« Jouez ! Le travail à l’ère du management distractif » : la stratégie du jeu en entreprise

« Jouez ! Le travail à l’ère du management distractif » : la stratégie du jeu en entreprise

« Jouez ! Le travail à l’ère du management distractif », de Stéphane Le Lay, CNRS Editions, 224 pages, 23 euros.

Le livre. C’est une activité qui se veut tout à la fois conviviale et favorable à l’engagement des salariés. Un « challenge gaufres » est régulièrement organisé au sein de ce centre d’appels téléphoniques français. Son principe est simple : les conseillers plaçant un produit ont une récompense sucrée : ils peuvent déguster une pâtisserie durant leur temps de travail.

Le jeu comme levier de management ? Une réalité dans un nombre croissant d’entreprises, dans l’industrie comme dans les services, chez les cadres comme parmi les effectifs ouvriers. C’est le constat dressé par Stéphane Le Lay, chercheur associé à l’Institut de psychodynamique du travail.

S’appuyant sur de nombreuses enquêtes de terrain, le sociologue du travail interroge ce phénomène dans son dernier essai, Jouez ! Le travail à l’ère du management distractif (CNRS Editions). Ce faisant, il dévoile pourquoi « certains managers ont compris l’intérêt qu’ils pouvaient avoir à mobiliser des éléments du jouer dans leurs propres pratiques ».

La distraction devient diversion

Le « fun at work » (installation d’une table de ping-pong…) ambitionne d’offrir aux salariés une ambiance de travail agréable. Au-delà, c’est bien sûr leur implication qui est recherchée, et leur adhésion au projet d’entreprise. Mais, dans le même temps, le « management distractif » porte, aux yeux de l’auteur, des objectifs plus profonds et plus idéologiques.

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Pour appuyer sa démonstration, M. Le Lay prend pour exemple les Doctoriales, un business game (« jeu d’entreprise ») à travers lequel des doctorants sont invités à concevoir collectivement un projet innovant. « Sous couvert de promotion effective des aptitudes au dynamisme, à la créativité et à l’autonomie individuels œuvre discrètement une valorisation de l’“esprit d’entreprise” néolibéral », souligne l’auteur. Et, s’ils prônent régulièrement les vertus de la collaboration, nombre de ces jeux proposés dans les organisations aiguisent bien davantage l’esprit de compétition des participants.

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Plus encore, « jouer » doit permettre, selon le sociologue du travail, de détourner les salariés des douleurs qui peuvent naître de leur activité professionnelle. La distraction devient diversion. Il s’agit de « rendre plus “anodine” la participation aux activités, quand bien même celles-ci comportent de nombreuses sources de souffrance potentiellement déstabilisantes pour les travailleurs ».

Une évolution inquiétante

Le management distractif doit ainsi permettre de « juguler au moins temporairement la souffrance éthique susceptible de naître au moment où [l’]engagement subjectif [du « travailleur-joueur »] le conduit à commettre des actes qu’il réprouvait pourtant auparavant ». Son « sens éthique » est alors comme « anesthésié », le salarié ne doit plus se poser de questions, ni s’interroger sur la valeur morale de son travail.

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LJD

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