« L’intensification du travail, longtemps niée, est à présent posée comme inéluctable »
Bien des débats actuels dans les domaines du travail et de l’emploi sont à relier, selon nous, à une fragilisation des usages du temps dans la vie professionnelle. Un « modèle de la hâte » marque l’évolution du travail dans les pays industrialisés depuis une trentaine d’années, avec ses traits bien décrits par les enquêtes statistiques et les chercheurs de plusieurs disciplines : raccourcissement des délais, cumul de contraintes de temps plus ou moins (in)compatibles entre elles, tâches imprévues, horaires plus dispersés, accélération des changements et des mobilités.
Dans les décisions en entreprise ou les politiques publiques, ce modèle est souvent tenu pour intouchable. En témoigne la rareté des débats à ce propos. L’intensification du travail, longtemps niée, est à présent posée comme inéluctable : ainsi va la compétition économique ou, dans l’administration, l’usage « rationalisé » des deniers publics.
Pourtant, si on s’intéresse par exemple aux difficultés de recrutement et de fidélisation, on se confronte aussitôt aux conditions temporelles de l’accueil et de la transmission des savoirs professionnels. On peut penser à cette aide-soignante, peu désireuse d’encadrer une nouvelle collègue, parce qu’elle-même manque de temps pour cela et parce qu’elle hésite sur ce qu’il faut lui montrer : comment faire une « belle toilette » au patient, ou bien comment se montrer expéditive ?
Mal-être des encadrants
Si l’on veut mieux comprendre l’impopularité d’un recul de l’âge de la retraite, il faut avoir à l’esprit que la répétition des urgences, dans le travail lui-même ou dans ses transformations, est davantage problématique quand l’âge avance, parce qu’elle compromet la mise en œuvre des ressources de l’expérience. C’est pour cela que bien des assistantes de direction, par exemple, jugent ce métier éprouvant à la cinquantaine passée, et tentent d’accéder à une fonction plus calme –, mais au prix d’un moindre intérêt au travail. Autant de raisons de ne pas vouloir prolonger sa vie professionnelle…
Si l’on se préoccupe des signes de mal-être chez des encadrants, on doit prêter attention à la contradiction qu’il leur faut gérer entre, d’une part, une batterie de plus en plus rigoureuse d’indicateurs de performance et, d’autre part, une responsabilité accrue quant à la qualité de vie au travail de leurs équipes. Ce qui aboutit entre autres, pour des responsables de service administratif, à « laisser leur porte ouverte », afin d’être approchés à tout moment par les subordonnés, mais aussi, et en conséquence, à étendre leurs horaires pour s’isoler et traiter des dossiers épineux, tôt le matin et/ou tard le soir.
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