Une augmentation ou des jours de repos ?
Jean-Emmanuel Ray
Professeur à l’école de droit de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
Le code du travail, les accords collectifs et le contrat de travail conditionnent, dans les entreprises, l’échange de congé en élévation salariale pour les salariés.
Interrogation de droit social « Ne pas perdre sa vie à la gagner » : le slogan de 1968 éprouve un vif regain d’intérêt, pas seulement chez les jeunes : l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle, mais aussi la soif de « marges de manœuvre » palpent aujourd’hui toutes les générations. Nombre d’entreprises ont admis que pour attirer et fidéliser les meilleurs collaborateurs, il convenait d’offrir une élasticité partagée. Mais tout n’est pas permis, loin de là. Le droit distingue trois niveaux : le code du travail, les conventions collectives et le contrat de travail.
D’abord, les interdits relevant des règles d’ordre public édictées par le code du travail : le propre de l’ordre public de protection est que la personne protégée ne peut valablement y renoncer. Du côté du salaire, le collaborateur ne peut en aucun cas renoncer, même contre des jours de repos, ni au minimum établi par le SMIC, ni aux minima conventionnels. Côté repos, le respect des durées légales minimum (11 heures consécutives de repos quotidien, 24 heures de repos hebdomadaire) s’applique impérativement : aucun salarié, y compris en forfait jours, ne peut y renoncer ni accepter un fractionnement, même contre une substantielle augmentation.
Les règles issues des traités collectifs peuvent, en revanche, évoluer à l’initiative des partenaires sociaux. Juridiquement, rien ne les empêche par exemple de transformer la majoration de salaire liée aux heures supplémentaires en repos compensateur ; ou de substituer des jours de repos à une élévation annuelle, voire de laisser chaque salarié choisir entre les deux : ce qui est électoralement plus prudent dans notre société d’individus. Même si les services des ressources humaines se réjouissent rarement de cette double complexité : administrative (sur les fiches de paye) et organisationnelle.
L’Allemagne comme exemple
En Allemagne, les collaborateurs sociaux, ayant compris que l’arbitrage entre le temps et l’argent avait changé, mais aussi que la modération salariale pouvait passer par d’autres voies, le font depuis plusieurs années. En 2016, IG Metall avait ainsi négocié d’importantes évolutions pour les 3,8 millions de salariés de la métallurgie : ce qui a valu à ce puissant syndicat un net regain d’adhésions, surtout chez les femmes et les jeunes. Autre exemple, la Deutsche Bahn a signé le 12 décembre 2016 un accord proposant aux 100 000 cheminots de choisir entre une augmentation de 2,6 %, passer de 39 heures à 38 heures, ou six jours de congés annuels ; au 1er janvier 2018, 58 % d’entre eux avaient choisi les congés additionnels, 40 % la hausse salariale et 2 % la réduction du temps de travail hebdomadaire.
Une telle action est prévue par la loi du 22 mars 2016. Elle offre la possibilité aux sociétés de transport de voyageurs de contrôler le pedigree de personnes qui désirent travailler chez elles ou de salariés déjà en place qui veulent changer d’affectation. Ces contrôles ne sont admises que pour certains métiers jugés sensibles – par exemple chauffeur de bus ou agent de sécurité.
Le but est de se garantir que les intéressés ne représentent pas une menace pour les personnels et la clientèle. C’est le Service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas), placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, qui se charge de « scanner » le profil des personnes. Il s’appuie, particulièrement, sur des fichiers relatifs « à la prévention du terrorisme ou des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics ».
M.X et M. Y ont été surpris d’apprendre le soupçon pesant sur eux. Et le traitement qui leur a été réservé les a profondément choqués. Primo : ils ignoraient tous des raisons pour lesquelles un avis d’incompatibilité avait été émis à leur égard. En outre, l’avis accusé ne leur avait pas été notifié et la RATP avait mis fin à la relation de travail, sans qu’ils puissent se défendre. S’estimant victimes de pratiques expéditives qui ont violé leurs droits, ils se sont tournés vers le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’invalidation de la sentence du Sneas.
Argumentation différent
La démarche promise a tourné à leur avantage. S’agissant de M. X, le juge a estimé que le ministère de l’intérieur n’avait produit « aucun élément factuel » permettant de démontrer que le salarié « constituerait une menace pour la sécurité ou l’ordre public ». Du fait de cette « inexacte application » de la loi, le requérant est « fondé » à solliciter l’annulation de l’avis d’incompatibilité.
Quant à M. Y, l’argumentaire du tribunal est distinct mais parvient au même résultat : l’agent « aurait dû avoir notification de l’avis d’incompatibilité » et ce dernier aurait dû, de surcroît, « être motivé ». Or, tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, M. Y est, lui aussi, en droit de réclamer « l’annulation » de l’avis du Sneas.
Le ministère de l’intérieur et la RATP se bornent à déclarer qu’ils ont pris acte des jugements du tribunal, prononcés le 31 janvier. Un appel sera-t-il interjeté ? Pas de réponse, à ce stade. Toute laisse à penser, par ailleurs, que la RATP n’a pas l’intention de revenir sur sa décision de congédier les deux hommes.
La bataille judiciaire continue
Ce licenciement, M. X et M. Y le contestent, en parallèle, devant la justice prud’homale. Pour le premier, l’audience, au début prévue vendredi 8 février, a été repoussée au 6 mars. Son avocat, Me Raphaël Kempf, « ne voi[t] pas comment les prud’hommes ne pourraient pas tenir compte de la décision du tribunal administratif ». Autrement dit, la logique voudrait, selon lui, que la RATP soit condamnée, la rupture du contrat de travail ne reposant sur aucune « cause réelle et sérieuse ».
M.Y, lui, est déjà passé devant les prud’hommes, mais il a été débouté, le 1er février. Son conseil, Me Thierry Renard, avait sollicité que les débats soient rouverts de manière à prendre en considération l’invalidation de l’avis d’incompatibilité, mais il n’a pas été suivi. Il va donc faire appel.
Outre M. X et M. Y, quatre autres hommes, au moins, ont été remerciés de la même manière par la RATP. Epaulés par Me Thierry Renard, trois d’entre eux ont déjà promis des actions en référé devant les prud’hommes, qu’ils ont perdues. Les conclusions ont été rendues avant le jugement du tribunal administratif de Paris. Mais la bataille va continuer, affirme Me Thierry Renard : des requêtes sur le fond ont été déposées. Celui-ci compte aussi s’adresser au juge administratif afin que soit annulé l’avis d’incompatibilité émis à l’encontre de ses clients.