Archive dans septembre 2023

« La marchandisation de l’éthique est indispensable au fonctionnement du capitalisme contemporain »

En expulsant 10 millions d’Américains de leur domicile et en faisant trembler l’édifice de l’économie mondiale, la crise financière de 2008 aura sonné le glas d’une conduite managériale orientée vers le profit à court terme. La création de valeur actionnariale, hier encore incontournable pour les entreprises cotées, enseignée comme une évidence dans les écoles de management, a disparu du vocabulaire gestionnaire. Pas une entreprise qui ne s’engage, dans ses discours et ses modes de reddition de comptes, à œuvrer en faveur de ses parties prenantes, dans le souci du bien commun. Pas un investisseur qui ne soit socialement responsable, à commencer par les plus puissants d’entre eux, comme en témoignent les exhortations renouvelées de Larry Fink, PDG de BlackRock, dans sa lettre annuelle aux dirigeants. Nous serions donc entrés dans l’ère de la « responsabilité sociale » des entreprises.

Pourtant, la planète brûle, la pauvreté et la précarité augmentent. Les catastrophes écologiques et les révoltes sociales font désormais partie de notre quotidien. Avons-nous vraiment « sociétalisé » l’économie, au sens où l’entendait l’économiste hongrois Karl Polanyi (1886-1964) dans son ouvrage La Grande Transformation, qui porte, dès sa publication en 1944, une critique majeure de l’économie de marché ?

La sociétalisation de l’économie est fondée, pour Polanyi, sur des principes éthiques de réciprocité et de redistribution. Des principes s’appliquant aux relations humaines et qui peuvent s’étendre à l’ensemble du vivant et de la nature, dans une lecture écologique de son œuvre (« Men and things : Karl Polanyi, primitive accumulation, and their relevance to a radical green political economy », Scott Prudham, Environment and Planning A, n° 45/7, 2013).

C’est en marchandisant, d’une manière qu’il considère comme étant fictive ou artificielle, les éléments vitaux pour la société que sont le travail, la nature et la monnaie que l’économie de marché opère son œuvre destructrice. La civilisation qui s’érige au XIXe siècle est économique dans un sens différent et unique, nous dit Polanyi, du fait qu’elle a choisi de se fonder sur un motif rarement perçu comme valide dans l’histoire des sociétés humaines, et qui n’a certainement jamais été élevé au rang de justification des comportements de la vie quotidienne, à savoir le gain. Ses avertissements quant aux effets dévastateurs de l’emprise du marché sur le social, la nature, et l’économie elle-même, résonnent aujourd’hui de manière prophétique.

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« Les multinationales sont loin d’avoir tiré les conséquences géopolitiques de leur puissance nouvelle »

Il est un discours largement répandu dans la communauté des économistes selon lequel les politiques publiques seraient l’alpha et l’oméga des équilibres macroéconomiques. Les entreprises n’auraient pas de rôle dans la régulation et se contenteraient d’appliquer les règles qu’on leur donne ; la rationalité jamais démentie de l’actionnaire commanderait ainsi la stratégie, conformément à la régulation imposée.

C’est une vision évidemment simpliste et empiriquement fausse, qui présente l’inconvénient d’effacer trois réalités au cœur de l’économie contemporaine. Premièrement, dans les dernières décennies, les grandes entreprises ont gagné en taille à l’international et en dimension financière, au point de disposer d’une autonomie de décision qui leur confère un pouvoir de marché considérable, comme on le voit tous les jours dans le secteur de la technologie ou des matières premières. Deuxièmement, les grandes entreprises prospèrent sur la base de coûts cachés (émissions de carbone, empreinte environnementale, exploitation de différentiels sociaux avantageux, dumping fiscal), qui ne sont pas pris en compte dans la régulation globale. Troisièmement, la puissance institutionnelle des entreprises pèse sur les politiques publiques et les oriente plus souvent en faveur de l’optimisation des rendements que de la préservation des biens communs et des équilibres sociétaux.

C’est pour ces raisons que le courant dit « de la responsabilité sociétale de l’entreprise » a été inventé à la fin du XXe siècle, notamment par les organisations internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques et les Nations unies, pour tenter de concilier une économie de libre entreprise, qui confie aux administrateurs la prise de décision appropriée à leurs intérêts, avec « la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux », consacrée en ces termes par la loi Pacte de 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.

Liberté et démocratie

En considérant que c’est à la loi de fixer les objectifs de décarbonation d’entreprises privées comme TotalEnergies, les économistes nient la liberté de ces grands groupes de se donner des objectifs qui visent plus que le rendement d’opportunité. Cette vision très « friedmanienne » des macroéconomistes n’est pas seulement datée, elle est profondément périlleuse du point de vue de la défense de la libre entreprise et de l’économie de marché, qui font partie des fondamentaux occidentaux de la démocratie politique. Si celle-ci n’inclut pas un volet citoyen dans l’économie, il n’y aura alors qu’un modèle de capitalisme, celui que chaque Etat souverain contrôle ou pilote comme il souhaite !

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« Dette écologique et limites planétaires caractérisent la “sociétalisation” du capitalisme »

« Le vieux monde meurt, et le nouveau monde ne peut pas encore naître. » C’est par ces mots du philosophe et homme politique italien Antonio Gramsci (1891-1937) que l’on peut définir les contours de la crise organique que traverse le capitalisme depuis le début des années 2010.

L’ancien monde, c’est celui de la « financiarisation », qui avait débuté dans les années 1970 et connu son apogée à la fin des années 1990. La « finance » s’était alors auto-instituée comme une partie prenante orientant la dynamique économique, mais aussi la pertinence des choix politiques. La financiarisation était présentée comme l’avenir radieux d’un monde global, spéculatif et hyperconsommateur. En trente années, aucun espace privé ou public ne lui a échappé, et si elle était largement critiquée, on ne voyait pas quel grand récit alternatif lui opposer. D’où sa puissance.

Elle s’épuisait pourtant intérieurement, et le krach brutal de 2008 a laissé apparaître ses dangereuses contradictions : la course au profit conduisait à un court-termisme mortifère pour l’économie ; l’accélération spéculative de la production et de la consommation siphonnait les ressources physiques et naturelles, mais aussi les ressources humaines, par un travail intensifié et vide de sens ; le complexe appareil comptable et normatif qu’elle avait engendré masquait plus de problèmes réels qu’il n’en identifiait. Ce sont donc les contradictions internes, et non un accident ou la survenue d’une contre-proposition exogène, qui menacèrent d’explosion, en 2008, un système finalement maintenu sous assistance massive et continue des Etats et des banques centrales.

N’apparaissant plus aussi efficace que supposé, la finance n’était plus crédible ni acceptable comme partie prenante dominante. Non qu’elle ait perdu son rôle puissant dans les mécanismes de l’économie : l’épargne de masse continue d’être largement allouée à l’investissement, par le truchement de l’industrie financière. Mais elle a dû abdiquer sa prétention idéologique à donner le sens à la croissance et au progrès. Si la finance demeure, la financiarisation dépérit. Et, en toute logique, c’est dans la chair de ses contradictions que se sont développés les germes d’une alternative.

Activisme économique

On les décèle dès les années 1990, avec l’émergence des notions de responsabilité sociale de l’entreprise ou d’entreprise citoyenne, comme si la logique financière nécessitait déjà un supplément de responsabilité politique. On les repère aussi dans l’inquiétude croissante sur l’urgence climatique et environnementale, ritualisée par les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et les grandes conférences internationales, comme les COP depuis 1995. On les perçoit encore dans la crise du travail, qui, à partir du milieu des années 2000, atteint un haut niveau d’intensification, débouchant sur un divorce de plus en plus prononcé entre les salariés et l’entreprise.

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Les ruptures conventionnelles collectives séduisent les employeurs

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

Afin d’éviter la casse d’un plan social, Microsoft France a fait le choix d’une rupture conventionnelle collective (RCC) pour tenter de se séparer en douceur de 209 de ses salariés, révélait le bulletin « Liaisons sociales quotidien » du 5 mai. Créée par les ordonnances Macron de 2017, la rupture conventionnelle collective s’inspire du succès de son aînée, la rupture conventionnelle individuelle entre un salarié et son entreprise, issue de la loi sur la modernisation du marché du travail de 2008.

L’objectif du dispositif

Troisième voie entre la démission et le licenciement, cette procédure permet aux deux parties de rompre « à l’amiable » le contrat de travail. La RCC se veut la déclinaison groupée de cette solution pour les entreprises souhaitant restructurer leurs effectifs.

Avantages pour l’employeur : sa mise en œuvre est plus souple qu’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) et ses obligations sont moindres. La RCC est lancée à l’initiative de l’entreprise, qui n’a pas à fournir de motif économique pour justifier de sa volonté d’enclencher le processus. Sa mise en œuvre repose toutefois sur une contrainte forte : la signature d’un accord collectif majoritaire, dont les modalités varient selon la taille de l’entreprise.

Si les syndicats contestent les modalités de l’accord, ils restent libres de ne pas le ratifier. Surtout, les départs de salariés dans le cadre d’une RCC reposent sur le volontariat : aucun départ ne peut être contraint.

Le fonctionnement

Comme le précise le site du ministère du travail, l’accord négocié avec les syndicats doit notamment préciser le nombre maximal de départs envisagés, les modalités de calcul des indemnités, la durée de la RCC et le profil des salariés visés : pour éviter que ce dispositif ne serve de « plan seniors » déguisé, un « questions/réponses » du ministère du travail précise que « la DIRECCTE [aujourd’hui directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, DREETS] ne validera pas un accord portant RCC qui ne comporte que le versement d’indemnités de départ visant des salariés sélectionnés sur le seul critère de l’âge ou de l’ancienneté ».

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Croissance faible et inflation toujours élevée, une fin d’année en pente douce pour l’économie française

Un employé travaille sur un camion électrique Renault dans l’usine de Blainville-sur-Orne, à Colombelles (Calvados), le 30 août 2023.

L’embellie du printemps aura été, pour l’économie française, éphémère. Le 0,5 % de croissance enregistré au deuxième trimestre, après un début d’année étale (0 %) sont derrière nous. Sur fond de taux d’intérêt élevés, de récession allemande et de crise chinoise, et surtout d’une inflation qui continue de miner autant le pouvoir d’achat que la confiance des ménages ou des entreprises, l’économie française se dirige vers une fin d’année à petit pas. Selon les prévisions publiées jeudi 7 septembre par l’Insee, la croissance ne dépassera pas 0,1 % au troisième trimestre et 0,2 % au quatrième.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les prix alimentaires restent au plus haut en août en France

Le reflux de l’inflation, entamé depuis quelques mois, se fait lui aussi poussif. Regonflé par la nouvelle hausse des prix de l’énergie, le glissement des prix sur douze mois ne descendra pas sous la barre des 4 % – l’Insee annonce 4,2 % en décembre, contre 4,8 % en août. Assez loin, donc, de l’objectif de 2 % d’inflation visé par la Banque centrale européenne. Au final, 2023 se solderait par une croissance modeste de 0,9 %, très légèrement inférieure aux hypothèses retenues par l’exécutif pour construire le budget.

Egalement publiés jeudi, les chiffres de l’emploi salarié confirment ce freinage en cours. Avec 12 200 créations nettes, les effectifs ont augmenté de 0,1 % dans le privé au deuxième trimestre, un rythme bien moins dynamique que les 0,4 % enregistrés au trimestre précédent. « Depuis la sortie de crise sanitaire, nous étions quasi systématiquement surpris à la hausse sur l’emploi chaque trimestre. Or, au deuxième trimestre 2023, tout comme fin 2022, ce n’est plus le cas », admet Julien Pouget, chef du département de la conjoncture à l’Insee. Pour autant, le marché du travail ne s’est pas retourné en début d’année, ouvrant la voie à une hausse du chômage.

« Un peu d’air » pour les ménages

C’est donc l’inflation, et l’impact des hausses des taux d’intérêt destinées à la juguler, qui continuent de donner le tempo à l’économie française comme à celle de ses voisins. Sur ce front, la mauvaise nouvelle provient des prix de l’énergie, repartis à la hausse après une accalmie au printemps. Les cours du pétrole ont atteint des sommets début septembre, tandis que la sortie progressive du bouclier tarifaire énergétique conduit la réévaluation des prix de l’électricité. A elle seule, la hausse de 10 % des tarifs au 1er août se traduit par 0,2 point supplémentaire dans l’indice des prix à la consommation.

L’Insee estime que dans ces conditions, « sous l’hypothèse d’un baril de Brent à 79 euros jusqu’à la fin de l’année », l’énergie va continuer à alimenter l’inflation. En revanche, les prix de l’alimentation, qui ont amorcé un ralentissement depuis mai-juin, vont continuer sur cette trajectoire. « Après avoir augmenté de 1,7 % par mois au début de 2023, ils vont désormais progresser de 0,1 % par mois jusqu’à la fin de l’année », indique M. Pouget.

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L’enseigne Naf Naf placée en redressement judiciaire

L’enseigne de prêt-à-porter féminin Naf Naf a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis), a annoncé l’entreprise à l’Agence France-Presse (AFP), mercredi 6 septembre. L’entreprise est endettée, notamment en raison de loyers impayés durant la crise du Covid, tandis qu’elle n’avait pas eu droit aux aides durant la crise sanitaire.

« On sait qu’il va y avoir des fermetures de magasins, a priori une vingtaine, et un nouveau [plan de sauvegarde de l’emploi] au siège, qui va déménager », déclare Angélique Idali, secrétaire du comité social et économique (CSE) et déléguée syndicale CFDT, majoritaire à 87 % chez Naf Naf. « Il y a une énorme inquiétude des salariés quant à la fermeture des magasins, ils attendent la liste. »

« On fera tout pour remettre sur pied Naf Naf dans l’année à venir. Il ne faut pas que [les prestataires] nous confondent avec Camaïeu et toutes ces autres entreprises qui n’ont pas réussi à se redresser face à la crise du secteur du “retail” », a déclaré le dirigeant de SY − le groupe qui détient l’enseigne −, Selçuk Yilmaz. Naf Naf bénéficie d’une période d’observation de six mois renouvelable, « sans doute deux fois six mois », d’après l’avocate du groupe SY, Virginie Dupé. Cette période d’observation lui permettra « de prendre très rapidement un maximum de mesures pour redresser la situation », assure-t-elle.

Outre la crise du Covid-19, l’entreprise a été durement touchée par « les manifestations à répétition des “gilets jaunes” puis contre la réforme des retraites », par les conséquences de « la guerre en Ukraine qui a provoqué un choc inflationniste et la flambée des prix de l’énergie, des matières premières et du transport » ainsi que par « la concurrence étrangère dont, les moyens de production discutables lui offrent une compétitivité déloyale », affirme un communiqué de presse.

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Naf Naf déjà placé en redressement judiciaire en 2020

La marque française lancée en 1973 par deux frères et désormais détenue par le groupe franco-turc SY emploie 660 salariés en France, détient 135 magasins et affichait en 2022 un chiffre d’affaires de 141 millions d’euros, « en croissance », avait déclaré à la fin d’août un porte-parole à l’AFP. La société avait commencé à se restructurer et avait supprimé 35 postes en juin 2023 dans le cadre d’un plan de licenciement (ou PSE, pour plan de sauvegarde de l’emploi), a rappelé Angélique Idali.

Elle avait déjà été placée en redressement judiciaire en mai 2020 et reprise dans la foulée par SY − qui emploie 1 500 personnes dans le monde −, qui est toujours son actionnaire, et qui avait déjà acquis l’enseigne Sinéquanone en 2019. « C’est le deuxième redressement judiciaire en trois ans, il y a donc beaucoup d’inquiétude, de défiance, de peur », selon Mme Idali, qui espère éviter « au maximum une casse sociale ».

Le secteur du prêt-à-porter en France est affecté depuis plusieurs mois par une violente crise. Des marques connues des consommateurs français comme Camaïeu, Kookaï, Burton of London, Gap France, André, San Marina, Kaporal, Don’t Call me Jennyfer, Du Pareil au Même et Sergent Major… ont souffert de la pandémie et continue de souffrir de l’inflation : hausse des coûts de l’énergie, des matières premières, des loyers et des salaires ; ainsi que de la concurrence de la seconde main.

Certaines marques, comme Camaïeu, ont été liquidées en septembre 2022, avec le licenciement de 2 100 salariés à la clé. D’autres sont en redressement judiciaire, comme Kookaï ou Burton of London. Sans en arriver là, d’autres encore réduisent la voilure, taillant dans les effectifs et fermant des magasins, comme Princesse Tam Tam, Comptoir des Cotonniers (groupe Fast Retailing) ou Pimkie.

Le Monde avec AFP

L’accompagnement sur mesure du retour à l’emploi des chômeurs de longue durée

Sandrine, 44 ans, est seule à l’ouvrage dans l’atelier vélo, qu’elle a rejoint en 2020 après trois mois d’initiation à la réparation en immersion professionnelle, le 14 juin 2023, à Bouffémont.

A Bouffémont (Val-d’Oise), Bamby et Lydie étaient parmi les premières à rejoindre l’expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée, qui emploie aujourd’hui une quarantaine de salariés en CDI à temps choisi, dans des activités aussi diverses que la menuiserie, la soudure, le travail du cuir, la réparation de vélos, la restauration d’électroménager ou la vente.

Bamby y travaille toujours au tri ou au nettoyage. Au fond du hangar de Bouffémont, encombré de toutes sortes d’objets, elle vérifie le contenu des boîtes de jeux de société rénovées qui seront déposées à la boutique Ressourcerie du centre-ville. Mais Lydie n’aura pas été au bout du parcours proposé par l’expérimentation.

Si l’accompagnement du retour à l’emploi est une mission enthousiasmante, son management est particulièrement exigeant. Et il ne sera pas facilité par la réduction des aides de l’Etat annoncée par le ministère du travail en plein cœur de l’été pour une application au 1er octobre.

Des subventions en baisse

Lancée en 2016, l’expérimentation a permis à 2 200 personnes de passer du revenu de solidarité active (RSA) au smic en cinq ans. Les projets de retour à l’emploi sont développés dans des entreprises à but d’emploi, chargées de créer des emplois de proximité adaptés aux personnes qui en sont privées depuis longtemps, mais sans concurrencer l’économie locale. Pour ce faire, les entreprises reçoivent des subventions, qui seront donc ramenées à partir du 1er octobre de 102 % à 95 % du smic brut par emploi créé (en équivalent temps plein), soit une perte de soutien de 55 000 euros pour Bouffémont dès 2024.

Implantée au beau milieu des premiers champs au nord de Paris, l’entreprise à but d’emploi BAM Emplois Services tire son acronyme des initiales des trois communes Bouffémont, Attainville et Moiselles, qui constituent le premier territoires zéro chômeur de longue durée du Val-d’Oise. Créée en 2022 avec une vingtaine de salariés, elle en compte quarante-quatre aujourd’hui. « En moyenne, les personnes embauchées sortaient de cinq ans de chômage. Elles ont démontré qu’elles voulaient travailler et qu’elles produisaient du chiffre d’affaires. Elles ont démonté tous les préjugés, et trois anciens ont trouvé un emploi en dehors de l’entreprise à but d’emploi », souligne Jacques Lek, qui a porté le projet sous forme associative depuis novembre 2016.

Pour atteindre ce bilan, le management a dû jongler en permanence entre les équilibres financiers et les enjeux RH, les exigences d’une entreprise classique et les problématiques propres aux laissés-pour-compte du marché du travail (perte de confiance en soi, difficulté à communiquer, à rester concentré, etc.). « Dans la phase de construction, ça planait beaucoup, mis à part l’objectif de créer 140 emplois sur cinq ans sur le territoire », reconnaît Remi Perret, chef de projet. « Il a fallu commencer par faire du chiffre d’affaires avant d’organiser. Ça a permis d’ajuster et de roder les équipes », raconte Xavier Talon, un des deux directeurs de BAM Emplois Services.

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La Wallonie veut régulariser les sans-papiers pour les métiers en tension

Même si elle connaît toujours un taux de chômage élevé (9,6 % en juin 2023, hormis la communauté germanophone), qui concerne notamment les jeunes de moins de 25 ans (25 % étaient sans emploi en 2022, selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique), la Wallonie rencontre, elle aussi, des problèmes de main-d’œuvre dans une série de métiers : 158 sont « en tension », 92 « en pénurie ».

Afin de tenter de remédier à une situation qui entrave son redressement, des membres du gouvernement wallon espèrent convaincre l’Etat fédéral belge et la Flandre qu’il faut régulariser les sans-papiers et les demandeurs d’asile capables d’entrer dans les filières économiques concernées, très diverses : la construction, la logistique, la restauration, la boucherie, la soudure, le développement informatique, la comptabilité, etc.

Elio Di Rupo, le ministre-président de la région, et Christie Morreale, la ministre de l’emploi, tous deux socialistes, ont adressé en juillet une lettre au premier ministre belge Alexander De Croo. Son contenu a fuité à la fin du mois d’août parce qu’il n’avait visiblement pas rencontré l’écho souhaité par ses auteurs. Même si le dirigeant libéral flamand s’est déclaré « sans tabou » et si les patrons et les syndicats wallons appuient fermement la demande des ministres.

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La Wallonie, compétente pour l’octroi des permis de travail, a, en revanche, besoin de l’aval du gouvernement central pour les titres de séjour. Seuls les chercheurs et les étudiants peuvent obtenir un permis unique. Impossible donc de délivrer une autorisation, y compris aux étrangers non européens qui disposent d’une formation et de compétences pour exercer un métier en pénurie. Or, il y a urgence, selon les dirigeants wallons : dans les quinze prochaines années, la région comptera 50 000 actifs de moins, avance l’Union des classes moyennes, association de défense des travailleurs indépendants.

La Flandre sous pression de l’extrême droite

Il reste cependant à convaincre la Flandre : si les patrons y réclament également un plan d’urgence, les partis de droite, majoritaires, sont soumis à la pression de l’extrême droite, hostile à toute mesure assimilable à une éventuelle ouverture des frontières. La conférence interministérielle, qui réunit les pouvoirs régionaux et le fédéral, a déjà évoqué une possible régularisation mais sans pouvoir conclure un accord. Alors que 200 000 postes au total ne trouvent pas preneurs actuellement dans le pays et que la situation est jugée réellement critique en Flandre, où le recrutement massif de travailleurs frontaliers, français surtout, ne suffit plus à pallier le manque.

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Jours de congé et arrêt-maladie : l’Etat condamné

Droit social. L’administration est soumise au principe de responsabilité, qui l’oblige, sauf pour des actes dits « de gouvernement », à réparer les dommages causés par son fait. Ainsi, des juridictions administratives ont condamné l’Etat à réparer un « préjudice écologique » engendré par les pesticides dont il peine à réduire l’utilisation, ou celui lié à un stock insuffisant de masques chirurgicaux avant l’épidémie de Covid-19.

A ces cas s’ajoute la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l’application d’une loi contraire aux engagements internationaux – et notamment européens – de la France.

En droit français, sauf usage ou disposition conventionnelle contraire, les salariés n’acquièrent pas de droit à des congés payés pendant les arrêts de travail pour maladie non professionnelle. L’article L. 3141-3 du code du travail accorde 2,5 jours de congé par mois de travail effectif et l’article L. 3141-5 qui assimile certaines périodes de suspension à du travail effectif ne vise pas les absences pour maladie.

C’est sur ce fondement que l’Etat a été condamné à nouveau, le 17 juillet 2023, pour non-application de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

De son côté, le texte européen prévoit un droit à congés payés d’au moins quatre semaines. Deux arrêts interprétatifs de la Cour de justice de l’Union européenne en 2009 et 2012 ont, fort logiquement, considéré que l’article en question n’opérait aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de la période. Il s’ensuit que le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Congés : le silence peut valoir acceptation

Le 13 mars 2013, la Cour de cassation a jugé que la directive n’avait pas d’« effet horizontal », qu’elle ne pouvait donc être appliquée dans un litige entre particuliers. Toutefois, dans un arrêt du 15 septembre 2021, la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel qui, procédant à une interprétation des textes d’une convention collective conformément à la directive, a fait droit à la demande de congés payés d’un salarié qui s’était trouvé en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle.

Action syndicale en justice

Trois syndicats (CGT, Solidaires et FO) ont à leur tour voulu obtenir la réparation de cette non-conformité. Après quelques péripéties concernant la capacité d’un syndicat à agir en la matière – tranchée positivement par le Conseil d’Etat le 15 décembre 2011 –, la cour administrative d’appel de Versailles a, le 17 juillet… 2023, considéré que les dispositions actuelles du code du travail sont incompatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE, et qu’un tel retard de transposition engage la responsabilité de l’Etat en réparation du préjudice moral subi de ce fait par les salariés que représentent les organisations syndicales requérantes.

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« Que sait-on du travail ? » : la baisse de qualité de l’emploi, une menace pour les classes moyennes moins aisées

18,4 % : c’est la part des individus appartenant à la classe moyenne la moins aisée qui avaient un contrat à durée déterminée en 2019, selon les données de l’Insee. Cette proportion a triplé depuis 1996 (6,8 %), et a significativement grimpé depuis 2011 (14,5 %), à un rythme que l’on ne retrouve pas chez les autres tranches de la population.

Pour l’ensemble des ménages entrant dans les classes moyennes, la part de contrats à durée déterminée (CDD) est moitié moindre (9,5 %), et a même baissé depuis 2011. Ce chiffre illustre une nette dégradation de la situation de l’emploi des classes moyennes les moins aisées, ces dernières années.

C’est ce que met en évidence l’économiste Pierre Courtioux, dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? », du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec le Liepp et les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi de Lemonde.fr.

Les classes moyennes sont l’une des catégories les plus discutées en sciences sociales, au point qu’il est difficile de trouver un consensus entre chercheurs sur ses limites. Dans cette analyse, c’est le revenu qui détermine la position d’un individu : les personnes dont le niveau de vie est compris entre 60 % et 200 % du niveau de vie médian [la moitié des personnes a un niveau de vie supérieur, l’autre moitié un niveau de vie inférieur] appartiennent aux classes moyennes dans un sens large.

Dans le cas d’un célibataire, ce revenu est compris entre 14 497 et 48 322 euros annuels. En 2019, 78 % de la population rentrait dans cette catégorie, contre 14,6 % d’individus en risque de pauvreté et 7,4 % d’individus dits « aisés ». Par « classe moyenne moins aisée », l’auteur désigne la tranche de population dont le niveau est compris entre 60 % et 80 % de la médiane française, soit 16,2 % de la population.

Pierre Courtioux souligne la « résilience » historique de cette large catégorie en France : après la crise de 2008, elle n’a pas connu d’appauvrissement massif. Comme en Belgique ou aux Pays-Bas, cela est dû à un certain nombre de règles qui limitent les inégalités, comme un système d’assurance-chômage protecteur et l’existence de salaires minimum.

Le poids de l’inflation

Ce statut protecteur est désormais remis en question, au détriment de la partie « moins aisée », qui risque de glisser dans la pauvreté. Le recul de l’âge de départ à la retraite et le durcissement des règles d’indemnisation des chômeurs concernent directement cette sous-catégorie, puisque les ouvriers et employés, plus frappés par le chômage ou des problèmes de santé en fin de carrière, y sont surreprésentés.

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