Digitalisation des emplois : « Il existe un grand lien avec le sentiment d’insécurité économique et les comportements politiques »

Digitalisation des emplois : « Il existe un grand lien avec le sentiment d’insécurité économique et les comportements politiques »

Quatre experts de Sciences Po expliquent, comment le trumpisme, le Brexit et le mouvement des « gilets jaunes » sont le reflet de la défiance de travailleurs menacés par la robotisation

Les « gilets jaunes », si divers soient-ils, partagent un véritable nombre de traits communs, les fins de mois difficiles, le sentiment d’être pris en étau dans leur vie quotidienne et professionnelle, et une révolte contre les politiques en place. Même s’ils ont un travail, un logement, une voiture, ils sont à la merci du moindre imprévu et voient leur horizon de plus en plus bouché. Cette révolte contre les conditions de vie et d’emploi faites de plus en plus pénibles pour certains groupes sociaux n’est pas particulière à la France. Elle se retrouve derrière les ruptures politiques à l’œuvre dans la plupart des démocraties des pays développés : montée des partis extrémistes et antisystème dans la plupart des pays européens, Brexit en Grande-Bretagne, trumpisme aux Etats-Unis.

Qui sont ces groupes sociaux ? Le paradoxe déjà articulé à propos des « gilets jaunes » tient au fait que ce ne sont pas ceux qui sont les plus pauvres, les plus précaires qui protestent, mais plutôt ceux qui se sentent alarmés de le devenir.

Cela est à mettre en dépendance avec l’évolution générale du marché du travail, qui voit progressivement disparaître les emplois intermédiaires, ceux justement occupés par ceux qui se sentent menacés. Dans un article à paraître (« The losers of automation, a reservoir of votes for the radical right », Research and Politics, 2019), nous démontrons le lien fort qui existe entre la menace de la numérisation, la sensation d’insécurité économique et les comportements politiques qui en résultent.

Concentration du marché du travail

On a abondamment pensé que le progrès technologique avait surtout un impact sur les emplois les moins qualifiés. Cependant, depuis le début des années 1990, ce sont plutôt les emplois intermédiaires qui disparaissent (David Autor, Frank Levy et Richard Murnane, « The Skill Content of Recent Technological Change : An Empirical Exploration », The Quarterly Journal of Economics, novembre 2003). Les ordinateurs, les robots sont capables d’effectuer des tâches programmables. Dès lors, ils remplacent les tâches routinières qui caractérisent plus souvent les emplois intermédiaires, aussi bien dans les usines que dans les services. La robotisation a d’abord touché les emplois ouvriers des usines, ceux que pouvait facilement remplacer la machine. Sur les chaînes de montage, des robots surveillés par quelques ingénieurs en blouse blanche ont succédé aux ouvriers. Ces derniers représentaient 40 % de la population active française dans les années 1960, ils sont 20 % aujourd’hui, dont plus de 70 % travaillent dans le tertiaire (manutention, nettoyage, transports). Les ouvriers d’industrie nettement dits comptent pour moins de 10 % des actifs. Maintenant c’est le tour des emplois en col blanc aux qualifications intermédiaires d’être menacés par l’informatique et le développement de l’intelligence artificielle.

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LJD

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