Archive dans 2023

Au Bangladesh, des ouvriers du textile érigent des barricades pour réclamer des salaires plus élevés

Manifestation d’ouvriers du textile à Dacca, au Bangladesh, mardi 31 octobre 2023.

« Nous voulons un salaire décent. » Après plusieurs jours de manifestations au Bangladesh et des heurts qui ont causé la mort d’au moins deux personnes, des milliers d’ouvriers ont érigé des barricades sur des avenues de la capitale, Dacca, mercredi 1er novembre. Ils réclament des hausses de rémunérations aux usines de textile qui fournissent de grandes marques occidentales.

Selon la police, au moins 5 000 ouvriers du textile ont dressé des barrages routiers dans le quartier de Mirpur dans la capitale. Mais selon un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) sur place, le nombre de manifestants pourrait être nettement plus élevé.

Le commissaire adjoint de la police métropolitaine de Dacca, Omar Faruq, a déclaré qu’« aucune violence » n’avait été signalée mercredi. Cependant, environ 1 500 manifestants ont jeté des pierres sur plusieurs usines de la ville industrielle de Gazipur, a déclaré le chef régional de l’unité de police industrielle, Sarwar Alam. « Nous avons tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes pour disperser les manifestants », a-t-il expliqué.

Usines fournissant Gap, H&M ou encore Levi Strauss

Les ouvriers exigent un salaire mensuel minimum de 23 000 takas (190 euros), soit près de trois fois plus que les 8 300 takas (70 euros) actuels. Sabina B., une couturière de 22 ans, a dit s’être jointe aux manifestations, car elle est lasse de « lutter pour assurer la subsistance » de sa famille. « Comment pouvons-nous passer un mois avec à peine 8 300 takas quand nous devons déjà débourser de 5 000 à 6 000 takas juste pour le loyer d’une maison d’une pièce ? », interroge-t-elle.

Selon les syndicats, les conditions de salaires et de travail sont désastreuses pour une grande part des quatre millions de travailleurs du secteur. Le Bangladesh est l’un des plus grands exportateurs de vêtements au monde, avec une industrie textile forte de quelque 3 500 usines qui fournissent des marques occidentales comme Gap, H&M et Levi Strauss et représentent 85 % des 55 milliards de dollars d’exportations annuelles de ce pays d’Asie du Sud.

« Nous réclamons justice, nous voulons un salaire décent », a déclaré Nurul I., ouvrier du textile âgé de 25 ans, accusant les partisans du parti au pouvoir d’avoir attaqué les manifestants. La police n’a pas pu confirmer une telle attaque. Mais selon le journal Prothom Alo, citant des témoins oculaires, des militants du parti au pouvoir avaient fait usage d’armes à feu. « Les hommes du parti au pouvoir ont attaqué notre peuple hier », a déclaré l’ouvrier. « Les propriétaires [d’usine] ne veulent pas augmenter nos salaires. Devons-nous mourir de faim et d’injustice ? »

De grandes marques, dont Adidas, Hugo Boss, ou encore Puma, ont écrit au début du mois à la première ministre, Sheikh Hasina, ayant « remarqué » que les salaires nets mensuels moyens n’avaient « pas été ajustés depuis 2019 alors que l’inflation a considérablement augmenté au cours de cette période ».

Annonce d’augmentation, sans précision

Selon les syndicats, la colère des ouvriers a explosé quand la puissante association des fabricants a proposé une augmentation de 25 %, ignorant leurs revendications.

Le Monde Application

La Matinale du Monde

Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer

Télécharger l’application

Les manifestations ont commencé au début de la semaine dernière, mais la contestation a tourné à la violence lundi avec le débrayage de dizaines de milliers d’ouvriers à Gazipur où une usine de six étages a été incendiée, entraînant la mort d’un ouvrier. Au moins un deuxième ouvrier a été tué, mortellement blessé dans des heurts opposant la police aux manifestants et décédé alors qu’il était transporté à l’hôpital.

Le gouvernement de Mme Hasina a instauré cette année un comité chargé de fixer un nouveau salaire minimum. Mardi, Faruque Hassan, président de l’Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA), a promis qu’ils augmenteraient le salaire minimum à partir du mois prochain, mais sans préciser le montant de la hausse.

Ces manifestations ouvrières surviennent au moment où le Bangladesh est secoué par de violents rassemblements antigouvernementaux dans plusieurs villes, les partisans des partis d’opposition exigeant la démission de Sheikh Hasina avant les élections prévues à la fin de janvier. Deux militants de l’opposition ont péri dans des circonstances non éclaircies, selon les autorités de Kuliarchar, au nord de Dacca.

Le Monde avec AFP

Fichage à Force ouvrière : une opération « pensée, voulue et organisée » par son ex-leader

 Le secrétaire confédéral du syndicat Force ouvrière, Pascal Pavageau, lors du deuxième jour de la réunion d’été de l’association patronale Medef à Jouy-en-Josas, le 29 août 2018.

Ses dénégations n’ont absolument pas convaincu les magistrats. Mardi 31 octobre, l’ancien secrétaire général de Force ouvrière (FO), Pascal Pavageau, a été condamné par la 17chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris pour avoir entrepris le fichage « clandestin » de 127 cadres de l’organisation, avant son élection, en avril 2018. Une opération de basse police qui avait fait scandale et l’avait forcé à quitter ses fonctions, un peu moins de six mois après avoir pris les commandes de la confédération.

Les motivations de la décision, que Le Monde a pu consulter, sont sobres mais implacables : la collecte « illicite » de données personnelles « a été pensée, voulue et organisée » par l’ex-leader syndical, « de concert » avec celle qui était sa directrice du cabinet et sa compagne au moment de la révélation des faits, Cécile Potters.

Les deux prévenus devront payer une amende, respectivement de 4 000 et de 2 000 euros. Leur complice, Justine Braesch, qui était chef de cabinet de M. Pavageau quand l’affaire a éclaté, a été sanctionnée de la même manière, mais pour un montant inférieur (1 500 euros), sa responsabilité étant « moindre » aux yeux du tribunal.

Lors du procès, qui s’est tenu le 13 septembre, la représentante du parquet, Marion Adam, avait requis des peines plus lourdes : six mois de prison avec sursis à l’encontre de Pascal Pavageau et trois mois d’incarcération avec sursis pour Justine Braesch et Cécile Potters. Partie civile dans le dossier, FO a obtenu, au titre du « préjudice » qu’elle a subi, 1 euro de dommages-intérêts, qui seront payés « solidairement » par les trois prévenus. Ceux-ci devront également verser au syndicat 1 000 euros pour les frais de procédure.

Deux listes de 127 dirigeants du syndicat

Le scandale avait été déballé sur la place publique dans un article du Canard enchaîné publié le 10 octobre 2018. L’hebdomadaire avait mis au grand jour l’existence de deux listes de 127 dirigeants de FO, avec, pour chacun d’eux, des informations diverses – dont certaines relevaient de leur « intimité », comme le souligne le tribunal (orientation sexuelle, état de santé). Les « opinions politiques ou philosophiques » étaient bien souvent mentionnées. Dans certains cas, les appréciations étaient assorties d’injures ou d’accusations (« ordure », « mafieux », « voleur de portefeuille », « détourne des fonds », etc.). Elaborés avant que M. Pavageau soit propulsé à la tête de FO, en avril 2018, ces documents cataloguaient aussi les personnes en fonction de leur proximité avec le secrétaire général et de leur positionnement dans le syndicat. Autant d’éléments recueillis et conservés sans le consentement des intéressés – donc en violation complète avec la loi.

Il vous reste 50% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

En Californie, l’intelligence artificielle générative fait revenir les start-up à San Francisco

Hackathon, capital-risqueur, café, tels sont les trois ingrédients magiques qui ont permis à San Francisco (Etats-Unis) de survivre à l’épidémie de Covid-19 et de prétendre au titre de capitale mondiale de l’intelligence artificielle (AI). Les hackathons, réunions créatives de développeurs, se sont en effet multipliés ces derniers mois dans la Silicon Valley. Les capital-risqueurs rouvrent leurs carnets de chèques, surtout lorsqu’ils entendent la sérénade de l’IA. Et les cafés sont remplis de clients passionnés.

Ce n’était pourtant pas gagné. A San Francisco, cette année, on a souvent évoqué la fin de l’âge d’or. La formule hybride, savant mélange de travail chez soi et dans l’entreprise, fait que 40 % des surfaces de bureaux n’ont plus lieu d’être. De nombreux bureaux, installés dans le bas de la ville (downtown), ont définitivement fermé. La moitié des magasins ont baissé leur rideau de fer dans le quartier d’Union Square. Finalement, 50 000 personnes, effrayées par les loyers chers, ont quitté la ville et leurs bureaux pendant la pandémie.

Et pourtant, San Francisco revit. Un bon nombre d’anciens reviennent et les nouveaux venus se pressent au portillon. « Nous avions d’abord pensé nous installer à New York, avoue Antoni Rosinol, un diplômé de l’université MIT sur la Côte est, cofondateur de Stack AI, une plate-forme permettant d’organiser le flux des travaux dans l’entreprise. New York était plus proche de nos clients en Europe. »

Mais San Francisco l’a emporté grâce au subtil mélange de l’IA et de son esprit d’entreprise. L’équipe de Stack AI y est parvenue en janvier 2023. Et ce fut une « épiphanie ». Dans les hackathons, assure le créateur d’entreprise, « on a rencontré l’un de nos premiers investisseurs, on a trouvé des clients et l’on a discuté avec des collègues. Cela peut être des concurrents, reconnaît-il. Mais ils n’ont pas l’esprit du gagnant qui rafle toute la mise. On échange sur les meilleures façons de faire ».

Des accords de plus en plus nombreux

Thomas Piani, directeur produits chez Brex, un expert dans les services financiers, vante de même la qualité des relations humaines de la baie de San Francisco. Pendant la pandémie, Brex a fermé ses bureaux. Mais ils ont depuis rouvert pour une centaine d’employés qui y viennent deux ou trois fois par semaine pour parler de leurs projets, échanger avec leurs manageurs.

Et surtout rencontrer d’autres talents en ville. M. Piani apprécie ses interactions avec les salariés des start-up et des géants de la high-tech. Il aime discuter à bâtons rompus avec des collègues de domaines annexes qui « se posent les mêmes questions ». « Ici, j’ai le sentiment d’être à la pointe de l’innovation, dit-il. Il n’y a pas une ou deux start-up intéressantes. Il y en a cent. »

Il vous reste 55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les Hannedouche, croque-morts de père en fils

A pas feutrés, les policiers pénètrent dans le couloir du funérarium en direction du cercueil, un coffre en bois de peuplier sur lequel une agente s’apprête à poser à la cire un scellé, toujours obligatoire avant une crémation. Sur le couvercle, une simple plaque à l’effet cuivre : « 1944-2023 ». La cérémonie aura lieu dans quelques minutes à la collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent d’Eu (Seine-Maritime). Deux porteurs des pompes funèbres Hannedouche récupèrent le brancard mortuaire pour le faire rouler en silence jusqu’au corbillard. C’est justement le bruit qui a donné l’idée à René Hannedouche de lancer son entreprise funéraire.

A la fin des années 1980, la société d’ambulances de René prospère gentiment à Abbeville (Somme). Il travaille avec ses deux fils, qui ne s’entendent pas du tout. Un jour, il assiste à des « obsèques catastrophiques » : lorsque le cercueil est déplacé dans l’église, il entend un grincement épouvantable. « Je me suis dit que je pouvais faire mieux », se rappelle le grand-père de 89 ans, à la retraite depuis une quinzaine d’années. Déjà, René a en tête de laisser les ambulances à son aîné et d’embarquer le cadet, François, dans le funéraire.

En 1991, il rachète la maison attenante au garage de ses ambulances pour construire un petit magasin funéraire. A une époque où les morts sont veillés à domicile ou dans les chambres mortuaires de l’hôpital, René et François décident de se doter de deux salons funéraires. « Dans la région, on était les premiers à en avoir et à proposer ce service », raconte fièrement René.

« Un savoir-être »

Au départ, grâce à ses deux entreprises, René bricole l’organisation et « jongle avec le personnel des ambulances ». L’activité de pompes funèbres finit par s’implanter ; elle emploie désormais une vingtaine de salariés, répartis sur six agences dans la Somme et la Seine-Maritime, qui assurent à la fois les levées de corps, les soins, les cérémonies et les inhumations. Rémy et Hugo, les deux fils de François, ont rejoint la société, après avoir testé le métier en travaillant, l’été de leurs 16 ans, aux côtés des marbriers dans les cimetières.

A gauche, François Hannedouche, 55 ans, aux pompes funèbres d’Abbeville (Somme), le 10 octobre 2023. A droite, la boutique des pompes funèbres Hannedouche à Eu (Seine-Maritime), le 9 octobre 2023.
Des passantes lisent les avis de décès placés sur la vitrine des pompes funèbres Hannedouche, à Eu (Seine-Maritime), le 9 octobre 2023.

En plus de trente ans et trois générations de croque-morts, les Hannedouche ont vu leur activité se structurer. En 1993, une loi a mis fin au monopole communal du service des pompes funèbres, les forçant au fur et à mesure à professionnaliser leur gestion des ressources humaines. « Maintenant, la formation est indispensable pour l’administratif », explique François, la profession étant encadrée par des modalités strictes. Mais, estime-t-il, « vous pouvez avoir votre diplôme et ne pas y arriver sur le terrain ». Apprendre à vivre au quotidien avec la mort n’est pas donné à tout le monde. « Il faut essayer et voir si vous êtes capable », poursuit FrançoisPar-delà les diplômes, les Hannedouche attendent de leurs employés « un savoir-être », souligne Rémy.

Il vous reste 75% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Il ne peut y avoir de responsabilité sociale et environnementale digne de ce nom sans achats responsables »

Les achats responsables sont une dimension essentielle et de mieux en mieux reconnue de la performance sociale et environnementale des entreprises. A force d’externalisation, la part des achats dans le chiffre d’affaires a augmenté de façon considérable ces dernières années, jusqu’à en représenter de 70 à 80 % dans des secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile, et 60 % en moyenne tous secteurs confondus.

De tels pourcentages ont conduit les dirigeants à prendre conscience du fait qu’il ne peut y avoir de responsabilité sociale et environnementale (RSE) digne de ce nom sans achats responsables.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Pour une politique d’achats réparatrice »

Il est révélateur de constater quel’étude 2023 sur les « Performances RSE des entreprises françaises et européennes – comparatif OCDE et BICS », réalisée par EcoVadis et le Médiateur des entreprises, propose pour la deuxième fois un point spécifique sur le thème des achats responsables, alors que les études antérieures restaient centrées sur l’environnement, la dimension sociale et l’éthique.

Les performances des pays nordiques

L’étude porte sur un important échantillon de 25 699 entreprises de l’Union européenne (UE), dont 13 % de plus de 1 000 salariés (les entreprises de moins de 25 salariés sont exclues de l’étude). Les trois pratiques d’achats responsables le plus souvent observées sont l’évaluation RSE régulière des fournisseurs et/ou le recours aux audits sur site (52 %), l’existence d’un code de conduite imposé aux fournisseurs (34 %) et l’insertion de clauses contractuelles RSE (25 %).

Les performances des pays nordiques ont justifié la création par les auteurs de l’étude d’une nouvelle catégorie géographique, « Nordics », dont il est particulièrement instructif d’observer les pratiques d’achats responsables. On peut, par exemple, noter le recours plus fréquent à la réalisation de cartographie des risques RSE (20 %, contre 14 % en France).

D’autres études ou baromètres comme ceux de l’Observatoire des achats responsables (Obsar) ou le Peak Collaborative Index montrent que l’intérêt des achats responsables est de mieux en mieux compris au sein des organisations.

Des marges de progrès

Dans les plus de 7 000 entreprises françaises évaluées par l’étude citée plus haut, le thème des achats responsables est évoqué par 48 % des répondants contre 45,5 % en 2018, un score supérieur à ceux observés en moyenne dans l’UE (44,9 %), dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 42,9 %) ou chez les BICS (Brésil-Inde-Chine-Afrique du sud, 33 % en 2022), mais inférieurs à ceux des autres thèmes (environnement, social, éthique).

Il vous reste 30% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Suède : les salariés de Tesla en grève pour défendre leurs salaires et leur modèle social

Un réprésentant du syndicat IF Metall devant un centre de services Tesla, à Segeltorp, en Suède, le 27 octobre 2023.

« Honte à toi Tesla, honte à toi ! » L’ancien premier ministre social-démocrate suédois Stefan Löfven n’est pourtant pas du genre à se laisser emporter par ses émotions. Mais l’également ancien leader du puissant syndicat IF Metall a vu rouge en apprenant que le géant américain refusait de signer les accords collectifs suédois.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La Suède s’enfonce dans la déprime économique

Dans un message publié sur Facebook, dimanche 29 novembre, Stefan Löfven fait savoir qu’il boycotterait les taxis de la marque d’Elon Musk et il encourage ses concitoyens à suspendre leur achat d’une Tesla « jusqu’à ce qu’un accord soit signé ».

Depuis le 27 octobre, le syndicat a lancé un mouvement de grève chez sept concessionnaires Tesla en Suède, où sont employées 120 personnes. Si aucun accord n’est passé d’ici au 3 novembre, IF Metall menace d’élargir la grève aux garages de la marque dans une quinzaine de villes. Le syndicat Transport a, lui, fait savoir qu’il était prêt à bloquer tous les départs et arrivées des véhicules électriques dans quatre des plus grands ports de Suède à partir du 7 novembre, en solidarité avec les salariés de la compagnie.

Un mouvement exceptionnel

« Ce conflit porte sur les salaires, les pensions et les assurances de nos membres travaillant chez Tesla. Mais fondamentalement, il s’agit aussi de défendre l’ensemble du modèle suédois du marché du travail. En Suède, ce sont les syndicats et les employeurs qui conviennent des conditions de travail, dans le cadre des négociations sur les conventions collectives », rappelle Marie Nilsson, la présidente d’IF Metall.

Selon le syndicat, les discussions avec l’entreprise ont capoté le 24 octobre. Refusant de signer les accords de branche, les représentants de Tesla auraient fait savoir que le groupe « n’a d’accord collectif nulle part dans le monde » et que « c’est une décision qui doit être prise au plus haut niveau de la compagnie », a précisé Veli-Pekka Säikkälä, en charge des négociations sur les accords collectifs chez IF Metall.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Tesla, le trublion de l’automobile devenu la référence « hype »

Le mouvement est exceptionnel. Le dernier conflit au cours duquel syndicat métallurgique avait indemnisé ses membres en grève remonte à 2010. Il opposait IF Metall à une société de taille de pierre, qui refusait de signer les accords collectifs. A plusieurs occasions depuis, le syndicat a menacé d’arrêter le travail mais, à chaque fois, un compromis a été trouvé avant que la grève ne soit déclenchée.

Menacés par leurs chefs

Autre particularité : la compagnie américaine semble prête à aller à l’affrontement. Des salariés ont révélé qu’ils avaient été menacés par leurs chefs. Le journal suédois Dagens Arbetare a également démontré que Tesla prévoyait de casser le mouvement de grève en transférant des employés d’une concession à l’autre, à l’intérieur du pays, ce qui violerait l’accord de Saltjöbad, qui régule les relations entre partenaires sociaux depuis 1938.

Il vous reste 20% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Nous avons besoin de savoirs et de pratiques pour démonter la lourde technosphère qui pèse sur le devenir de la planète »

Dans une tribune au « Monde », à l’initiative du collectif Ecopolien – un « atelier d’écologie politique francilien » regroupant des membres de l’enseignement supérieur et de la recherche –, des universitaires répondent à l’appel pour un « projet Manhattan de la transition écologique » signé le 25 septembre par plusieurs de leurs collègues.

« Que sait-on du travail ? » : les usines du futur n’ont rien à envier à celles des « Temps modernes »

40 %. C’est l’ampleur de la chute des effectifs dans le secteur automobile français de 2004 à 2020. Soit 130 000 emplois perdus sur cette période qui coïncident avec un transfert de production par délocalisations successives en Europe de l’Est, en Espagne, au Portugal, en Turquie, au Maroc.

Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ?  » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr, le sociologue du travail Juan Sebastian Carbonell démontre comment la mondialisation et la modernisation du secteur ont dégradé les conditions de travail : en renforçant le chantage à l’emploi et en introduisant le management par le stress.

En effet, les délocalisations se sont accompagnées de restructurations avec de nouveaux impératifs financiers. C’est alors que « le chantage au maintien de l’emploi en France est devenu un puissant levier entre les mains des constructeurs lorsqu’il s’agit de revoir à la baisse les conditions de travail », souligne le sociologue. Pour faire la chasse aux petites économies et aux gains de productivité, les entreprises ont opèré à de profonds changements dans les organisations de travail en introduisant le lean dans les usines.

Cette méthode de management inspirée du « Toyotisme » promet une production au plus juste de ce que demande le marché en évitant le gaspillage et en limitant les stocks grâce à l’adaptabilité des salariés en poste et au soutien des intérimaires. « Lorsque Toyota s’installe dans le nord de la France et monte en cadence la production de la Yaris en 2004, un ouvrier sur quatre est intérimaire ou en CDD », illustre M. Carbonell.

L’évolution législative a encadré le mouvement. Les « accords de compétitivité » en 2008, puis ceux du « maintien dans l’emploi » en 2013, ceux de « préservation ou de développement de l’emploi » en 2016, et enfin « de performance collective » en 2017 ont facilité l’extension du temps de travail parfois sans contrepartie ou presque.

Dans l’industrie automobile, ils ont ainsi donné naissance à l’overtime. Des demi-heures ou des heures supplémentaires annoncées parfois la veille, parfois le jour même pour absorber les variations de la demande, les pannes et les ruptures d’approvisionnement. Concrètement, ces changements n’ont pas apporté la zénitude promise aux salariés, mais des journées à rallonge, des horaires imprévisibles, une surveillance entre les ouvriers et une dynamique accusatoire.

Il vous reste 20% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Entre délocalisations, intensification et numérisation : travailler dans l’industrie automobile aujourd’hui »

[Comment les méthodes de travail du XXIe siècle ont introduit de nouvelles pénibilités. C’est ce que Juan Sebastian Carbonell, sociologue du travail et des relations professionnelles, démontre dans cet article. Postdoctorant au Groupe d’études et de recherche permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile (Gerpisa), à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay, et chercheur associé au laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société (IDHES), il mène des recherches sur le travail, la négociation collective et le changement technologique principalement dans l’industrie automobile française. Il est l’auteur du Futur du travail (Amsterdam, 2022).]

Deux images d’Epinal se font concurrence dès qu’il est question du travail dans l’industrie automobile aujourd’hui.

D’un côté, celle héritée des « trente glorieuses » et de récits militants, qui décrivent un travail saccadé sur une chaîne de montage sale et bruyante. On y verrait un travail parcellisé, monotone et abrutissant.

De l’autre, celle des discours modernisateurs, qui mettent l’accent sur les nouvelles technologies, où les robots auraient libéré les ouvriers des tâches les plus pénibles et rendu le travail plus intéressant et épanouissant.

On trouverait donc dans les usines moins d’ouvriers spécialisés et davantage de techniciens et de conducteurs d’installations automatisées, chargés de la maintenance et de la programmation des machines.

Qu’en est-il réellement ? Le travail industriel n’est-il donc plus pénible ? Si la réalité du travail dans l’industrie n’est plus tout à fait celle des Temps modernes, de Charlie Chaplin, ou de L’Etabli, de Robert Linhart, cela ne veut pas dire pour autant que les conditions de travail se sont améliorées. Au contraire, on peut affirmer que celles-ci se dégradent sous l’effet conjugué de trois phénomènes : les menaces de délocalisation et le chantage à l’emploi, l’introduction de méthodes de travail inspirées de la lean production [la production au plus juste], et les nouvelles technologies digitales.

Le déclin de l’industrie automobile française

Rappelons au préalable l’état de l’industrie automobile dans le pays. Celle-ci continue de jouer un rôle important dans l’économie nationale : avant la crise sanitaire, le secteur représentait 50 milliards d’euros d’exportation et générait 21,4 milliards d’euros de valeur ajoutée (Myriam Fogelman et Amine Didioui, « Transformations et défis de la filière automobile », 2022).

Cependant, elle connaît un déclin prononcé en matière de production et d’emplois depuis au moins quinze années en raison d’une « restructuration permanente » (Jacky Fayolle, « Restructurations d’hier et d’aujourd’hui. Les apports d’un séminaire », 2005 ; Cédric Lomba, La Restructuration permanente de la condition ouvrière. De Cockerill à ArcelorMittal, Le Croquant, 2018), c’est-à-dire une succession de plans de licenciements, de délocalisations et de restructurations. Sa dimension permanente se retrouve notamment dans le fait que la restructuration devient un acte récurrent et ordinaire dans la vie de l’entreprise, sans nécessairement répondre à une situation de crise.

Il vous reste 90% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Face à l’intensification du travail, les jeunes plongent dans un malaise profond : « Je m’enfonçais dans le travail, je n’avais plus de distance »

Lorsque Robin (certains prénoms ont été modifiés) se rend chez son médecin, courant 2022, il ne pense pas en ressortir avec un arrêt de travail. A seulement 27 ans, cette option ne semble même pas pouvoir traverser l’esprit de ce chef de projet dans une agence de création de sites Web. « J’avais poussé la porte de son cabinet pour avoir des somnifères, dans l’espoir de retrouver le sommeil et de continuer à fonctionner au boulot. » Mais le fait est qu’il ne peut plus continuer, l’alerte alors le professionnel de santé. Robin a été essoré par le surcroît de travail dans la start-up où il est salarié, qui connaît alors une croissance fulgurante, au point d’avoir vu ses effectifs tripler en quelques mois et son portefeuille clients s’étoffer plus encore.

Face à la pression mise sur son équipe, très jeune comme lui et peu accompagnée par des seniors, il a développé des symptômes d’anxiété professionnelle de plus en plus invalidants. Sans « les outils adéquats » et surtout « sans le temps nécessaire » pour répondre aux demandes grandissantes de clients au profil nouveau, il passe ses nuits à se repasser les difficultés éprouvées dans la journée, et se rend le matin au travail la boule au ventre. Avant son arrêt, il se surprend à fondre en larmes à plusieurs reprises après des rendez-vous clients. « Dans le bureau du médecin, j’ai mesuré que la situation avait vraiment dérapé », souffle Robin, qui a dû être arrêté durant un mois.

Etre contraints de se mettre sur pause dès le début de leur vie professionnelle : de nombreux jeunes diplômés y sont désormais confrontés. La santé au travail se dégrade ces dernières années, et en particulier pour les plus jeunes. Alors que le nombre d’arrêts-maladie atteignait un niveau record en 2022, comme le constataient deux études parues cet été, la progression la plus frappante concerne en effet les moins de 30 ans. Selon l’une d’elles, publiée par le cabinet de conseil WTW en août à propos du secteur privé, le taux d’absentéisme – un indicateur RH qui prend (notamment) en compte les arrêts-maladie, les accidents de travail, les absences injustifiées – dans cette tranche d’âge a augmenté de 32 % en quatre ans, avec un bond important chez les cadres.

Anxiété, dépression, épuisement

Si aucune de ces études ne détaille les motifs de ces absences, la Sécurité sociale note que les premières causes des arrêts longs prescrits en 2022 relevaient de troubles psychologiques, comme l’anxiété, la dépression ou l’épuisement. Et, en la matière, d’autres enquêtes concordent : les jeunes sont bien touchés de plein fouet par une dégradation. Chez les 18-34 ans, les arrêts liés à la souffrance au travail ont ainsi bondi de 9 %, en 2016, à 19 %, en 2022, selon un baromètre du groupe mutualiste Malakoff Humanis. La consommation de somnifères, d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs par les salariés de moins de 30 ans a également doublé entre 2019 et 2022, précise cette étude.

Il vous reste 80% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.