Dix ans après la fermeture de l’abattoir Gad, « il faut se faire violence pour rebondir »
De combien de journées se souvient-on avec précision au cours d’une vie ? Olivier Le Bras en nomme trois : le jour de la naissance de chacun de ses deux enfants. Et le 11 octobre 2013. L’ancien délégué syndical (Force ouvrière, FO) des abattoirs Gad peut encore établir le déroulé, minute par minute, de ce jour qui l’a mené, à 17 h 15 précises, à annoncer aux 889 salariés et à leurs familles réunis sur le parking que le tribunal de commerce venait d’acter leur licenciement. « Des regards resteront gravés à vie, confie-t-il. Je ne souhaite à personne de vivre ce moment-là. »
La fermeture de cette entreprise emblématique, fondée cinquante ans plus tôt à Lampaul-Guimiliau (Finistère) et abritant, sur 60 000 mètres carrés, un abattoir et des lignes de découpe de porc, est un séisme. Car elle intervient après d’autres plans sociaux dans l’agroalimentaire breton et en plein bras de fer à propos de l’écotaxe sur les poids lourds. Le désarroi des ouvriers et la colère d’entrepreneurs et d’agriculteurs convergent alors dans les manifestations des « bonnets rouges », au centre de l’attention médiatique durant plusieurs semaines.
Le devenir des « Gad » marque même l’entrée maladroite du jeune ministre de l’économie Emmanuel Macron dans l’espace médiatique, alors qu’en 2014, sur Europe 1, il évoque « des femmes (…) pour beaucoup illettrées » – le site comptait en réalité beaucoup d’hommes, et une minorité en grande difficulté.
Que reste-t-il d’un tel choc, dix ans plus tard ? Aucun suivi ne dure si longtemps. « Je l’avais demandé, pourtant. Ce serait très instructif de savoir combien sont restés sur le carreau », déplore Olivier Le Bras. Le dernier bilan de la préfecture, qui n’a pas répondu aux sollicitations du Monde, semble dater de 2017 : il y avait encore 275 inscrits à Pôle emploi et 43 personnes « dans une situation difficile et sans perspective ». Les autres étant « en retraite ou en emploi pérenne ».
Le Monde a contacté une trentaine d’ex-« Gad ». Seuls une dizaine d’entre eux ont donné suite. « Ce n’est pas facile, vu que mon parcours n’a pas été top », glisse une ancienne ouvrière, avant d’annuler le rendez-vous. Des collègues qui « ne s’en sont jamais remis », il y en a. « Certains avaient des postes hyperspécialisés. Le même geste chirurgical, huit heures par jour, de vrais pros. Mais se projeter ailleurs leur a été impossible », raconte M. Le Bras. « Dans les ateliers de la cellule de reclassement, ils se sentaient perdus, alors qu’ils avaient jusque-là une vraie valeur au travail », ajoute Rachel Réault, ex-« Gad » de 46 ans.
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