« La réforme des retraites générera d’importantes recettes sociales et fiscales si les entreprises jouent le jeu du maintien des “vieux” en activité »
Voici la France replongée dans le grand maelström des retraites après la présentation d’une nouvelle réforme, mardi 10 janvier, par la première ministre, Elisabeth Borne. A la « mère des réformes » répondra la « mère des batailles ». Elle débutera jeudi 19 janvier par une journée nationale d’action, à l’appel des syndicats coalisés contre le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, mesure-clé d’un énième plan qui en appellera d’autres au plus tard après 2030.
Il fut un temps où retraite rimait avec progrès social. C’était en 1981, quand la gauche instaura cet âge pivot à 60 ans. Elle revenait sur le programme du Conseil national de la Résistance lui-même, qui l’avait fixé à 65 ans – l’espérance de vie moyenne des hommes en 1945 ! C’est « une aspiration sociale ancienne qui n’a pas reçu jusqu’à présent une réponse satisfaisante » et « un véritable droit au repos que les travailleurs sont fondés à revendiquer », plaidait l’ordonnance du 26 mars 1982, avec des accents lyriques fleurant bon le Front populaire.
Tant pis si la réforme ignorait la loi d’airain du vieillissement de la population et de l’allongement de la période de retraite. L’espérance de vie était alors de 70,7 ans pour un homme et de 78,9 ans pour une femme ; l’un et l’autre ont gagné neuf et six ans depuis. On comptait 2,8 cotisants pour 1 retraité ; le ratio tombera à 1,5 en 2040 et 1,2 en 2070. Cela ne condamne pas le système, supportable à l’horizon 2070, pour peu que la France accepte de ne plus être, avec l’Italie, le pays européen le plus généreux pour ses retraités.
« Paramètre injuste »
L’illusion lyrique de 1981 dissipée, l’idéal du temps libéré s’est brisé sur les réalités démographiques et financières. Dès 1991, Michel Rocard défend déjà dans son Livre blanc un allongement de la durée de cotisations – sans violer le tabou des 60 ans. Depuis 1993, les réformes n’ont été que du sang et des larmes : indexation des pensions sur l’inflation et non plus sur les salaires, calcul sur les vingt-cinq meilleures années au lieu de dix dans le privé, âge de départ fixé à 62 ans, durée de cotisation portée de 37,5 ans à 43 ans pour une retraite complète… A bas bruit, mais à coups de mesures douloureuses, patronat et syndicats ont aussi maintenu à flot les régimes complémentaires Agirc-Arrco.
Jamais la gauche, aujourd’hui si critique, n’est revenue sur ces réformes. Sans elles, la répartition aurait implosé. Emmanuel Macron a mis ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, après avoir tenté la réforme disruptive d’un régime universel à points plus souple et sans âge couperet pour cesser son activité, mais avec une « règle d’or » d’équilibre financier. La réforme augmentera le taux d’activité des 60-64 ans, un des plus bas d’Europe ; elle générera d’importantes recettes sociales et fiscales, à condition que les entreprises jouent le jeu du maintien des « vieux » en activité. Faute de quoi le « plan Borne » ne fera que gonfler le nombre des seniors sans emploi ni retraite.
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