« Les multinationales sont loin d’avoir tiré les conséquences géopolitiques de leur puissance nouvelle »
Il est un discours largement répandu dans la communauté des économistes selon lequel les politiques publiques seraient l’alpha et l’oméga des équilibres macroéconomiques. Les entreprises n’auraient pas de rôle dans la régulation et se contenteraient d’appliquer les règles qu’on leur donne ; la rationalité jamais démentie de l’actionnaire commanderait ainsi la stratégie, conformément à la régulation imposée.
C’est une vision évidemment simpliste et empiriquement fausse, qui présente l’inconvénient d’effacer trois réalités au cœur de l’économie contemporaine. Premièrement, dans les dernières décennies, les grandes entreprises ont gagné en taille à l’international et en dimension financière, au point de disposer d’une autonomie de décision qui leur confère un pouvoir de marché considérable, comme on le voit tous les jours dans le secteur de la technologie ou des matières premières. Deuxièmement, les grandes entreprises prospèrent sur la base de coûts cachés (émissions de carbone, empreinte environnementale, exploitation de différentiels sociaux avantageux, dumping fiscal), qui ne sont pas pris en compte dans la régulation globale. Troisièmement, la puissance institutionnelle des entreprises pèse sur les politiques publiques et les oriente plus souvent en faveur de l’optimisation des rendements que de la préservation des biens communs et des équilibres sociétaux.
C’est pour ces raisons que le courant dit « de la responsabilité sociétale de l’entreprise » a été inventé à la fin du XXe siècle, notamment par les organisations internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques et les Nations unies, pour tenter de concilier une économie de libre entreprise, qui confie aux administrateurs la prise de décision appropriée à leurs intérêts, avec « la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux », consacrée en ces termes par la loi Pacte de 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.
Liberté et démocratie
En considérant que c’est à la loi de fixer les objectifs de décarbonation d’entreprises privées comme TotalEnergies, les économistes nient la liberté de ces grands groupes de se donner des objectifs qui visent plus que le rendement d’opportunité. Cette vision très « friedmanienne » des macroéconomistes n’est pas seulement datée, elle est profondément périlleuse du point de vue de la défense de la libre entreprise et de l’économie de marché, qui font partie des fondamentaux occidentaux de la démocratie politique. Si celle-ci n’inclut pas un volet citoyen dans l’économie, il n’y aura alors qu’un modèle de capitalisme, celui que chaque Etat souverain contrôle ou pilote comme il souhaite !
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