Heures supplémentaires, qui décide?

Une évaluation mise en place par Sarkozy, abrogée par Hollande, remise en place par Macron, la défiscalisation des heures supplémentaires ne cesse de poser des problèmes dans son adoption au sein des entreprises entre employeurs et salariés.
Mesure-phare de Nicolas Sarkozy, abolie par François Hollande, la exonération des heures supplémentaires a été remise au goût du jour par le président Macron, qui a déclaré le 10 décembre 2018, que les heures additionnels seraient « versées sans impôts ni charges dès 2019 ». Encore faudrait-il qu’elles soient payées. Deux termes récentes de la Cour de cassation ont validé le paiement d’heures supplémentaires contestées par des employeurs qui indiquaient ne pas les avoir commandées.
Dans une affaire qui opposent monsieur Rémi Y., consultant informatique salarié à son ex-employeur, la société Softteam Cadextan (anciennement Sungard Consulting), la cour d’appel de Paris avait confirmé la décision du conseil de prud’hommes saisi par le salarié, en le déboutant de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires sur un peu plus de quatre ans, de repos compensateur et de dommages et intérêts pour travail dissimulé (NB : le total des demandes avoisinait les 100 000 euros).
Monsieur Rémi Y. exposait que les horaires journaliers des clients de son employeur chez lesquels il intervenait représentaient une amplitude de dix heures (de 8 h 30 à 18 h 30) dont une heure de pause déjeuner, et qu’il accomplissait, de ce fait, deux heures supplémentaires par jour. Il avait déclaré, comme preuves, les ordres de mission, des preuves des horaires applicables chez les clients, un compte rendu de mission, des rapports d’activité́ mensuels, des comptes rendus d’activité mensuels, des décomptes d’heures supplémentaires, des courriers électroniques et des courriers qu’il avait adressés à l’employeur.
La sanction pour « travail dissimulé »
La société Softam Cadextan a riposté que le salarié avait exprimé sa première demande de rétribution d’heures supplémentaires deux mois avant son départ. Elle a estimé que ses éléments de preuve étaient sans valeur probante, car il s’agissait de comptes rendus et rapports non contresignés par le client ou des e-mails qu’il s’était envoyés à lui-même. Enfin, l’employeur avait exposé au salarié dans plusieurs écrits qu’il devait respecter la durée de travail de trente-cinq heures par semaine, les heures supplémentaires devant faire l’objet d’un accord antérieur avec le supérieur hiérarchique.
A la suite du conseil de prud’hommes, la cour d’appel de Paris a intégralement validé la thèse de l’employeur et débouté monsieur Rémi Y. : la mise en place des heures supplémentaires relevant du pouvoir de direction de l’employeur, le salarié n’avait pas à le placer devant le fait accompli.






Le nombre de micro-travailleurs en France n’est pas secondaire : de 15 000 personnes pour les plus réglementaires à plus de 250 000 pour les moins actifs. Un groupe de chercheurs de Télécom ParisTech, du CNRS et de MSH Paris Saclay vient de diffuser une étude tentant de quantifier le nombre de ces travailleurs du clic, invisibilités et fragilisés, qui effectuent de petites tâches numériques rétribuées à la pièce.
« Souvent répétitives et peu qualifiées, consistent, par exemple, à assimiler ou nommer des objets sur des images, enregistrer des factures, traduire des morceaux de texte, changer des contenus (comme des vidéos), trier ou classer des photographies, répondre à des sondages en ligne », détaillent les chercheurs.
Clément le Ludec, Paola Tubaro et Antonio Casilli, les créateurs de cette enquête exécutée dans le cadre du projet DiPLab (cofinancé par la MSH Paris-Saclay, le syndicat Force ouvrière et le service du premier ministre France Stratégie) ont recensé courant 2018 :
Un groupe de 14 903 micro-travailleurs « très actifs », car présents sur des plates-formes de micro-travail au moins une fois par semaine ;
Un autre de 52 337 utilisateurs réguliers, plus sélectifs et présents au moins une fois par mois ;
Enfin, un troisième groupe de 266 126 travailleurs qu’ils évaluent occasionnels.
« Logiques de précarité et d’exclusion »
« Ces évaluations sont à traduire comme des ordres de grandeur. Dans la mesure où ils dépassent le nombre des contributeurs des plates-formes plus médiatisées telles Uber ou Deliveroo, ces chiffres élevés demandent l’attention autant des pouvoirs publics que des partenaires sociaux », précisent les auteurs. La reproduction de plates-formes qui sous-traitent ces micro-tâches et la popularité des solutions d’intelligence artificielle qui usent largement aux travailleurs du clic pour fonctionner – ce que rappelait par ailleurs Antonio Casilli dans son récent ouvrage En attendant les robots – ont poussé les chercheurs à essayer d’estimer le phénomène en France.
Pour y arriver, ils ont combiné trois méthodes : la prise en compte des chiffres affirmés par les plates-formes qui recrutent en France, placer des offres de tâche sur les plates-formes pour voir qui y répondait et, enfin, mesurer l’audience de ces plates-formes.
« Cette nouvelle forme de mise au travail des populations pousse à l’extrême les logiques de précarité et d’exclusion déjà constatées dans le cadre du vaste débat public et des contentieux légaux autour du statut des travailleurs “ubérisés”. Il nous paraît donc urgent de nous pencher sur ce phénomène émergent », déclarent-ils dans leur article.