« Les Français télétravaillent moins que les autres mais sont satisfaits de leur situation »
La révolution du travail à distance est un cas d’école de diffusion d’une innovation structurelle dans l’économie. Sa généralisation est une évolution majeure qui bouleverse toutes les dimensions du travail : productivité, insertion, représentation syndicale, management, etc.
Les possibilités technologiques – déploiement du haut débit et applications de visioconférence – existaient depuis plusieurs années, mais elles n’étaient que très peu utilisées du fait d’une organisation du travail reposant sur des habitudes passées. Elles se sont naturellement diffusées lorsque le besoin a soudainement émergé. Les confinements imposés par la pandémie ont non seulement conduit le monde du travail à s’approprier ces outils, mais surtout ils ont changé durablement les comportements.
Une enquête internationale, menée fin 2021 par Nicholas Bloom et son équipe auprès de salariés ayant une formation initiale minimale dans vingt-sept pays, révèle que le travail à distance représentait 1,5 jour de travail par semaine (« Working from Home Around the World », août 2022). Même en tenant compte des différences de structure par âge et par niveau d’éducation, les écarts entre les pays sont significatifs. Supérieur à 2 jours dans des pays tels que le Royaume-Uni, l’Australie ou le Canada, le temps dévolu au travail à distance ne représentait que 1,3 jour en France, en Autriche ou en Espagne.
Les Français télétravaillent moins que les autres mais sont satisfaits de leur situation. Quand, dans la même enquête, on les interroge sur leurs souhaits pour le futur, ils maintiennent une moyenne de 1,3 jour par semaine et se distinguent des autres pays par leur peu d’appétence quant à l’éventualité d’un passage à 2 ou 3 jours par semaine.
Gain de temps
Une partie de l’explication se trouve dans l’analyse, par la même équipe d’économistes, de l’utilisation du gain de temps engendré par le travail à distance (« Time Savings when Working from Home », janvier 2023). Pour la France, les chercheurs estiment qu’une journée télétravaillée fait gagner plus d’une heure de temps, essentiellement par l’élimination du trajet entre le domicile et le travail. Mais ils estiment aussi que 44 % de ce temps gagné est utilisé… pour travailler dans le cadre de son emploi principal ou d’un autre emploi, et n’est consacré aux loisirs qu’à hauteur de 26 %.
Là encore, les Français diffèrent des autres, qui consacrent une part plus faible de leur gain de temps au travail : 31 % en Allemagne et en Espagne, 35 % en Autriche et en Suède et 38 % au Royaume-Uni. On retrouve ainsi un phénomène bien décrit par Maëlezig Bigi et Dominique Méda dans l’un des chapitres de Que sait-on du travail ? (Presses de Sciences Po, 608 pages, 22 euros) : comparé aux autres, les Français accordent davantage d’importance à leur travail, mais souffrent de conditions de travail relativement moins bonnes.
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