Jérôme Denis et David Pontille, finalistes du prix « Penser le travail » : « De nombreux professionnels se posent la question de la valorisation de la maintenance »
L’essai Le Soin des choses. Politiques de la maintenance est une plongée dans le monde de la maintenance, analysé par Jérôme Denis et David Pontille, respectivement professeur de sociologie à Mines Paris-PSL et directeur de recherche au CNRS. Il vient d’être nommé au prix Penser le travail 2023. Les auteurs s’expliquent sur son apport au monde du travail.
Dans votre ouvrage, vous parlez du « soin des choses » comme un sujet négligé par les entreprises et par la recherche, mais capital pour l’avenir de nos sociétés. En quoi la maintenance s’inscrit-elle dans l’actualité du XXIe siècle ?
Jérôme Denis : Face à la crise environnementale, la maintenance apporte une solution pour « faire durer ». Les élèves architectes construisent aujourd’hui dans une situation problématique. Faire durer les bâtiments, par exemple, leur apparaît comme une réponse. La maintenance s’inscrit dans l’actualité des pays riches, notamment pour les grandes infrastructures (routes, ponts, réseaux d’eau). Beaucoup de choses sont vieillissantes, sans que la maintenance ait été prise en compte. Dans cet ouvrage, on a développé la question du « faire durer », la rencontre entre les êtres et les objets et la question de leur fragilisation. La maintenance rend sensible aux dégradations à l’œuvre, et l’attention aux traces vise à saisir chaque phénomène dans sa singularité.
Comment en êtes-vous venus à vous intéresser à ce sujet ?
David Pontille : C’était au cours d’une enquête démarrée en 2007 sur le renouvellement des panneaux consacrés aux usagers du métro parisien. A l’issue d’une de nos dernières rencontres, la responsable de la normalisation de l’ensemble de la signalétique de la RATP nous a proposé de voir « les gars de la maintenance ». C’est ainsi que la maintenance a surgi comme un thème de recherche que l’on a pris au sérieux. De précédents ouvrages en sociologie et en ergonomie existaient sur le sujet du point de vue organisationnel, avec le prisme du risque, mais disaient peu de choses du travail lui-même, de l’action des mainteneurs.
J.D. De nombreux acteurs issus de mondes professionnels très différents, dans la santé, l’énergie ou la défense, se posent, de façon urgente, la question de la valorisation de la maintenance. Les mainteneurs ont une forme d’expertise de proximité avec les choses qui n’est pas complètement formalisable. Il y a un enseignement lié à la matière elle-même. Si l’on veut prendre en considération la maintenance, il faut prendre en compte la maintenabilité des choses. Il existe aussi un autre enjeu, celui de laisser une marge de manœuvre aux mainteneurs. Ils savent comment réagissent les machines. L’externalisation, par exemple, peut poser un fort risque de pertes d’expertises.
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