Expression des salariés : quarante ans après les lois Auroux, un sujet inexploré, mais toujours d’actualité
Faire entrer la citoyenneté dans l’entreprise : tel était l’esprit des lois Auroux de 1982. Le droit à l’expression directe et collective des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail, voulu alors par le législateur, est-il désormais à ranger au rayon des vieilles lunes, ou est-il plus que jamais nécessaire ?
L’idée de départ était simple : le salarié qui exécute un travail est le mieux à même de proposer des améliorations, sans nécessairement passer par un intermédiaire. Cette expression est dite « directe », car elle ne passe pas par un intermédiaire (élu du personnel, délégué syndical), et « collective », car elle ne peut s’exercer qu’en groupe dans l’unité de travail (atelier, bureau, équipe, chantier). « Sur le papier, c’est une belle idée, mais en pratique, ce droit ne passionne pas les foules », regrette Benoît Masnou, associé chez Covence Avocats. « Le droit d’expression n’a pas porté ses fruits », confirme Jean-Philippe Tricoit, maître de conférences en droit privé à l’université de Lille.
Pour certaines entreprises, ce droit exercé durant le temps de travail, et donc rémunéré, est perçu purement et simplement comme une perte de temps et de production. De plus, elles craignent, en libérant la parole, d’ouvrir la boîte de Pandore des revendications et autres réclamations. Du côté des représentants du personnel, certains peuvent le vivre comme une forme de concurrence et ont peur d’être court-circuités.
Prise de conscience écologique
« Pourtant, c’est un dispositif très intéressant, estime Jean-Philippe Tricoit. Il offre des retours d’expérience pour améliorer le fonctionnement de l’entreprise. C’est du pain bénit, car l’instrument peut être adapté aux besoins de chaque société. » De plus, il correspond bien aux problématiques actuelles. « Quarante ans plus tard, je constate que l’actualité me donne raison, savoure Jean Auroux, ancien ministre du travail de François Mitterrand et « père » du droit d’expression. L’homme est un animal social, qui a besoin de parler, d’être entendu : nous l’avons vu avec les “gilets jaunes”, et encore récemment avec les agriculteurs. La démarche reste valable, mais j’ai eu le tort de ne pas la codifier. Si c’était à refaire, j’imposerais des réunions d’expression avant les négociations annuelles obligatoires. »
Benoît Masnou est persuadé que ce droit peut aujourd’hui trouver toute sa place, « dans un contexte de dispersion des communautés de travail – notamment avec le développement du télétravail – et l’aspiration croissante à une démocratisation de l’entreprise ». Il pourrait retrouver une seconde jeunesse, avec des sujets d’actualité tels que la qualité de vie au travail. En effet, le droit d’expression fait partie des sous-thèmes des négociations sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail. « Il est particulièrement bien adapté à la lutte contre les risques psychosociaux », note Jean-Philippe Tricoit.
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