Rébellion au sein des prud’hommes

Depuis un peu plus de trois mois, des tribunaux réfutent le sommet des compensations en cas de licenciement abusif.

Ce sont des conseillers prud’homaux de Troyes (Aube) qui ont ajusté les premiers, le 13 décembre 2018. Ils ont vite été suivis par plusieurs de leurs pairs, demeurant ailleurs dans l’Hexagone : Amiens, Lyon, Grenoble… Depuis un peu plus de trois mois, un parfum de rébellion flotte au-dessus de la prud’homie, vaste archipel de près de 210 tribunaux paritaires composés de juges non professionnels, issus des syndicats et du patronat.

Ce mécanisme, qui se présente sous la forme d’un barème, a été tranché contraire aux enga­gements internationaux de la France

Certains d’entre eux précipitent contre une mesure emblématique des « ordonnances Macron » sur le code du travail : le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif. Entré en vigueur fin septembre 2017, ce dispositif, qui se présente sous la forme d’un barème, a été jugé contraire aux enga­gements internationaux de la France, à l’occasion de contentieux portés devant les prud’hommes. Combien ? La chancellerie dit avoir « eu connaissance d’environ quatorze décisions », tout en précisant que cette recension peut être incomplète.

Dans ces jugements, la motivation est souvent la même : le « barème Macron » contrevient à la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à la Charte sociale européenne. Deux textes qui envisagent qu’une juridiction nationale doit être en capacité d’ordonner le paiement d’une « réparation appropriée » au salarié injustement congédié. Or, la grille de dommages-intérêts inscrite dans les ordonnances de 2017 ne remplit pas cette condition, aux yeux des conseillers prud’homaux rebelles. Ils l’ont donc reculée – du fait de son ­« inconventionnalité » – et ont accordé des montants supérieurs à ceux qu’elle fixe.

Le gouvernement a tout d’abord vu dans ces jugements « dissidentes » le fruit d’une méconnaissance de la jurisprudence : la décision formulée à Troyes pose « la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux », a déclenché, à la mi-décembre 2018, le ministère du travail, en faisant ­valoir que le dispositif avait été validé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat.

Le problème, c’est que les « insurgés » de Troyes peuvent péniblement être assimilés à un serrement de francs-tireurs incompétents. Et ce, parce qu’ils ne sont pas tout à fait seuls, plusieurs de leurs collègues ayant tranché dans le même sens qu’eux. Aux prud’hommes de Pau, c’est une formation de jugement dirigée par un magistrat professionnel qui a rendu un délibéré de ce type.

Poissons d’avril

« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. »
« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. » Philippe Turpin / Photononstop

Dans sa chronique Annie Kahn réintègre sur quelques études pour le moins insolites menées par les chercheurs en conduites des organisations ou les psychologues du travail. Tour d’horizon instructif en ce jour si distinctif.

Les chercheurs en conduite des organisations, sociologues et psychologues du travail, neuroscientifiques, s’inclinent parfois sur des sujets qui auraient passé pour des poissons d’avril, et qui pourtant n’en sont pas. En cette semaine propice aux canulars de tous ordres, nous en avons choisi trois, qu’il serait risqué de ne pas prendre au sérieux malgré leurs apparences.

Ainsi en est-il du port de la cravate. Porter une cravate bien ajusté diminue le flux sanguin cérébral prévient Christophe Rodo, jeune chercheur finissant une thèse en neurosciences à Aix-Marseille Université, au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, dans un article de la revue en ligne The Conversation. Une équipe de chercheurs en médecine de l’Université de Kiel (Allemagne), a établi le phénomène en passant trente personnes, pour moitié attaqués, et pour moitié col ouvert, au crible d’un IRM.

Il est présenté que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après dévissage. Cette fluctuation serait sans gravité pour les personnes en bonne santé. En revanche, elle pourrait se révéler problématique pour les personnes âgées, les fumeurs et tout individu fragile au plan vasculaire. On ne peut donc que s’amuser de l’abandon progressif du port de cet auxiliaire vestimentaire.

Avec caquette de baseball ou casque à vélo?

Si œuvrer cravaté reste une pratique proportionnellement courante, il est plus rare de porter un casque de cycliste au travail, quand la tâche à accomplir n’est pas physiquement dangereuse. Sauf à gamberger professionnellement, tout en roulant. Quoiqu’il en soit, mieux vaut savoir que porter un casque incite à prendre des décisions plus risquées ont prouvé des chercheurs en psychologie de l’Université de Bath (Angleterre).

Ils ont confronté les attitudes de deux groupes de joueurs de jeu vidéo. Les uns portaient une casquette de baseball et les autres un casque de cycliste. Le résultat était patent. Les porteurs de casques étaient plus audacieux. Enfin que l’on soit ou non casqué ou cravaté, travailler debout affile l’esprit, affirment Yaniv Mama, chercheur à l’Université Ariel (Israël) et deux de ses collègues.

« Je désirais concevoir le fait d’être étrangère quelque part »

Anne Tetort.
Anne Tetort. Anne Letort DR
Anne Letort, 36 ans, enseignante des écoles en Seine-Saint-Denis, travaille cette année dans une école primaire en Allemagne.

« Depuis la rentrée 2018, je suis professeur à Weil am Rhein, dans le Bade-Wurtemberg. C’est près de la Forêt-Noire, où je vais skier. Je faillais y rester jusqu’à l’été, mais j’ai sollicité un an de plus. Au-delà de l’expérience professionnelle, de la découverte d’un autre système éducatif, je voulais concevoir le fait d’être étrangère quelque part. J’ai beaucoup voyagé, mais je n’avais jamais été émigrée. Partir n’est pas simple. Il y a peu d’information sur ces échanges. Je suis passée par l’Office franco-allemand pour la jeunesse, dont j’ai eu l’intuition par une amie. J’enseigne le français, pour une vingtaine d’heures par semaine, et le sport, car j’ai fait Staps. En Allemagne, à l’école primaire, les enseignants se suppléent dans la classe. Lorsqu’on change de classe, et quand les parents quittent leurs enfants le matin, on se dit “viel Spass”, ce qui signifie “amuse-toi bien”. Ici, le directeur ou la directrice est le supérieur hiérarchique des enseignants. L’élève est un partenaire, inclus dans l’école, qui donne son avis, argumente, vote les sorties. L’apprentissage passe beaucoup par le jeu. Pour participer à ce genre d’échange, il n’est pas obligatoire de parler allemand, mais cela assiste les relations avec les collègues et les parents. En mai, la promotion précédente donne des conseils à ceux qui vont partir. En août, Français et Allemands se perçoivent pour un stage de pédagogie et des cours de la langue du pays d’accueil. On a aussi un bilan à mi-parcours et un autre à la fin, avec nos successeurs. Avec ce système, on encaisse et on donne. »

Une formation pour anticiper le burn-out

Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur.
Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur. Crédir

Cette situation touche des salariés occasionnellement très jeunes et il reste mal pris en charge. En pleine campagne, des salariés ou les directeurs d’entreprises souhaitant anticiper ou guérir un burn-out peuvent suivre un stage sur le phénomène.

Au XIVe siècle, la commanderie des Antonins d’Issenheim, en Alsace, est un haut lieu de pèlerinage. On vient ici projeter une maladie effrayante, le « feu de saint Antoine ». Les souffrants sont conduits devant le fameux retable d’Issenheim : ils trouvent réconfort et consolation devant ce chef-d’œuvre de la Renaissance germanique. Aujourd’hui, c’est un mal différemment moderne que l’on soigne en Alsace. Depuis 2013, à Kientzheim, près de Colmar (Haut-Rhin), un centre organise des stages de formation pour anticiper ou sortir du burn-out. Un état de détresse psychologique qui, selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, est lié à une « impossibilité de faire face à un facteur professionnel stressant chronique », et qui se traduit par un épuisement et un « sentiment de perte de sens de soi-même ».

Ce vendredi de mars, huit personnes participent au 53e stage disposé par le Crédir, à Kientzheim. Pendant trois jours, entourés par une équipe interdisciplinaire de médecins, d’experts en ressources humaines et de coachs sportifs, les stagiaires alternent présentations, entretiens individuels et activités physiques. Les profils sont variés : le plus jeune a 24 ans, la doyenne 64. Gérant, consultante, restauratrice ou étudiant, tous éprouvent les mêmes symptômes : surtravail, troubles du sommeil et de la mémoire, addictions numériques, maladies ponctuelles ou chroniques dominant aller jusqu’au problème cardio-vasculaire, l’AVC ou encore l’infarctus.

« Durant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom », développe le créateur de la formation

« Le terme est vulgarisé : on évoque 3 millions de personnes en risque de burn-out. Cette standardisation pose problème : d’après le psychiatre Herbert Freudenberger, le premier à décrire le phénomène, une personne en burn-out est une personne en danger de mort », souligne Jean-Denis Budin. Cet constructeur sait de quoi il parle. Avant de fonder le Crédir, il a connu une telle crise qui s’est traduit par une énorme fatigue, une apathie et une perte totale de ses capacités de mémorisation : « Pendant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom. »

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance.

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance. Crédir

Nicolas Moreau, ancien stagiaire du Crédir, a fait un AVC avant ses 40 ans. « Les médecins me disaient que c’était irréalisable, se souvient celui qui travaillait alors comme DRH pour un groupe de 3 500 salariés. L’actionnaire m’a demandé de collaborer à la destruction de l’entreprise. Une vraie irruption aux enfers : pendant neuf mois, il a fallu ménager la motivation des salariés tout en vendant la boîte par petits bouts. J’en suis sorti très abîmé. Le Crédir m’a sauvé la vie. »

Etre professeur, à tous prix

Des milliers de candidats se disposent à plancher sur les épreuves du capes. Face à la crise des vocations, à l’université de Cergy-Pontoise, des étudiants développent leur choix de regagner l’éducation nationale.

Debout, dos au grand tableau vert, Julien relit une dernière fois ses notes de cours. « Quelqu’un a une balle antistress ? », souhait le jeune homme à lunettes, souriant, avant d’affronter l’épreuve. Face à lui, ses compagnons de première année de master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation de mathématiques de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), et leur formatrice, Céline. A la rentrée prochaine, si Julien – les personnes questionnées n’ont pas souhaité donner leur nom – réussit le concours du capes, le sésame pour apprendre au collège ou au lycée, il sera devant des élèves.

« Vous avez vingt minutes d’oral puis nous pourchasserons sur un entretien », lui développe la formatrice de l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPÉ) de l’académie de Versailles, qui rassemble cinq universités, dont celle de Cergy-Pontoise. Au menu de cet oral blanc, une leçon de géométrie sur les proportionnalités. Pour la vingtaine d’étudiants présents ce mercredi de mars, c’est la dernière ligne droite. La saison des concours s’annonce, entre la fin mars et le début du mois d’avril. Tous les étudiants présents dans la salle désirent devenir professeurs. La réputation en berne du métier, les rémunérations peu enthousiasmantes, le risque de débuter dans des établissements difficiles… : ils n’ignorent pas les pénuries qui les attendent. Ce sont celles qui, en quinze ans, ont contribué à faire diminuer le nombre d’inscrits aux concours du second degré de près de 30 %. La session 2019 du capes offre près de 9 000 places pour l’enseignement public et privé.

« Faire apprendre quelque chose à quelqu’un »

Julien et ses camarades protègent leur motivation. « J’aime l’idée d’un métier où, chaque jour, je peux me dire que je vais permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose », développe Marion, étudiante en première année, qui se destine aux lettres modernes. Même si apprendre n’était pas son « choix numéro un », ce désir a mûri au cours de ses études supérieures. Elsa, elle, assure une envie précoce. « J’y pense depuis le primaire ! » Après un détour de trois ans en droit – « une matière trop froide » –, elle s’est lancée.

Les deux jeunes femmes n’ont pas de naïveté sur le métier qui les attend : elles ont déjà une procédé du professorat. Toutes deux ont bénéficié d’emplois d’avenir professeur, dispositif de formation en alternance créé sous la gauche, autant pour contenir la crise de recrutement que pour donner un coup de pouce financier à des jeunes que la perspective d’un bac + 5 peut freiner. Cette logique de prérecrutement que le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, envisage de renforcer, a permis à Elsa et à Marion de faire cours une journée par semaine et d’être rétribuées. « Cela m’a vraiment confortée dans mon choix d’être prof », déclarent-elles d’un même élan.

Les réunions silencieuses 

Selon une étude de l’IFOP, nous passons en moyenne 4 heures par semaine en réunion. Alors que leur rendement n’est pas certaine, certains désirent réétudier cet instant collectif et se consacrent aux « silent meetings ».

Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau.
Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau. GIORGIO FOCHESATO / WESTEND61 / PHOTONONSTOP

Pour : la parole aux taiseux

A part peut-être s’éclaircir avec son café du matin, il n’y a pas grand-chose de pire que de démarrer la journée de travail par une « réu’». Fréquemment, cela renvoie à subir les visions business poussivement grandiloquentes et les aphorismes téléphonés (« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ») d’un Napoléon du tertiaire. Ce pensum est loin d’être anecdotique puisque nous passons quatre heures par semaine en réunion (IFOP 2018), ce qui équivaut tout de même à vingt-sept jours de travail par an.

Au contraire cette tendance à se rassembler autour d’une table où trônent des mini-viennoiseries, seuls 12 % des cadres examinent que toutes les réunions auxquelles ils collaborent sont « réellement productives et efficaces ». En toute logique, 75 % des salariés avouent avoir déjà fait autre chose lors de ces grands-messes de bureau, au lieu de se focaliser sur l’ordre du jour (IFOP, 2014).

Inutilité, dissémination, sentiment d’inutilité : tout cela n’est pas dû au hasard. Un des principaux griefs affirmés à l’encontre de la réunion dans sa forme classique est le darwinisme de la parole qu’elle favorise. Tels de grands fauves, ceux qui se trouvent au sommet de l’organigramme conduisent l’attention, admettant que quelques orateurs au pelage brillant soient aussi conviés à la fête, histoire de faire croire que l’on est en train de vivre un grand moment de démocratie directe. Pour les autres, l’heure est au semi-coma contemplatif, à la fuite numérique via le smartphone, voire clairement à la sieste digestive.

Il était donc essentiel de reconsidérer ce rituel inefficace. « Si, pour des raisons de statut ou de capacité, tout le monde n’est pas égal face à la prise de parole, pourquoi alors ne pas tout simplement arrêter de parler ? », se sont dit les promoteurs du nouveau concept de réunion silencieuse.

Arrivés des Etats-Unis, ces « silent meetings » auraient été lancés, selon le site Quartz, par Jeff Bezos, le patron d’Amazon. Lors des réunions exécutives du géant du commerce en ligne, les adhérents doivent lire et annoter en silence, durant trente minutes, un mémo de plusieurs pages, avant de pouvoir définitivement s’exposer. Les interventions sont alors généralement concises et pertinentes, enrichies par ce moment d’application antérieur où les enjeux stratégiques auront eu le temps d’infuser en chacun.

Chez Square, entreprise californienne spécialisée dans le rémunération mobile, c’est au moyen de leurs ordinateurs portables que les cadres, bec clos, sont invités à annoter un Google Doc – il est donc possible de participer à la réunion sans être physiquement présent. Les vertus de ces réunions silencieuses sont abondantes, mais la première d’entre elles est de faire émerger des voix qui sont facilement inaudibles, ou marginalisées, dont la voix des femmes. Comme le soulignait une étude menée par les universités de Brigham Young et Princeton en 2012, les hommes accapareraient 75 % du temps de parole en réunion, et pas toujours pour faire jaillir des idées lumineuses. Le silence studieux n’est donc rien moins que le nouveau levier de l’inclusion au bureau.

Le Parlement veut restituer de l’ordre dans l’accès en soirée des commerces alimentaires

Maintenant considérée au Sénat, la loi Pacte pourrait octroyer aux enseignes de concession alimentaire la possibilité d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à amoindrir au travail de nuit

Pouvoir pousser son chariot dans les allées de son hypermarché après 21 heures, en rentrant du travail ? Ce sera peut-être bientôt une réalité. Simultanément étudiée au Sénat, avant un dernier passage à l’Assemblée nationale courant avril, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la modification des entreprises) ne va pas seulement raccourcir la durée de la période des soldes de six à quatre semaines.

Elle admettra aussi, probablement, aux enseignes de distribution alimentaire d’ouvrir, en toute légalité, leurs portes en début de soirée. Une disposition du projet de loi leur donne, sous conditions, la conjoncture d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à recourir au travail de nuit, rarement autorisé dans le secteur.

Une telle exception serait plus utile pour des commerces de proximité dans les grandes villes que pour des grandes surfaces dans les territoires ruraux et ce, afin d’être sur un pied d’égalité avec des acteurs tels qu’Amazon ou Uber Eats. Chez Monoprix, on recense plus de 1,6 million de Parisiens qui, chaque année, accomplissent leurs achats en soirée, avec plus de 5 millions de passages en caisse.

Cela contient des enjeux financiers, mais aussi sociétaux, selon Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, qui représente 26 000 points de vente. Il enregistre « une vraie demande à Paris, comme dans d’autres grandes villes de France, en raison des changements de rythme de vie et d’un fractionnement des achats alimentaires ». Or aujourd’hui, pour contourner une réglementation très stricte sur le sujet, des supérettes ouvertes sans interruption 24 heures sur 24, avec des caisses automatiques et des vigiles pour garantir la sécurité, ont commencé à voir le jour.

42 000 salariés concernés

De ce fait, un filtrage de la législation devenait urgente. « Ce n’est pas une fois que les magasins 24 heures sur 24 se seront démultipliés qu’il faudra songer à sauver l’emploi », poursuit M. Petiot. Il précise que 42 000 salariés sont intéressés par le travail en soirée dans le commerce alimentaire dans l’Hexagone mais que, par contre, « il n’y a pas de demande des autres secteurs. L’alimentaire est très spécifique par sa récurrence d’achat, que l’on ne retrouve pas dans l’habillement, par exemple ».

Mené dans le projet de loi par des modifications au Sénat, ce toilettage de la législation du travail en soirée dans les commerces alimentaires a été réformé à l’Assemblée nationale sur ses contreparties sociales. Le texte doit encore être opté en dernière lecture par les deux Chambres.

Xavier Bertrand recommande de prévoir l’âge de la retraite à 65 ans d’ici à 2032

Le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, le 2 février 2018.
Le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, le 2 février 2018. ÉRIC PIERMONT / AFP
« Au gouvernement, on sait bien qu’il faudra œuvrer plus abondamment, mais il y a un verrou à l’Elysée pour ne pas agréer cette évidence », a assuré l’ancien ministre.

Il faut avoir le « courage » de refluer l’âge légal de départ à la retraite, a affirmé dimanche 31 mars Xavier Bertrand à l’intention d’Emmanuel Macron. « Le président de la République est intimidé sur cette question (…), il y a une sorte de tabou », a évalué l’ancien ministre, auteur d’une réforme des retraites, dans l’émission « Le grand rendez-vous » d’Europe 1/Les Echos/CNews.

Le premier ministre, avait assuré le 20 mars que le gouvernement n’avait pas le projet de reculer l’âge de départ à la retraite (62 ans), tout en se disant ouvert à l’idée de « travailler plus longtemps » pour financer la prise en charge de la dépendance par la Sécurité sociale. La ministre des solidarités, Agnès Buzyn, avait dit auparavant ne pas être « hostile » à reculer l’âge de la retraite.

Pour Xavier Bertrand, « on peut apporter des solutions, mais il faut dire la vérité et il faut du courage ». Le président de la région des Hauts-de-France préconise de porter d’ici à 2032 l’âge de la retraite à 65 ans, à raison d’un accroissement de la durée de « deux ou trois mois par an » à partir de 2020.

Les professions les plus dures physiquement ne seraient pas intéressées, a-t-il ajouté, appelant à « trouver la réponse à ce scandale français qui fait qu’entre un ouvrier et un cadre supérieur, il y a sept ans de différence d’espérance de vie » en défaveur du premier.

« Au gouvernement, on sait bien qu’il faudra travailler plus longtemps, mais il y a un verrou à l’Elysée pour ne pas accepter cette évidence », a pareillement assuré Xavier Bertrand dans une interview au Journal du dimanche. « Ne pas reculer l’âge de départ à la retraite, c’est mentir aux Français », a-t-il affirmé.

Comment briser avec l’idée que « tout se joue à l’école »

« Même si cette fonction de sélection est exprimée aujourd’hui de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. »
« Même si cette fonction de sélection est exprimée aujourd’hui de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. » Fotosearch / Photononstop

Son Thierry Ly

Chercheur et entrepreneur, cofondateur de la plate-forme Didask

Spécialiste de l’éducation, Son Thierry Ly montre que le retour en formation des salariés ne sera réel que s’ils brisent avec l’esprit de signification éduqué par le système éducatif.

L’Aménagement de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié au mois de février un rapport classant la France dans le dernier tiers des pays développés pour le but de son système de formation continue (« Getting Skills Right : Future-Ready Adult Learning Systems », voir lien PDF). Cette initiative a été peu médiatisée. Et pourtant… Au même titre que les fameux rapports PISA concernant l’école, il devrait interpeler l’opinion publique dans un contexte d’évolutions technologiques rapides et de renforcement progressif de la durée de vie professionnelle.

Comment agir ? Une réforme de l’organisation de notre système vient d’être adoptée ; les décrets sont en train de paraître. Désormais, les entreprises vont devoir proposer habituellement des formations à l’ensemble de leur personnel et pas seulement à une petite minorité. A partir de l’automne prochain, des applis devraient aussi permettre aux salariés de trouver plus aisément les cursus adaptés à leurs besoins.

Mais il reste un angle mort : l’envie de se former en continu n’a rien d’une vérité dans un pays où est généralement répandue l’idée que « tout se joue à l’école ».

Cet état d’esprit est lié à l’histoire même de notre école monarchiste, fondée à la chute de l’Ancien Régime afin de partager les positions sociales non plus en raison de la naissance, mais du mérite et des talents de chaque individu : ce fut à l’école que revint la mission d’évaluer les capacités afin d’assimiler ceux qui encaissaient d’appartenir à l’élite.

Des effets délétères

Même si cette fonction de sélection est exposée actuellement de manière plus égalitaire – l’école doit aider chacun à identifier ses propres talents –, une vision finalement très figée des capacités a subsisté. Comme si l’école n’était pas là pour que je devienne bon en mathématiques, mais avant tout, pour m’aider à découvrir si, oui ou non, je suis fait pour les mathématiques…

Examiner les capacités comme prédéfinies, fixées une fois pour tout, a des effets délétères. Lorsque je commets une erreur, dans un tel contexte, celle-ci n’est pas une source d’apprentissage, mais un révélateur de mon niveau intrinsèque. Chaque occasion d’apprendre est vécue comme une évaluation… que je risque fort de fuir une fois devenu adulte. Soit parce que je suis sorti du système scolaire sur un échec, et la formation continue risque de consolider l’image déjà très négative que j’ai de mes capacités. Soit parce que j’ai été au contraire bon élève, et que je renâcle à devoir prouver à nouveau ma valeur, avec le risque de voir remis en cause mon statut ou mon expertise. La motivation à se former en cours de carrière n’augmentera pas sans agir sur cet état d’esprit.

 

« Le bureau est transformé le lieu de l’interruption éternelle »

« une étude démontre une augmentation de 56 % des courriers électroniques et une utilisation des messages instantanés en hausse de 67 % après la refonte de l’espace de travail en open space. »
« une étude démontre une augmentation de 56 % des courriers électroniques et une utilisation des messages instantanés en hausse de 67 % après la refonte de l’espace de travail en open space. » RAINER BERG / Westend61 / Photononstop

 « Open space », bureaux nomades, des longs meetings, la vie « moderne » dans les bureaux est transformée facteur de diminution de rendement, poussant les salariés à se réfugier chez eux, observe Jean-Denis Garo, spécialiste du marketing technologique.

Le bureau est-il le lieu de tous les maux ? Le sujet revient fréquemment depuis la fin des années 1980, mais les transformations technologiques, intégrées à ce que l’on nomme à présent la « digital workplace », le travail digitalisé, ont ravivé le débat. Le lieu de travail n’est effectivement plus unique : domicile, transport, tiers lieux (espace de coworking, plateaux ouverts (open space), bureau nomade (hot desking) ou bureau fermé, le travail se fragmente en autant de lieux, en autant d’espaces distincts…

L’enquête Webtorials (Workplace Productivity and Communications Technology Report 2017) nous apprend que les entreprises françaises égarent en moyenne 9 000 euros par salarié chaque année, du fait d’une collaboration et d’une communication inopérante. Entre réunions, perturbations dans l’open space, sollicitations et notifications diverses, le bureau est devenu le lieu de l’interruption permanente.

L’exercice de la réunion est assez comparable à un huis clos chiffré où chacun doit jouer son rôle sans manquer. Si les séminaires et les manuels fleurissent sur le moyen de rendre une réunion plus efficace, la rentabilité de ces dernières est souvent remise en question. Selon le baromètre annuel IFOP-Wisembly (« Les réunions et leur impact sur l’engagement des collaborateurs », 2018), les cadres passent vingt-sept jours par an en réunion, un chiffre en accroissement constante.

L’e-mail, unique moyen de transmettre

Le nombre de réunions hebdomadaires étant corrélé au salaire et au niveau de responsabilité, un cadre gagnant plus de 75 000 euros brut par an assiste à 6,7 rattachements par semaine. Alors que les cadres des grandes entreprises admettent que dans 46 % des cas, l’e-mail reste le seul et unique moyen pour transmettre les informations stratégiques sur le long terme.

Continuellement selon la même étude, la durée de réunion, qui s’allonge en proportion de la taille de l’entreprise, est doucement en baisse et serait de soixante-neuf minutes en moyenne. Les réunions sont donc un élément de disruption fort, dont la productivité est questionnée ; pourtant, elles ne sont qu’une apparence du problème.

Le concept d’open space n’est pas nouveau : Eberhard et Wolfgang Schnelle, deux consultants allemands, ont conceptualisé le « bureau paysager » dans les années 1950, avant qu’il ne soit choisi aux Etats-Unis et popularisé en Europe au cours des années 1980. Les objectifs initiaux sont simples : densifier l’occupation et diminuer les charges de l’entreprise.