« L’Etat développe dans le secteur public un travail invisible et gratuit »

« L’Etat développe dans le secteur public un travail invisible et gratuit »

Reprenant les déclarations de Gabriel Attal sur « les coûts évités par l’Etat grâce aux associations », la sociologue Maud Simonet dénonce, dans une tribune au « Monde », le recours croissant au bénévolat pour assurer à moindre frais les tâches de service public

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 3 min.

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« Comme l’aurait sans doute déploré Coluche, non seulement nous avons toujours des bénévoles aux Restos du cœur, mais il y en a aussi.. dans les écoles, ainsi que des volontaires en service civique,... dans les hôpitaux, les préfectures, les agences Pôle Emploi » Photo:  Une bénévole du Resto du coeur à Nantes.
« Comme l’aurait sans doute déploré Coluche, non seulement nous avons toujours des bénévoles aux Restos du cœur, mais il y en a aussi.. dans les écoles, ainsi que des volontaires en service civique,… dans les hôpitaux, les préfectures, les agences Pôle Emploi » Photo:  Une bénévole du Resto du coeur à Nantes. Alain Le Bot / Photononstop

Tribune. Formulée la veille d’Halloween, la déclaration de Gabriel Attal, secrétaire d’Etat à l’éducation nationale, sur « les coûts évités par l’Etat grâce aux associations » en a, à juste titre, épouvanté plus d’un. « Si l’Etat gérait ce que font les 70 000 bénévoles des restos du cœur, si c’était des permanents payés au SMIC par l’Etat, cela coûterait 200 millions d’euros par an », a affirmé mercredi 30 octobre M. Attal lors de son audition par la commission culturelle de l’Assemblée Nationale. « Ce sont des bénévoles, c’est une économie », a-t-il ajouté, soulignant qu’à ce titre les associations étaient « une chance et pas seulement un coût pour l’Etat ».

Il y a, en soi, une certaine violence à mettre ainsi en équivalence les valeurs civiques (l’attention aux autres, le sentiment d’injustice, le militantisme) qui poussent certaines personnes à s’engager aux Restos du cœur (ou ailleurs), et la valeur monétaire des économies réalisées par l’Etat grâce à ces engagements. Mais cette violence symbolique ne prend-elle pas une signification bien particulière, finalement politique, quand cette équivalence est ainsi formulée depuis les sommets de l’Etat ? Car le problème principal posé par cette déclaration est sans doute, non pas ce qui est dit à proprement parler, mais qui dit cela…

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Que le bénévolat ne soit pas seulement de l’engagement et de la citoyenneté mais aussi du travail, du travail invisible et gratuit qui fait bel et bien fonctionner nos associations mais aussi nos services publics (et, de façon croissante depuis le développement d’internet, nos entreprises également), ce n’est pas la sociologue du travail que je suis qui le contredirait. Que certaines associations ou certains statisticiens puissent vouloir valoriser monétairement le travail bénévole pour rendre visible son poids social et sa valeur économique, comme les féministes l’ont fait il y a plus de 40 ans avec le travail domestique, cela se comprend aussi aisément.

Des statuts hybrides entre bénévolat et salariat

Mais qu’un représentant du gouvernement puisse, selon ses propres termes, « défendre assos et bénévoles » au moyen de cet argument est pour le moins perturbant. Car il manque un chaînon au raisonnement : l’Etat, en effet, ne fait pas qu’utiliser le travail des bénévoles des Restos du cœur comme de tant d’autres associations, il le suscite…

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Depuis des années, les pouvoirs publics développent de véritables politiques du bénévolat en soutenant le développement de cette pratique dans tel ou tel secteur, en le valorisant par différents dispositifs (valorisation des acquis de l’expérience, compte d’engagement citoyen…), en l’intégrant dans la mise en œuvre des politiques publiques (dispositif réussite éducative, réforme des rythmes scolaires…), en créant de nouveaux statuts hybrides entre bénévolat et salariat comme les différents types de volontariats devenus en 2010 service civique, lui-même étendu en 2015 aux services publics.

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LJD

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