Construire une stratégie, un exercice de discernement

Décider d’une stratégie, c’est trancher dans les champs des possibles économiques, sociaux ou politiques. Mais l’efficacité d’une stratégie repose aussi sur la formulation d’un futur de l’organisation suffisamment désirable pour que l’on puisse espérer l’engagement durable des parties prenantes qui coopéreront. Au moment où le conseil d’administration ou l’assemblée générale se prononce pour approuver telle stratégie se joue donc un exercice de jugement qui porte sur ces deux niveaux, afin de dégager et d’assumer un choix final.

Un programme stratégique propose d’abord de décider parmi des actions possibles, dont aucune ne s’impose naturellement. Il est normal en effet qu’il existe des options, parfois fortement divergentes, sans quoi les notions même de choix et de stratégie n’auraient pas lieu d’être. Mais les options n’existent qu’au regard d’une hiérarchie de contraintes et de valeurs que le stratège dresse au préalable et selon laquelle il propose d’agir.

C’est cette hiérarchie qui détermine le contenu et la cohérence interne de la stratégie. Par exemple, considérer l’indépendance capitalistique d’une entreprise comme prioritaire impose des choix économiques qui ne sont pas les mêmes si l’accent principal est mis sur le remboursement de la dette ou sur le rachat d’un concurrent. Un programme stratégique sérieux se présente donc moins comme une liste de solutions que comme une échelle de contraintes à affronter et de priorités à résoudre et face auxquelles les solutions envisagées s’avèrent les plus convaincantes.

Savoir trancher

Mais une stratégie doit aussi offrir une vision du futur qui projette l’organisation vers un progrès sans doute idéalisé mais non pas impossible. Une vision d’une œuvre commune suffisamment attirante pour motiver l’engagement de ceux qui seront impliqués dans sa réalisation. Sauf à croire que les parties prenantes et, en particulier, les collaborateurs ne se nourrissent que de chiffres et de calculs, il faut tenir compte de ce que Bergson appelait l’« énergie spirituelle », sans laquelle les calculs les plus rigoureux restent dépourvus de raison. Elle permet de s’extraire de la boue des contraintes en marchant vers un objectif supérieur commun.

L’exigence du rêve a pour revers un risque de découragement quand l’idéal mobilisateur s’essouffle et se réduit à une suite de petites décisions pragmatiques qui empruntent, parfois, des méandres inattendus. Pour autant, la nécessaire distinction des niveaux ne signifie pas leur opposition : elle invite, au contraire, à évaluer régulièrement la mise en œuvre de la stratégie à l’aune de la vision au service de laquelle elle avait été élaborée.

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« L’impression de n’être plus compris ni défendu par personne dans l’entreprise alimente le sentiment de déclassement des salariés, carburant du vote RN »

Parmi les ressorts qui ont conduit à ce que le vote RN [Rassemblement national] irrigue désormais l’ensemble des classes sociales, partant des classes populaires pour entraîner une partie significative des professions intermédiaires et cadres du public comme du privé, se trouve la question du travail : sa rémunération bien sûr, mais aussi sa perception, son intérêt, et ce sentiment qu’il perd de son sens, et même qu’il nous échappe.

Depuis une vingtaine d’années, alors même que la demande d’autonomie monte dans tous les champs de la société, beaucoup d’entreprises régressent sur ce point : excès de process devenant une fin en soi, reporting chronophages, centralisation des décisions sans marge de manœuvre dans la mise en œuvre locale, changements organisationnels permanents affectant la productivité et détournant l’énergie des équipes de leur cœur de métier…

A cela s’ajoutent souvent un recul de la représentativité institutionnelle collective dans l’entreprise, une baisse de la confiance des salariés dans leurs représentants, conduisant de plus en plus à l’émergence de collectifs salariés autonomes. Le tout conduisant au sentiment croissant chez les salariés que ni la direction ni les syndicats ne connaissent en réalité leur travail quotidien.

Les engagements des syndicats et des directions

Cette impression de n’être plus compris ni défendu par personne dans l’entreprise alimente largement le sentiment de déclassement et de dépossession des salariés, et fonctionne comme un carburant du vote RN, promettant à tous les citoyens-travailleurs de reprendre le contrôle de leur vie. Répondre à cette crise du travail passe par un double aggiornamento des syndicats et des directions.

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Du côté syndical, l’heure est à la mobilisation des forces militantes pour retisser les liens avec les salariés. Les moyens syndicaux existants (sauf dans quelques rares secteurs) le permettent. Il s’agit de construire avec les personnels des propositions concrètes améliorant l’organisation, la qualité et la reconnaissance du travail sur le terrain. Le syndicalisme doit repenser son rôle pour attirer de nouvelles catégories et faire reculer l’abstention aux élections professionnelles. Il lui faut inventer un nouveau modèle de démocratie sociale en encourageant la participation des salariés.

De même, du côté des directions, il est impératif de comprendre, comme les entreprises les plus lucides et innovantes l’ont déjà fait, que l’évolution contemporaine du rapport au travail n’est pas une désaffection ou un désinvestissement du travail, mais au contraire un supplément d’exigence vis-à-vis de son travail et de son entreprise : comprendre en quoi son travail s’inscrit dans un collectif dont on est fier, utiliser l’autonomie dont on dispose pour imprimer sa marque personnelle et bien faire son travail, avoir son mot à dire sur l’organisation du travail et sur la répartition de la valeur qu’il crée, disposer de perspectives professionnelles lorsqu’on souhaite évoluer.

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Législatives 2024 : « Nous, dirigeants d’entreprise, devons avoir le courage de tenir le cap des valeurs de l’entrepreneuriat responsable »

Depuis sa création en 1938, le Centre des jeunes dirigeants (CJD) accompagne des patrons d’entreprises résolument humanistes, qui s’engagent pour une société plus juste, plus durable, plus équitable, au sein du mouvement comme dans leurs entreprises. Ces dirigeants agissent aujourd’hui au quotidien pour une transformation de l’économie au service du vivant.

En 1953, nous avons milité pour la création d’une assurance-chômage ; bien avant la mise en place de l’alternance, nos entreprises étaient déjà des lieux de partage et de transmission pour la jeunesse. Nous restons fidèles à notre mission historique et nous refusons de céder aux discours de haine et d’exclusion qui se propagent.

Dès le 11 juin, nous l’avons souligné : la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République nous plonge dans une situation périlleuse, menaçant nos institutions démocratiques, notre tissu économique et la cohésion de notre société. Face à la montée d’idées autoritaires portées par l’extrême droite, les entrepreneurs responsables sont inquiets pour notre place en Europe et dans le marché unique, et pour la réponse au défi de la transition écologique. Il nous faut aujourd’hui avoir le courage de tenir le cap des valeurs de l’entrepreneuriat responsable.

La responsabilité, d’abord. Notion-clé pour tout dirigeant, elle doit s’étendre à la cité. Etre responsable, c’est assurer l’avenir des générations futures dans une société respectueuse des droits de chacun, chacune. C’est utiliser son pouvoir d’agir, son pouvoir de décision, pour aider à construire un monde pacifié et durable, loin des idées réactionnaires et autoritaires.

Le respect de la dignité humaine, ensuite, comme cadre éthique. Les dirigeants responsables partagent le souci constant de l’égalité de traitement. C’est pourquoi l’écoute et la tolérance sont au cœur du projet de notre mouvement, qui s’incarne notamment dans le rejet de toute forme de discrimination.

La solidarité est une valeur organique de notre mouvement, elle érige en principe cardinal de l’entrepreneuriat responsable l’accueil des différences et le vivre-ensemble. N’est-ce pas lorsque nos sociétés sont solidaires qu’elles sont résilientes et peuvent faire face aux défis et aux crises ? N’est-ce pas lorsque nous agissons collectivement dans toute notre diversité et unis autour d’un projet de société désirable, que nous sommes plus forts ?

L’économie doit profiter au plus grand nombre

La loyauté, enfin, à l’égard de toutes et tous comme envers les valeurs qui permettent le progrès économique, social et environnemental. Dans une société marquée par l’incertitude et la tension, nous devons tenir loyalement sur nos valeurs.

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Un guide d’usage de l’intelligence artificielle dans la fonction publique d’Etat

A l’instar des entreprises, la fonction publique d’Etat se prépare à intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans la gestion des ressources humaines (GRH). Des expérimentations vont bientôt démarrer dans les ministères se portant volontaires. Il est plus que temps : en 2019, un rapport de l’OCDE estimait qu’il serait bientôt possible de libérer près d’un tiers du temps des fonctionnaires, qui passeraient dans ce scénario optimiste de « tâches banales à un travail à haute valeur ajoutée ».

L’Etat, qui s’était vu reprocher il y a quelques années le retard français dans la numérisation des services publics, entend cette fois intégrer au plus vite l’IA dans ses processus RH, tout en se prémunissant contre d’éventuelles dérives. ​« La prise en compte du risque en termes de responsabilité sociétale est plus forte dans la fonction publique, qui exige plus de transparence sur le fonctionnement de l’IA. Mais ça n’est pas simple, s’agissant de produits prépackagés par des entreprises de la tech », souligne Karim Chérif, associé du cabinet Magellan qui accompagne les employeurs sur ce sujet.

D’où la publication en ligne, le 4 juin 2024, d’un guide pour encadrer l’usage de l’IA sous les auspices de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Partant du constat que l’immixtion de l’IA dans la GRH de l’administration d’Etat (ministères, établissements publics à caractère administratif) recèle à la fois des opportunités (gain de temps, productivité) et des risques (mésusage des données personnelles, déshumanisation…), la DGAFP répertorie dans son guide 26 cas d’usages potentiels de l’IA en GRH.

Des usages souhaitables et d’autres à proscrire

Cinq usages considérés comme particulièrement souhaitables seront a priori les premiers à être testés : l’analyse des résultats d’enquêtes internes, des recommandations contextuelles de formation, l’apprentissage personnalisé, la rédaction de fiches de poste et l’identification des compétences émergentes.

A l’inverse, la DGAFP identifie dans son guide quatre cas d’usages « à proscrire ». L’IA ne saurait ainsi être pertinente pour la détection précoce des problèmes de santé mentale, l’analyse des relations entre collègues, pour faire passer des entretiens vidéo automatisés avec les candidats, ou instaurer des systèmes de reconnaissance et de récompense.

Entre ces deux extrêmes, on recense 17 usages de l’IA « envisageables » sous réserve. Ainsi en va-t-il du parcours d’onboarding (intégration du nouveau salarié) ou de carrière personnalisé, de l’évaluation des compétences, du feedback en temps réel des formations suivies, de la formation des équipes interdisciplinaires…

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Les allocations-chômage revalorisées de 1,2 % au 1ᵉʳ juillet, « trop faible » pour les syndicats

Une femme entre dans une agence France Travail à Dammarie-lès-Lys (Seine-et-Marne), le 23 avril 2024.

Les allocations d’assurance-chômage vont être revalorisées de 1,2 % le 1er juillet, a déclaré jeudi 27 juin l’Unédic, la CGT dénonçant « l’extrême faiblesse de cette revalorisation » et la CFDT exprimant une « déception amère ».

Cette revalorisation « concernerait environ 2 millions de demandeurs d’emploi indemnisés » sur quelque 2,7 millions au total, selon un communiqué de l’organisme géré paritairement par les organisations syndicales et patronales. Certains allocataires de moins de six mois ne sont pas concernés. La décision a été prise lors d’un conseil d’administration de l’Unédic, composé de représentants des salariés et des employeurs, et a été votée « à la majorité des suffrages exprimés », ajoute l’organisme.

L’Unédic fait valoir qu’elle « tient compte à la fois du contexte économique et de l’équilibre financier du régime d’assurance-chômage » et rappelle que cette revalorisation « intervient après deux autres en 2023 (+ 1,9 % au 1er avril, puis + 1,9 % au 1er juillet) ». En moyenne, la revalorisation annuelle a été de 1,68 % au cours des cinq dernières années.

« Le gouvernement comme le patronat continuent de cibler les allocataires de l’assurance-chômage »

« Pour 2024, le montant de la revalorisation s’élèverait à 150 millions d’euros pour le régime d’assurance-chômage et, pour 2025, à 210 millions d’euros », précise-t-elle dans son communiqué. Un allocataire n’ayant pas travaillé dans le mois et bénéficiant de l’allocation minimale passera ainsi de 979,29 euros brut à 991,07 euros brut, détaille l’Unédic.

La CFDT, qui « regrette avec amertume la décision patronale d’une revalorisation trop faible des allocations-chômage », précise dans un communiqué que « le patronat a fait une première proposition de revalorisation à hauteur de 1 % et n’a accordé que 1,2 % après une suspension de séance ».

« A quelques jours des législatives, le gouvernement comme le patronat continuent de cibler les allocataires de l’assurance-chômage », dénonce de son côté la CGT, rappelant que le gouvernement s’apprête à publier le décret mettant en œuvre la nouvelle réforme controversée de l’assurance-chômage à compter du 1er décembre.

Le Monde avec AFP

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« Par des procédés pour le moins discutables, l’Urssaf cherche par tous les moyens à remettre en cause les aides Covid aux entreprises »

Si les contraintes imposées à la population par la pandémie mondiale du Covid sont encore dans toutes les mémoires, ce n’est pas le cas des aides versées aux entreprises pour survivre lors de cette période. Pourtant l’Etat avait su se montrer très généreux, accordant largement allègements financiers, exonérations de cotisations sociales et aides au paiement, le tout administré par l’Urssaf.

Certes, il était attendu que, dans un second temps, l’Urssaf tienne à s’assurer que les aides aient été octroyées aux sociétés effectivement éligibles, mais l’attitude adoptée par cette institution à partir de 2023 a été particulièrement surprenante. Par des procédés pour le moins discutables et sur la base de raisonnements souvent hasardeux, l’Urssaf a cherché en effet par tous les moyens à remettre en cause les aides accordées.

Cette démarche n’est pas passée inaperçue, obligeant le Conseil national de l’ordre des experts-comptables à se fendre d’un communiqué à l’été 2023, tout en proposant un argumentaire juridique visant à aider les entreprises touchées à se défendre. La BPI est également intervenue afin de relayer la même position de défense.

Le sujet est loin d’être clos : des centaines de contentieux sont déjà en cours contre l’Urssaf, sans parler des milliers de procédures menées par l’Urssaf et qui n’ont pas encore fait l’objet d’une contestation. L’ampleur du phénomène est cependant difficile à chiffrer, l’Urssaf étant bien silencieuse sur le sujet, et aucune statistique officielle n’existant à ce jour. Seule une remontée du terrain constatée par les experts-comptables auprès de leurs clients, ainsi que par les professionnels du droit, a permis de sonner l’alarme auprès des entreprises concernées.

Les aides pendant le Covid

L’enjeu pour l’Urssaf est très conséquent, des millions d’euros étant susceptibles d’être récupérés. Mais l’enjeu pour les entreprises concernées est encore plus important, confrontées à la nécessité de devoir rembourser des dizaines, voir des centaines de milliers d’euros du jour au lendemain.

L’angle d’attaque utilisé par l’Urssaf pour remettre en question l’éligibilité aux aides Covid est le code NAF/APE. Ce code attribué à une entreprise représente une classification administrative de son activité principale. Or, le bénéfice de ces aides nécessite d’appartenir à des secteurs d’activité bien précis.

La stratégie choisie par l’Urssaf est claire : dès lors que le code NAF/APE d’une entreprise n’appartenait pas à un secteur d’activité éligible aux aides, il était automatiquement réclamé un remboursement intégral des aides perçues pendant la crise sanitaire. Mais, si le code permet d’avoir une idée de l’activité d’une société, il est très courant en pratique de constater que l’activité réelle de ladite société est bien différente de son activité présumée.

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La France tente de combler son retard dans les biomédicaments

Des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, en octobre 2021, à Strasbourg.

Vaccins, anticorps monoclonaux, thérapies géniques ou cellulaires, antibiotiques… Les biomédicaments, ces produits dont les substances actives sont issues du vivant (cellules d’origine animale ou humaine, micro-organismes), et qui se distinguent des médicaments obtenus par synthèse chimique, sont en plein essor. Capables d’agir sur des cibles spécifiques, ces traitements de pointe ont déjà permis d’améliorer les pronostics de certains cancers ces dernières années, voire de guérir des maladies rares. Mais la France a raté le virage de ces innovations il y a plusieurs années et peine, depuis, à rattraper le retard accumulé.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés A Alès, LFB double sa production de biomédicaments

L’Hexagone n’en produisait sur le sol national que huit en 2022 sur les soixante-seize autorisés à la commercialisation en Europe, notamment grâce à deux entreprises tricolores, Sanofi et le laboratoire public LFB, ainsi qu’au suisse Novartis. L’enjeu est pourtant loin d’être négligeable : 59 % des médicaments actuellement en développement dans le monde concernent des biothérapies.

« En 2020, les ventes mondiales représentaient 300 milliards de dollars [280 milliards d’euros] sur un marché du médicament évalué à plus de 1 100 milliards de dollars. Et les projections indiquent qu’ils pèseront le double en 2030. C’est un relais de croissance énorme pour l’industrie pharmaceutique », observe Laurent Lafferrère, directeur général de France Biolead, qui fédère les acteurs du secteur en France. Sans compter l’enjeu de souveraineté nationale : 95 % des biomédicaments consommés dans l’Hexagone sont aujourd’hui importés.

Favoriser les synergies

Lancée sous l’impulsion de l’Etat, en décembre 2022, l’association, qui rassemble sous sa bannière plus d’une cinquantaine de membres qui interviennent sur tous les maillons de la chaîne du biomédicament, de la recherche à la production, s’attelle, depuis sa création, à structurer la filière, qui avançait jusqu’ici en ordre dispersé. Avec un objectif : faire de la France un futur champion européen.

Depuis dix-huit mois, elle s’est ainsi employée, entre autres, à répertorier les différents acteurs de l’écosystème en France pour rendre la filière plus lisible et favoriser les synergies, et s’apprête, le 5 juillet, à inaugurer une journée nationale destinée à promouvoir, dans toute la France, la filière auprès du grand public. Car le secteur, en plein développement, recrute. Il ambitionne de doubler ses effectifs d’ici à 2030, pour atteindre 20 000 emplois.

En parallèle, l’association a lancé des travaux afin d’identifier les réponses à apporter aux grands enjeux du secteur, notamment en matière de simplification réglementaire pour encourager la compétitivité de l’industrie tricolore, ou sur les innovations technologiques dans les procédés de fabrication. « Nous devons nous assurer que ces biomédicaments, qui sont aujourd’hui très chers, auront un coût soutenable pour notre système de santé. Il faut pour cela améliorer les rendements pour produire plus, mieux et à moindre coût », explique M. Lafferrère. France Biolead travaille à la mise en place de consortiums pour mutualiser les efforts des industriels.

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En entreprise, « la redistribution des richesses ne suffit pas, il faut redistribuer les pouvoirs »

Thomas Coutrot est chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales.

Chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et auteur du « Bras long du travail » (Document de travail de l’IRES), Thomas Coutrot a mis en évidence des corrélations entre conditions de travail, vote et abstention.

On trouve nombre de travaux de recherche sur les liens entre vote et territoires, mais, étonnamment, il semble y avoir très peu de données sur le lien entre vote et expérience du travail, alors que c’est pourtant central dans le quotidien des gens…

L’idée que le travail puisse être déterminant des comportements électoraux n’est en effet pas du tout courante dans la littérature classique en science politique. C’est pourtant assez évident quand on y pense. Mais l’obstacle intellectuel vient du principe de subordination qui régit la relation salariale. C’est bien sûr revendiqué à droite, mais pas tellement contesté à gauche, on ne remet pas en cause ce rapport de subordination, comme si c’était dans la nature des choses que les gens acceptent d’obéir à des ordres et de laisser leur libre arbitre entre parenthèses pour que l’entreprise fonctionne. On ne réfléchit pas aux conséquences démocratiques de cet état de fait.

Pourtant, trois grandes expériences façonnent l’ethos politique, c’est-à-dire les valeurs, la conception que les gens se font des rapports entre les êtres humains : la famille, l’école et l’entreprise. Même Adam Smith, qui est un auteur libéral, mais qui avait une vision assez aiguë des enjeux moraux de l’économie, a évoqué l’impact négatif du travail répétitif sur l’intelligence ouvrière. Mais celle qui a été le plus loin sur le sujet est Carole Pateman, la théoricienne de la démocratie participative.

C’est elle qui théorise le « spill-over », ce débordement du travail sur le hors-travail…

Elle théorise bien la façon dont les rapports humains à l’intérieur d’une entreprise sont bien des rapports politiques, des rapports de commandement, de subordination, où certains décident pour les autres ce qu’ils vont devoir faire. Et ces rapports politiques ont des conséquences sur les représentations que les uns et les autres ont de leurs droits et de leurs devoirs dans la sphère publique.

Est-ce cette théorie que vous avez voulu mettre en évidence ?

L’idée m’est venue en écoutant l’économiste Daniel Cohen, qui présentait une étude du Cepremap [Centre pour la recherche économique et ses applications] sur le lien entre bien-être et vote. Il montrait que les électeurs du RN [Rassemblement national] étaient en moyenne plus malheureux que les autres. Je me suis dit : « Puisqu’on sait qu’un déterminant majeur du bien-être psychologique, c’est le travail, pourquoi ne pas regarder le lien entre les conditions de travail et le vote ? » J’ai construit des modèles économétriques à partir des données des enquêtes « conditions de travail » de la Dares [service des statistiques du ministère du travail] et de résultats électoraux communaux. C’était un pari, j’ai été très surpris de voir la force des résultats qui sont extrêmement significatifs.

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« A la recherche de la décision » : quand les sciences sociales travaillent à la déconstruction du mythe du dirigeant tranchant en solitaire

Livre. C’est un mythe qui résiste au temps. La figure du décideur unique, « rationnel, charismatique et impartial » reste aujourd’hui largement valorisée, comme en témoigne l’abondante littérature sur le leadership, constate Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS. Au point de faire, parfois, des leaders de véritables « héros modernes ».

Les sciences sociales travaillent aujourd’hui à la déconstruction de ce modèle, mettant en lumière, derrière l’image du dirigeant tranchant en solitaire, des collectifs œuvrant à la construction d’une décision. Leurs orientations ne sont pas totalement rationnelles, « leurs préférences évolue[nt] », ils « n’ont guère toutes les informations en leur possession » et « sont encastrés dans des structures de relations de pouvoir qui limitent leur capacité autonome (…) de décision », poursuit M. Bergeron.

C’est cette image complexe de la prise de décision, plurielle, parfois incertaine, fluctuante, voire sous influence, qu’analyse un ouvrage paru sous la direction de Patrick Castel, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, et Marie-Emmanuelle Chessel, directrice de recherche au CNRS. A la recherche de la décision (Presses universitaires du Septentrion, 264 pages, 23 euros) propose une succession d’études de cas concrets, au cœur de différentes organisations, où médecins, juges, DRH, dirigeants, mais aussi salariés soupèsent, cheminent et, surtout, échangent.

Lire l’analyse de Laurent Cappelletti pour le projet du Liepp : Article réservé à nos abonnés « Le management de proximité, fondé sur le potentiel humain, est un facteur de satisfaction sociale au travail et de productivité durable »

Si la responsabilité individuelle du décideur prime souvent in fine, l’ouvrage montre combien sa prise de décision est la résultante d’une dynamique collective. Elle doit permettre d’acquérir les ressources nécessaires à l’établissement d’un choix. C’est le cas par exemple au sein du tribunal de commerce de Paris, l’un des terrains d’enquête. Ses acteurs intègrent progressivement les ressorts de la prise de décision sous l’influence de certains juges considérés comme des « leaders d’opinion ». Ce faisant, ils « apprennent à produire des jugements acceptables par le groupe et anticipent donc les attentes de leurs pairs ».

En quête d’échanges

Les décideurs sont d’ailleurs fréquemment en quête d’échanges, dans le but d’alimenter leur réflexion. L’ouvrage souligne ainsi « le rôle fondamental de la circulation d’informations entre collègues » dans le cadre d’un plan de départs volontaires, afin de permettre aux salariés de faire un choix éclairé. De même, les auteurs montrent l’intérêt qu’avaient, dans les années 1960, les patrons chrétiens du Nord à « échanger avec leurs pairs autour de décisions jugées difficiles ».

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« Il y a des matins, je me demande si je suis encore utile à quelque chose » : comment le mal-être au travail pèse sur les choix électoraux

De son propre aveu, Eliane (prénom d’emprunt), 52 ans, n’avait « jamais été très politisée ». « Jusqu’à ce qu’on soit vendus de cette manière brutale », explique-t-elle. En redressement judiciaire, son entreprise, La Halle, a été rachetée en 2021 par le Groupe Beaumanoir. Préparatrice de commandes dans l’Indre, elle fait partie de ceux qui ont conservé leur poste. « Vingt ans de nuit ! Ce n’est pas de ça que je me plains. C’est de la façon dont on traite les salariés, résume-t-elle. Une entreprise, c’est normal qu’elle veuille gagner de l’argent, mais il y a des façons de faire ! »

Elle évoque ces actionnaires n’ayant « pensé qu’à eux », et pas aux 294 collègues qui, dans l’Indre, ont perdu leur emploi. Le décalage entre la réalité de l’organisation du travail et les discours quotidiens sur la bienveillance, « le mot à la mode ». « C’est tout en façade. Ce qu’ils veulent, c’est de la productivité, même si la sécurité n’est pas là », dit-elle, profondément indignée. Evoquant aussi comment une machine, le « trieur », a réduit toute initiative à son poste de travail. Autant de signes d’un « manque de respect » qui s’incarne aussi dans le fait de n’être « jamais informée à temps » de ce qui se passe dans l’entreprise. « Il y a peu de temps collectifs. »

Cette rage accumulée lui a fait, dit-elle, changer sa façon de voter. Pour la première fois, en 2022, au second tour, elle a choisi la candidate du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen. Contre Emmanuel Macron. Pour le premier tour des élections législatives, le 30 juin, et systématiquement désormais, affirme-t-elle, elle votera « à gauche au premier tour, puis, s’il le faut, contre Macron ».

« Une attente de justice démocratique dans le travail »

Les raisons d’un vote ou d’une abstention ne s’ancrent pas seulement dans un territoire ou dans des difficultés de pouvoir d’achat. Comme Eliane, nombre des Français rencontrés ces dernières années, que Le Monde a recontactés depuis le 9 juin, estiment que leur mal-être au travail a pesé sur leur choix. « Les gens ont une attente de justice démocratique au travail, ils veulent avoir leur mot à dire sur ce qui les concerne, notamment sur l’organisation ou la répartition des profits. Tout cela mobilise leur conception de ce qui est juste et injuste. C’est une expérience politique plus forte que celle d’aller voter une fois tous les cinq ans, souligne Isabelle Ferreras, professeure à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et chercheuse associée au Center for Labor and a Just Economy à l’université Harvard (Etats-Unis). Comment imaginer que le fait de ne pas se sentir respecté au quotidien dans son travail n’ait pas d’impact sur les comportements électoraux ? »

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