Les solutions du Sénat pour améliorer la justice prud’homale

Les solutions du Sénat pour améliorer la justice prud’homale

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Manque de moyens, manque de reconnaissance, manque d’efficacité… Les quelque 210 conseils de prud’hommes, chargés de trancher les litiges entre salariés et employeurs, sont en toute petite forme, malgré les réformes adoptées au cours des dernières années dans le but d’améliorer leur fonctionnement.

Pour tenter de résoudre ces difficultés, une mission conduite par quatre sénatrices vient de formuler une cinquantaine de préconisations, balayant un spectre extrêmement large. Leur principal objectif est de faire en sorte que la justice du travail cesse d’être « au milieu au gué », selon la formule employée par les corapporteuses Agnès Canayer (LR), Nathalie Delattre (RDSE), Corinne Féret (PS) et Pascale Gruny (LR).

Les conseils de prud’hommes (CPH) font « figure d’exception en Europe ». Ils sont composés de juges non professionnels représentant, à parité, les salariés et les employeurs. Dans les Etats voisins, la situation est très différente puisque les magistrats de carrière sont beaucoup plus présents au sein des tribunaux habilités à traiter les différends relatifs à l’exécution du contrat de travail.

Autre singularité forte, comme le rappelle le rapport : « La fonction première du CPH est la conciliation, le jugement n’intervenant en principe qu’à titre subsidiaire. » Mais dans les faits, il est rare que les parties en présence parviennent à trouver un terrain d’entente. En moyenne, seules 8 % des affaires sont résolues de cette manière – certains CPH parvenant à faire mieux (26 % au maximum) tandis que dans d’autres, le taux est nul.

Des délais « relativement longs »

Bien que le flux de contentieux nouveaux décroissent (– 43 % entre 2005 et 2018), les conseillers prud’homaux continuent de rendre des jugements dans des délais « relativement longs » : 16,3 mois en moyenne (en dehors des actions en référé) et presque deux fois plus si le dossier remonte en « départage », c’est-à-dire devant une formation présidée par un magistrat professionnel (avec la présence de conseillers salariés et employeurs).

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Derrière ces statistiques se cachent de profondes disparités. Certains conseils se prononcent en moins de six mois en moyenne (Saint-Omer, Louviers), d’autres en deux ans ou plus (Bobigny, Lyon, Créteil, Nanterre…). Ceux qui statuent promptement sont « généralement de petite taille, [avec] peu d’affaires nouvelles », mais il n’en va pas toujours ainsi : Vannes, par exemple, détient le record de lenteur (près de trois ans), alors que le nombre des saisines y est modeste (222 en 2017).

« Il semble donc que les délais de jugement de chaque CPH dépendent davantage de facteurs liés à son bon fonctionnement interne qu’au volume du contentieux qu’il a à traiter ou [aux effectifs] de conseillers prud’hommes en leur sein », estiment les auteures du rapport.

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« Manque d’acceptabilité des jugements »

Pour ne rien arranger, les recours tendent d’autant plus à s’éterniser que les décisions prud’homales sont, aux deux tiers, frappées d’appel. Ce ratio très élevé est imputable à plusieurs facteurs, dont l’un « pourrait » tenir au « manque d’acceptabilité des jugements », du fait de « l’insuffisance de leur motivation ». Bon nombre de magistrats professionnels trouvent, en effet, que la rédaction des décisions prud’homales « est trop souvent lacunaire », rapporte la mission sénatoriale.

Une partie de ces problèmes résulte de l’inadaptation des ressources accordées aux CPH. « Les équipes de greffes sont parfois très réduites », tout comme les outils informatiques mis à la disposition des juridictions. Dans plusieurs endroits, la salle d’audience ne permet pas de « rendre la justice dans les conditions de solennité qui seraient souhaitables ». Mais d’autres éléments jouent, en particulier la formation des conseillers prud’homaux, qui peut s’avérer « insuffisante ». Et les relations « souvent difficiles » que ceux-ci entretiennent avec les juges professionnels compliquent singulièrement la donne, quand il s’agit de juger des dossiers en départage.

Tous ces constats « appellent des évolutions nécessaires », conclut la mission sénatoriale, en égrenant 46 propositions, d’importance inégale. Certaines d’entre elles relèvent du symbole, comme celle recommandant le port de la robe pour les juges prud’homaux (en lieu et place de la médaille). Trois des quatre sénatrices plaident, par ailleurs, pour que l’institution change de dénomination et s’appelle, à l’avenir, « tribunal de prud’hommes », afin de renforcer sa « dimension juridictionnelle ».

Des solutions nouvelles

Les auteures insistent beaucoup sur la nécessité d’étoffer les compétences des conseillers prud’homaux. C’est pourquoi elles suggèrent de les soumettre à une « obligation de formation continue », assurée par l’Ecole nationale de la magistrature, et de leur ouvrir certains des cursus proposés par cet établissement.

Plusieurs idées sont également défendues pour que les CPH exercent leur office dans de meilleures conditions. Ainsi, ils doivent bénéficier de l’accroissement des crédits du ministère de la justice, afin que leurs moyens soient mis à niveau (locaux, matériel informatique, dépenses de fonctionnement courant, effectifs de greffe, etc.). Dans cette même optique, l’indemnisation des juges prud’homaux mériterait d’être revue à la hausse, de manière à ce qu’ils préparent mieux les audiences en amont et participent à des réunions de travail leur permettant de s’aguerrir.

Enfin, des solutions nouvelles sont mises en avant afin que les procédures soient plus performantes. Exemple : renvoyer directement l’affaire en départage (donc devant une formation présidée par un juge professionnel) si les parties le demandent. Par ailleurs, la conciliation ne devrait plus être une étape obligatoire, puisque celle-ci « s’effectue (…) bien souvent en dehors des CPH » (transactions, rupture conventionnelle qui permet à un salarié et à un patron de se séparer d’un commun accord).

Désigner des magistrats professionnels

Il conviendrait aussi d’expérimenter des réformes plus profondes, à l’échelle de quelques juridictions : confier systématiquement les dossiers complexes à la formation de départage, désigner des magistrats professionnels dans les CPH et des conseillers prud’homaux dans les cours d’appel…

L’une des questions, maintenant, est de connaître le sort qui sera réservé à ces préconisations. Elles seront portées à la connaissance de la chancellerie afin de voir dans quelle mesure elles peuvent s’intégrer dans son agenda. Elles pourraient aussi servir de base à des amendements ou à une proposition de loi.

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LJD

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