« Certains pensent qu’on vient pour construire des ZAD, mais on veut s’intégrer sur notre territoire » : ces diplômés qui deviennent agriculteurs
Suzanne Sotinel se rêvait anthropologue. Elle est en passe de devenir éleveuse de chèvres. A 28 ans, cette native de Brest (Finistère) a grandi dans une famille sans lien avec le monde agricole à l’exception d’une « arrière-grand-mère métayère ». C’est donc de manière empirique que la jeune femme a envisagé son chemin vers la paysannerie. Après un DEUG de philosophie, une licence puis un master 2 en anthropologie du développement durable pas assez professionnalisant à son goût et un service civique dans des associations, elle s’est installée à la campagne. A force d’observer le quotidien de ses voisines éleveuses, elle a eu envie de s’y mettre. « Chaque geste a une utilité et c’est gratifiant de réaliser des tâches avec un sens très clair, confie la jeune femme. Je ne sais pas si je me serais orientée directement vers ce milieu après le lycée mais je trouve dommage qu’il ne soit jamais présenté aux élèves des filières générales. »
En ce jeudi de février, Suzanne Sotinel a ressorti sa trousse d’étudiante. Dans la grande salle aux larges baies vitrées du tiers-lieu Le Battement d’ailes, vaste bâtiment en bois perché au sommet d’une colline verdoyante à Cornil en Corrèze, elle prend des notes. Pour cette deuxième journée de session collective, elle travaille avec ses camarades sur l’ancrage territorial. Une notion-clé pour celles et ceux qui ont entamé en janvier le stage Entreprendre en agriculture paysanne au sein de l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural (ADEAR) Limousin.
Ce cursus, qui existe depuis 2019 dans la région, a été créé quelques années plus tôt dans les Pays de la Loire par la Confédération paysanne pour accompagner les personnes non issues du milieu agricole. « Le brevet professionnel responsable d’entreprise agricole [BPREA] donne la capacité agricole, sésame essentiel pour percevoir des aides à l’installation comme la dotation jeunes agriculteurs, mais il comprend moins de pratique, analyse Mélissa Khamvongsa, de l’ADEAR Limousin. Nous leur proposons vingt et un jours de session collective et une immersion de onze mois dans deux voire trois exploitations. »
Déclic de la pandémie
Les dix membres de la promo 2024 de l’ADEAR Limousin ont presque tous le même parcours que Suzanne Sotinel. La plupart ont d’abord fréquenté les bancs de l’université avant de glisser petit à petit vers le monde rural, par appétence et conscience politique. « Je n’ai pas eu de déclic, ni fait un burn-out qui m’aurait conduite à chercher un refuge à la campagne, raconte Julie Jubault, 32 ans, titulaire d’un master en langues étrangères appliquées. Mais, au fil des années, il y a eu une vraie dissonance entre mes convictions, mes aspirations et ma vie professionnelle. » Julie pensait travailler dans des ONG ou des organismes de coopération mais elle a vite déchanté face au manque de débouchés du secteur. Elle a ensuite occupé un poste dans les services administratifs d’une école de commerce, ce qui lui a permis de mettre de l’argent de côté pour mener à bien son envie d’installation à la campagne.
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