Le système D des travailleurs en situation irrégulière : « J’ai travaillé avec les papiers de mon cousin qui ne me ressemble pas du tout »
Cela fait plus de dix ans qu’il est en France. Et autant de temps qu’il travaille, comme gardien d’immeuble dans la région parisienne, maçon, auxiliaire de vie dans l’Ariège ou, depuis décembre 2020, comme ripeur et balayeur en Seine-Saint-Denis. Mais jamais il n’a été embauché sous son vrai nom. Pour cause : Mohamed Traore est un sans-papiers. Pour réussir à trouver un emploi déclaré, ce Malien de 38 ans – diplômé en droit des affaires dans son pays – a eu recours à un subterfuge répandu parmi ceux qui sont dépourvus de titre de séjour : il a présenté les documents d’identité de quelqu’un d’autre, en situation régulière. On appelle ça « travailler sous alias ». C’est la seule façon de cumuler des bulletins de paye et de pouvoir, à terme, prouver son travail et prétendre à une régularisation auprès d’une préfecture.
Alors qu’un vaste mouvement de grève de plus de 600 travailleurs sans papiers a été déclenché, mardi 17 octobre en Ile-de-France, à l’appel du syndicat CGT, la présence de ces grévistes – intérimaires pour la majorité – dans une trentaine d’entreprises des secteurs du bâtiment, de la logistique, des déchets, de la distribution ou encore du nettoyage, met de nouveau en lumière l’ampleur du travail des sans-papiers et l’hypocrisie du système qui les ignore, ou feint de les ignorer.
Simultanément, une vingtaine de travailleurs ou anciens travailleurs sans papiers employés par des sous-traitants de Bouygues sur les chantiers des Jeux olympiques (JO) ou du Grand Paris, appuyés par le syndicat CNT-SO et plusieurs collectifs de sans-papiers, ont brièvement occupé le chantier de l’Arena, porte de la Chapelle, censé accueillir des épreuves des JO 2024.
Pour travailler, tous ces ouvriers ont eu recours à des « alias » ou à des faux documents, la plupart du temps au su, disent-ils, de leur employeur.
« Le chef d’équipe, c’est sûr qu’il sait »
Mohamed Traore fait partie des grévistes accompagnés par la CGT. Depuis qu’il est en France, il a travaillé sous quatre identités différentes. Et, il n’en doute pas une seconde, aucun de ses patrons n’était dans l’ignorance. « En 2013, quand j’étais gardien dans des immeubles HLM, j’ai d’abord travaillé avec les papiers de mon cousin qui est métis et ne me ressemble pas du tout, relate-t-il. Puis, au bout de quelques mois, mon cousin ne voulait plus prendre de risques alors j’ai apporté à mon employeur un autre titre de séjour, celui d’un ami. » Le patron n’a pas moufté. Il a juste changé le nom sur les nouveaux bulletins de paye. Mohamed a même pu signer un CDI. En revanche, quand, au bout de cinq ans de présence sur le territoire, il a demandé à son patron d’appuyer sa demande de régularisation – en attestant notamment auprès de l’administration de sa présence dans l’entreprise – ce dernier l’a licencié sans autre forme de procès.
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