Derrière « Les Mutations du travail », la question du sens

« Les Mutations du travail », sous la direction de François Dubet, aux éditions La Découverte, 276 pages, 23 euros.
« Les Mutations du travail », sous la direction de François Dubet, aux éditions La Découverte, 276 pages, 23 euros.

Le Livre. L’intelligence artificielle peut libérer du travail routinier et enrichir les tâches, mais elle peut aussi accentuer le contrôle du travail et l’exigence de rendre compte de manière continue de son activité. Les nouvelles techniques de management échangent volontiers de l’autonomie contre des responsabilités accrues. Complexes et diverses, les mutations au travail ne se laissent pas réduire à quelques tendances essentielles. Leur radicalité suscite de profondes angoisses sur la nature même du travail : le travail encadré par les métiers et les qualifications, par une organisation stable, par un contrat salarial solide et par un système de relations professionnelles disparaît au profit de nouvelles formes de travail et d’emploi.

« Personne n’évoque de lendemains meilleurs ; le plus souvent, les mutations du travail semblent être subies et se présentent comme des réponses aux contraintes imposées par le capitalisme financier et la mondialisation », résume François Dubet. Le pessimisme ambiant n’est pourtant pas la meilleure manière d’analyser la révolution dans laquelle nous sommes engagés. « Derrière les désordres et les frustrations, de nouveaux métiers et d’autres manières de travailler se constituent et nous devons essayer de les décrire et de les expliquer, afin de savoir dans quels mondes du travail nous entrons et, peut-être, pour mieux les maîtriser », estime le professeur émérite à l’université de Bordeaux, également directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et ancien directeur scientifique de la Fondation pour les sciences sociales dans Les Mutations du travail.

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L’essai réalisé sous sa direction met un peu d’ordre « dans le désordre et l’éclatement des mutations du travail. » Issu des travaux des chercheurs lauréats de l’appel à projets lancé en 2018 par la Fondation pour les sciences sociales sur le thème des mutations au travail, le livre comporte trois grandes parties. La première rassemble des chapitres consacrés aux mutations du travail issues des transformations des technologies et des outils : intelligence artificielle, informatisation, traitement des données…

La deuxième aborde les mutations du travail par le biais de l’organisation et du management. Enfin, la troisième est consacrée aux inégalités et aux relations de travail, au syndicalisme et aux capacités de résistance des travailleurs qui ne s’éteignent pas.

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L’ouvrage ne doit pas être lu comme « une série plus ou moins discontinue d’études locales, comme une nouvelle plainte sur la dégradation du travail, mais comme une interrogation sur le sens même du travail. » Car le travail n’est pas qu’un des termes du contrat social, il est aussi une dimension essentielle des subjectivités.

« L’exception française du smic tire à sa fin »

En 1968, avant les événements de mai, le salaire minimum français était de 2,50 francs de l’heure et permettait de s’acheter cinq baguettes. Les accords de Grenelle la même année vont l’augmenter de 20 %, soit un pain de plus. Le 1er janvier 2020, le smic a été porté à 10,15 euros, le prix d’une dizaine de baguettes ordinaires. La revalorisation du salaire minimum est devenue, depuis l’après-guerre, un marqueur puissant de toute politique sociale en France, quelle que soit la couleur politique des gouvernements. Une manière forte de lutter contre la pauvreté au travail. Déjà en 1950, année de création du salaire minimum, le président du Conseil, René Pleven, le justifiait par la nécessité de couper l’herbe sous le pied des communistes.

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Aujourd’hui, si le smic concerne près de 13 % des salariés du privé, son influence s’étend bien au-delà. Avec un peu plus de 1 500 euros par mois, il représente près de 85 % du salaire médian (1 800 euros). Ce qui signifie que 50 % des salariés français touchent moins que cette somme. C’est le plus fort pourcentage de tous les pays de l’OCDE.

Facteur de réduction des inégalités

Ce facteur non négligeable de réduction des inégalités ne va pas sans effet pervers. Les deux principaux touchent à la compétitivité des entreprises et au chômage. Ce sont les deux sujets préférés des économistes. Depuis des décennies, ils empilent des études démontrant l’effet nocif supposé d’un haut niveau de salaire minimum sur le chômage. La persistance du sous-emploi en France par rapport à ses voisins plaiderait pour cette thèse. En effet, payer à un coût élevé des employés non qualifiés pousse les entreprises à renoncer à embaucher car le personnel supplémentaire lui coûtera plus cher qu’il ne lui rapporte. Ce n’est pas toujours vrai.

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Une récente étude américaine a démontré que cela dépendait de la concurrence dans un secteur. Un monopole ou oligopole, peu inquiet pour sa marge, sera moins regardant sur le salaire des non-qualifiés qu’une entreprise dans un univers très concurrentiel. La plupart des spécialistes estiment néanmoins que, quand le salaire minimum est très éloigné du médian – l’écart entre les deux est de 40 % aux Etats-Unis –, l’augmentation des bas salaires ne nuit pas à l’emploi, au contraire.

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Pour concilier smic élevé et compétitivité, les gouvernements français successifs ont donc réduit les charges. Une politique accélérée ces dernières années. A tel point que, depuis octobre 2019, il n’y en a quasiment plus. Cela a eu comme effet positif de ramener le coût du travail près de la moyenne européenne et de commencer à réduire le chômage.

Pour la première fois, le salaire minimum britannique dépasse celui de la France

Le premier ministre britannique Boris Johnson s’exprime devant des ouvriers à Matlock, dans le centre de l’Angleterre, le 5 décembre.
Le premier ministre britannique Boris Johnson s’exprime devant des ouvriers à Matlock, dans le centre de l’Angleterre, le 5 décembre. HANNAH MCKAY / AFP

Un coup de pouce de 6,2 %. L’une des premières décisions de Boris Johnson après sa victoire aux élections législatives britanniques de mi-décembre a été d’augmenter le salaire minimum. A partir d’avril, celui-ci va passer à 8,72 livres de l’heure, soit 10,26 euros. Franchissant un cap symbolique, il dépassera pour la première fois le smic horaire français, qui est à 10,15 euros brut. « Et il montera jusqu’à 10 livres (11,67 euros) », a ajouté M. Johnson, mardi 14 janvier, sans préciser la date à laquelle cet objectif doit être atteint.

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Il ne s’agit pas d’un coup politique de la part du premier ministre britannique, simplement de la poursuite de la démarche de ses prédécesseurs. En juillet 2015, George Osborne, alors chancelier de l’Echiquier, faisait face à l’explosion du nombre de travailleurs pauvres : ces personnes qui, malgré un emploi, n’arrivent pas à boucler les fins de mois. Pour ce père de l’austérité, cela posait un problème paradoxal : de plus en plus de gens au travail touchaient des aides sociales, dont il cherchait justement à faire baisser l’enveloppe. M. Osborne a donc décidé d’effectuer un virage économique important, en promettant une large augmentation du revenu minimum sur le moyen terme. « La Grande-Bretagne doit passer dans les cinq prochaines années d’une économie à bas salaires et hauts impôts et aides sociales, à des rémunérations plus élevées, et des impôts et des aides sociales plus bas », expliquait-il. Objectif : atteindre d’ici à 2020 un salaire minimum à 60 % du salaire médian britannique. Les gouvernements conservateurs qui se sont succédé ont tenu parole puisque, depuis 2015, le smic dans le pays a augmenté d’un tiers.

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Un profond changement d’approche

Pour éviter de trop politiser le débat, son niveau est délégué à la Low Pay Commission, un organisme indépendant, qui vérifie qu’il n’a pas d’impact négatif sur l’emploi. En octobre, celle-ci a proposé une augmentation de 6,2 %, qui permet d’atteindre exactement la barre de 60 % du salaire médian. M. Johnson n’a fait qu’accepter cette recommandation, comme ses prédécesseurs.

Pour le Royaume-Uni, il s’agit d’un profond changement d’approche. Le salaire minimum n’a été créé qu’en 1998 par Tony Blair, alors premier ministre. A l’époque, face aux récriminations du patronat, il avait été fixé très bas, autour de 46 % du salaire médian. Seulement 200 000 personnes étaient payées à ce seuil. Aujourd’hui, 1,6 million de Britanniques le touchent. Le système est différencié en fonction de l’âge : le revenu minimum à taux plein ne s’applique qu’aux plus de 25 ans. Pour les plus jeunes, différentes catégories (16-17 ans, 18-20 ans, 21-24 ans) prévoient des montants plus faibles.

Cinq ans après son introduction, un bilan mitigé pour le smic en Allemagne

Des employés épandent de l’asphalte, près de Stuttgart, en avril 2019.
Des employés épandent de l’asphalte, près de Stuttgart, en avril 2019. Ralph Orlowski / REUTERS

Destruction de près d’un million d’emplois, faillite de nombreuses entreprises familiales, ruine de l’agriculture, érosion de la compétitivité de l’économie nationale, bureaucratie excessive… Il y a six ans, le débat sur l’introduction d’un salaire minimum faisait rage en Allemagne. Les détracteurs du smic ne manquaient pas d’arguments contre cette réforme portée par le Parti social-démocrate (SPD) et qui, selon le gouvernement, devait concerner 3,7 millions de salariés.

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La loi, finalement adoptée par le Bundestag (Chambre basse du Parlement) en juillet 2014 après de longs atermoiements, prévoyait l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2015, d’un smic de 8,50 euros brut de l’heure pour tout salarié âgé de plus de 18 ans. De nombreuses dérogations prévues par le texte – dans l’agriculture, le textile, la restauration ou encore l’intérim – étaient appelées à disparaître au plus tard en 2018. Mais si, selon plusieurs sondages réalisés à l’époque, près de 90 % des Allemands se disaient en faveur de cette réforme, les économistes étaient bien plus circonspects.

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« Mini-jobs »

La plupart des experts redoutaient que cela ne provoque des centaines de milliers de licenciements. « Le salaire minimum met en danger jusqu’à 900 000 emplois », avait ainsi prédit l’économiste vedette Hans-Werner Sinn, ancien président de l’institut de conjoncture munichois, Ifo. Pour sa part, Axel Börsch-Supan, expert à l’institut Max-Planck à Munich, craignait que la nouvelle loi ne « fasse exploser le chômage des jeunes » de moins de 25 ans.

Cinq ans après la mise en place du smic, le chômage a poursuivi sa longue décrue, pour tomber de 6,7 % en 2014 à 5 % en 2019

Cinq ans après la mise en place du smic, ces craintes se sont révélées infondées. Le chômage a poursuivi sa longue décrue, pour tomber de 6,7 % en 2014 à 5 % en 2019, tandis que le nombre d’actifs a continué de battre record sur record. Ainsi, en novembre 2019, l’office fédéral de la statistique Destatis recensait 45,5 millions d’actifs occupés outre-Rhin : cela correspond à plus de 2,8 millions d’emplois créés depuis fin 2014. Et l’économie allemande, très tournée vers l’exportation, a continué à dégager de confortables excédents commerciaux. En effet, le salaire plancher n’a pas eu d’impact sur la compétitivité de l’industrie allemande, les salaires étant généralement très élevés dans ce secteur.

Malgré ce bilan rassurant, plusieurs études ont établi que l’introduction du salaire minimum a probablement eu un effet légèrement négatif sur le marché du travail : entre 50 000 et 140 000 emplois auraient été perdus à cause de la réforme. Et il s’agit avant tout de « mini-jobs », ces emplois à temps partiel créés par les réformes de l’ancien chancelier Gerhard Schröder (1998-2005), sans protection sociale et rémunérés 450 euros par mois. Les chercheurs jugent donc très limité l’impact de la réforme. « En termes d’échelle, cela se situe dans la fourchette de la dispersion statistique », résume Bernd Fitzenberger, économiste à l’université Humboldt de Berlin.

Toyota va fabriquer un nouveau véhicule en France, dans son usine nordiste d’Onnaing

Esquisse du véhicule SUV de Toyota qui doit être fabriqué dans l'usine d’Onnaing (Nord), dans la banlieue de Valenciennes, cette année.
Esquisse du véhicule SUV de Toyota qui doit être fabriqué dans l’usine d’Onnaing (Nord), dans la banlieue de Valenciennes, cette année. TOYOTA

Le géant japonais de l’automobile Toyota se plaît en France. Mardi 14 janvier, le deuxième constructeur mondial a annoncé la production d’un second véhicule dans son usine d’Onnaing (Nord), dans la banlieue de Valenciennes, où la Yaris est déjà fabriquée. La voiture sera un petit SUV (« sport utility vehicle », aux allures de 4 × 4 urbain), concurrent de la Peugeot 2008 ou du Renault Captur. Ni le nom du modèle ni le calendrier de production ne sont, pour l’instant, connus, même si, dans le Nord, un démarrage est espéré dès cette année.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la décision s’accompagne d’un investissement de 100 millions d’euros, qui viennent s’ajouter aux 300 millions déjà consacrés à la production de la Yaris de quatrième génération, lancée en mai 2019. L’usine emploiera 400 personnes supplémentaires en CDI, faisant passer le nombre de CDI à 3 600, qui seront recrutés essentiellement parmi les quelque 1 000 CDD de l’entreprise. L’effectif global du site atteindra, en tout, 4 500 personnes.

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Ce qui est aussi acquis, c’est que ce futur SUV Toyota sera doté d’une motorisation hybride, spécialité du constructeur japonais. « Cette technologie est notre atout numéro un, rappelle Eric Moyere, directeur de la communication du site d’Onnaing. Pour la Yaris 4, nous prévoyons que 80 % de la production sera en version hybride. Nul doute que, pour le futur SUV, ce ratio sera aussi important. »

Une ambition de produire 300 000 véhicules par an

La nouvelle était fortement espérée dans le Valenciennois, car elle pérennise l’usine. « Notre ambition de produire 300 000 véhicules par an peut ainsi devenir réalité, assure Luciano Biondo, le directeur de Toyota Motor Manufacturing France, qui gère le site. La production de ce nouveau modèle permettra au site de ne pas être tributaire du cycle de vie commercial d’un seul modèle, renforçant ainsi la stabilité des effectifs dans le temps. »

« Deux véhicules, c’est une vraie sécurité et, pour certains anciens, un aboutissement »

Ce choix est aussi la suite logique de la décision, annoncée début 2018, de fabriquer dans les Hauts-de-France la dernière génération de la Yaris sur une nouvelle plate-forme industrielle dite « TNGA » (Toyota New Global Architecture), qui a nécessité une refonte de l’usine. C’est aussi sur cette base que sera produit le futur SUV. Il faut dire que plusieurs bonnes fées s’étaient alors penchées sur l’avenir de l’usine. Emmanuel Macron en personne s’était rendu à Onnaing pour en faire l’annonce. Il était accompagné de Didier Leroy, vice-président de Toyota, chargé de la compétitivité, du planning et des opérations industrielles, numéro deux officieux du groupe.

En coopérative, la qualité de vie compense une moindre rémunération

Dans un de ces anciens passages couverts du cœur de Paris, entre boutiques et petits restaurants, du passage des Panoramas, derrière une grande baie vitrée, se détachent une grande table en bois, des fauteuils vintage et un plafond aux allures d’œuvre d’art fait d’un enchevêtrement de lattes de bois qui descendent sur les murs de Bearstech. Un énorme ours en peluche accueille le visiteur. A priori rien ne distingue cette entreprise d’une des nombreuses start-up installées dans ce quartier de la capitale. Rien, si ce n’est son statut puisqu’il s’agit d’une société coopérative (SCOP).

Spécialisée dans l’entreprise de services du numérique (ESN) logiciel libre (Cloud et DevOps), la SCOP de quatorze salariés réalise un chiffre d’affaires de 1,2 million d’euros. Ses clients sont aussi bien des grands groupes tels que BNP Paribas que des entreprises de taille plus modeste comme Armor-Lux ou Lagardère Plus.

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Tous les salariés sont associés et possèdent ensemble l’intégralité du capital. « Notre volonté a été de brider les pouvoirs de la gérance, explique Pierre Arlais, le directeur. Pour ce faire, nous avons trois cogérants ainsi qu’un comité de direction le « board », où tous les mois, l’ensemble des associés salariés aborde les sujets importants », tels que la définition des salaires (les augmentations sont exclusivement collectives, mais en montant fixe et non en pourcentage), les embauches, les orientations stratégiques, les investissements, etc. Les décisions s’y prennent à la majorité.

« Plus heureux »

Comme toute entreprise, « nous nous battons pour être rentable et dégager du profit », explique le directeur, mais tous les bénéfices sont redistribués aux salariés et investis dans l’entreprise. L’échelle des salaires varie de 1 à 1,8. Une mutuelle famille est prise en charge à 100 %, les chèques cadeaux et déjeuners sont au maximum légal. Dix salariés sur quatorze sont à 100 % en télétravail. Maurice Audin, administrateur système, a sauté le pas fin octobre 2019 et quitté Paris pour la Haute-Vienne.

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Les organisations participatives ont le vent en poupe. « Les gens sont plus heureux car leur travail a du sens. Ils ont rejoint un projet qui vise à la pérennité de l’activité et non au profit rapide », affirme Pierre Arlais. Les directions voient dans ces modèles un moyen d’accroître la réactivité de leur entreprise, tout en améliorant l’engagement des collaborateurs. Clément Ruffier, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), confirme : « De nombreuses études ont démontré que faire participer les salariés avait un effet globalement positif sur la qualité de vie au travail, mais sous conditions, avertit-il. Ainsi les espaces participatifs peuvent être très déceptifs s’ils restent à la main de la hiérarchie. Gare à l’instrumentalisation ! »

Négociations salariales : accordons-nous sur nos désaccords

Chronique « Carnet de bureau ». 81 % des entreprises considèrent qu’elles payent bien leurs salariés, pourtant seuls 31 % des salariés s’estiment bien rémunérés. Ce paradoxe est confirmé par l’enquête annuelle du cabinet de recrutement Hays, qui devait paraître mercredi 15 janvier. Son étude sur les rémunérations de 2020 a identifié les malentendus entre salariés et employeurs sur les raisons d’accorder une augmentation.

La première justification pour un salarié comme pour l’employeur est la qualité du travail (71 % pour les salariés, 64 % pour les employeurs), suivie, à la marge, de la bonne santé financière de l’entreprise (26 % pour les salariés, 21 % pour les employeurs), indique l’étude Hays. Mais au-delà commence le règne du désaccord : si, pour l’employeur, le deuxième critère qui motive une hausse de salaire est une promotion (58 %) ou un changement de périmètre du poste (42 %), pour le salarié, c’est l’augmentation du coût de la vie (46 %) ou de la charge de travail (42 %).

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L’inflation ne rentre en ligne de compte que pour 27 % des employeurs interrogés par Hays. Dans la première phase des négociations salariales, qui consiste à fixer l’évolution du budget consacré aux augmentations, l’inflation est bien en discussion. « L’objectif des syndicats étant le net restant aux collaborateurs une fois l’inflation déduite de la hausse de salaire, explique Guillemette Gaullier, responsable du département rémunération du cabinet de conseils Korn Ferry. Ainsi, avec une augmentation de 1,9 % de l’enveloppe budgétaire prévue par nos clients pour 2020, le gain du pouvoir d’achat sera de 0,5 % pour les salariés. Mais, dans la deuxième phase où se décide qui est augmenté et à quel titre, le coût de la vie n’est plus du tout pris en compte par les RH. »

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L’augmentation de la charge de travail ne semble pas non plus vraiment prise en compte, selon Hays. A ce niveau, les employeurs regardent la performance du collaborateur, « ils comparent aussi le salaire à la médiane interne et à la médiane externe. Les évolutions du marché sur le salaire d’embauche par métier peuvent tirer la médiane des rémunérations vers le haut ou vers le bas », précise Guillaumette Gaullier. L’augmentation souhaitée par le salarié peut alors rester lettre morte, quelle que soit sa performance, si son niveau de salaire est devenu surévalué par rapport au marché.

« L’employeur raisonne sur un montant global et fait des choix pour garder des compétences, tandis que le salarié analyse sa situation particulière, parfois sans connaître ni le salaire ni les performances de ses collègues », rappelle Marlène Ribeiro, directrice exécutive du cabinet de recrutement Michael Page. Le manque de communication est source de malentendus. « Dans un système opaque, le salarié ne peut qu’imaginer les critères d’augmentation et, côté salarié, une hausse de charge de travail non exprimée peut ne pas être pas prise en compte. Par ailleurs, si cette charge est liée aux difficultés de l’entreprise et que les résultats du groupe ne sont pas à la hauteur de l’investissement du collaborateur, la hausse de salaire ne suivra pas », explique Mme Ribeiro.

Armand Hatchuel : « Carlos Ghosn incarne le césarisme d’entreprise »

Chronique«  Entreprise ». L’affaire Carlos Ghosn ne relève pas de la saga des grands manageurs. L’héroïsation du dirigeant, la personnalisation du pouvoir, la chute aussi vertigineuse qu’inattendue, tout y évoque un césarisme d’entreprise. L’ex-PDG le reconnaît lui-même, en affirmant qu’un complot juridico-industriel a été nécessaire à son éviction, alors qu’un limogeage suffit pour un patron « normal ».

Mais le groupe Renault-Nissan n’est pas le seul à avoir connu une telle dérive césariste, celle-ci est en cause dans plusieurs drames d’entreprises, qui étaient tout aussi impensables : le « dieselgate » chez Volkswagen, le harcèlement moral chez France Télécom, et la catastrophe du 737 MAX de Boeing.

Dans chaque cas, les enquêtes retrouvent le même scénario. Il débute par l’accès au sommet de responsables à qui l’on prête des succès hors norme. Ceux-ci s’empressent alors d’annoncer que la situation d’entreprise qu’ils ont trouvée exige un redressement fort et rapide. Suivent alors une gouvernance pyramidale et des objectifs démesurés, justifiés par l’urgence et par la stature du héros. La pression est mise sur les résultats à court terme et sur l’embellissement des bilans financiers.

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Toute opposition, toute critique interne sont progressivement muselées. Les conseils d’administration restent passifs, accréditant un dirigeant que les assemblées générales peuvent applaudir.

Cependant, en coulisses, des mécanismes vitaux de l’entreprise se détériorent (dialogue social, compétences techniques, contrôles de la qualité, coordination interne, etc.). Les indicateurs du succès deviennent pervers, car ils masquent cette perte d’efficacité et de cohésion.

L’entreprise devient incapable de réagir aux alertes internes, aux erreurs, aux dangers qui s’accumulent. In fine, la réalité ne fait retour que par une catastrophe ou un scandale, qui entraîne la chute du dirigeant et fait plonger l’entreprise. Ce fut la révélation sidérante d’un logiciel tricheur chez Volkswagen ; une terrible vague de suicides au travail chez France Télécom ; et enfin, chez Boeing, un avion dont la conception a privilégié les coûts au détriment de la sécurité !

De nombreux dirigeants ne cèdent pas à la dérive césariste mais, depuis l’affaire Enron en 2001, les règles du capitalisme actionnarial semblent avoir favorisé son expansion. L’héroïsation du dirigeant convient aux marchés financiers. Même pour une entreprise complexe, aux métiers exigeants, la vulgate financière veut croire aux patrons miraculeux, capables de « redresser » très vite une rentabilité insatisfaisante.