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Ce n’est pas parce que la copropriété retire le poste de concierge, qu’elle peut licencier ce salarié : il risque par conséquence de saisir la juridiction prud’homale, afin d’obtenir d’importants dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat.
Une grande partie de juges considèrent en effet que le syndicat de copropriétaires, comme une entreprise privée, doit appliquer les règles du code du travail et surtout l’article L 1233-3, selon lequel le licenciement économique doit être consécutif à « des difficultés économiques ». La Cour de cassation l’a d’ailleurs admis dans un arrêt du 29 avril 2009, qui rejetait le pourvoi d’un ouvrier d’entretien, les difficultés économiques de la copropriété étant selon elle « caractérisées ». Elle a confirmé, dans un arrêt du 20 janvier 2010, que les concierges relèvent, sur les points non réglés par leur statut, des dispositions de droit commun du code du travail.
En quoi consistent les « difficultés économiques » ? Une grande partie de juges considèrent que’elles ne peuvent se limiter à la simple volonté de rationaliser la gestion de l’immeuble et de réduire les charges. On ne compte donc que très peu de jugements favorables aux syndicats de copropriété, selon l’étude qu’a publiée Me Laurence Guégan-Gélinet dans la revue Administrer.
Vétusté de l’immeuble
En voici l’un des rares : le 21 février 2013, la cour d’appel d’Aix-en-Provence admet que le licenciement économique de la gardienne de la résidence Le Longbeach à Grasse (Alpes-Maritimes), le 5 mars 2010, suite au vote de la suppression de son poste par l’assemblée générale du 13 novembre 2009, est fondé sur une cause réelle et sérieuse. Elle entend le syndicat des copropriétaires, qui fait valoir que « l’immeuble construit en 1978 n’a jamais été entretenu et qu’il est nécessaire aujourd’hui de réaliser de nombreux travaux importants, que les copropriétaires qui sont surtout des retraités, dont les revenus n’évoluent plus à la hausse, sont dans l’incapacité de répondre à des appels de fonds plus élevés, que les bilans du Syndicat des copropriétaires établis pour les années 2007, 2008 et 2009 confirment le déséquilibre économique au sein de la copropriété, que l’état des dettes et des dépenses établi le 10 septembre 2010 démontre que la trésorerie de la copropriété s’élève à 14 681,75 euros pour un débit de 17 980,70 euros, que la suppression du poste de concierge était le seul moyen de financer les travaux nuisibles que la copropriété doit réaliser ».
La cour d’appel constate par conséquence, au vu des nombreux documents comptables qui lui sont fournis, que le syndicat des copropriétaires doit faire face à une élévation importante des charges obligatoires. Elle constate aussi que le remplacement de la gardienne par un service de nettoyage permet une économie des deux-tiers des dépenses de gardiennage. Elle déboute la gardienne de sa demande de paiement de quelque 20 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et défaut de reclassement.
40 000 euros d’indemnité
Mais la majorité du temps, les juges refusent d’admettre que le licenciement soit fondé sur une cause réelle et sérieuse, comme le montrent les trois affaires suivantes.
1)Mme X est engagée en 1984 en qualité de concierge au 80 rue de Lauriston à Paris. En 2006, les copropriétaires décident de retirer son poste et de confier l’entretien des parties communes ainsi que le service de sortie des poubelles à une entreprise spécialisée. Le syndic notifie à Mme X son licenciement pour motif économique, en mars 2007. Sa lettre de licenciement évoque « un souci de maîtrise des coûts financiers et de rationalisation du gardiennage de l’immeuble ».
La cour d’appel de Paris, que Mme X saisit après avoir été déboutée par le conseil des prud’hommes, juge, le 31 janvier 2013, que « les dispositions du code du travail relatives au licenciement pour motif économique sont applicables aux gardiens d’immeubles soumis à la convention collective nationale de travail des gardiens, concierges et employés d’immeubles ». Elle se réfère ainsi à l’arrêt de cassation du 20 janvier 2010. Elle considère qu’en l’occurrence, « l’employeur ne rapporte pas la preuve des motifs d’ordre économique qui ont nécessité la suppression du poste ». Elle alloue à l’ancienne gardienne quelque 40 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (39 597 euros).
30 000 euros d’indemnit
2) M. Y, engagé en 1995 en qualité de gardien, est licencié en août 2009, l’assemblée générale des copropriétaires ayant déterminé de supprimer son poste. Sa lettre de licenciement évoque la décision de « réorganiser l’entretien et la maintenance des parties communes ». M. Y saisit le conseil des prud’hommes de Paris, qui, le 7 juillet 2011, le déboute, en considérant qu’un syndicat de copropriétaires n’est pas une entreprise.
La cour d’appel de Paris, qu’il saisit, infirme, le 5 juin 2013, en se référant elle aussi à l’arrêt de cassation du 20 janvier 2010. « Il […] résulte que, inversement à ce qu’a affirmé le conseil de prud’hommes, le licenciement de M. Y devait être régi par les dispositions générales du code du travail, notamment celles prévues aux articles L 1232-1 et suivants (licenciement pour motif personnel) ou L 1233-1 et suivants (licenciement pour motif économique) de ce code et être fondé sur une cause réelle et sérieuse, suffisamment précise pour être vérifiable par la cour. »
Or, constate la cour d’appel, « la formulation de la lettre de licenciement, totalement imprécise, et qui empêche toute vérification par la cour, équivaut en réalité à une absence de motifs. » Elle juge que la rupture abusive du contrat de travail ouvre droit pour M. Y à une indemnité de 30 000 euros.
Régularisation du paiement des charges
3) Mme Z, engagée en 1984 comme concierge par le syndicat des copropriétaires du 11 boulevard Flandrin, Paris 16e, est licenciée le 1er décembre 2010, l’assemblée générale ayant décidé de supprimer son poste. Sa lettre de licenciement invoque le fait que les copropriétaires ne règlent pas leurs charges, et que la trésorerie est déficitaire : « Vous n’ignorez pas que cette copropriété rencontre de très importants problèmes financiers et que sa trésorerie est déficitaire. Ces difficultés économiques sont constituées, d’une part, par des difficultés de trésorerie, et, d’autre part, par la nécessité absolue d’engager des travaux de sauvegarde de l’immeuble dont le coût aggrave les finances déjà obérées de la copropriété. La trésorerie sur l’exercice 2009 est en effet déficitaire de 24.840, 46 € et la situation ne s’améliore pas de manière substantielle sur l’exercice 2010 en cours…»
La cour d’appel de Paris, que la gardienne saisit après avoir été renvoyée par le conseil de prud’hommes, refuse, le 8 avril 2014, de valider le licenciement car « le syndicat des copropriétaires ne justifie pas, ni même allègue, avoir mis les copropriétaires défaillants en demeure de régulariser le paiement de leurs charges ou avoir tenté, les concernant, une procédure de recouvrement (injonction de payer par exemple)». Or, « cette carence de la copropriété ne saurait préjudicier à Mme Z et ne peut, en tous cas, caractériser un motif économique justifiant son licenciement». La cour condamne le syndicat à lui verser 40 000 euros d’indemnités pour licenciement abusif.
Revirement de jurisprudence ?
Inversement à tout ce qui vient d’être présenté, la Cour de cassation juge soudain, le 1er février 2017, que le syndicat des copropriétaires n’est pas une entreprise, et que le licenciement du concierge n’est pas soumis aux dispositions du code du travail. Elle repousse le pourvoi (15-26 853) de la concierge du 4 rue Guiglia à Nice, qui protestait contre son licenciement, après 35 années de service.
La lettre de licenciement que lui a envoyée la Sarl Groupe Foch immobilier, syndic de la copropriété, lui indiquait uniquement que l’assemblée générale avait décidé à l’unanimité de supprimer son poste; elle n’invoquait aucun motif économique pour justifier cette suppression. En validant le licenciement, la Cour de cassation semble juger que la décision de supprimer le poste de concierge constitue en elle-même une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail.
Selon certains témoins, cet arrêt serait à manier avec précaution: Me Laurence Guégan-Gélinet pense que « la Cour a entendu appliquer au syndicat de copropriété la jurisprudence qui concerne les concierges employés par un particulier, et qui sont assimilés aux employés de maison »: l’article 12 de la Convention collective du particulier employeur exclut en effet l’application des règles spécifiques au licenciement économique. Mais, observe Me Guégan-Gélinet, les règles du licenciement économique redeviennent applicables à l’employé de maison, lorsqu’il est employé une personne morale, notamment une société civile immobilière (SCI).
Il ne lui semble « pas concevable de créer, au regard des règle du droit du travail actuellement en vigueur, un motif de licenciement sui generis: cela n’est conforme ni aux dispositions des articles L 7211-1 à L 7215-1 du code du travail fixant le statut dérogatoire des gardiens d’immeuble, ni à l’article 14 de la Convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeubles, ni à l’article L 1233-1 du code du travail ». Elle demande une « clarification » de la Cour de cassation.
Devant ces incertitudes, ceux qui veulent se passer des services du concierge auront intérêt à attendre le départ à la retraite de celui-ci, plutôt qu’à procéder à son licenciement.
Il y a trente ans, le combat se faisait entre ceux qui arrivaient à valider leur bac + 5 et les autres. Dans le contexte actuel, où de plus en plus de jeunes sont archidiplomés, même un master n’offre plus la certitude d’une entrée facile sur le marché de l’emploi.
Qu’est-ce qui rend l’insertion des jeunes diplômés si difficile ?
Seuls quelques établissements, les facultés de médecine notamment, organisent fortement le placement de leurs jeunes sur le marché du travail. Face au nombre de prétendants – que la plupart des secteurs n’ont pas le débit suffisant pour accueillir –, l’accès à un stage professionnel ne découle plus naturellement d’une bonne réussite de ses études. Ce qui rend plus grande encore la difficulté à entrer par la suite dans le monde du travail. Avec des études de plus en plus longues, au fur et à mesure desquelles les attentes des étudiants s’accroissent, la connaissance du milieu professionnel s’est, elle, dramatiquement rétrécie. Dans ce contexte, les risques de déconvenue au moment où le marché produit son verdict sont souvent brutaux.
En France, 43% des jeunes diplômés de 25-29 ans considèrent qu’ils ont des difficultés « à joindre les deux bouts », selon des chiffres Eurostat, contre seulement 10% en Allemagne. La brutalité vient donc aussi, une fois dans la vie active, de cette confrontation à un niveau de vie en deça des attentes…
Oui, dès que les parents cessent d’aider leurs jeunes à soutenir leur niveau de vie, les difficultés adviennent. Le contexte actuel se caractérise par une forte croissance du nombre de diplômés par rapport aux postes qualifiés disponibles, un coût élevé de la vie dans les zones urbaines où les jeunes diplômés tentent de trouver des emplois à leur niveau, et bien évidemment de prix souvent prohibitifs du logement. Dans ce cadre, les jeunes diplômés français peinent à payer les dépenses nécessaires habituelles.
Le « reste à vivre » ne leur permet plus de garantir les dépenses plus élaborées, considérées comme normales dans les classes moyennes (sortie, spectacle, vacances, etc.). Si le diplôme permet généralement d’échapper à la pauvreté, la faible valorisation relative de la jeunesse diplômée pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le pessimisme français. Les efforts consentis par les parents pour offrir à leurs enfants de meilleurs diplômes ne permettent pas d’échapper au déclassement socio-économique.
Comment mieux préparer les étudiants à ce passage vers le monde professionnel ?
La valeur théorique des diplômes est bonne, leur valeur pratique dans le monde du travail est extrêmement réduite : c’est sur cela que l’enseignement supérieur français doit travailler. C’est un chemin que les grandes écoles de premier plan ont emprunté depuis longtemps, notamment en entretenant un lien très fort avec leurs réseaux d’anciens. Dans les secteurs plus précaires et universitaires, ces réseaux, très coûteux, sont bien moins étoffés et ne remplissent pas la mission essentielle de placement des étudiants.
Ils préfèrent alors parfois de partir au Québec, au Royaume-Uni ou en Allemagne faire un deuxième master, dans des institutions qui conservent une très forte connexion avec le marché du travail mais qui demeurent particulièrement onéreuses. Ce sont donc les étudiants les mieux armés par leur succès scolaire et par le soutien familial qui échappent le mieux à l’absence de transition en France.
Une citation de Sigmund Freud récapitule très bien, à mon sens, la situation française : « L’éducation pèche en ne préparant pas l’être jeune à l’agressivité dont il est destiné à être l’objet. (…) [Elle] ne se comporte pas autrement que si l’on équipait de vêtements d’été et de cartes des lacs italiens des gens partant pour une expédition polaire. » Il est urgent de fournir un nouvel équipement aux étudiants français pour qu’ils puissent aborder plus sereinement cette expédition qu’est l’entrée dans l’emploi.