Sandra Mielenhausen, chocolatière : « Quand j’étais enfant, la vie de famille n’était pas très drôle. Alors le samedi, je faisais un gâteau au chocolat. C’était mon refuge, mon doudou sucré »

Sandra Mielenhausen, fondactrice de Plaq, à Paris, le 21 novembre 2024.

« Dès l’âge de 9 ou 10 ans, j’ai préparé des gâteaux au chocolat. Le samedi après-midi, à la maison, j’avais le droit d’utiliser la cuisine à condition que je range bien après. Tout le monde vaquait à ses occupations après le déjeuner et moi je faisais un gâteau au chocolat. C’était mon refuge, mon doudou sucré. J’avais un père très dur, une mère qui lui était assez soumise, et ce n’était pas toujours facile pour mes deux frères et moi. C’était mon moment à moi, puis c’est devenu une façon de donner de l’amour à mes proches.

Je piochais des recettes dans les fiches cuisine de ma mère, c’est là que j’ai trouvé le gâteau reine de Saba, où la poudre d’amandes remplace la farine. C’était mon goûter préféré. La passion du chocolat me vient certainement de mon père, diabétique, qui mangeait rituellement un carré de chocolat noir en guise de dessert. J’ai pris la même habitude et j’étais connue, au travail, pour avoir toujours du bon chocolat dans mes tiroirs.

Mon père, allemand, est arrivé en France à 40 ans. Il était prof d’allemand, donnait des cours du soir, à ma mère notamment, c’est ainsi qu’ils se sont rencontrés. Elle était beaucoup plus jeune que lui. Il était très strict et notre vie de famille à Lyon n’était pas très drôle.

Quitter son job

L’amour de ma mère m’a aidée à vivre, mais je me suis plutôt construite avec des modèles extérieurs. Ils sont morts tôt, mon père d’abord, puis ma mère quelques années plus tard, quand j’avais 25 ans. De ce père misogyne, j’ai gardé l’habitude du carré de chocolat après le repas et surtout la conviction qu’il fallait que je gagne de l’argent pour assurer ma liberté.

Pendant mes études, j’ai été serveuse dans une brasserie Bocuse, ce qui m’a familiarisée avec les bons produits et la gastronomie. J’ai fait une classe préparatoire, une école de commerce et je me suis passionnée pour l’univers du luxe, l’histoire, le savoir-faire, l’excellence français… ce qui m’a menée chez LVMH, où j’ai travaillé quinze ans. Notamment chez Dior, en marketing et développement de produit, à raconter l’histoire et l’esthétique du parfum J’adore.

J’ai rencontré Nicolas [Rozier-Chabert] dans cet univers. Directeur commercial au sein d’une agence de création graphique, il réalisait un petit film sur J’adore et avait apporté du chocolat Pierre Hermé sur le tournage. Nous nous sommes découvert cette passion partagée pour le chocolat, les pâtisseries et les produits bons, simples et bruts.

Nicolas a décidé de quitter son job pour monter son affaire, je lui ai emboîté le pas peu après. Parallèlement, nous découvrions, à New York notamment, le mouvement bean to bar (de la fève à la tablette, soit de l’achat chez le producteur à la fabrication du chocolat). Nous sommes allés nous former au Venezuela avec Chloé Doutre-Roussel, aka “Madame Chocolat”.

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Elle nous a appris à décoder l’univers du sourcing (la recherche de producteurs vertueux) et les secrets de la torréfaction. On a pratiqué chez nous pendant un an et demi, avant d’ouvrir notre petite manufacture, rue du Nil, dans le 2e arrondissement de Paris. On voulait un lieu simple et chaleureux. Un commerce de proximité pour un produit de luxe, qui nous ressemble. »

Manufacture-boutique, 4, rue du Nil, Paris 2e. Nouvelle adresse (ouverture le 14 décembre), 57, rue du Cherche-Midi, Paris 6e. plaqchocolat.com

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Le manque d’attractivité des métiers du social s’annonce durable

Crise de vocation ? Fuite des mauvaises conditions de travail ? Les candidats aux métiers dits « sociaux » sont de moins en moins nombreux. Toutes années d’études confondues, 57 300 étudiants, dont 83 % de femmes, étaient inscrits dans une formation aux professions sociales en France métropolitaine et outre-mer en 2023, soit encore 1,1 % de moins qu’en 2022. En diminution régulière depuis plus de dix ans, cet effectif accuse une baisse significative sur le moyen terme de 14,5 % entre 2010 et 2023, alors même que les besoins augmentent (vieillissement de la population, familles monoparentales, pauvreté…).

Tel est le constat renouvelé de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui a publié le 27 novembre son enquête annuelle réalisée auprès des 1 100 écoles en charge de ce type de formations. L’avenir ne s’annonce pas meilleur. Les métiers du social, recrutant à des niveaux hétérogènes, du CAP (auxiliaire de vie sociale, assistant familial…) au Master 1 (conseiller en économie sociale familiale, éducateur technique spécialisé…), subissent une désaffection durable.

Le nombre d’inscrits dans ces filières en première année recule encore en 2023 de -2,1 %, par rapport à l’année précédente. A cela s’ajoutent les interruptions définitives ou provisoires de scolarité dont le taux global s’élevait à 9,7 % en 2023 selon la Drees.

Le déficit d’attractivité de ces métiers en phase de formation se poursuit durant la vie active, souligne Bertrand Ravon, sociologue à l’université Lumière Lyon 2. L’usure professionnelle gagne en effet rapidement les salariés du secteur : confrontés à la diversification des usagers aux problématiques plus complexes, tant sociales que psychologiques, ils doivent davantage « payer de leur personne » pour mener à bien leur mission. Plus d’une aide médico-psychologique sur deux ne pratique plus cette profession au bout de neuf ans, illustre la Drees.

Des salaires insuffisants au regard des qualifications

A la surcharge émotionnelle s’ajoutent la complexification des procédures, l’empilement des dispositifs, l’extension du management vertical, le renforcement du contrôle au détriment du travail relationnel, pourtant essentiel à un accompagnement acceptable par les personnes concernées. « Les travailleurs sociaux manquent de soutien hiérarchique et de reconnaissance institutionnelle. Ils regrettent de devoir se débrouiller souvent seuls, jusqu’à parfois perdre le sens de leur métier et douter de l’utilité de leur intervention », analyse Bertrand Ravon.

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Au bureau, le chien, mieux que le baby-foot ? « On propose des gamelles, des couffins et des ramasse-crottes »

Valentina Amaddeo et sa chienne Nana, dans les bureaux de la marque de bijoux Les Néréides, à Paris, le 12 novembre 2024.

Pour des candidats exigeants, l’entretien d’embauche s’apparente à un premier rendez-vous amoureux : on découvre l’autre, tout en posant ses conditions. La rémunération pour les uns, les horaires pour les autres. La condition d’Alix Hery, 33 ans, c’est son animal de compagnie. La trentenaire se présente à ses entretiens flanquée de son chien, Fish. « Ça passe ou ça casse. Une entreprise qui n’est pas dog-friendly, c’est un red flag », tranche la diplômée de l’université Paris Dauphine-PSL. Après avoir décliné quelques propositions d’entreprises peu enclines à l’univers canin, Alix Hery trouve son bonheur chez Blacksheep Van, spécialiste de la location, de la vente et de l’équipement de vans aménagés : « Le courant est tout de suite passé entre mes employeurs et Fish. Ce n’était pas l’offre la mieux rémunérée, mais j’économise des frais de dog-sitting. »

C’était en 2022, et Alix Hery travaille toujours comme responsable des partenariats et des réseaux sociaux chez Blacksheep Van aujourd’hui. Un petit miracle pour la jeune femme, qui ne jurait que par le freelancing et le télétravail : « Je pensais que le monde de l’entreprise, ses cadres et ses codes ne me correspondaient pas, me voilà salariée depuis bientôt trois ans ! Physiquement, je me sens mieux : je me change les idées avec des grandes balades pendant mes pauses déjeuner. Socialement, Fish contribue à tisser des liens. C’est ma dose d’ocytocine, elle a bouleversé mon rapport au travail. »

Le récit d’Alix prend des allures de parabole pour des entreprises soucieuses de recruter, de fidéliser et de faire revenir au présentiel les jeunes diplômés. « Le chien, c’est le nouveau baby-foot », résume Mylène Bertaux. La journaliste indépendante reçoit à Casa del Doggo, une boulangerie canine nichée près du bois de Boulogne, à Paris. Elle y organise la signature de Toutoute (Fayard, 256 pages, 22,90 euros), son ouvrage sur la nouvelle place des chiens dans nos vies. « Pendant le Covid-19, on s’est sentis seuls, on a adopté plus de chiens, et on a partagé leur souffrance, celle d’un être vivant confiné, car c’est souvent le cas pour les chiens en ville. Le chien passe alors du canapé à la chambre à coucher, voire à la poussette et au bureau. Le confinement canin n’est plus une option », analyse la propriétaire de Toutoute, un bouledogue français qu’elle « chouchoute comme un enfant ».

Cette tendance dite « du pet parenting », poursuit la trentenaire, est portée par une génération plus jeune, qui a ringardisé l’image de la mémère à chien : « Avant, on enfantait puis on prenait un chien. C’est l’inverse aujourd’hui. Dans les années 2000, la catégorie de la population qui avait le plus d’animaux de compagnie était les 35-54 ans. Désormais, ce sont les personnes de moins de 35 ans. » Pour certains millennials, le chien devient alors un levier de recrutement, voire de réseautage.

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Contraintes physiques ou horaires, manque d’autonomie : la pénibilité du travail n’est que rarement compensée financièrement

Une aide à domicile chez une personne âgée, à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), le 31 août 2022.

Aides à domicile, agents de nettoyage, employés de la restauration, ouvriers agroalimentaires… Ces dernières années, nombre de métiers exigeants physiquement, et avec parfois de fortes contraintes horaires, ont fait face à des difficultés de recrutement, soulignant la nécessité de s’interroger sur leur attractivité. Une nette revalorisation des salaires n’a-t-elle pas permis à l’hôtellerie-restauration, en 2022, de retrouver les candidats qui avaient déserté après la crise sanitaire ?

Dans une étude publiée jeudi 5 décembre, la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) s’est ainsi posé une question simple : « Les expositions à des conditions de travail pénibles sont-elles compensées monétairement ? » En s’appuyant sur son enquête sur les conditions de travail, qui pose aux actifs en emploi les mêmes questions à intervalles réguliers, elle a analysé la relation entre l’exposition à des facteurs de pénibilité et le niveau des salaires entre 1991 et 2019.

La réponse est sans appel : la plupart du temps, il n’y a pas de compensation. La Dares n’en identifie, en 2019, que pour deux des quarante-cinq indicateurs étudiés : lorsque les horaires sont variables ou alternés (comme pour le travail dit aux « 3×8 », pour lequel le salarié peut alterner une semaine de petit matin, une semaine d’après-midi et une semaine de nuit) ou que le « rythme est imposé par des contraintes techniques », une expression qui évoque des cadences soutenues.

« Des salaires plus faibles »

Pire, pour dix-huit indicateurs, il n’y a pas de compensation, et c’est même l’inverse : « exercer un travail avec des contraintes physiques est associé à des salaires plus faibles », nous dit la Dares, qui parle aussi de « malus ». Parmi ces critères : tenir des postures pénibles, porter des charges lourdes, rester debout, effectuer des gestes répétitifs, être exposé à la saleté…

La Dares constate qu’en 1991, les salariés les plus exposés à des contraintes physiques avaient un salaire mensuel net moyen de 400 euros inférieur aux salariés les moins exposés, quand trente ans plus tard, l’écart atteint plus de 600 euros par mois. Cet écart croissant se retrouve également pour le manque d’autonomie des salariés concernés.

Dans le détail, des distinctions apparaissent entre secteurs d’activité (les contraintes horaires sont mieux compensées dans l’industrie, le malus étant plus marqué sur tous les critères dans le tertiaire marchand où l’on retrouve les emplois de la restauration et du nettoyage). Ou entre catégories professionnelles. Mais « femmes et hommes subissent des pénalités salariales relativement similaires (…) pour les contraintes physiques ».

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Les jeunes scientifiques à la recherche de l’élan perdu

Une jeune chercheuse tisse un fil de collagène humain à l’unité « Bioingénierie tissulaire » de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de l’université de Bordeaux, le 24 juin 2024.

« La recherche vous fait-elle toujours rêver ? » Telle était la question posée dans un amphithéâtre de l’espace Césure, à Paris le 28 novembre, par le média en ligne TheMetaNews − spécialisé dans les métiers de la recherche, il revendique 30 000 lecteurs. L’événement a apporté des réponses par divers biais : un sondage, un vote à main levée parmi la centaine de participants et surtout un jury de six jeunes chercheuses et chercheurs, sélectionnés par le média, qui ont fait passer un « grand oral » à quatre représentants institutionnels. L’ancienne ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Sylvie Retailleau, Thierry Coulhon, président du directoire de l’Institut polytechnique de Paris, ancien conseiller de l’Elysée et ex-président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), le biologiste Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, et Hélène Boulanger, présidente de l’université de Lorraine.

Il y a quelques années, poser cette question semblait incongru. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait le cas. Les 700 répondants du sondage ont répondu oui à la question à seulement 55 %. Le jury a été divisé. Seuls les présents dans la salle ont été positifs à plus de 80 %. Ces résultats confirment les impressions recueillies, sous forme d’appel à témoignages, par Le Monde, le 17 janvier. « La tonalité de leurs messages a été en demi-teinte, parfois franchement sombre. Les rêves, s’ils sont exprimés, s’accompagnent souvent d’entraves », écrivions-nous.

Au-delà des chiffres, l’événement a aussi fait sentir le décalage, voire le dialogue de sourds, entre les jeunes et leurs aînés, entre les scientifiques pas encore en poste stable et ceux en position de pouvoir.

Court-termisme des objectifs

Les questions insistaient, pour la plupart, sur les conditions de travail dans les laboratoires. « Comment simplifier les procédures administratives ? », « Comment permettre d’avoir rapidement une situation professionnelle stable ? », « Comment faire que les gens se sentent mieux ? », « Comment mettre plus de diversité sociale, de genre… dans les laboratoires ? »… Elles s’accompagnaient aussi de constats sombres sur la précarité des emplois, sur le court-termisme des objectifs de recherche, sur les risques de souffrance au travail, sur la concurrence néfaste entre chercheurs… « En colère », « dégoûté », « choqué », ont scandé certains intervenants.

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« Les opposants à la directive CSRD oublient que les entreprises européennes ont beaucoup à perdre à ne pas anticiper les effets du changement climatique »

Plusieurs membres des patronats européens tirent à boulets rouges sur la directive CSRD, relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive, en anglais), comme s’il fallait rendre responsable des déboires de l’économie européenne cette directive à peine entrée en vigueur.

Est-ce pour faire oublier les vrais responsables de la sinistrose : l’instabilité politique, les prix de l’énergie, l’atonie du marché commun, le décrochage numérique européen, la faiblesse de l’investissement, l’absence de politique industrielle coordonnée… ?

Cette réglementation paneuropéenne, qui doit s’appliquer à près de 50 000 entreprises, d’ici à 2027, est accusée de multiplier les contraintes administratives, de pénaliser les petites ou moyennes entreprises (PME) et de nuire à leur compétitivité. On oublie bien entendu sa finalité ambitieuse, en se cachant derrière le faux nez de l’horreur du reporting : préparer une économie durable et compétitive.

La directive intègre le principe de proportionnalité

En France, Michel Barnier avait lui-même évoqué en octobre la possibilité d’un moratoire. Feignait-il d’ignorer que changer une directive européenne est un exercice à contretemps ? Cela prend de deux à trois ans de consultations et de négociations, sans garantie d’un résultat adapté aux besoins actuels. Pendant ce temps, les entreprises resteraient dans l’incertitude, un handicap bien plus grave qu’un cadre clair. Faut-il rappeler que le calendrier de la CSRD est progressif et réaliste ?

Les grandes entreprises sont déjà soumises à la NFRD − la Non Financial Reporting Directive est entrée en vigueur en 2018 sur la publication d’informations non financières − environnemental, social et de gouvernance, ESG. Elles publieront leurs premiers rapports CSRD en 2025, les autres grandes structures suivront en 2026, et les PME cotées en 2027 avec des exigences simplifiées jusqu’en 2028. L’Europe laisse à chacun le temps de s’adapter. Les critiques soulignent encore que la CSRD imposerait des charges disproportionnées, notamment aux PME.

Pourtant, la directive intègre le principe de proportionnalité. Ceux qui ont réellement fait l’effort de lire les recommandations de l’Efrag [Groupe consultatif européen sur l’information financière], l’organisme chargé de détailler les modalités de l’application de la directive, savent à quel point ces règles sont souples ; les entreprises déterminent elles-mêmes la « matérialité » des sujets ESG à reporter, c’est-à-dire leur pertinence pour leur activité.

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L’emploi, trait d’union entre l’industrie et la transition écologique

Comment combiner réindustrialisation et transition écologique ? Construire l’écologie, un collectif de chercheurs, d’ingénieurs et d’intellectuels français spécialistes des enjeux environnementaux, s’attaque à cette question difficile. Dans un document que Le Monde a pu consulter, ce groupe de réflexion présente, jeudi 5 décembre, les résultats de travaux menés entre des industriels, des responsables syndicaux, des agents publics et des experts, sur les conditions de la réussite de la transformation écologique de l’économie. Avec une grille de lecture : la question de l’emploi, jugée centrale. « La société entre dans le dur de la transition écologique, avec ses conséquences de plus en plus concrètes au quotidien. Celle-ci ne sera réalisée que si elle est acceptée socialement, et donc si elle génère des emplois », explique Léa Falco, cofondatrice de Construire l’écologie.

Le collectif a pris pour objet d’étude trois filières industrielles de la transition − les batteries électriques, les pompes à chaleur et l’éolien en mer. Essentiels à la décarbonation de l’économie, ces secteurs connaissent des difficultés en France et en Europe : faillite du pionnier suédois des batteries Northvolt, plan social sur le site nantais de production des pompes à chaleur du groupe Saunier Duval, fermeture en France d’usines d’éoliennes en mer de l’américain General Electric… Les mauvaises nouvelles s’accumulent. « Il existe pourtant dans ces trois secteurs des alliances objectives entre les industriels, les élus locaux et les syndicats pour les développer et créer de nombreux emplois », estime Mme Falco.

Mais à condition que les pouvoirs publics définissent des objectifs clairs de production, avec un soutien financier maintenu sur la durée. Or, « la transition est encore à la recherche de son modèle réglementaire, technologique et économique », écrit le collectif, qui regrette que « l’instabilité réglementaire des dernières années, encore aggravée par les économies budgétaires actuelles », freine la confiance des investisseurs et des industriels.

« Trop dans l’incitatif, pas assez dans le passage à l’acte »

La planification dessinée par l’exécutif depuis 2022 ne remplit pas encore suffisamment son rôle, selon ces chercheurs, qui considèrent que « les pouvoirs publics continuent à être trop dans l’incitatif et pas suffisamment dans le passage à l’acte ». L’enjeu social est pourtant crucial : « En l’absence de modèle clair, toute tentative de réglementation des émissions de gaz à effet de serre est susceptible soit de soulever la colère sociale, comme lors du mouvement des “gilets jaunes”, soit de provoquer des sacrifices économiques et du chômage, soit de laisser se répandre l’idée que la transition ne pourra pas avoir lieu. »

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Elena Mascova et Arnaud Mias, sociologues : « Dans l’entreprise, les intérimaires n’ont pas leur mot à dire sur leur travail »

Coauteurs de l’ouvrage collectif La Condition intérimaire (aux éditions La Dispute), les sociologues Elena Mascova, du cabinet IRTEM, et Arnaud Mias, de l’université Paris Dauphine-PSL, développent dans une interview au Monde ce que recouvre l’expérience totale de l’intérim : la rudesse des conditions de travail et l’exclusion du collectif de travail, notamment.

Vous vous intéressez dans votre ouvrage aux conditions de travail des intérimaires plus qu’aux enjeux d’emploi auxquels ils sont confrontés. Pourquoi avoir privilégié cette approche ?

Arnaud Mias. Les premiers travaux sur l’intérim, menés voici plus de vingt ans, ont eu tendance à mettre en lumière l’hétérogénéité des expériences de l’intérim : certains travailleurs ne font que quelques heures, d’autres sont à temps plein, d’autres encore s’en saisissent comme une voie d’entrée dans le monde du travail… En insistant sur cette diversité des parcours, on prend le risque de minimiser la question des conditions d’exercice. Nous avons donc souhaité nous pencher prioritairement, non sur le rapport à l’emploi, mais sur les conditions de travail, en identifiant des traits communs aux parcours intérimaires. C’est d’ailleurs pour cela que l’usage du singulier a été retenu pour le titre de l’ouvrage, La Condition intérimaire – en écho au travail de Simone Weil (1909-1943) et à son ouvrage La Condition ouvrière.

Cette « condition intérimaire » apparaît d’abord comme l’expérience d’une « fragilité », qui peut toucher les travailleurs sur le plan tant physique que psychique…

Arnaud Mias. Nous avons souhaité rendre compte de l’expérience de l’intérim dans sa globalité. On parle souvent, à juste titre, d’une fréquence des accidents du travail alarmante chez les intérimaires. Mais, au-delà, il nous a semblé important d’interroger l’expérience totale de l’intérim, en évoquant les relations de travail, y compris le mépris qui peut parfois être ressenti, le manque de reconnaissance, l’impossibilité de se voir reconnaître une qualification…

Elena Mascova. Au cours des entretiens que nous avons menés, les intérimaires ont aussi insisté sur le fait que leur statut leur impose de toujours faire leurs preuves. La question du surinvestissement qui leur est demandé et de ses conséquences se pose donc également. Dans les collectifs de travail, la répartition de la pénibilité est d’ailleurs un enjeu de rapports sociaux très important.

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Le CCF prévoit de supprimer plus de 1 400 emplois

En reprenant officiellement le 1er janvier 2024 la filiale française du groupe HSBC, qui avait déboursé 1,6 milliard d’euros pour se désengager de France, My Money Group (MMG), contrôlée par le fonds d’investissement américain Cerberus, s’était engagé à ne supprimer aucun emploi pendant un an dans la banque, renommée CCF, une marque disparue en 2000. Mais dès le début du mois d’octobre, la direction avait laissé entendre devant les représentants du personnel que l’heure de la réorganisation était arrivée.

Mercredi 4 décembre, le directeur général de MMG, Niccolo Ubertalli, a exposé aux représentants du personnel puis à l’ensemble des salariés un projet de « transformation profonde » qui prévoit de ramener les effectifs du groupe (le réseau CCF, les activités de financements spécialisés et les fonctions support) de 3 912 à 2 484 personnes, soit 1 428 personnes ou 36 % des effectifs. Le nombre d’agences CCF sera ramené de 235 à 151.

La direction entend privilégier les départs volontaires, mais n’exclut pas des départs contraints à l’issue du processus de discussions, qui s’étalera sur plusieurs mois.

Haut de la fourchette

« On s’attendait à une réorganisation importante, ça n’est donc pas une surprise, même si, en proportion des effectifs, on bat sans doute un record par rapport aux plans annoncés récemment dans d’autres entreprises », dit Philippe Usciati, représentant CFDT, qui s’attend à ce que les départs à venir s’échelonnent entre le troisième trimestre 2025 et la fin 2026.

Seule maigre consolation à ses yeux dans les annonces du jour : les 151 agences appelées à perdurer correspondent au haut de la fourchette évoquée initialement par la direction, qui allait de 120 à 150. « Par contre, au niveau des postes, ils sont dans la version haute, déplore-t-il. On savait que le plan tournerait a minima autour de 1 000 ou un peu plus, mais on est bien au-delà. »

La direction ne chiffre pas à ce stade le coût des réductions d’effectifs mais précise que, quel qu’il soit, la réorganisation s’accompagnera de 100 millions d’euros d’investissements dans la technologie, la formation et la mise en place d’un nouveau mode de rémunération, notamment pour les commerciaux.

La liste des agences appelées à fermer n’est pas encore dressée, mais elle le sera selon trois critères principaux, le maillage territorial, la rentabilité et le potentiel de développement commercial. Avec déjà des conséquences prévisibles : à elles seules, Paris et les autres grandes villes françaises devraient représenter 60 % de l’effort, certaines agences étant éloignées de quelques centaines de mètres seulement les unes des autres.

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