Départs précoses : l’aboutissement des « retraites chapeaux » ?

« Le régime chapeau est dorénavant strictement subordonné à la présence du salarié dans l’entreprise au moment où celui-ci liquide sa retraite.  »
« Le régime chapeau est dorénavant strictement subordonné à la présence du salarié dans l’entreprise au moment où celui-ci liquide sa retraite.  » Johnér / Photononstop

Adressées à fidéliser ou à récompenser tout ou partie du personnel, les retraites « surcomplémentaires » ou « supplémentaires », appelées aussi « retraites chapeaux », s’ajoutent aux pensions du régime général et aux retraites complémentaires obligatoires. Un récent arrêt de la Cour de cassation prive les salariés des retraites chapeaux en cas de licenciement économique avant l’âge de départ à la retraite.

Il existe deux catégories de régimes supplémentaires.

Soit l’entreprise verse des cotisations à un fonds durant un certain temps. Le retraité recevra en pension « supplémentaire » une rente en fonction du capital accumulé et du rendement de la gestion par le fonds.

Soit elle met en oeuvre un régime à prestations définies (ce n’est pas ce que l’employeur verse qui est déterminé mais ce que le salarié touchera lorsqu’il sera à la retraite). Celui-ci peut prendre la forme d’une retraite chapeau : l’employeur s’engage, par exemple, à verser au salarié un pourcentage de son salaire de fin de carrière, qui complétera les pensions de retraite servies par les régimes obligatoires.

Du côté des employeurs, les contributions au financement de ces régimes relèvent de règles particulières. Elles sont exclues, de plein droit et sans limitation, de l’assiette des cotisations sur salaires, de la CSG et de la CRDS, mais elles sont soumises à une contribution patronale spéciale.

 

Terminer sa carrière dans l’entreprise

 

Du côté des salariés, les rentes (dont les retraites chapeaux) sont subordonnées à cotisation à l’assurance-maladie, à la CSG et à la CRDS comme toutes les pensions, ainsi qu’à une « contribution spécifique supplémentaire », figurant à l’article L. 137-11-1 du code de la Sécurité sociale, et variable selon le montant de la pension retraite chapeau. Mais l’application de ce régime de prélèvements est conditionnée au fait que les salariés achèvent leur carrière dans l’entreprise.

Dans son règlement de retraite chapeau, une entreprise avait prévu une exception à cette règle en cas de plan social : les salariés pouvaient alors bénéficier de la retraite chapeau, même s’ils n’étaient plus présents dans l’entreprise au moment de leur départ à la retraite, à la condition qu’ils aient été licenciés pour motif économique, ou qu’ils soient partis dans le cadre d’un plan de départ volontaire.

 

Un retraité licencié de la sorte avant sa retraite a contesté l’application de la « contribution spécifique supplémentaire » à sa pension. A raison, selon l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2018 qui considère que le régime ne répond pas aux conditions d’application des règles spéciales de prélèvements sociaux. La décision de la Cour de cassation est favorable au salarié qui n’aura pas à payer le prélèvement particulier. Mais l’employeur perd le bénéfice de ce régime dérogatoire.

Confusion autour de l’augmentation du smic à l’Assemblée nationale

Le smic – et l’affaire de son augmentation ou non – a occupé la majorité des débats de la séance des questions au gouvernement, mardi 11 décembre. La veille, lors d’une intervention télévisée, Emmanuel Macron avait annoncé l’augmentation de la rémunération des travailleurs au smic de cent euros par mois, dès 2019. Une promesse contestée par les députés de l’opposition, dont quelques un dénoncent une manipulation. En réalité, la mesure du gouvernement ne vise pas une augmentation du smic (qui sera tout de même revalorisé pour suivre l’inflation, comme tous les ans), mais de la prime d’activité. Les contours de cette mesure et de ceux qui en bénéficieront demeurent pour l’instant très flous

Etudiants étrangers : « L’accès à la connaissance doit être libre et sans frontières »

Un collectif d’universitaires, de membres d’associations savantes et professionnelles, appellent à l’annulation de l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers.

«  La réforme pourrait finalement avoir un effet mineur sur les recettes, mais risque de réduire de manière significative la diversité des profils dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche français » (Photo : La Sorbonne). Benoit Tessier / REUTERS

Nous, sociétés savantes et associations professionnelles, au nom de toutes les branches scientifiques et des mondes académiques que nous représentons, manifestons notre opposition à la mesure d’augmentation des droits d’inscription à l’université pour les étudiants étrangers « non communautaires », annoncée par le premier ministre Edouard Philippe le 19 novembre, sans concertation préalable avec la communauté académique.

Pour ces étudiants et étudiantes étrangers, les frais d’inscription vont passer de 170 euros à 2 770 euros par an en licence et de 243 et 380 euros à 3 770 euros par an en master et doctorat. La réforme est loin d’être anecdotique : 260 000 étudiants et étudiantes hors Union européenne viennent chaque année rejoindre les bancs des amphithéâtres français.

Avec cette information, c’est ainsi une nouvelle page de l’histoire de l’enseignement supérieur qui est en train de s’écrire, dans laquelle les principes élémentaires d’égalité d’accès au savoir sont remis en question. Des effets sur la venue pour études en France de ces étudiants et étudiantes sont à prévoir, qui toucheront d’abord les plus nécessiteux, issus de pays en développement qui ne peuvent pas les soutenir suffisamment. L’accès au savoir doit être libre et sans frontières, et ne doit pas être réservé à celles et ceux qui peuvent payer plusieurs milliers d’euros de frais annuels pour apprendre et faire de la recherche.

Cette décision, discriminatoire et injuste, répondra-t-elle à l’ambition affichée par le gouvernement d’accroître l’attractivité de l’enseignement supérieur français ? La Cour des comptes a fait état de résultats contrastés lors de l’instauration des frais d’inscription différenciés pour les étudiants et étudiantes étrangers extracommunautaires dans d’autres pays et souligne la possibilité d’un effet d’éviction. Comme elle le fait remarquer, la réforme pourrait finalement avoir un effet mineur sur les recettes, mais risque de réduire de manière significative la diversité des profils dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche français, nous privant ainsi d’une richesse d’échanges et de liens nécessaires à la constitution de nos savoirs.

La coopération universitaire en danger

L’amertume de ce projet est qu’il touchera particulièrement les étudiants et étudiantes de la francophonie, en premier lieu ceux qui sont originaires du continent africain dans son ensemble (ils sont 150 000 actuellement en France), mettant donc en danger notre politique de coopération universitaire qui a fait de cet espace l’un des piliers de l’internationalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche français au cours de ces dernières années.

Adopter cette proclamation, c’est donc aussi compromettre l’avenir de nos relations scientifiques avec cette région en plein essor, puisque les étudiants et étudiantes d’aujourd’hui seront les scientifiques de demain, dans et hors le monde académique. C’est enfin menacer très gravement le développement de la francophonie comme espace de communication et de savoir partagés.

Depuis le Moyen Age, la France a réuni dans ses universités celles et ceux qui venaient y chercher le savoir et la culture. Les défis du monde actuel et de la planète exigent encore plus qu’autrefois l’échange international des connaissances scientifiques. Ils nous enjoignent aussi de ne pas soumettre davantage la recherche à la logique de la concurrence, et à celle des frontières et des « défenses d’entrée » de tous ordres.

Nous considérons ainsi que l’instauration de droits d’inscription différenciés aura un effet globalement négatif pour la France et la francophonie, et demandons solennellement son retrait. Nous appelons à une réflexion incorporant les acteurs du monde académique sur la stratégie générale de l’Etat en ce qui concerne l’avenir et le financement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche qui, selon le code de l’éducation, « doit assurer à toutes celles et à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité l’accès aux formes les plus élevées de la culture et de la recherche, sans distinction d’origine et de milieu social ».

Liste des signataires : Sébastien Barot, Société française d’écologie et d’évolution ; Olivier Berné, Société française d’astronomie et d’astrophysique ; Anne Boyé, association Femmes et mathématiques ; Laure Carbonnel, Association française d’ethnologie et d’anthropologie ; Muriel Darmon, Association française de sociologie ; Bruno Dubois, Société française de neurologie ; Emmanuel Fureix, Société d’histoire de la Révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle ; Matthieu Hély, Association des sociologues enseignants du supérieur ; Thierry Horsin, Société de mathématiques appliquées et industrielles ; Florence Jany-Catrice, Association française d’économie politique ; Lydia Kerkerian-Le Goff, Société des neurosciences ; Antoine Le Blanc, Comité national français de géographie ; Patrick Lemaire, Société française de biologie du développement ; Corine Maitte, Association française d’histoire des mondes du travail ; Barbara Morovich, Association française des anthropologues ; Evelyne Nakache, association Femmes & sciences ; Annie Raoult, Centre international de mathématiques pures et appliquées ; Stéphane Seuret, Société mathématique de France ; Andy Smith, Association française de science politique ; Clément Thibaud, Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Raphaël Trouillet, Société française de psychologie ; Dominique Valérian, Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public

 

Smic et prime d’activité : les déclarations d’Emmanuel Macron en 8 questions

« 100 euros par mois » en plus pour les travailleurs rétribués au salaire minimum : c’était l’une des annonces phares de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, lundi 10 Décembre. Mais cette formule, destinée à répondre aux revendications des « gilets jaunes », soulève de nombreuses questions. Qui pourra effectivement prétendre à cette hausse de pouvoir d’achat ? S’agit-il d’une hausse du salaire minimum ou d’une aide de l’Etat ? Nos précisions en huit questions.

  1. Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenter de 100 euros par mois ?
  2. Les salariés qui gagnent un peu plus que le smic en bénéficieront-ils aussi ?
  3. Et les salariés à temps partiel ?
  4. La hausse sera-t-elle automatique ?
  5. Est-ce l’Etat qui paiera ?
  6. La hausse de la prime d’activité peut-elle rendre imposable ?
  7. La prime d’activité est-elle écartée du calcul des droits au chômage et à la retraite ?
  8. La hausse du smic en 2019 sera-t-elle la plus importante depuis plus de 10 ans ?

1. Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenterde 100 euros par mois ?

C’EST PLUS COMPLIQUÉ

« Le salaire d’un travailleur au smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur », a affirmé Emmanuel Macron, lundi 10 décembre. Derrière cette formule simple se cachent en fait des situations variables. Le chiffre de 100 euros englobe deux mesures différentes, 

  • la baisse des cotisations salariales en 20

  • 8, qui représente un peu plus de 20 euros par mois pour un salarié au smic à temps plein ;
  • la hausse du montant maximum de la prime d’activité de 80 euros net. Cette aide devait initialement augmenter quatre fois de 20 euros, de 2018 à 2021. Elle devrait finalement augmenter d’environ 60 euros début 2019 après une première hausse de 20 euros en octobre 2018.
Tout le monde ne gagnera pas « 100 euros par mois »

Selon la même source, le calcul d’Emmanuel Macron ne tenait pas compte de la revalorisation légale du smic de 1,8 % au 1er janvier 2018 (soit environ 20 euros net de plus). Ce qui fait que, dans le meilleur des cas, un salarié au smic pourrait prétendre à un revenu mensuel net d’environ 1 430 euros en 2019, contre 1 307 euros fin décembre 2017.

Attention, en revanche : si la baisse des cotisations salariales concerne tous les salariés, la prime d’activité est versée sous conditions de revenus, et c’est l’ensemble du foyer qui est pris en compte. Ainsi, un salarié au smic peut ne pas être éligible à la prime d’activité en fonction des revenus de son conjoint.

De même, le chiffre de « 80 euros » d’augmentation de la prime d’activité correspond à un montant maximal théorique. Mais celui-ci peut être moindre selon la situation réelle des salariés. Il faudra en réalité attendre de connaître les détails des règles de calcul retenues par le gouvernement pour estimer réellement qui gagnera combien en janvier 2019.

2. Les salariés qui gagnent un peu plus que le smic en bénéficieront-ils aussi ?

OUI

Les salariés qui ont des revenus légèrement supérieurs au smic sont, pour la plupart, éligibles à la prime d’activité. Les plafonds de revenus pour obtenir cette aide sont actuellement d’environ :

  • 1 500 euros net pour une personne seule, soit près de 1,3 smic ;
  • 2 200 euros pour un couple sans enfant où un seul membre travaille ainsi que pour un parent isolé avec un enfant, soit près de 1,9 smic ;
  • 2 900 euros pour un couple de deux enfants dont les deux membres travaillent, soit un peu moins de 2,5 smic.
La prime d’activité n’augmentera pas de 80 euros pour tout le monde

Au total, la hausse de la prime d’activité devrait concerner au moins 2,66 millions de foyers qui représentent 5,43 millions de Français, soit le nombre d’allocataires en juin 2018. Et elle pourrait en toucher davantage puisque tous les ménages qui peuvent y prétendre ne la demandent pas pour l’heure, mais cette proportion a sensiblement augmenté depuis 2016. Cela représente une population plus importante que les seuls salariés au smic, qui étaient 1,98 million début 2018.

Attention, en revanche : la hausse de la prime d’activité ne sera pas de 80 euros pour tout le monde, et la règle actuelle de calcul fait qu’elle diminue avec les revenus. A situation identique par ailleurs, un salarié à 1,2 smic touche une prime plus faible qu’un salarié au smic. Là encore, il faudra attendre le détail du futur calcul de la prime d’activité pour bien en mesurer les conséquences sur chacun.

3. Et les salariés à temps partiel ?

OUI

Les salariés à temps partiel seront aussi concernés par la hausse de la prime d’activité. Son mode de calcul, complexe, est basé sur un montant forfaitaire théorique, qui peut être augmenté selon la situation du foyer, mais diminue en fonction des ressources totales de celui-ci.

Augmenter la prime d’activité est plus favorable aux salariés à temps partiel que la hausse du smic

Cela veut dire qu’un salarié à temps partiel qui gagne moins que le smic peut donc parfois prétendre à une prime supérieure à celle versée à un salarié au smic à temps plein. Les partisans d’une revalorisation de la prime d’activité, comme l’économiste Gilbert Cette, estiment que c’est tout l’intérêt du dispositif, qui permet ainsi de favoriser les travailleurs et de combattre la pauvreté.

Prudence, là encore : il faudra attendre le détail du futur calcul de la prime d’activité pour bien en mesurer les conséquences sur chacun.

4. La prime sera-t-elle versée automatiquement ?

NON

La prime d’activité n’est pas automatique, il faut la solliciter, en ligne par exemple. Une majorité, mais pas l’intégralité des personnes qui pourraient en bénéficier, le fait : les rapports indiquent que seulement un peu plus de 70 % des salariés éligibles touchaient cette aide en 2016, en raison notamment d’un défaut d’information.

Ces chiffres montrent que bien qu’il existe une marge de progression, la prime d’activité fonctionne bien mieux que son ancêtre, le RSA activité, que seuls 32 % des salariés éligibles demandaient.

C’est d’ailleurs ce taux de recours élevé, supérieur aux prévisions du ministère de l’économie, qui a fait grimper le coût final de la prime par rapport aux mesures qu’elle a remplacé (RSA activité et prime pour l’emploi).

Notons enfin que pour ceux qui perçoivent déjà la prime d’activité dans sa formule actuelle, sa revalorisation sera automatique.

5. Est-ce l’Etat qui paiera ?

OUI

Contrairement à une hausse de salaire, qui serait payée par les employeurs, cette augmentation de la prime d’activité va être réglée par l’Etat. En 2017, cette prime a coûté plus de 5 milliards – plus que prévu initialement. Voilà quelques mois, le gouvernement s’inquiétait d’ailleurs de la hausse du coût du dispositif, qui risquait d’atteindre 6 milliards en 2019, selon Gérald Darmanin, qui n’excluait pas de remettre à plat le dispositif de calcul.

6. La hausse de la prime d’activité peut-elle rendre imposable ?

NON

Une rumeur véhiculée sur certains groupes Facebook de « gilets jaunes » affirme que certains salariés vont devenir imposables à cause de la hausse de leurs revenus. C’est peu probable, hors situations exceptionnelles : la prime d’activité est en effet non imposable. Son augmentation ne change donc rien à la déclaration de revenus des personnes concernées.

7. La prime d’activité est-elle écartée du calcul des droits au chômage et à la retraite ?

OUI

Si la prime d’activité n’entre pas dans le calcul de l’impôt sur le revenu, elle n’est pas prise en compte non plus dans le calcul des droits à la retraite et au chômage. C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne peut pas vraiment présenter cette aide comme un « salaire » à proprement parler

8. La hausse du smic en 2019 sera-t-elle la plus importante depuis plus de dix ans ?

NON

Interrogée sur France Inter mardi, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a rappelé que s’il n’y avait pas de « coup de pouce » supplémentaire au salaire minimum, celui-ci augmentera tout de même de 1,8 % en janvier. Cette hausse est « la plus grosse augmentation depuis treize ans », selon elle.

La revalorisation du smic de 1,8 % au 1er janvier est certes plus importante que les précédentes, mais depuis 2012 seulement. A son arrivée au pouvoir, François Hollande avait revalorisé le salaire minimum en juillet 2012 de 1,95 %, avant de procéder, par la suite, à des augmentations minimes (entre 0,32 % et 1,06 %) jusqu’au terme de son mandat.

Auparavant, Nicolas Sarkozy avait également procédé à trois augmentations supérieures à 2 % lors de son quinquennat, de 2008 à 2011. Ce qui contredit les propos de la ministre du travail.

Surtout, l’évolution du salaire minimal s’apprécie aussi en fonction de celle des prix à la consommation. Or, les prix à la consommation ont bondi de plus de 2 % en 2018, selon l’Insee, là où le salaire n’a augmenté que de 1,2 % au début de l’année. De quoi relativiser fortement le caractère exceptionnel de la hausse du smic de 1,8 % début 2019.

Le rétablissement amiable de l’industrie et de ses emplois en France

Manifestation à Bordeau contre les suppressions d’emploi chez Ford à Blanquefort (Gironde), le 30 juin.

Manifestation à Bordeau contre les suppressions d’emploi chez Ford à Blanquefort (Gironde), le 30 juin. MEHDI FEDOUACH / AFP

Dans le secteur automobile, les problèmes se concentrent sur quelques sites. Celui de Ford à Blanquefort (Gironde), dont le constructeur américain veut se détacher, et celui de PSA à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) qui est en cours de fermeture. L’industie de la pharmacie, va, elle, plutôt bien mais supprime tout de même des postes. Quant aux entreprises parapétrolières, les balancement des prix du baril et l’émergence du pétrole de schiste américain pèsent sur ce secteur.

  • L’automobile, un secteur grippé

Dans le secteur automobile, les difficultés se concentrent sur une poignée de sites. L’un des plus dominant est celui de Ford à Blanquefort (Gironde), dont le constructeur américain, en difficulté en Europe, veut se détacher. Un repreneur potentiel, le groupe belge Punch, a déposé, lundi 10 décembre, une offre de relance de l’usine de boîtes de vitesses (850 salariés) portant sur environ la moitié des emplois et soutenue par l’Etat. Les dirigeants de Ford diront, d’ici au 18 décembre, s’ils valident la solution Punch ou s’ils préfèrent une fermeture définitive de l’usine, qui avait été inaugurée en 1972. Les salariés, de leur côté, devaient se prononcer mardi sur l’offre de reprise.

Un autre site dominant de l’industrie automobile française est en cours de cloture depuis la mi-novembre : celui de PSA à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), fondé en 1923 par André Citroën. Le groupe automobile a annoncé lundi les premières mesures de reclassement des 350 salariés de cette usine qui produit de petites pièces d’emboutissage. PSA affirme soutenir le projet d’implanter un campus hospitalier sur le site et s’engage à proposer des solutions de reclassement interne aux salariés, en région parisienne.

Au-delà de ces deux usines, l’ensemble du tissu industriel automobile français est agité par le recul rapide du diesel en France et en Europe. L’une des plus grosses usines automobiles hexagonales – le site de Bosch, près de Rodez (Aveyron), et ses 1 600 salariés qui fabriquent des injecteurs diesel – a fait l’objet cet été d’un accord direction-syndicats de la dernière chance pour tenter d’éviter un plan social massif. Partout sur le territoire, des fonderies, des sites d’emboutissage et des usines d’équipementiers sont confrontés à des baisses de volume. Illustration à Thaon-les-Vosges, où l’usine de turbos diesel Honeywell Garrett (900 emplois) est en chômage partiel. La filière diesel représenterait environ 50 000 emplois dans le pays. 

Ascoval : plus qu’une sidérurgie, une famille

Un ouvrier de l’aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le 29 novembre.

Un ouvrier de l’aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le 29 novembre. PIERRE ROUANET / PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

Tout est chargé, sale, bruyant. La poussière pénètre dans les narines. Les bouchons d’oreille suffisent presque  à couvrir le vacarme assourdissant créé par les coupures d’arcs électriques. La hauteur sous plafond – 40 mètres – donne l’impression d’être dans le ventre d’un monstre, dont le cœur ne bat pas mais bouillonne. Des gerbes de feu sortent d’un four géant chauffé à 1 700 oC, semblable aux entrailles d’un ­volcan. Ce chaudron immense est capable d’avaler 90 tonnes de ferraille et de les recracher, une trentaine de minutes plus tard, en acier de qualité – lequel fait la fierté des 281 salariés d’Ascoval.

Cette fierté est aujourd’hui menacée par la peur, car l’aciérie d’Ascoval risque de ­fermer ses portes. En redressement judiciaire depuis le 10 janvier, l’usine de ­Saint-Saulve (Nord), dans le Valenciennois, compétitive et considérée parmi les usines sidérurgiques les plus modernes d’Europe, attend de ­connaître son avenir. Mercredi 12 décembre, le tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg examinera une nouvelle fois le dossier déposé par le repreneur Altifort, un groupe franco-belge.

« Si l’on annonce une fermeture, ce sera une déchirure », prévient Thomas Libanet. A 29 ans, ce technicien « méthodes et process » ne fait pas partie des plus anciens ­employés de l’usine, mais, à ses yeux, l’aciérie représente plus qu’une entreprise. Jamais il n’avait connu autant de solidarité qu’à Saint-Saulve, là où le groupe Vallourec a créé, en 1975, son aciérie connectée au réseau ferré et au canal de l’Escaut.

« Le métier très dur d’aciériste contribue à cette ambiance particulière », explique celui que l’on surnomme avec humour le « chat noir », parce qu’il a déjà connu trois plans de sauvegarde de l’emploi durant sa courte carrière. « Avec tout ce qui se passe, certains m’ont demandé pourquoi je ne partais pas. Je suis jeune, diplômé. Mais j’ai envie d’y croire et pas question d’abandonner les autres. »

Dans cette noire cathédrale, où le danger est présent, chaque ouvrier sait qu’il a la vie de ses collègues ­entre les mains

Ses collègues sont devenus ses frères. « Ça va gros ? Ça va mon lapin ? » Ici, tout le monde se connaît, les hommes se font la bise le matin et on se serre les coudes. « Avant, j’étais dans l’agroalimentaire, poursuit M. Libanet, qui était peu habitué à ces usines dont on ressort les joues couvertes de suie. Après mon premier jour à l’aciérie, j’ai dit : “J’y retourne pas.” J’avais le vertige en haut des ­passerelles. En m’accrochant à une rampe, un pigeon m’a chié sur la main ! J’avais l’impression d’être un bon à rien. Mais personne ne m’en a voulu. Tous m’ont tendu la main. Aujourd’hui, six ans après, je suis encore là. »

L’emploi salarié progresse légèrement au troisième trimestre

La France retient pour le quatorzième trimestre consécutif de créations nettes d’emplois salariés avec 15 000 nouveaux postes au troisième trimestre, a affirmé l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mardi 11 décembre, mais au rythme seulement de 0,1 %.

Les créations nettes d’emploi salarié atteignent + 15 000, après + 15 900 au trimestre précédent. L’emploi recule de nouveau dans la fonction publique (– 7 400) et augmente encore modérément dans le privé (+ 22 400). Sur un an, il s’accroît de 175 100 (soit + 0,7 %) : + 197 200 dans le privé et – 22 100 dans la fonction publique.

Dans les services marchands, l’emploi salarié ralentit du fait de l’intérim et n’augmente plus que de 15 300, soit + 0,1 %, après + 0,2 % le trimestre précédent. Sur un an, ce secteur porte l’élémentaire des créations nettes d’emplois salariés : + 158 300, soit + 1,3 %. La baisse de l’emploi du secteur intérimaire s’accentue au troisième trimestre : – 1,2 %, après – 0,6 % au trimestre précédent. Sur un an, il reste en hausse : + 22 200, soit + 2,9 %.

L’emploi industriel reste permanent

L’emploi industriel reste stable au troisième trimestre et enregistre une légère hausse sur un an (+ 4 300). Les créations nettes d’emploi salarié restent solides dans la construction : + 5 400 (soit + 0,4 %, comme au deuxième trimestre). Sur un an, elles atteignent + 29 100 (soit + 2,2 %).

L’emploi salarié dans les services non marchands diminue de nouveau au troisième trimestre : – 6 500 emplois, après – 12 000. L’emploi privé y rebondit légèrement (+ 1 100, après – 3 000), alors que l’emploi public continue de baisser (– 7 400 après – 8 900 au deuxième trimestre). Sur un an, l’emploi dans les services principalement non marchands diminue de 23 100, dont – 22 100 dans le public.

Ces chiffres définitifs du troisième trimestre sont revus à la baisse de 7 800 pour ce qui concerne le seul emploi privé par rapport à l’estimation provisoire publiée il y a un mois.

 

« La vision hobbésienne de l’unité du peuple est de plus en plus déplacée par rapport à la réalité »

Chronique « Transformations ». Nos institutions démocratiques sont nées dans l’empreinte d’un débat qui remonte au XVIIe siècle. Dans Grammaire de la multitude (Editions de l’éclat, 2002), le philosophe italien Paolo Virno rappelle la confrontation, à l’époque, entre deux visions des individus dans la cité. D’un côté, Thomas Hobbes (1588-1679) voyait les individus comme un peuple, « une sorte d’unité qui a une volonté unique ». De l’autre côté, pour Baruch Spinoza (1632-1677), les individus formaient une multitude, « une pluralité qui persiste comme telle sur la scène publique ».

Notre pratique de la démocratie a abondamment donné raison à Hobbes. On a d’abord réservé le droit de vote à une minorité de privilégiés, fixant l’idée que l’uniformité du corps électoral conditionnait le bon fonctionnement de la démocratie. Ce n’est que sur le tard, et non sans appréhension, qu’on a rendu le suffrage formellement universel, plutôt que réservé aux plus fortunés. Et les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1920 aux Etats-Unis, en 1928 au Royaume-Uni et en 1944 en France.

Lorsque le suffrage universel est enfin entré dans la pratique, la vie démocratique a été encadrée par des établissements en phase avec le paradigme techno-économique de l’époque. A l’image des grandes entreprises fordistes, notre démocratie s’est structurée en pyramide. L’exercice de la citoyenneté a, en quelque sorte, été taylorisé. On invitait les individus à se mettre en rang pour exercer leur droit de vote de façon standardisée et cadencée : en glissant un bulletin dans une urne une fois tous les cinq ans.

Les médias ont aidé à confirmer cette vision hobbésienne de l’unité du peuple. Les barrières à l’entrée étaient telles dans des secteurs comme la presse, la radio et la télévision que seules quelques grandes organisations se répartissaient le marché de l’information. S’adressant à la majorité à la fois par principe et par intérêt économique, les grands médias inspiraient une vision consensuelle de la société, qui renforçait l’unité du peuple.

Changement de paradigme

Mais, actuellement, comme l’écrivait Paolo Virno dès 2002, le changement numérique a tout changé. Le numérique permet aux individus d’exprimer leur différence tout en se connectant les uns aux autres en réseau. Du coup, la vision hobbésienne est de plus en plus décalée par rapport à la réalité de la vie en société. C’est la multitude de Spinoza qui, désormais, impose son rythme – et sa pluralité – aux organisations.

Le dialogue sur l’augmentation du smic en trois questions

Herbert Diess, le nouveau souverain de Volkswagen

Le PDG de Volkswagen, Herbert Diess, lors d’une conférence de presse, au siège du constructeur automobile, à Wolfsburg (Basse-Saxe), le 13 avril.
Le PDG de Volkswagen, Herbert Diess, lors d’une conférence de presse, au siège du constructeur automobile, à Wolfsburg (Basse-Saxe), le 13 avril. ODD ANDERSEN / AFP

La gare de Wolfsburg, en Basse-Saxe, avance une vue insaisissable sur le XXe siècle allemand. Depuis le quai, en descendant du train, on est toujours frappé par l’immensité austère de l’usine Volkswagen (VW). La grande bâtisse rouge sombre, frappée du logo du groupe, est surmontée de quatre cheminées. A ses pieds, les deux grands bassins creusés dans le canal pour aider les livraisons fluviales donnent à l’ensemble un grandiose reflet.

L’usine, inaugurée il y a quatre-vingts ans par Adolf Hitler, devait produire la première « KdF wagen », la « voiture populaire » du syndicat nazi Kraft durch Freude (« la force par la joie »)Conçue par l’ingénieur et designer allemand Ferdinand Porsche, elle devait mettre la mobilité à portée de chacun, sur le modèle fordiste. Le projet échoue, et l’usine sert en premier lieu à construire des armes, avec une main d’œuvre forcé. Il faut attendre la fin du second conflit mondial pour que la première Coccinelle sorte des lignes de l’usine de Wolfsburg, passée sous contrôle britannique. La petite voiture, symbole de l’essor de la mobilité individuelle made in Germany, a fait la fortune de VW, aujourd’hui première entreprise d’Allemagne.

 

Impossible, en passant devant les cheminées de Wolfsburg, de cacher cette histoire alarmante. Impossible qu’Herbert Diess, patron du groupe depuis le printemps, n’y pense pas, lui aussi, à chaque fois qu’il entre dans la ville-usine. Avec cette crainte, devenue lancinante depuis trois ans, avec le commencement du « dieselgate », de voir ce monument du XXe siècle devenir une ville-musée, ou pis, une ville-fantôme.

Mi-octobre, lors du grand Salon des sous-traitants du groupe organisé à Wolfsburg, Herbert Diess n’avait rien caché du scénario qu’il redoute. « Qui regarde les anciens bastions de l’automobile comme Detroit, Oxford-Cowley ou Turin sait bien ce qui se passe dans ces villes où les groupes, autrefois puissants, et les industries dominantes commencent à tanguer. Dans l’état actuel des choses, j’évalue à 50-50 les chances que l’industrie automobile soit encore dominante mondialement dans dix ans », a-t-il déclaré aux représentants des sous-traitants, venus ce jour-là se partager les 170 milliards d’euros du budget achats du constructeur.

Centralisme excessif

Herbert Diess est le seul patron à avoir formulé aussi clairement l’ultimatum du déclin qui plane sur l’industrie allemande, si marquée par les spécialités du XXe siècle – la voiture, la machine, la chimie. Le « changement de structure », mot jusqu’ici réservé au charbon et à l’acier, est désormais utilisé dans l’automobile, bouleversée par la crise du diesel, l’émergence rapide du moteur électrique, du numérique et de l’intelligence artificielle sur le marché de la mobilité. « Il y aura moins d’emplois dans l’industrie automobile en Allemagne, nous le savons tous. La seule question, c’est de savoir à quelle vitesse nous pouvons accompagner le changement de structure », dit-il. Selon l’institut de recherche sur le travail IAB, proche de l’Agence allemande pour l’emploi, 100 000 postes sont directement menacés par l’introduction du véhicule électrique en Allemagne.