Les perspectives des jeunes diplômés bouleversées par la crise

Pour Madeleine (le prénom a été modifié), 24 ans, l’année 2020 s’annonçait pleine de promesses. Master de marketing en poche, elle venait de décrocher un CDI dans un cabinet de conseil francilien. « J’étais épanouie, mes collègues étaient sympas, je sentais que je montais en compétences », se souvient-elle avec une pointe de nostalgie. Mais mi-avril, en plein confinement, son employeur a mis fin à sa période d’essai. « Il m’a dit qu’il était très content de mon travail, mais que, vu la situation, il ne pouvait pas me garder. » Le choc passé, vaillamment, Madeleine s’est remise à chercher du travail. L’entreprise où elle avait réalisé son alternance lui a proposé de reprendre son ancien poste de chef de produit… mais en tant qu’intérimaire. Fini le confort du CDI. « Ce n’est pas toujours facile de rester motivée. J’ai l’impression d’avoir fait un bond d’un an en arrière. Autour de moi, en ce moment, tout le monde a revu ses ambitions à la baisse… »

Sur le site de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les offres d’emploi à destination des diplômés débutants (moins d’un an d’expérience) ont dégringolé de 42 % entre janvier et août 2020 par rapport à 2019 (contre − 34 % pour l’ensemble des cadres). Cette chute concerne aussi bien les start-up que les grandes entreprises, observe la plate-forme d’offres d’emploi Welcome to the Jungle, spécialiste des jeunes diplômés. Résultat : le nombre de titulaires de diplômes « bac + 3 et plus » inscrits à Pôle emploi a bondi de 68 % entre février et juillet 2020.

Renoncements déstabilisants

Stages avortés, ruptures de périodes d’essai, CDD non renouvelés, promesses d’embauches décalées, retours précipités de l’étranger… De nombreux jeunes diplômés ont vu leurs projets d’avenir mis à rude épreuve par la crise sanitaire. Des renoncements déstabilisants à cette période charnière où ils sont censés prendre leur envol. « Pour des jeunes qui se projetaient dans le démarrage rapide de leur vie active, la crise génère une inquiétude légitime, et une forme de frustration », analyse Dominique Monchablon, psychiatre, chef de service de la Fondation santé des étudiants de France et à l’école de commerce ESCP.

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« Les jeunes diplômés ont beau être mieux armés que ceux qui sont sans qualifications, ce serait une erreur de penser qu’ils sont épargnés par les difficultés actuelles. Le gel des embauches ou le ralentissement des recrutements opérés par beaucoup d’entreprises les frappent directement », insiste le directeur général de l’APEC, Gilles Gateau.

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Les discussions reprennent sur la réforme de l’assurance-chômage

La réforme de l’assurance-chômage va-t-elle être vidée de sa substance ou retouchée à la marge ? C’est l’un des principaux enjeux de la rencontre organisée, mercredi 30 septembre, entre le ministère du travail et les partenaires sociaux. Les protagonistes doivent, en effet, se pencher sur les aménagements susceptibles d’être apportés à un dispositif très controversé, partiellement mis en vigueur à partir de la fin 2019 avant d’être suspendu – presque intégralement –, du fait de la crise.

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Le gouvernement assure cependant qu’il n’est nullement question d’y renoncer, tout en se disant prêt à amender les textes. Les syndicats, de leur côté, réclament un abandon de ces mesures, les jugeant punitives pour les demandeurs d’emploi.

Indemnité plus faible

La réunion de mercredi donne le coup d’envoi à un cycle d’échanges entre l’exécutif, les organisations de salariés et les mouvements d’employeurs. Une quinzaine de thèmes doivent faire l’objet de concertations durant l’automne. Dans les sujets abordés, il y a donc l’assurance-chômage, dont les règles avaient été modifiées par deux décrets pris en juillet 2019. Prévues au départ pour s’appliquer en plusieurs étapes – de novembre 2019 à mars 2021 –, les nouvelles dispositions sont dénoncées par les syndicats.

Premier grief : il est lié au durcissement des conditions requises pour bénéficier du régime, puisque les personnes doivent avoir travaillé plus longtemps pour pouvoir toucher une allocation. Les organisations de salariés sont également contre les changements introduits dans le calcul de la prestation, car ils vont pénaliser les chômeurs ayant enchaîné des contrats courts (l’indemnisation versée risquant d’être plus faible, à cause du « salaire de référence » qui est déterminé différemment).

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La réforme indispose aussi le patronat, mais avec une intensité moindre. Les mouvements d’employeurs s’opposent, en effet, à l’instauration d’un bonus-malus : destiné à combattre la précarité sur le marché du travail, ce mécanisme augmente les cotisations des entreprises qui se séparent fréquemment de leurs collaborateurs et diminue celles des sociétés dont les effectifs sont stables. Seuls sept secteurs sont concernés, parmi lesquels l’hôtellerie-restauration.

« Annulation » de la réforme

Tous ces points durs vont être passés en revue mercredi. Du côté des syndicats, les discours restent inchangés. La CFDT ne veut pas de ces textes qui ont « pour effet de réduire les droits des demandeurs d’emploi », confie Marylise Léon, la numéro deux de la centrale cédétiste. Pour elle, la vocation de l’assurance-chômage est de « garantir aux personnes ayant perdu leur activité une allocation, essentielle notamment pour les plus précaires ». La concertation qui débute mercredi présente toutefois, selon elle, le mérite d’ouvrir une « réflexion » sur le rôle du système d’indemnisation en temps de crise.

Michel Beaugas (FO) affirme, pour sa part, que « la protection accordée aux chômeurs ne doit pas être amoindrie, a fortiori durant une période où le nombre de personnes privées de travail flambe » : « Il faut revenir aux règles qui prévalaient avant les décrets de 2019. » La CGT, par la voix de Denis Gravouil, est partisane, elle aussi, d’une « annulation » de la réforme. Elle compte mettre à profit les discussions à venir pour défendre des propositions qui améliorent le sort réservé aux chômeurs.

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Les organisations patronales, elles, vont exprimer, à nouveau, leur hostilité au bonus-malus, avec d’autant plus de vigueur que celui-ci s’applique à des activités dont certaines ont été durement touchées par la récession. « Il faut essayer de trouver des solutions alternatives », estime Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, tout en reconnaissant que « ce n’est pas évident ».

Diversité dans les médias : des rédactions incapables de rompre avec l’entre-soi

Harry Roselmack, présentateur du JT de TF1, en 2006.

Enfant d’agriculteur, handicapé, issu de famille monoparentale ou d’origine étrangère, ils sont passés par l’association La Chance aux concours (devenue La Chance pour la diversité dans les médias) ou la Prépa égalité des chances de Lille, qui aident depuis la fin des années 2000 les étudiants boursiers à préparer et à passer les concours des écoles de journalisme.

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Diplômés d’écoles reconnues, ils donnent à leur tour de leur temps pour accompagner leurs successeurs éventuels jusqu’au sein de rédactions encore socialement très homogènes. « Quand je regardais la télé, petit, et que je compare avec la diversité sociale qu’on peut y voir aujourd’hui, je ne dis pas que c’est nickel, mais on revient de loin ! », se réjouit toutefois Madjid Khiat, journaliste à Franceinfo (la télé). Née en 2016, la chaîne d’info est effectivement dotée d’un cahier des charges « qui lui impose d’aller chercher d’autres visages », explique Marie-Anne Bernard, à France Télévisions.

« Faire office de quota »

Dans d’autres rédactions plus anciennement constituées, la diversité ethnoculturelle s’impose plus lentement, et paraît encore se résumer à quelques visages (Kareen Guiock, présentatrice du 12.45 sur M6 depuis neuf ans, Karine Baste-Régis, nouvelle joker d’Anne-Sophie Lapix sur France 2). « Je suis journaliste à Franceinfo parce que je bosse comme tout le monde, revendique M. Khiat. Ça me rendrait fou qu’on me résume à mes origines. » Une de ses consœurs, qui souhaite rester discrète, reconnaît avoir renoncé à un poste dans une autre chaîne après avoir compris que le recruteur était plus intéressé par sa couleur de peau que par son professionnalisme. « J’aurais eu l’impression de faire office de quota », condamne-t-elle. Le principe de la discrimination positive est perçu négativement.

« Ceux qui décrochent le plus du métier, ce sont ceux qui étaient les plus pauvres à l’origine » Zahra Boutlelis, reporter à « C à vous »

« L’arrivée d’Harry Roselmack à la présentation du 20 heures de TF1, en 2006, n’a rien changé sur le fond », pointe Faïza Zerouala, journaliste à Mediapart. A ses yeux, « il y a toujours un soupçon de moins bonnes compétences chez les journalistes “racisés” ou de milieux populaires ». Tous ceux que nous avons interrogés font effectivement part d’une « impression d’avoir dû en faire deux fois plus que les autres » pour parvenir à une relative stabilité professionnelle. « Mais est-ce que c’était le cas, ou est-ce que je me suis mis des boulets aux pieds toute seule ? », interroge Nastasia Haftman, correspondante de TF1 en Italie, consciente que la précarité qu’elle a connue dans sa jeunesse a durablement entamé sa confiance en elle.

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« Pour eux, c’est sûr, je suis un tire-au-flanc » : en finir avec l’incompréhension du handicap au travail

En dépit de la loi du 11 février 2005 qui pose le principe d’égalité des droits et des chances, un salarié en situation de handicap a, dans les faits, souvent plus de difficultés à bénéficier de formations ou à gravir les échelons.

L’annonce du confinement au printemps dernier, une calamité ? Pas pour tous. Le 16 mars, lorsqu’Emmanuel Macron a demandé aux Français de limiter, pendant au moins quinze jours, leurs déplacements au strict nécessaire, Sofia (pour conserver leur anonymat, certaines personnes n’ont donné que leur prénom, d’autres l’ont modifié), elle, s’est presque frotté les mains. Tout le monde allait enfin prendre conscience de ce qu’elle vivait au quotidien.

Atteinte d’une sclérose en plaques depuis l’âge de 28 ans, cette quinquagénaire sait ce qu’est d’« être empêchée » d’agir en fonction de ses envies. En semaine, dans son entreprise du CAC 40, elle est une cadre supérieure comme les autres. Ou presque. Sa maladie ne se voit pas. Mais lorsqu’une crise surgit et que ses muscles endoloris la clouent au lit plusieurs jours d’affilée, Sofia n’est alors plus que l’ombre d’elle-même. Mais ça, personne ne le sait.

Pour toujours faire bonne figure au bureau, la mère de famille économise ses forces le week-end. Et renonce aux activités avec les enfants, aux sorties en amoureux ou aux dîners entre amis. « Ma vie sociale est réduite à peau de chagrin », se désole-t-elle.

Et Sofia de poursuivre : « En obligeant les gens à rester chez eux, en les privant de leur liberté de mouvement, le confinement a brusquement mis les bien portants sur un pied d’égalité avec les malades. Je me suis dit qu’ils allaient peut-être mieux nous comprendre. »

« Ils pensent que je fais ma princesse »

Sofia n’est pas la seule à se savoir, presque secrètement, « empêchée » sur son lieu de travail. Huit personnes en situation de handicap sur dix souffrent, comme elle, d’un handicap dit « invisible » (maladie chronique, traumatisme crânien, déficience visuelle ou auditive…), selon Ladapt (association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées). La plupart estiment être mal jaugés dans leur entreprise.

Un sentiment qui risque de s’aggraver dans les mois à venir. Selon une enquête de l’Agefiph-IFOP publiée le 23 septembre, 77 % des personnes en situation de handicap disent ne pas se sentir bien – fatigue, stress, inquiétudes… – depuis qu’elles ont repris le travail après le confinement.

L’incompréhension commence par des « plaisanteries ». A 28 ans, Aurélie est atteinte de narcolepsie – un trouble qui génère des d’accès de sommeil incontrôlables. Par chance, sa maladie n’est pas associée à une cataplexie. Autrement dit, la jeune femme sent quand elle a besoin de dormir. Au bureau, la journaliste est bien intégrée dans son équipe et peut, à tout moment, aller s’allonger dans une petite salle aménagée à cet effet. Mais Aurélie ne s’y rend quasiment jamais, de crainte d’essuyer les boutades de ses confrères : « Trop de chance ! », « T’es fatiguée à ton âge ? », « Tu fais quoi de tes nuits ? »

Vient ensuite le déni de la maladie. Directrice de clientèle dans une agence lyonnaise, Martine doit composer au quotidien avec une insuffisance rénale. Une pathologie qui lui provoque de l’asthénie (une sensation de fatigue intense) et des nausées fréquentes. Ses proches collaborateurs connaissent ses problèmes, mais ils ont une fâcheuse tendance à les oublier. « Je dois constamment leur rappeler qu’une réunion de deux heures, c’est au-dessus de mes forces ou qu’il faudra penser à me commander un menu spécial pour le déjeuner de service, soupire la quadragénaire. Je suis persuadée qu’ils pensent que je fais ma princesse. »

Actes de malveillance

Même ressenti pour Luc, qui doit de surcroît gérer la jalousie de ses pairs. Souffrant de maux de dos chroniques depuis un accident de moto, survenu l’hiver dernier, ce magasinier se retrouve dans l’incapacité de décharger les palettes trop lourdes. A la demande de la médecine du travail, le jeune homme assure donc la mise en rayon des produits alimentaires et commence plus tard que le reste de l’équipe. Un « privilège » qui attise le courroux de certains. « Pour eux, c’est sûr, je suis un tire-au-flanc », se désole le trentenaire.

Si Luc doit composer avec quelques regards noirs, d’autres sont victimes de véritables actes de malveillance. Eric en a fait les frais, voici quelques années. Souffrant d’une artérite des membres inférieurs entraînant des douleurs aiguës lors des efforts, ce facteur a été l’un des premiers à bénéficier d’un vélo électrique. A deux reprises, il a retrouvé ses pneus crevés.

« L’absence de visibilité du handicap laisse souvent penser aux autres que la personne n’est pas vraiment malade, soutient Olfa Jouini, médecin du travail. De là à en plaisanter, à occulter le problème, voire à estimer qu’elle pourrait, avec un peu de bonne volonté, travailler comme tout un chacun, il n’y a évidemment qu’un pas ! »

Des affections taboues

Longtemps ignorés dans la sphère professionnelle, les troubles cognitifs (difficultés à mémoriser, à s’organiser, à s’adapter…) ou psychiques (hystérie, schizophrénie, dépression…) constituent le summum de l’incompréhension. « Ils sont systématiquement perçus comme des traits de caractère, confirme François Chauchot, psychiatre. Telle personne n’est pas autiste, elle a “un poil dans la main”, et telle autre ne souffre d’aucun désordre bipolaire, elle est soupe au lait. »

Ces affections sont tellement taboues que le salarié préfère parfois les taire. Marc est atteint de troubles obsessionnels compulsifs discrets qui le ralentissent dans son travail. Pendant des années, il a préféré subir les foudres de son chef de service, plutôt que de révéler sa maladie. Au désespoir de sa responsable des ressources humaines, Patricia, qui le poussait à faire reconnaître son handicap, afin d’entamer un dialogue constructif avec sa hiérarchie.

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« Il arrive aussi qu’une personne ne soit pas consciente de ses problèmes de comportement, avance Patricia. Une situation difficile à gérer. Je me souviens d’une employée stigmatisée par ses collègues qui croyait dur comme fer être victime d’un complot. »

Le quotidien serait-il plus simple pour les individus porteurs d’un handicap visible ? Pas si sûr. « Le point positif est que personne ne doute de l’invalidité d’un salarié déficient moteur ou aveugle, explique la docteure Olfa Jouini. Il bénéficie d’un meilleur accompagnement, mais il est en revanche sans cesse ramené à son statut de travailleur handicapé. »

« Je compte pour une demi-portion ! »

Atteint de la maladie des os de verre, une affection génétique rare se traduisant par une petite taille et une fragilité osseuse, Hab-Eddine Sebiane se déplace en fauteuil roulant. Ce chargé de logistique événementielle a appris à vivre avec sa différence et ne s’estime pas le moins du monde entravé dans ses fonctions. Mais il regrette les nombreux préjugés sur la question du handicap.

« On est systématiquement réduit à cette singularité. On est une personne handicapée, avant d’être un bon informaticien, soupire ce père de deux enfants, pourtant peu enclin à s’apitoyer sur son sort. Je suis de bonne humeur ? C’est parce que je vis bien mon handicap. Je ne le suis pas ? J’ai forcément un problème avec ça. » Et d’ajouter : « On se sent parfois presque redevable à l’entreprise de nous avoir embauchés. »

Visible ou invisible, le handicap génère des discriminations dans l’entreprise. En dépit de la loi du 11 février 2005, qui pose le principe d’égalité des droits et des chances, un salarié en situation de handicap a, dans les faits, souvent plus de difficultés à bénéficier de formations ou à gravir les échelons.

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Atteinte d’une myopathie (un dysfonctionnement musculaire), Laure, opératrice de saisie dans la grande distribution, en est un parfait exemple. Sa hiérarchie a beau se dire « très satisfaite » de son travail, elle ne lui a jamais accordé le poste de secrétaire convoité. Pis : « Je ne suis pas conviée à certaines réunions. Je compte pour une demi-portion ! », plaisante-t-elle.

Aussi de belles histoires

Si Laure prend les choses avec le sourire, il n’en va pas de même pour tous. Pour se fondre dans la masse, certains vont redoubler d’efforts, au point de mettre leur santé en danger ou développer de vraies détresses psychologiques. D’autres vont, au contraire, se décourager et se désinvestir.

Comment ne pas en arriver à de telles situations ? Il faut former les responsables des ressources humaines et les manageurs à ces questions, créer un climat de confiance dans l’entreprise pour que les personnes concernées, ou celles susceptibles de le devenir, puissent s’exprimer librement et bénéficier d’un encadrement adapté, mettre en place des référents pour faciliter leur intégration… Bref, il faut dialoguer. Les lignes bougent, certes, mais il reste encore du chemin à parcourir.

Car le handicap, ce sont aussi de belles histoires. Comme celle d’Augustin, qui présente une défaillance intellectuelle. A 23 ans, le jeune Stéphanois intègre une entreprise comme « homme à tout faire ». A l’époque, il est timide et bafouillant. Anticipant de potentielles difficultés d’adaptation, le docteur Olfa Jouini rencontre en amont ses futurs collègues afin de les préparer à côtoyer le nouvel arrivant. Dix ans plus tard, Augustin est la mascotte du service. Et il vient de quitter le domicile parental pour emménager avec sa petite amie.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées)

L’Agefiph organise l’Université du réseau des référents handicap 2020 du 6 au 9 octobre. Pour vous y inscrire, rendez-vous ici.

« Mon secteur d’activité est mort » : le difficile combat des personnes licenciées en pleine pandémie de Covid-19

Manifestation a l’appel de la CGT, de Solidaires et de la FSU, à Paris, le 17 septembre 2020.

Depuis six mois, Isabelle* vit en apnée. « Il ne faut pas qu’il se passe quelque chose », s’inquiète la mère de famille de deux enfants, licenciée en août après dix années chez Derichebourg Aeronautics Services, un sous-traitant d’Airbus. Comment rembourser l’emprunt de la maison, si la situation perdure ? Comment payer l’activité sportive des enfants ? Comment se projeter dans les mois qui viennent ? « Je me pose des questions sur tout », confie l’ancienne salariée. « Le fait d’être licenciée pendant cette crise économique rend la situation encore plus difficile », ajoute la trentenaire, qui vit désormais avec les 1 100 euros net par mois que lui verse Pôle emploi.

Le 12 juin, son entreprise a signé avec le syndicat majoritaire un accord de performance collective (APC), impliquant une baisse de salaire pour elle de 300 euros net par mois, soit un revenu à 1 200 euros. La trentenaire a rapidement fait le calcul : en soustrayant les frais d’essence pour se rendre au travail, « il valait mieux être au chômage ». Comme les 160 salariés ayant refusé l’APC — soit plus de 10 % des effectifs —, Isabelle a été licenciée pour « cause réelle et sérieuse ». Une procédure qui la prive, contrairement au licenciement économique, de mesures d’accompagnement renforcé pour retrouver un emploi.

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Avec la crise économique induite par l’épidémie de Covid-19, ces accords se multiplient. Ces derniers mois, une quinzaine d’entreprises ont voté des APC ou sont en phase de négociation pour le faire, selon les chiffres communiqués au Monde par le ministère du travail. Des accords qui s’ajoutent aux plans sociaux, eux aussi toujours plus nombreux. Au 13 septembre, 394 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) étaient ainsi recensés depuis mars, contre 249 sur la même période en 2019. Cela représente près de 57 000 emplois supprimés, soit trois fois plus que sur la même période en 2019, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Quand ce ne sont pas des plans de licenciement, les entreprises ont recours à d’autres dispositifs (rupture conventionnelle, fin de période d’essai, non-renouvellement de CDD, etc.) pour un résultat similaire.

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« Virée » en visioconférence

Textile, hôtellerie, tourisme, automobile, aéronautique… des pans entiers de l’économie française sont touchés et 715 000 emplois ont été détruits en France au premier semestre, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Au total, d’ici à la fin de l’année, le gouvernement table sur une destruction de 800 000 emplois et un taux de chômage qui pourrait atteindre 11,1 % en 2021.

« Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et nos entreprises, quoi qu’il en coûte », avait assuré Emmanuel Macron dans son allocution du 12 mars. Moins d’une heure après cette déclaration, Zoé* a reçu un appel de son manageur l’informant de sa volonté de mettre fin à son CDI, signé six mois plus tôt. « Il ne m’a pas laissé le choix », se souvient la serveuse de 22 ans, qui était en arrêt maladie depuis janvier à la suite d’une grave blessure. Avec le recul des mois écoulés, Zoé se dit qu’elle aurait dû protester. « C’était ma première embauche, je ne connaissais pas mes droits, je me suis laissé broyer par la machine », constate la jeune femme.

A l’unisson, les salariés licenciés décrivent une « annonce violente », à laquelle ils ne s’attendaient pas. A l’instar de 600 collègues, Sandrine, 48 ans, a été « virée » pendant une visioconférence, après vingt-huit ans d’ancienneté. Christophe, 41 ans, cadre dans l’industrie, a appris son licenciement par courrier recommandé. Après deux mois de chômage partiel, Sonia, 44 ans, responsable de la communication dans l’immobilier, a appris par téléphone que son poste était supprimé. Elle n’est jamais retournée au bureau, ses affaires lui ont été renvoyées par La Poste.

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Entre baisses de salaire et reconversions

Passé le choc de l’annonce, tous doivent se confronter à un marché de l’emploi sinistré. « Tout est à l’arrêt », « mon secteur d’activité est mort », « c’est la pire crise jamais connue », constatent ces anciens salariés, qui s’adonnent avec zèle à l’envoi de CV et de lettres de motivation. Jacques, agent de voyages, âgé de 57 ans, n’en est pas à sa première « crise professionnelle ». En trente-cinq ans de métier dans le secteur du tourisme, il a connu cinq licenciements : la guerre du Golfe de 1991, la crise des « subprimes » en 2008, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010, les plans sociaux chez Thomas Cook en 2013 et la pandémie de Covid-19.

Avant cette crise sanitaire, le quinquagénaire assure avoir « toujours rebondi », sans connaître la moindre période de chômage. « Cette fois, c’est bien pire que tout ce que j’ai vu dans le passé, constate-t-il. C’est fini, je sais que je ne retrouverai pas de travail dans le tourisme. »

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Paul-Marie*, lui, travaillait dans un secteur prospère. Ce qui n’empêche pas ce manageur dans l’industrie médicale de faire le même constat : « Pour la première fois, j’envoie des CV et je n’ai pas de réponse. » Selon de nombreux cadres interrogés, les offres d’emploi concernent désormais des contrats de courte durée, avec des rémunérations revues à la baisse. « On m’a appelé pour une mission d’intérim de six mois à 15 euros brut de l’heure », déplore ainsi Christophe, qui gagnait plus de 3 000 euros net par mois avant son licenciement et perçoit désormais 1 900 euros d’allocation-chômage.

« C’est difficile de se disqualifier professionnellement », confie Paul-Marie, qui s’est vu proposer des baisses de salaire de 30 %. « Si j’accepte, je sais que je ne retrouverai pas mon salaire précédent avant plusieurs années », précise le père de famille, qui n’envisage pourtant pas de changer de métier. « J’aime mon travail, cela fait vingt ans que je le façonne », explique-t-il, résumant un avis partagé par de nombreux salariés expérimentés et diplômés. D’autant que « pour se reconvertir, il faut avoir du temps devant soi, estime Sonia, parisienne célibataire. Ce n’est pas accessible à tout le monde, surtout quand on est maman solo avec deux enfants à charge. » Pour financer sa formation de prothésiste dentaire, Isabelle, elle, a souscrit à un emprunt de 3 000 euros, ajoutant de la précarité à la précarité, et la privant de vacances en famille cet été.

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« Sans travail, je me sens amputé »

Si les répercussions financières sont plus ou moins pénalisantes selon les revenus de chacun, toutes les personnes interrogées ont dû revoir leur mode de vie. Christophe, qui fait tout pour que ses fils ne s’aperçoivent pas qu’il est au chômage, n’a plus les moyens de mettre chaque mois de l’argent de côté pour eux. Dans un an, Sonia ne touchera plus que 50 % de son salaire précédent et ne pourra plus payer son loyer parisien. Quant à Zoé, avec ses 850 euros d’allocation-chômage par mois, elle retrouvera ses habitudes de vie étudiante, « en mangeant des pâtes aux lardons ».

Quel regard portent les proches sur leur ami, frère, compagnon qui se retrouve soudainement au chômage ? Si la majorité des personnes interrogées évoquent la bienveillance de leurs proches, d’autres décrivent « une image sociale dégradée », qui s’ajoute à leur propre regard dépréciatif sur la situation. « Sans travail, je me sens amputé, je ne sais pas faire », confie Paul-Marie. « J’ai toujours voulu être un modèle d’indépendance pour mes deux filles, en ne travaillant plus, j’ai peur de l’image que je leur renvoie », s’inquiète Sonia. Pour ses filles, la mère de famille est déterminée à « sortir de ce tourbillon noir », désireuse de leur montrer que les périodes de turbulence peuvent aussi être « l’occasion de se réinventer ».

* Les prénoms ont été modifiés.

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Université : il faut « profiter de la crise sanitaire que nous traversons pour (re)penser la formation »

La formation à distance s’est imposée avec une grande brutalité, à l’occasion d’une situation sanitaire exceptionnelle, comme un substitut à l’enseignement présentiel, alors même que l’immense majorité des enseignants et des étudiants n’avaient auparavant ni la volonté, ni les besoins, ni les moyens de l’utiliser, constate un collectif d’universitaires.

« Quand Saint-Jul’ fermera, ça fera très mal » : l’inquiétude des salariés de l’usine Daher

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Publié aujourd’hui à 00h47, mis à jour à 09h06

Comme chaque midi, Stéphanie (qui n’a pas souhaité donner son nom) sort du Carrefour Market avec une salade de pâtes et une bouteille d’eau. Depuis cet été, un sticker noir « Non à la fermeture de Saint-Julien » recouvre le logo Daher cousu sur sa veste polaire.

La quinquagénaire, embauchée en 2000, a été la première femme de son usine à faire les trois-huit. « J’étais à la découpe de tissus, du Plexi puis de la fibre carbone et je gagnais très bien ma vie. » Mais une blessure à l’épaule la conduit à reprendre des horaires classiques. Un coup dur alors qu’elle vient d’acheter une maison : « Mon salaire a baissé, j’ai frôlé le surendettement. Je devais faire attention à tout. » Après vingt ans d’ancienneté, Stéphanie gagne 1 600 euros net, sans compter le treizième mois. « Quand Saint-Julien fermera, parce qu’il faut pas rêver, ça fera très mal. J’ai pas fini de payer ma maison, mes parents sont âgés… Impossible de déménager. »

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En annonçant le 25 juin vouloir restructurer ses sites de production pour lutter contre une surcapacité industrielle, l’équipementier aéronautique Daher a acté son départ de Saint-Julien-de-Chédon (Loir-et-Cher), sous deux ans.

C’est à « Saint-Jul’ » que sont produits des pièces de moteur pour l’A350, des carénages pour Airbus Helicopters et des morceaux de jets privés Gulfstream. Le tout en matériaux composites. « Et on se débarrasse dans la foulée d’un bureau d’études stratégique, là où naissent nos prototypes, là où les ouvriers montent sans crainte pour soumettre des idées, explique un cadre qui, comme nombre de ses collègues inquiets, préfère l’anonymat. Daher promet de le dupliquer à Nantes. Mais ça nous a pris quinze ans pour créer un tel écosystème ! En voulant faire des économies, ils prennent un gros risque. »

« Daher nous tue »

Les premiers effets économiques et sociaux de la crise sanitaire se font sentir : tous les intérimaires ont déjà disparu de l’usine et le chômage partiel s’applique plus ou moins fortement selon les ateliers. Sur les 304 postes en CDI, il est prévu d’en supprimer 50 au premier semestre 2021. Puis s’opérera le transfert d’environ 80 salariés vers les sites Daher de Tarbes et de Nantes.

A titre exemple, sur les six postes d’opérateurs ultrasons de Saint-Julien, chargés de déceler la moindre aspérité dans les matériaux, quatre seront supprimés et deux délocalisés. Sur les grilles de l’usine bordant la D976 qui relie Tours à Vierzon (Cher), des draps tagués sont étalés. On y lit : « Daher nous tue », « Daher en rêvait, le Covid l’a fait ».

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Ecologie, compétitivité, emploi… Un budget 2021 à l’épreuve de la crise sanitaire

Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire, Olivier Dussopt et Alain Griset, dans la cour de l’Elysée, le 7 juillet.

Ce devait être le budget de la relance, une manière pour le gouvernement de montrer qu’il est à la manœuvre pour soutenir l’économie, mais aussi de dessiner la France de la fin du quinquennat. L’évolution récente de l’épidémie de Covid-19 va-t-elle tout faire dérailler ?

La présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2021, lundi 28 septembre en conseil des ministres, centrée sur le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté au début du mois, intervient quelques jours après l’annonce d’un durcissement inattendu des restrictions sanitaires.

Pourtant, pas question pour le gouvernement de donner l’impression de naviguer à vue. « Le budget que nous présentons est un budget de relance. Il répond à l’urgence immédiate de dizaines de milliers d’entrepreneurs qui ont besoin de l’Etat pour faire face à la crise. Mais il prépare surtout l’avenir des Français », a assuré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, lundi matin. « Cela ne remet pas en cause la façon dont le plan de relance a été conçu, la nécessité de renforcer la compétitivité des entreprises et de mettre la priorité sur l’emploi », défend son entourage.

Le plan, qui mêle investissements, mesures immédiates pour l’emploi et baisse d’impôts pour les entreprises, vise à faire revenir l’économie en 2022 à son niveau d’avant-crise, mais aussi à « bâtir la France de 2030 ».

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Pour le moment, le budget 2021 ne prévoit pas de révision du niveau de récession attendu cette année et l’an prochain. Le PIB devrait se contracter de 10 % en 2020, avant de rebondir de 8 %. « Dans notre prévision 2020, plus prudente que celle de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] ou de l’Insee, nous avions prévu un retour des conditions sanitaires compliquées, ainsi que les incertitudes internationales [perturbations du commerce mondial, élections américaines, Brexit…] », assure-t-on à Bercy.

Rebond incertain

Dans son avis sur le texte, publié lundi, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) souligne toutefois que « les incertitudes demeurent exceptionnellement élevées ». En particulier, « l’ampleur du rebond prévu pour 2021 est volontariste », note le HCFP, qui craint que l’investissement privé et public ne soit pas dopé autant que prévu par le plan de relance.

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Dans ce contexte, comment construire un budget ? « C’est particulièrement compliqué, car on a des inconnues des deux côtés : l’Etat va perdre des recettes non encaissées à cause de la crise [impôts, cotisations] et, en même temps, voir ses dépenses augmenter », indique Emilie Cariou, députée ex-La République en marche (LRM) de la Meuse. « On n’a plus de budget ! Le gouvernement fait de la relance, ce qui est nécessaire, mais sans indication sur la manière de la financer », déplore de son côté Eric Woerth, le président (Les Républicains, LR) de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

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