« La crise de la représentation du monde politique est proche de celle qui touche les entreprises »

« La crise de la représentation du monde politique est proche de celle qui touche les entreprises »

Dans une tribune au « Monde », la philosophe Sophie Berlioz et le sociologue Philippe Emont décrivent l’effet de dupe de l’actuel modèle de consultation français, qui aboutit à l’absence de dialogue social, en raison du refus d’écouter la parole exprimée.

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 4 min.

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Tribune. La consultation citoyenne est à la mode, hier le grand débat, aujourd’hui les consultations sur les retraites. Pourtant, le dialogue social ne fonctionne pas. Certes, les vertus du concept sont louées, mais lorsque l’on quitte les éléments de langage, les belles idées se transforment alors en autant d’éléments de blocages. Blocages sociaux tous azimuts dont la crise des « gilets jaunes » représente sans doute l’événement le plus saillant.

Car, indépendamment de la violence qui s’est exprimée, cette crise est le symptôme d’un dysfonctionnement du dialogue social qui touche peu ou prou tous les secteurs, de la politique aux entreprises. En effet, tant que les réformes seront présentées par les gouvernants comme s’imposant logiquement et rationnellement (et donc sans autres possibilités), il continuera d’être inutile d’en discuter, et préférable de les appliquer rapidement.

Réformes conçues en « chambre »

La crise de la représentation qui touche aujourd’hui le monde politique est proche de celle qui touche les entreprises et altère la bonne conduite du dialogue social. De fait, il peine aujourd’hui à jouer son rôle de régulation ou à garantir la cohésion sociale. Pourquoi ?

Prenons le cas d’une restructuration d’entreprise. Les décisions stratégiques sont prises d’en haut. Les modalités de mise en œuvre de la décision sont conçues « en chambre » par des experts qui établissent ensemble une organisation cible.

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Les organisations cibles font ensuite l’objet d’une consultation auprès des instances représentatives du personnel. Les remarques formulées par ces dernières peuvent être prises en compte par les décideurs pour améliorer le projet, mais elles peuvent ne pas être prises en compte, et les décideurs mettront en œuvre le projet tel qu’initialement conçu.

Ce mouvement, à peine caricatural, est proche de la manière dont sont menées les réformes publiques, conçues en « chambre » par des experts, puis présentées aux organisations syndicales qui font part de leurs amendements. Ensuite débattues au Parlement, validées ou complétées, dans le cas où le 49.3 n’est pas activé. Enfin présentées aux Français de manière technique et rationnelle.

Effet de dupe

Très schématiquement, je décide d’un cap, j’en conçois les modalités de mise en œuvre, j’en informe les corps intermédiaires, je les consulte sur les modalités de mise en œuvre, et quel que soit leur avis, je suis tout à fait libre de ne rien changer dans les limites fixées par le droit.

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LJD

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