce jour-là, plusieurs dizaines de CRS sont venus ­déloger les grévistes, syndicalistes et autres militants qui empêchaient les camions-bennes de sortir. La direction de Pizzorno, qui déplore auprès de M Le magazine du Monde le « blocage de ses activités par un collectif de personnes extérieures à l’entreprise », venait de demander, avec succès, au tribunal de Créteil d’autoriser le recours à la force pour débloquer le dépôt. Mais depuis, contrairement aux équipes du matin, moins mobilisées, les équipes du soir restent grévistes.

Avec ses quelque 250 salariés à Vitry, Pizzorno s’occupe de la collecte des déchets dans le 15e arrondissement de Paris et dans 24 communes du Val-de-Marne. Parmi les différents opérateurs privés travaillant dans une dizaine d’arrondissements de la capitale, la société, basée à Draguignan (Var), est la seule à connaître une grève d’ampleur. Ce n’est peut-être pas un hasard : au sein du groupe, le dialogue social est souvent plus que tendu.

Un système D parfaitement légal

En 2019, à Lyon, la société de 2 000 salariés avait eu recours à des intérimaires pour enrayer une grève. La pratique, illégale, avait été démasquée. Et aujourd’hui, si les grévistes de Pizzorno gardent un goût amer de l’évacuation du 16 mars, ils sont encore plus ulcérés par la stratégie de leur entreprise pour, disent-ils, « casser la grève ». En la matière, la direction n’a pas manqué d’inventivité, en faisant venir des salariés du groupe du sud de la France et de la région lyonnaise. Un système D parfaitement légal, pour un enjeu de taille.

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