« Le Salaire de la peine » : le business de la souffrance au travail

« Le Salaire de la peine » : le business de la souffrance au travail

La psychologue Sylvaine Perragin revient dans un livre sorti au Seuil sur l’origine de la dangereuse ascension des raideurs dans l’univers secret des bureaux.

Dans leur camion rempli de nitroglycérine, Yves Montand et Charles Vanel en déficit dans un village d’Amérique centrale vivent durant 500 kilomètres le stress d’une mission qui leur sera fatale dans Le Salaire de la peur, effectué par Henri-Georges Clouzot en 1953. Le Salaire de la peine, le livre de Sylvaine Perragin, nous transpose dans un contexte abondamment plus lisse que les routes guatémaltèques et en apparence bien plus serein : celui du monde du travail du XXIe siècle. Mais c’est bien de stress qu’il s’agit et plus amplement de souffrance au travail.

Dans son livre, la psychologue du travail revient sur l’origine de l’imprudente ascension des tensions dans l’univers feutré des bureaux alors que « 90 % des actifs pensent que la souffrance au travail a augmenté depuis dix ans ». Elle en donne, en quelques chiffres, une photographie angoissante : « En 2017, 400 000 personnes souffraient de troubles psychiques liés au travail ; 500 sont parvenus à les faire reconnaître comme maladies professionnelles. »

Exigées par la loi

Malgré cela, les sociétés sont forcées par la loi d’estimer les risques professionnels, y compris les risques psychosociaux depuis 1991. Alors pour quelles raisons, malgré la prise de conscience des employeurs et la multiplication des audits, l’environnement de travail des travailleurs ne s’améliore-t-il pas ? Pourquoi, en 2018, la France comptait-elle encore « 3,2 millions de personnes (…) “en danger” d’épuisement » ?, questionne l’auteure, qui déclare « plus de 4 000 infarctus directement dus au stress professionnel ».

La pénitence au travail est transformée « un véritable marché », au point d’augmenter le chiffre d’affaires du conseil en France de 10,5 % en 2017 ! Mais les recommandations des consultants ne sont pas ou peu suivies par les sociétés, déclare-t-elle.

Sylvaine Perragin démonte, exemples à l’appui, les pratiques managériales coupables, qui finissent soit à l’enterrement des appuis des cabinets RH, soit à la mise en place de purs produits du business de la peine au travail, des fausses solutions disposées « bien-être au travail » ou « bonheur au travail ». Le problème est que le succès économique des cabinets de conseil découle d’un processus d’évitement : le stress des salariés est fréquenté dans une approche centrée sur l’individu qui écarte « les causalités relatives à l’organisation du travail ». Les sociétés passent ainsi à côté du sujet.

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LJD

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