Les congés forcés de L’Escale, le plus grand routier de France : « Entre les congés du personnel et l’absence de candidats pour travailler, je n’y arrivais plus »
Il n’y a qu’ici qu’on entend pareille discussion. « La sortie 11 ? C’est pas Brion-La Champenoise ? T’es sûr ? On parie ? » Thierry, chauffeur routier, bientôt quarante ans de métier, tend son immense paluche vers son voisin qui hésite, soudain saisi d’un doute… Nous sommes le 21 août, jour de réouverture de L’Escale, le plus grand restaurant routier de France, l’un des plus imposants d’Europe. Une institution située à Déols, à cinq minutes au nord de Châteauroux (Indre), créée en 1937, face à l’ancienne base aérienne américaine. L’autoroute A20 entre Montauban et Vierzon, passage obligé entre Barcelone et Amsterdam, se trouve à quelques centaines de mètres.
Ici, on sert jusqu’à sept cents repas dans une journée. L’Escale propose trois espaces : la brasserie, le restaurant, deux salles de banquet et de séminaire. Fier de son titre de maître restaurateur, Dominique Thomas, 65 ans, propriétaire depuis 2006, porte beau, chemise-cravate et boots de cow-boy. « Tout est fait maison, la pâtisserie, la soupe de poissons, la boucherie, les petits déjeuners, et même les frites, 80 kilos par jour ! », assure-t-il en faisant visiter les lieux au pas de course. Un des dix-huit cuisiniers et six pâtissiers décroche son téléphone : « Pour samedi ? cinquante personnes ? O.K., pas de problème ! »
Entrée-plat-dessert, 24 euros pour le commun des mortels et 15,50 euros pour les chauffeurs qui, la journée, n’ont droit qu’à quarante-cinq minutes de pause. Le choix est vertigineux : à la brasserie, sept entrées, huit plats, dix-sept desserts. A la carte, huit autres plats de viande et une liste longue comme le bras de fruits de mer, le homard étant l’emblème de la maison. Le 6 août, L’Escale a fermé ses portes pour deux semaines – pour la première fois de son existence. La faute au manque de personnel.
« Une seconde maison » pour des chauffeurs
« L’été dernier, on a refusé plus de 3 000 repas en direct et je ne sais combien de réservations au téléphone, c’était terrible », se souvient Dominique Thomas, patron et poète à ses heures : on trouve une entrée baptisée « Le temps passe, les œufs durs ». Il impose la chaîne Arte à la brasserie et a apposé à l’entrée de l’établissement deux citations de Platon et de l’historien du XIXe siècle Jules Claretie. « Entre les congés du personnel et l’absence de candidats pour travailler, malgré toutes mes démarches, je n’y arrivais plus. Donc, cette année, dès le mois de février, j’ai anticipé et décidé que nous allions fermer. » Il n’est pas le seul à observer que « les gens ne veulent plus faire un métier qu’ils jugent aussi contraignant ». En avril, Pôle emploi constatait que « serveur de café et de restaurant » était le métier le plus recherché par les employeurs.
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