« Il y a toujours la petite phrase de trop » : pour les jeunes diplômés issus de la diversité, l’éternelle référence aux « origines » supposées
Anouar Mhinat appelle ça « la petite phrase de trop ». A 24 ans, ce chef de publicité dans le secteur du luxe en a des exemples à la pelle. Comme lors de cet entretien avec la directrice des ressources humaines d’un institut de sondage : « Vu votre nom et votre visage, c’est quand même dommage que vous ne précisiez pas que vous êtes français sur votre CV. » Ou la remarque de cette manageuse lui reprochant d’avoir commis une faute d’orthographe. « Si tu as du mal avec la langue française, n’hésite pas à lire des livres ! », avait-elle conseillé à ce lecteur assidu.
Elevé dans un quartier populaire de Chambéry, fils d’un ouvrier plaquiste et d’une femme au foyer originaires du Maroc, le jeune homme avait pourtant l’habitude des remarques déplacées. Son arrivée à Sciences Po Grenoble avait été un premier choc de classe. « Je ressentais bien la différence, j’étais le boursier – échelon 7, qui plus est ! –, mais je pensais que ce décalage disparaîtrait au travail. Or, c’est là qu’il est le plus violent », témoigne-t-il. Pour lui, de l’eau a, depuis, coulé sous les ponts. « Dans mon entreprise actuelle, les origines des salariés ne sont pas un sujet », souligne le jeune cadre.
Economiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques, à Paris, Marie-Anne Valfort confirme de « petites » avancées, ces dernières années, sur le terrain de la lutte contre les discriminations à l’embauche. Le lancement d’une vaste campagne de testing en direction des grandes entreprises, en 2016, à la demande du ministère du travail « a été un moment de prise de conscience pour ces grands groupes confrontés au risque de “name and shame” [dénonciation publique de mauvaises pratiques] ». S’y est ajoutée, en 2017, l’adoption de la loi « égalité et citoyenneté » obligeant les sociétés de plus de 300 salariés à former leurs recruteurs à la non-discrimination. « Malgré tout, et même si elles diminuent avec le niveau de qualification, les discriminations à l’encontre des minorités ethno-raciales sur le marché du travail restent fortes en France », souligne la chercheuse.
Petites humiliations répétées
Un testing sur CV de grande ampleur, réalisé entre décembre 2019 et avril 2021, sous l’égide de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (ministère du travail), a montré que les candidats avec un nom à consonance maghrébine – diplômés d’un CAP à un bac + 5 – ont 31,5 % de chances de moins d’être contactés par les recruteurs. C’est même en France que ces discriminations à l’embauche sont les plus marquées, selon une vaste enquête américaine de 2019 comparant la situation dans neuf pays (Allemagne, Belgique, Canada, Etats-Unis, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède).
Il vous reste 71.06% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.