La nouvelle n’a pas étonné les salariés de Ford, avertis depuis des semaines. Lundi 25 février, le fabricant des voitures américain a affirmé ce que beaucoup appréhendaient, en refusant la dernière offre de reprise de Punch Powerglide pour son usine de Blanquefort, dans la Gironde. Ford souhaite poursuivre de favoriser un plan social, et les 849 salariés attendent de connaître leur sort. Environ la moitié d’entre eux pourront prétendre à une retraite anticipée, tandis que près de 350 pourraient connaître un plan de reclassement.
La sensation générale est à la colère et à la lassitude, pour une situation qui dure depuis trop longtemps. « Depuis un mois et demi, on sait que c’est terminé », expose Laurent Pinlou, 48 ans, agent de maîtrise à la logistique. Agent de l’usine depuis presque trente ans, il explique que « l’on sentait bien, lors des réunions, que les dossiers n’avançaient plus. Punch qui ne donne pas de nouvelles, l’Etat français qui rabâche toujours la même chose, on voyait bien que les constructeurs avec qui Punch avait envie de travailler ne voulaient pas s’engager ».
M. Pinlou, comme de nombreux salariés, est soumis, et tente de se faire une raison, pour « tourner la page, se tourner vers autre chose ». L’espoir n’est à peine dans les esprits, malgré la possibilité d’une revitalisation de l’usine évoquée par l’Etat, mais qui ne concerne pas les emplois. Laurent est las de ces allers-retours entre Punch, Ford et l’Etat, pendant que les salariés sont ballottés dans l’attente de leur sort.
« Comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne »
Ford, c’est avant tout une entreprise qui, après sa constitution à Blanquefort en 1972, a mobilisé en masse dans la région. « A l’époque, Dassault et Ford étaient les deux grosses usines du coin qui employaient », retrace Jean-Christian Gonzales, qui a fait son passage chez le constructeur américain en 1986. S’il a connu l’époque où l’usine comptait 4 000 salariés, il évoque pareillement ces années où il travaillait dans de bonnes conditions, malgré la difficulté de son poste. Mais les années 2004-2006 et leurs premières vagues de départs ont détérioré cette atmosphère « bon enfant ».
« En un peu plus d’une dizaine d’années, ils ont tué l’entreprise », déclare M. Gonzales. Pour lui, Ford a soutenu la fermeture de l’usine : « Une entreprise qui ne gagnerait pas d’argent, on comprendrait. (…) Mais il n’y a pas de raison de marché, ils souhaitent se débarrasser de l’usine. Et on n’arrive pas à comprendre comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne. » Ce sentiment est partagé par bon nombre d’employés, pour qui Ford a saboté l’usine, avec un premier plan de reprise raté en 2008 par le groupe allemand HZ Holding, avant que Ford ne rachète son usine en 2010.
Une région qui ne compte plus d’usines de ce genre
Les demandes et l’inquiétude n’abandonnent pas les salariés depuis l’annonce de la fermeture. Beaucoup y sont entrés jeunes, et n’ont rien connu d’autre que cette usine, comme Gilles Penel, qui y travaille depuis trente et un ans. A 48 ans, il est dans obligation de faire son CV, et réfléchir au marché du travail, dans une région qui ne compte plus d’usines de ce genre. Lui aussi précise que « ce n’est pas nous qui avons fermé l’usine, nous ne sommes pas responsables ». L’idéal pour M. Penel serait « qu’après le PSE [plan de sauvegarde de l’emploi], Punch puisse racheter l’usine, s’ils ont nécessairement de l’activité comme ils l’ont dit, et qu’ils embauchent d’anciens de chez Ford ».
Un sentiment que partage Jean-Michel Caille, secrétaire général de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, techniciens et agents de maîtrise de Ford Aquitaine Industries. Il tente de demeurer positif, même s’il admet qu’« on a très peu d’espoir qu’il y ait une suite avec Punch ». « Si cette société arrive à avoir des lettres d’intention de constructeurs d’ici trois ou quatre mois, il serait intéressant de ne pas lâcher cette piste, qui semble la plus viable aujourd’hui à court ou moyen terme », déclare-t-il.
Lors d’une réunion avec le ministre de l’économie et des finances, à Bercy en fin de journée, il s’attendait à « entendre parler de revitalisation ». Le ministre de l’économie a, lui, lamenté lundi que Ford ait rejeté la dernière offre de reprise de son site, fustigeant l’attitude « indigne » du fabricant américain et entérinant la fermeture de l’usine.
Prévoyant qu’une reprise de 200 à 300 personnes soit réalisable. M. Caille s’avoue « très déçu », lui qui travaille pour l’usine de Blanquefort depuis quarante ans, et voit la décision de Ford comme une « grande déception ». Celui dont le père est entré à l’usine en 1972 conclut : « Mon père a ouvert l’usine, et moi, je vais la fermer. Ford nous a menti depuis le début, il manque de courage et d’honnêteté. »
Pour changer l’assurance-chômage, la puissance veut aller vite tout en ouvrant amplement le débat. C’est, en substance, ce qu’ont averti le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, lors d’une conférence de presse, mardi 26 février. Les mesures, dont la teneur certaine reste à définir, feront l’objet d’un décret susceptible d’être diffusé au Journal officiel durant la deuxième quinzaine d’avril. Elles devraient être mises en œuvre pendant l’été – le calendrier n’étant pas encore précisément arrêté.
Ces indications ont été attribuées six jours après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux pour préparer une nouvelle convention Unédic – le texte qui définit les règles appropriées au régime d’indemnisation des chômeurs. Le patronat et les syndicats n’ayant pas réussi à trouver un accord, le gouvernement est aujourd’hui amené à prendre le relais. Un dossier que M. Philippe et Mme Pénicaud inscrivent dans la suite d’autres réformes pour améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi : les ordonnances de septembre 2017, qui ont réécrit le code du travail, et la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, qui a chamboulé l’apprentissage et la formation continue tout en apportant de premiers changements à l’assurance-chômage (avec, entre autres, son accroissement aux indépendants et aux salariés démissionnaires qui ont un nouveau projet de carrière).
Dans sa démarche, l’exécutif reste fidèle aux orientations de la feuille de route que Matignon avait donnée en septembre 2018 aux organisations de salariés et d’employeurs pour cadrer leurs discussions. Ce document fixe plusieurs objectifs : lutter la précarité, répondre « aux besoins en compétences des entreprises » (certaines d’entre elles ayant de plus en plus de mal à recruter la main-d’œuvre qu’elles recherchent), diminuer la dette du régime – qui a atteint 35 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2018, etc.
Mardi, le gouvernement a pareillement confirmé quelques-unes des pistes qu’il entend explorer. Premier axe : juguler l’inflation des contrats courts – ceux « d’un mois et moins » ayant été multipliés par 2,5 entre 2000 et 2016. Les CDD d’une telle durée concernent, à 80 %, des salariés qui sont réemployés durablement par le même employeur – soit, au total 400 000 personnes. Pour stopper cette dérive, M. Philippe et Mme Pénicaud veulent « responsabiliser » les entreprises : après avoir obtenu une modération du code du travail, celles-ci doivent maintenant renvoyer l’ascenseur et accorder des « contreparties », dans l’esprit de l’exécutif.
Modalités de calcul
L’hypothèse du bonus-malus est nettement « sur la table », a montré le premier ministre mardi. Cet instrument constitue « une solution » et « personne ne nous [en] a proposé à ce stade [de] meilleur », a abouti M. Philippe. Inscrit dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, ce dispositif majore les cotisations des sociétés où le personnel tourne fréquemment, et diminue celles des employeurs dont les effectifs sont stables. A ce stade, rien n’est concilié mais le président de la République a, plusieurs fois, exprimé son intention de concrétiser cet engagement, le ministère du travail ayant, pour sa part, indiqué que le dispositif était prêt.
La réforme pourrait aussi se traduire par une remise en cause du niveau maximal de l’allocation-chômage (un peu plus de 6 600 euros net par mois). Mardi, M. Philippe a affirmé qu’il fallait « revoir » ces règles d’indemnisation pour les « salaires élevés ». Un scénario de nature à punir les demandeurs d’emplois qui avaient une rétribution importante puisque l’allocation dépend des dernières fiches de paye : les cadres oseraient donc d’être touchés. Le pouvoir en place étudie cette option en invoquant le fait que le plafond d’indemnité en France est nettement plus haut que celui en vigueur chez nos voisins européens.
Finalement, les modalités de calcul et d’octroi de l’apport devraient être reconsidérées, car l’exécutif observe qu’elles n’incitent pas, dans certaines situations, à admettre un poste, dans la durée. Sont particulièrement dans le collimateur les règles acceptant d’entasser un salaire et une allocation. « Une personne qui travaille à mi-temps au smic perçoit un salaire de 740 euros par mois. Mais si elle alterne quinze jours de chômage et quinze jours de travail dans un mois, elle comprendra un revenu de 960 euros. Ce n’est pas normal », avait dénoncé Mme Pénicaud, dans un entretien au magazine Challenges, mi-janvier.
Dans les jours suivants, la ministre du travail souhaite apercevoir les leaders patronaux et syndicaux, remarquables à l’échelon interprofessionnel. Ultérieurement, et jusqu’à la fin mars, voire au-delà, plusieurs dizaines de réunions faudrait se tenir, rue de Grenelle, avec de nombreux acteurs : associations de chômeurs, mouvements d’employeurs avec une assistance moins importante que celle du Medef, aménagements de salariés non représentatives… Un exercice très exceptionnel puisque jusqu’à présent, seuls les associés sociaux ayant voix au chapitre au niveau national déposaient au point les conventions Unédic.