Emploi, chômage : « Nous vivons un effondrement de notre manière de formuler le social »

Emploi, chômage : « Nous vivons un effondrement de notre manière de formuler le social »

François-Xavier Petit, responsable du programme d’innovation et d’entrepreneuriat Matrice, questionne dans une tribune au « Monde » la validité de politiques basées sur les concepts d’emploi et de chômage quand la réalité du travail s’échelonne sur un mix emploi/non-emploi

Publié le 14 juillet 2019 à 09h00 Temps de Lecture 6 min.

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« Nous quittons la société industrielle, ses statuts, ses conditions, ses silos, pour la société numérique, celle où l’universalité s’impose, où le passage d’un état à l’autre se fait sans rupture. »
« Nous quittons la société industrielle, ses statuts, ses conditions, ses silos, pour la société numérique, celle où l’universalité s’impose, où le passage d’un état à l’autre se fait sans rupture. » Philippe Turpin / Photononstop

Tribune. La réforme de l’assurance-chômage laisse une impression tragique : celle d’être prisonnier du passé. De manière sidérante, nos dirigeants regardent le monde social avec les lunettes des années 1960 ou 1980. La « bataille pour l’emploi » les dépeint en don Quichotte contre leurs moulins. Les voilà systématiquement à côté de la réalité de l’activité en France et des situations de travail vécues.

La vérité est que nous pensons avec des concepts périmés. Et le premier d’entre eux est celui de chômage. Dire cela fait immédiatement surgir l’indignation : « Comment peut-on dire cela alors qu’il y a 5 millions de chômeurs ! » Et voilà le débat terminé… Il va pourtant falloir l’avoir. Car le chômage en tant que concept (pas les chômeurs comme individus !) est aujourd’hui hors de la réalité, sans correspondance avec le monde social. La crise des « gilets jaunes » n’a pas dit seulement le problème du pouvoir d’achat, elle a dit l’incapacité de formuler le social et la vie des gens.

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Pour bien comprendre, regardons les chiffres. Nous comptons 3,4 millions de chômeurs en catégorie A ( personne sans emploi et tenue d’en chercher), dont 1,5 million demandeurs d’emploi de longue durée (plus d’un an). Tous les autres – presque 2 millions, donc – sont dans des situations mal connues (transition entre deux emplois, réorientation professionnelle, étudiants s’étant ouvert des droits, intérimaires…).

Ne pas confondre toutes les catégories de chômage

On trouve, ainsi, dans la catégorie centrale du chômage beaucoup de gens qui ne sont pas en situation de non-emploi. Et si on regarde la catégorie B, on y trouve les chômeurs qui travaillent (sic) jusqu’à 78 heures par mois (en contrats précaires). Emploi et non-emploi se mêlent encore davantage dans la catégorie C qui regroupe ceux qui travaillent plus de 78 heures par mois.

Une semaine faisant 35 heures, ils sont au-delà de ce qui serait considéré comme un mi-temps, tout en étant statistiquement des chômeurs ! Ajoutons la catégorie D pour les chômeurs en formation, arrêt maladie, convention de reclassement… Au total, B + C + D = 2,2 millions de personnes en situation de sous-emploi, considérées comme des chômeurs, mais exerçant plus ou moins une activité. Il reste la catégorie E qui cible des contrats aidés, mais aussi les créateurs d’entreprise…, qui sont des chômeurs travaillant plutôt à plein temps.

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A part les chômeurs de longue durée, emploi et chômage forment un mix aux multiples nuances. Rassembler tout ce monde dans la catégorie chômage est indéfendable, car cette catégorie manque la réalité des situations de travail ; indéfendable, car en grossissant l’impression de non-emploi, elle mine le moral du pays ; indéfendable, car elle fait planer sur tous les actifs une menace diffuse.

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LJD

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