« Si le travail a pu prendre un sens et une valeur autres que le simple fait de gagner sa vie, c’est aussi parce qu’il y a un après »

En 1910, l’une des premières lois visant à instaurer des retraites est qualifiée par la CGT de « mesure pour les morts » : à cette époque, 94 % des travailleurs n’atteignent pas 65 ans. Mieux vaut donc réclamer la journée de huit heures… C’est pourquoi, plutôt que de parler de retraite, Paul Lafargue, dès 1880, revendique Le Droit à la paresse, superbe boutade pour mieux promouvoir une baisse drastique de la durée quotidienne du labeur.

Si l’on associe souvent longueur des journées, pénibilité et continuité du labeur jusqu’à la mort avec l’industrialisation du XIXe siècle, les journées de travail sont très longues depuis bien plus longtemps, à la ville comme à la campagne. Les grandes manufactures textiles du XVIIe siècle se coulent dans des horaires déjà éprouvés deux à trois siècles plus tôt : de treize à quatorze heures de travail par jour ouvrable, avec des normes de productivité exigeantes. Quand les ouvriers ne peuvent plus y satisfaire, ils sont déclassés vers des besognes moins dures mais moins rétribuées. La famille et les institutions charitables sont les seuls recours quand leurs forces les abandonnent. Point de retraite, si ce n’est pour les vieux soldats ou certains serviteurs âgés de l’Etat.

L’industrialisation ne fait que grossir les effectifs de travailleurs soumis à de tels rythmes. C’est à 40 ans pour les hommes et 35 ans pour les femmes que l’on gagne le mieux sa vie dans les filatures de coton vers 1890. Ensuite, plus on vieillit, moins on est rémunéré. La durée quotidienne du travail reste de douze heures effectives dans les industries depuis le décret du 9 septembre 1848, et cela environ deux cent quatre-vingts à deux cent quatre-vingt-dix jours par an. Ce décret est un des premiers signes, timide, d’une intervention de l’Etat dans les questions sociales.

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Mais entre fraude, exceptions légales et secteurs ignorés par la loi, on trouve toujours vers 1880 des ouvriers qui atteignent des maxima analogues à ceux du début du siècle ou de l’Europe préindustrielle, soit 3 400 à 3 700 heures annuelles – contre 1 500 aujourd’hui ! Certes, beaucoup ne travaillent que par intermittence. Mais quand la besogne presse, ils ne comptent plus leurs heures. Le raisonnement par moyennes trouve ici ses limites.

Vision tripartite de la vie

D’autant que la définition des horaires n’est rien sans l’analyse des contenus du travail. L’intensification des gestes n’a pas attendu l’industrialisation : la machine dicte son rythme, les cadences croissent au fil des progrès techniques et obligent à des efforts accrus. Laboratoire de la modernité, la filature, par exemple, exige une mobilisation plus intense des corps et de l’attention. L’intensification concerne également des secteurs peu touchés par la révolution mécanicienne. A la mine, dans le bâtiment, dans les industries du feu, les modes de rémunération (tâcheronnage et marchandage) sont faits pour mettre les ouvriers en concurrence, tandis que la diffusion, à partir des années 1870-1880, du petit matériel (les machines à coudre, par exemple) fait du travail domestique à la tâche le pendant harassant de l’usine. La peine au labeur est ainsi parfois bien plus grande à la fin du XIXe siècle qu’à son début.

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Au Royaume-Uni, un budget pour remettre les Britanniques au travail

En septembre 2022, Kwasi Kwarteng, alors chancelier de l’Echiquier du Royaume-Uni, levait le voile sur un budget offrant de grandes baisses d’impôt, pensant relancer la croissance. Bien au contraire, cela déclenchait une tempête financière, un début de panique des fonds de pension et, pour finir, la démission de la première ministre conservatrice de l’époque, Liz Truss. Six mois plus tard, l’heure est à un retour à la normale : mercredi 15 mars, Jeremy Hunt, successeur de M. Kwarteng, a présenté le budget du gouvernement sans drame ni secousse.

Lire nos explications : Article réservé à nos abonnés Pourquoi l’économie du Royaume-Uni est saisie d’un vent de panique

Il pouvait même se targuer d’un certain rebond. Ses services de prévisions misent sur un recul de 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023. En temps normal, une telle stagnation n’inciterait guère à la fierté, mais il s’agit là d’une nette amélioration par rapport aux prévisions établies en novembre 2022, lesquelles évoquaient une récession de 1,4 % pour 2023.

Ce regain n’est pas spécifique au Royaume-Uni – l’économie européenne, elle aussi, semble éviter la récession – et provient notamment du recul des prix de l’énergie. Cela permet d’entrevoir un fort reflux de l’inflation, de 10,1 % actuellement à 2,9 % à la fin de 2023, d’après les estimations des autorités britanniques. « Les Cassandre avaient tort », affirme M. Hunt.

Recul de la population active

Dans ce contexte apaisé, le gouvernement de Rishi Sunak peut commencer à s’occuper des problèmes de long terme, qui sont nombreux. Ces dernières années, le Royaume-Uni a connu l’une des pires croissances des pays développés. A la fin de 2022, son PIB demeurait légèrement en dessous de son niveau prépandémique, contrairement à l’immense majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il est, à son tour, « l’homme malade de l’Europe », selon l’expression de Keir Starmer, le leader de l’opposition travailliste. Le budget cherche donc à résoudre plusieurs problèmes de fond, en particulier un curieux phénomène qui s’est développé depuis le déclenchement de la crise sanitaire : le recul de la population active.

Le système britannique de santé craque de toutes parts : sept millions de personnes sont actuellement en attente de soins

Depuis 2019, le nombre d’inactifs (des adultes qui ne travaillent pas ni ne cherchent un emploi) a augmenté d’un demi-million de personnes. « Cela fait du Royaume-Uni une exception, note un rapport du Center for Policy studies, un groupe de réflexion. Presque tous les pays développés ont connu une hausse de l’inactivité économique pendant les ravages de la pandémie [de Covid-19], mais c’était généralement provisoire (…). Désormais, la plupart des pays des l’OCDE ont un taux d’inactivité inférieur à celui d’avant la pandémie. »

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« Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », l’ascension sociale des techniciens devenus ingénieurs

Sur le réseau professionnel LinkedIn, Kevin Lapoule, 33 ans, s’est empressé de mettre à jour son profil. Depuis novembre 2022, il n’est plus technicien de maintenance agroalimentaire mais coordinateur maintenance préventive et fiabilité au sein du Groupe Nutriset. La raison de cette promotion ? Dix ans après être entré, avec un BTS en poche, dans cette entreprise spécialisée dans la lutte contre la malnutrition, il a obtenu, en octobre, son diplôme d’ingénieur généraliste par la voie de la formation continue. « Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », se réjouit-il. Après son bac + 2, il avait fait le choix « d’arrêter les études pour entrer rapidement dans le monde du travail, quitte à limiter [ses] perspectives d’évolution professionnelle ensuite ».

Il a finalement, sur le tard, choisi de relever le « challenge » de décrocher le sésame grâce à la formation continue, avec l’appui de son entreprise, qui a financé intégralement son cursus à l’école d’ingénieurs du CESI. Ce type d’accélération professionnelle concerne quelque 1 000 personnes chaque année en France, selon les chiffres de la Commission des titres d’ingénieur (CTI). « Ils étaient quatre ou cinq fois plus il y a trente ans », commente Jean-Louis Allard, vice-président de la CTI et directeur de l’école d’ingénieurs du CESI. Cet établissement fut créé en 1958 par des entreprises pour permettre à des techniciens d’accéder au statut d’ingénieur, dans une France d’après-guerre où les secteurs industriels et du bâtiment en avaient bien besoin, face aux difficultés des écoles d’ingénieurs à fournir suffisamment de cadres.

Mais, au CESI comme ailleurs, la voie de la formation continue suivie par Kevin est aujourd’hui devenue minoritaire : une centaine d’ingénieurs diplômés par an, sur 1 500 au total. Les raisons de cette baisse ? L’allongement de la durée des études, « qui pousse aujourd’hui de nombreux jeunes à continuer vers une formation d’ingénieur après un bac + 2 », explique Fabrice Maerten, responsable des admissions au CESI. Mais aussi « l’explosion de l’apprentissage depuis les années 1990 dans les écoles d’ingénieurs », vers lequel les entreprises se tournent plus spontanément pour financer la formation des ingénieurs dont elles ont besoin, et ce, dès la formation initiale, là où elles préféraient, par le passé, accompagner leurs meilleurs techniciens vers le statut d’ingénieur, dans une logique de conservation des compétences et de fidélisation des collaborateurs.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le succès fulgurant des études en apprentissage : « Sans cela, j’aurais été bloquée financièrement »

Aujourd’hui, si quelque 40 000 étudiants obtiennent le diplôme d’ingénieur chaque année en formation initiale, la formation continue d’« anciens », bien que ne représentant que 2 % des diplômés, constitue toujours « un levier de promotion sociale et professionnelle sans équivalent », selon Jean-Louis Allard. Mais, qu’ils suivent cette formation (1 200 heures en tout) en cours du soir, en alternant les périodes à l’école et en entreprise, par des cours en ligne ou des stages intensifs, le parcours de ceux qui veulent dépasser leur plafond de verre en passant par la formation continue n’a rien d’un long fleuve tranquille.

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Une retraitée autorisée pendant quinze ans à occuper son logement de fonction est soudain menacée d’expulsion

Le salarié qui dispose d’un logement de fonction n’est pas considéré comme un locataire qui bénéficierait d’un bail relevant de la loi du 6 juillet 1989.

Lorsqu’il perd son emploi, il doit rendre le logement, parce que celui-ci est « un avantage en nature accessoire au contrat de travail », selon la jurisprudence de la Cour de cassation. Si, à l’expiration de son préavis ou de son délai pour partir, il se maintient dans les lieux, il est considéré comme un « occupant sans droit ni titre », et l’ex-employeur peut demander au juge l’autorisation de l’expulser.

Mais peut-il attendre quinze ans avant de se prononcer ? Telle est la question que pose l’affaire suivante dans laquelle une retraitée se voit signifier son congé par l’employeur qu’elle avait quitté quinze ans auparavant.

En 1961, la Caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel embauche Mme X. En 1970, elle met à la disposition de celle-ci, moyennant un loyer modique, un appartement qu’elle possède, dans le 14arrondissement de Paris. Le 31 mai 2000, Mme X prend sa retraite. La Caisse centrale ne lui demandant pas de partir, elle se maintient dans les lieux, sans toutefois qu’un contrat de bail ait remplacé la convention d’occupation qui existait depuis 1970.

Lire aussi : La locataire âgée devait bénéficier d’une offre de relogement

Le 25 juillet 2014, la société BPIfrance financement, qui vient aux droits [intervenant pour le compte] de la Caisse centrale, fait savoir à Mme X, désormais âgée de 71 ans – ainsi qu’à d’autres personnes dans la même situation – qu’elle veut vendre le logement, libre de toute occupation. Elle lui donne un an pour partir. Mme X, qui ne peut pas se reloger à un prix équivalent (460 euros), se maintient dans les lieux. Le 21 août 2015, la société demande son expulsion.

Intention de « nover »

En première instance et en appel, les magistrats considèrent que son action est prescrite, donc irrecevable. Mais la Cour de cassation juge, le 30 juin 2021, que cette action, « fondée sur le droit de propriété », n’est « pas susceptible de prescription ». La cour d’appel de Paris, devant laquelle l’affaire est renvoyée, ordonne donc l’expulsion de Mme X, le 24 mars 2022.

Elle écarte l’argument de son avocate, selon lequel « les parties ont entendu nover », c’est-à-dire substituer un contrat de bail à l’ancienne convention de mise à disposition. La cour rappelle en effet que « la volonté de nover ne se présume pas ». Or, constate-t-elle, Mme X ne produit aucun « acte » juridique, prouvant qu’une volonté commune de modifier la substance du précédent contrat existait.

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La féminisation des instances dirigeantes va de pair avec la lutte contre le sexisme

« Le monde dans lequel on vit fait qu’on est biaisé en faveur des hommes en ce qui concerne les postes à responsabilités. Les femmes aussi intériorisent ce biais, en se disant par exemple qu’elles ne peuvent pas être bonnes en mathématiques. » Tel est le constat posé par Violetta Zujovic, chercheuse en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, en introduction des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis. Lors de l’édition du 7 mars, une vingtaine de DRH ont échangé sur l’accès des femmes aux postes à responsabilités.

L’experte du jour, par ailleurs cheffe d’équipe à l’Institut du cerveau, a raconté l’expérience menée au sein de son centre de recherche. « Nous avons essayé de comprendre comment engager notre cerveau pour empêcher d’avoir des automatismes qui catégorisent les personnes dans un rôle spécifique, explique-t-elle. Il y avait 63 % de femmes à l’Institut du cerveau en 2015, et 5 % dans les comités décisionnels. Aujourd’hui, on a réussi, en collaboration avec la DRH, à atteindre 50 %. »

Sur le terrain de l’égalité femmes-hommes, la mesure est le nerf de la guerre. Le 1er mars, toutes les entreprises de plus de mille salariés ont dû rendre publics pour la première fois leurs écarts de représentation entre les femmes et les hommes parmi leurs cadres dirigeants et les membres de leurs instances dirigeantes, comme l’exige la loi Rixain du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « Dans les instances dirigeantes des entreprises, les femmes se partagent les sièges mais pas le pouvoir »

Si quelques participants ont affiché avec fierté leurs excellents chiffres, la discussion s’est concentrée sur les progrès qui restent à accomplir. Dans la branche des institutions de retraites complémentaires et de prévoyance, par exemple, « il y a 70 % de femmes, 53 % dans l’encadrement. En 2015, elles étaient seulement 20 % chez les cadres supérieurs et dans les comités de direction, énumère Marc Landais, DRH de l’Agirc-Arrco. Depuis, nous avons réussi à gagner sept points [de pourcentage], mais il faut continuer à mener des actions volontaristes ». Même constat chez Korian, avec 82 % de femmes, 67 % de manageurs femmes et seulement 22 % au comité exécutif.

Sortir des stéréotypes

Pour ce faire, la mise en place de quotas, lors du recrutement ou des promotions internes, est indéniablement le meilleur moyen de faire progresser les chiffres. « S’il n’y avait pas eu la loi Copé-Zimmermann [qui, en 2011, a instauré les quotas dans les conseils d’administration] et [la loi] Rixain, est-ce qu’on aurait d’aussi bons chiffres ? », avance Rémi Boyer, DRH groupe de Korian.

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Les premiers impacts de l’inflation sur les politiques RH de 2023

Des budgets prudents en 2023, voire des gels de politique salariale pour certains : voici les premiers impacts de l’inflation sur les politiques RH, reconnus par les responsables des ressources humaines eux-mêmes. « L’enquête Deloitte parue début mars reflète les augmentations validées par accords d’entreprise, mais il y a aussi des constats de désaccords », a indiqué lundi 13 mars, Audrey Richard. La présidente de l’Association nationale des ressources humaines (ANDRH) a ainsi introduit la présentation de l’étude censée décrire un panorama plus précis des politiques salariales de 2023.

L’enquête Deloitte sur les prévisions des budgets d’augmentation 2023 de 160 entreprises de tout secteur parue le 2 mars annonçait des niveaux de budgets « historiques », bien qu’en deçà de l’inflation. « C’est plutôt une belle moisson, » , commente Franck Chéron, associé capital humain chez Deloitte.

Les budgets prévisionnels médians d’augmentation (hors promotion et ancienneté) alloués sont de plus de 4,4 % dans les secteurs de l’énergie, l’industrie, la grande consommation et l’industrie de la santé, et de 2,1 % (hors promotion et ancienneté) dans le secteur public et les sociétés à but non lucratif. « En cumulant les augmentations réelles de 2022 et les budgets envisagés, les augmentations médianes se porteraient respectivement à 7 % pour les non-cadres et 6,5 % pour les cadres sur deux ans », précise Franck Chéron.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Négociations salariales : on n’est pas tous égaux devant l’inflation

A ce bilan, l’ANDRH ajoute quelques nuages au-dessus des entreprises de moins de 1 000 salariés. Pour réaliser son enquête « Repenser l’organisation du travail », l’association a interrogé en février ses 5 600 adhérents sur les changements dans leur politique RH liés au contexte économique ; 513 responsables des ressources humaines, majoritairement d’entreprises de moins de 1 000 salariés, ont répondu. Les trois quarts d’entre eux affirment que l’augmentation du coût des matières premières et/ou de l’énergie n’a pas encore d’impact RH. Ces entreprises restent prudentes et évoquent pour l’instant des « reports d’investissements » et une interrogation sur « les primes de fin d’année ».

La carte de la diversification

Le quart restant a déjà dû modifier sa politique RH pour 2023. La moitié de ces entreprises affectées prévoient des gels des recrutements, et un tiers ont gelé leur politique salariale : 11 % de l’ensemble des entreprises qui ont répondu à l’ANDRH n’ont pas du tout augmenté le budget alloué aux augmentations salariales dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) ; 10 % sont au-dessous de 2 %, 13 % entre 2 % et 2,9 %, 42 % sont entre 3 % et 5 %, et seulement 24 % sont au-dessus de 5 %, tandis que l’inflation était à 6,3 % sur un an en février.

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Réforme des retraites : « Un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un faible taux de chômage des jeunes »

Depuis l’annonce du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, des voix s’élèvent pour souligner le risque de substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes. Autrement dit, les départs à la retraite plus tardifs des 55-64 ans risqueraient de restreindre l’entrée sur le marché du travail des moins de 25 ans.

Une mise en perspective européenne montre que les pays qui ont les plus hauts taux d’emploi des seniors sont aussi ceux qui ont les taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans les plus bas, comme l’Allemagne, la Norvège ou les Pays-Bas. A l’opposé, les pays caractérisés par un fort chômage des jeunes ont les taux d’emploi des seniors les plus faibles (Grèce, Italie, Roumanie).

Dans ce panorama, la France est moins bien positionnée que la moyenne de l’Union européenne (UE). Corrélation n’étant pas causalité, il est difficile d’en déduire que l’un a un impact positif sur l’autre ; il apparaît néanmoins qu’un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un faible taux de chômage des jeunes.

La réforme de 2010 qui a porté l’âge de la retraite de 60 ans à 62 en 2018 semble accréditer l’hypothèse. Elle s’est traduite par une hausse de l’emploi des seniors et une hausse marginale du chômage.

Lire aussi : Réforme des retraites : le report de l’âge légal a fait augmenter le chômage des seniors, confirme l’Unédic

Naturellement ces mutations ne se font pas sans heurts : selon une étude récente de l’Unedic de mars, le report de l’âge légal de 60 à 62 ans a entraîné une hausse de 100 000 allocataires de plus entre 2010 et 2022. Ce chiffre est à relativiser, au regard des tendances soulignées par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, dans sa livraison de janvier 2023 sur « Les seniors sur le marché du travail », qui pointe qu’entre 2014 et 2021, le taux d’emploi des 60-64 ans s’est accru de 8,9 points et la part d’inactifs a reculé de 9,6 points.

Cela ne garantit pas que le décalage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans aura les mêmes effets, mais que les données macroéconomiques ne suggèrent pas, ex post, un effet d’éviction durable des jeunes par les seniors.

Formation et orientation professionnelle

Le Conseil d’orientation des retraites considère du reste que « l’hypothèse d’une substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes est peu probable, en raison des différences de capital humain et de poste occupé ».

Sans s’aventurer sur le terrain théorique des liens entre éducation, économie et emploi, on peut avancer que l’apparente complémentarité qui se dégage entre emploi des jeunes et emploi des seniors est le reflet du niveau d’éducation et du degré d’efficacité des politiques « actives » caractérisées par les dépenses engagées au titre de la lutte contre le chômage.

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En Allemagne, les grèves pour des hausses de salaire se multiplient dans les services

La tension monte, outre-Rhin, autour des négociations salariales dans les services privés et publics, dans un conflit qui pourrait tourner en faveur des salariés. Samedi 11 mars, la direction de la poste allemande a accordé in extremis une hausse moyenne du salaire de 11,5 %, afin d’éviter la grève illimitée dont la menaçait le syndicat des services Verdi.

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Cette victoire des salariés devrait alimenter le mouvement de grèves que connaît actuellement le pays : mardi 14 et mercredi 15 mars, ce sont les employés des hôpitaux, des établissements de soin aux personnes âgées et des services d’urgence qui sont appelés à cesser le travail.

Dans le conflit avec Deutsche Post, entreprise privée cotée mais détenue à 20 % par la banque publique KfW, Verdi a porté inhabituellement loin les menaces de cessation de travail. Le coup de force a porté ses fruits : après des discussions qualifiées d’« extrêmement difficiles » par l’entreprise, les 160 000 salariés du groupe ont obtenu des versements défiscalisés d’un total de 3 000 euros, en plus d’une hausse de salaire de 340 euros à partir d’avril 2024, ce qui correspond à des augmentations de 11 % à 16 % pour les salaires les plus faibles.

Perturbations

Ce type d’accord pourrait se généraliser, alors que plusieurs secteurs des services durcissent le ton contre les employeurs. Dans la fonction publique, qui compte 2,5 millions de travailleurs fonctionnaires ou salariés des services communaux, les syndicats réclament 10,50 % d’augmentation, et une revalorisation minimale de 500 euros par mois pour les salaires les plus faibles. La dernière négociation, qui s’est tenue le 23 février, s’est soldée par un échec.

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Les communes et l’Etat fédéral offraient un plus de 5 % au total, avec deux versements uniques de 1 000 et 1 500 euros. Trop peu, ont rétorqué les syndicats, qui avancent que la perte totale de pouvoir d’achat des salariés due à l’inflation s’est élevée à 11 % depuis 2021.

En réaction, les perturbations se sont multipliées, ces dernières semaines, dans les services : le 3 mars, de nombreux employés des transports de proximité ont fait grève, dans une action collective avec le mouvement d’activistes du climat Fridays for Future.

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Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, ce sont les éducateurs des crèches, écoles maternelles et services sociaux qui ont à leur tour cessé le travail dans toute l’Allemagne. Dans plusieurs villes, les poubelles s’amoncellent à la suite des perturbations des services de ramassage des ordures. Et dans les transports aériens, des grèves d’agents de sécurité ont affecté plusieurs aéroports du pays, dont celui de Berlin, où tous les vols ont été annulés dans la journée du lundi 13 mars.

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Meta : Mark Zuckerberg licencie encore et veut une organisation plus « mince » et « plate »

Le siège social de Meta, à Menlo Park, en Californie, le 9 novembre 2022.

Dix mille licenciements de plus. C’est ce qu’a annoncé, mardi 14 mars, Mark Zuckerberg, le fondateur de Meta, quatre mois seulement après s’être séparé de 11 000 collaborateurs. Avec cette seconde vague de suppressions de postes, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp aura congédié 24 % de ses effectifs. Le groupe ferme aussi 5 000 offres d’emplois ouvertes pour des postes vacants.

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Le timing peut « surprendre », concède Mark Zuckerberg dans un billet sur Facebook, mais « il n’y a pas le choix ». Le groupe a, pour la première fois, vu son chiffre d’affaires reculer (− 1 %) en 2022, en raison du ralentissement économique lié à la guerre en Ukraine, mais aussi de la concurrence du réseau social chinois TikTok et des restrictions sur la publicité ciblée sur ses iPhones.

Le groupe reste soumis à une pression des analystes boursiers, qui demande davantage d’économies : « De nouveaux licenciements sont nécessaires pour compenser les deux années de recrutements excessifs », a écrit la banque Jefferies dans une note en mars, citée par le Financial Times. Dans l’euphorie – elle aussi boursière – de la numérisation liée à la pandémie de Covid-19, Mark Zuckerberg a embauché 27 000 personnes en 2020 et 2021, et 15 000 en 2022. Les effectifs sont passés de 33 000 à 87 000 en quatre ans.

Supprimer « plusieurs couches de management »

Mais, désormais, à ce raisonnement sur des économies contraintes, le fondateur de Meta ajoute un discours plus volontariste, sur les bienfaits supposés des suppressions de postes. Il promet que 2023 doit être « l’année de l’efficacité ». « Nous allons aplatir notre organisation en supprimant plusieurs couches de management », écrit-il. Meta doit devenir une entreprise « plus mince », ajoute-t-il. Pour le groupe, « être plus plat, c’est être plus rapide » et « être plus mince, c’est être meilleur », théorise M. Zuckerberg.

« Chaque couche de hiérarchie ajoute de la latence et de l’aversion au risque, dans le flux d’informations et dans le processus de décision », pense le PDG. Certains manageurs vont devoir prendre « des postes où ils ne dirigent plus et redeviennent des contributeurs individuels ». Meta doit aussi rester une « entreprise technologique » et augmenter son « ratio d’ingénieurs » dans les équipes, croit M. Zuckerberg. Ce dernier dit aussi avoir « sous-estimé le coût des projets non prioritaires », qui consomment des ressources et « ralentissent » l’organisation.

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On peut voir dans cette doctrine le rêve d’un PDG d’une grande multinationale à la croissance en berne de renouer avec la culture d’une start-up. On peut aussi y déceler des similitudes avec la conception du travail affichée par Elon Musk lors de son rachat de Twitter : le patron de Tesla et SpaceX a brutalement licencié plus des deux tiers des salariés et demandé aux restants de souscrire à une culture de travail « hard-core » : tous les manageurs doivent coder, tous les informaticiens doivent montrer régulièrement le nombre de lignes de code produites, il est encouragé de dormir au travail si besoin, etc.

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Aux Etats-Unis, les salariés redécouvrent le goût des congés

Casque sur la tête, café à la main, la jeune Sarai Marie met en scène, sur TikTok, Veronica et Susan au bureau. Veronica, incarnation de la génération Z, est l’employée. Susan sa cheffe. « Veronica, dit cette dernière, tu dois être disponible pendant tes vacances. » Veronica ne se laisse pas démonter. Elle éclate de rire et promet de bloquer les futurs messages de Susan. Ses 2,3 millions de followers l’approuvent.

Ce sketch, très court, illustre le changement d’attitude des salariés américains. On les croyait dévorés d’ambition, toujours prêts à finir une tâche le week-end, ou à répondre aux mails incessants du chef de service. Mais, depuis l’épidémie de Covid-19 et la révolution du travail à distance, leur soumission volontaire s’est calmée.

« Le contrat social a changé pour toujours », estime Cathi Canfield, vice-présidente de l’agence de recrutement EmployBridge. Dans un sondage, interne à l’agence de recrutement EmployBridge, réalisé du 21 février au 23 mars 2022, a été relevée l’importance exprimée par les employés de la flexibilité des emplois du temps, même du côté des travailleurs essentiels. « Ils établissent leurs priorités. Ils veulent être capables de s’occuper de leurs enfants à la maison, explique-t-elle. Ils nous disent que leur temps est précieux. »

« Pour 40 % des postes, on a compris que l’on pouvait travailler dans d’autres lieux, poursuit Ariane Ollier-Malaterre, professeure de management à l’université du Québec à Montréal (Canada). Quand l’entreprise impose un retour au bureau et que vous passez la journée sur Zoom, parce que les autres ne viennent pas au même moment, vous vous demandez pourquoi. Les employés veulent garder leur autonomie. » Et ils le font savoir haut et fort.

La baisse des ambitions professionnelles

Le marché de l’emploi étant toujours très tendu, « les salariés ont le pouvoir », conclut la professeure. Les employeurs qui n’auraient pas encore compris risquent un profond désengagement de leurs troupes. Sur TikTok, ce changement de comportement s’appelle « act your wage ». En clair, l’employé fait ce pour quoi il est payé, sans plus.

« On nous accuse d’être paresseux, toujours au téléphone, explique Danielle Farage, 24 ans, directrice du marketing de la plate-forme Café, experte en ressources humaines. C’est vrai, nos valeurs sont différentes de celles des baby-boomeurs. Nous n’avons pas envie de pointer cinq jours sur sept de 9 heures à 17 heures. Nous ne reviendrons pas au bon vieux temps. » Mais d’ajouter en direction des employeurs : « Reprenons la discussion. Soyez plus flexibles. Comprenez nos valeurs, notre envie de transparence, la volonté de faire le bien dans le monde. »

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