Réforme des retraites : « En s’appuyant sur un logiciel économique erroné, la droite puis la Macronie persistent depuis vingt ans dans une impasse »

La volonté d’Emmanuel Macron et de la droite de retarder l’âge de départ à la retraite repose, au-delà de la question du financement, sur la conviction que pour avoir une croissance économique plus forte, permettant de réduire le chômage, il faudrait travailler plus.

Cette conviction a une alliée de poids : la théorie économique, et en particulier la microéconomie, considérée comme le noyau dur de la discipline. Celle-ci enseigne que, pour un état donné de la technologie et de la démographie, le produit intérieur brut (PIB) d’un pays dépend du degré de mobilisation de ses ressources productives, en particulier du travail. Cela s’appelle la « frontière des possibilités de production ». Donc, si l’on allonge la durée du travail, on accroît le PIB.

Et si l’on augmente le nombre de fonctionnaires, ce seront autant de ressources en travail qui manqueront aux entreprises, qui, si l’on en croit cette théorie, sont les seules à innover et à créer véritablement des richesses. D’où, depuis vingt ans, les tentatives ou décisions de remise en cause des 35 heures, de défiscalisation des heures supplémentaires pour encourager les salariés à travailler plus, de recul de l’âge de départ à la retraite, de cumul emploi et retraite, de limitation, voire de diminution, des impôts qui laissent bien des services publics exsangues…

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Ce raisonnement appelle quatre remarques. S’il suffisait d’allonger la durée du travail pour augmenter le PIB d’un pays, donc sa puissance économique, tous les gouvernements l’auraient fait depuis longtemps, à commencer par les régimes dictatoriaux ! Or, on ne trouve rien de cela. Au contraire, la réduction de la durée du travail est une longue histoire de revendication sociale et d’intervention publique, depuis deux siècles, commune à tous les pays développés.

Les faits contredisent la théorie

En réalité, rien n’empêche les employeurs d’allonger si nécessaire la durée du travail en recourant aux heures supplémentaires. Pour le droit du travail, ce recours est une prérogative patronale, mais aussi une obligation légale : le salarié qui refuse commet une faute contractuelle passible de sanction. Ainsi, la fameuse semaine de 40 heures du Front populaire, si décriée sur le moment, a été rétablie dès février 1946. Or, elle n’a pas empêché la reconstruction rapide du pays, ni la croissance exceptionnelle des « trente glorieuses ». En 1965, la durée effective du travail était, tous salariés confondus, de quarante-six heures par semaine, soit un dépassement de 15 % de la durée légale. Abaisser la durée légale du travail n’a donc rien de décroissant, sauf à interdire les heures supplémentaires.

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Réforme des retraites : « Les effets de l’âge ne sont ni uniformes ni systématiques »

A la naissance du Conseil d’orientation des retraites, en 2000, sa présidente Yannick Moreau avait rappelé qu’« il serait illusoire de penser qu’on pourra augmenter la durée d’activité (…) si la gestion des ressources humaines n’évolue pas profondément ». Ce souci a été réactivé à chaque réforme des retraites, et c’est encore le cas aujourd’hui : on reparle, et c’est légitime, de la durée de chômage chez les travailleurs seniors, de la pénibilité des tâches qu’ont effectuées bien des salariés âgés ou encore de leurs possibles déficiences de santé et restrictions d’aptitudes.

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Mais il est un autre enjeu, moins visible, de la vie de travail dans les années précédant la retraite : ce qui a trait aux conditions de l’activité, et plus précisément ses conditions temporelles. Les difficultés qui surgissent sont en effet fortement liées à une caractéristique majeure de l’évolution du travail dans les pays industrialisés depuis une trentaine d’années : une tendance soutenue à son intensification, avec ses traits bien connus comme le raccourcissement des délais, les horaires plus dispersés ou l’accélération du rythme des changements.

En France, la proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par « des normes ou des délais en une heure au plus » est passée, entre 1984 et 2019, de 5 % à 23 % selon les enquêtes nationales sur les conditions de travail ; celle des travailleurs dont le rythme dépend d’une « demande extérieure exigeant une réponse immédiate » est passée de 28 % à 55 % ; toutes les autres formes de contraintes de temps ont varié dans le même sens et souvent se cumulent.

A chacun son vieillissement

Au regard de ce faisceau de contraintes, les ressources ou les fragilités personnelles sont diverses, comme le sont aussi les compromis que les femmes et les hommes au travail bâtissent, au fil de leur vie professionnelle, entre les exigences de leurs tâches et leur propre rapport au travail, leur santé, leurs compétences et leurs projets. Les effets de l’âge, en ce domaine, ne sont ni uniformes ni systématiques : à chacun son vieillissement, peut-on dire. Le déclin de certaines fonctions est très variable selon les individus ; en parallèle, l’expérience s’enrichit et les stratégies de travail s’affinent. Mais l’intensification peut souligner d’éventuelles déficiences (par exemple, les horaires de nuit viennent accentuer une déstabilisation du sommeil). Elle peut surtout remettre en cause les apports de l’expérience, plus délicate à élaborer et à mobiliser quand les temps se resserrent.

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Les aides polémiques à la formation, en cas d’embauche d’un demandeur d’emploi

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

L’objectif du dispositif

Deux dispositifs très avantageux permettent aux entreprises de former leurs futures recrues : la préparation opérationnelle à l’emploi (POE) et l’action de formation préalable au recrutement (AFPR). Ils correspondent à une sorte de « période d’apprentissage » prise en charge par Pôle emploi, avant l’embauche définitive du salarié.

Nés en 2009 à l’occasion de la loi sur la formation professionnelle, ces deux dispositifs n’ont jamais été remis en question dans leurs fondements, malgré des dérives largement médiatisées : en 2013, un supermarché Leclerc a été accusé d’utiliser des travailleurs recrutés au titre de l’AFPR comme de la main-d’œuvre gratuite. D’autres affaires analogues sont sorties dans la presse ou ont été portées devant les tribunaux. Suite à leur médiatisation, quelques ajustements ont été faits au fil des ans afin de mieux encadrer ces dispositifs.

Le fonctionnement

« Je n’ai pas l’impression que la POE et l’AFPR soient très connues », s’étonne Sonia Yangui, juriste experte en droit social au sein du cabinet de conseil SVP. Pourtant, l’employeur a tout à y gagner : tandis que le futur salarié reste sous le statut de demandeur d’emploi pendant qu’il suit sa formation, qui peut aller jusqu’à 400 heures, le coût des frais pédagogiques est pris en charge : 5 euros de l’heure en cas de formation interne à l’entreprise et 8 euros lorsque l’employeur fait appel à un organisme de formation extérieur.

La préparation opérationnelle à l’emploi est réservée aux embauches en contrat de longue durée : elle peut être individuelle (on parle alors de POEI), ou collective lorsqu’elle est portée par un opérateur de compétences (OPCO) ou sur des formations identifiées par un accord de branche d’activité.

Pour en bénéficier, l’employeur doit s’engager à embaucher le candidat à l’issue de sa formation en CDI, CDD ou en contrat d’alternance d’au moins douze mois, d’une durée de vingt heures hebdomadaires minimum. Un cofinancement de la formation par l’OPCO dont dépend l’employeur est aussi envisageable.

L’AFPR est le petit frère de la POE pour les contrats courts : si ses modalités sont similaires, cette aide concerne uniquement les CDD de six à douze mois, les contrats en intérim d’au moins six mois ou encore les contrats de professionnalisation de moins de douze mois.

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Réforme des retraites : les syndicats, unis, « se préparent à la mobilisation »

Après trois mois d’échanges avec le gouvernement sur la réforme des retraites, l’état d’esprit des leaders syndicaux n’a pas varié d’un iota : ils sont vent debout contre la principale mesure de ce projet qui devrait repousser à 64 ou à 65 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension, conformément à un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. Reçus à tour de rôle, mardi 3 et mercredi 4 janvier, par la première ministre, Elisabeth Borne, ils ont exprimé, à l’issue de leur entretien, une immense frustration, donnant le sentiment que le dialogue avec l’exécutif avait tourné à vide. Ils ont, au passage, réaffirmé leur volonté de s’opposer, tous ensemble, à un chantier dont les grandes lignes doivent être dévoilées le 10 janvier.

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L’amertume de Laurent Berger était palpable, juste après son rendez-vous à Matignon. Le secrétaire général de la CFDT a évoqué un « dernier tour de piste » qui ne lui a « pas [appris] grand-chose », en dehors du fait que le pouvoir en place était résolu à faire « travailler plus longtemps » la population. D’après lui, très peu d’« éclaircissements » ont été apportés sur des thèmes cruciaux : la prévention de l’usure professionnelle, le maintien en activité des travailleurs âgés, les dérogations pour ceux qui sont entrés avant 20 ans sur le marché de l’emploi afin qu’ils puissent prendre leur retraite de façon anticipée, la revalorisation du minimum de pension à hauteur de 85 % du smic, etc.

« On n’a pas avancé », a renchéri Frédéric Souillot, le numéro un de Force ouvrière, en déplorant le manque de considération dont l’exécutif a fait preuve – à ses yeux – face aux « propositions » de sa confédération. « Ce que j’aurais aimé (…), c’est que le président de la République et son gouvernement cherchent le consensus social pour pouvoir l’imposer à une Assemblée nationale (…) où il n’[a] pas de majorité absolue, a confié François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Ça aurait eu de la gueule. » Mais cette option-là n’a pas « été retenue », a-t-il regretté. Pour son homologue de la CGT, Philippe Martinez, c’est la preuve que M. Macron « veut une réforme dogmatique qu’il a décidé de faire sans tenir compte de l’avis des syndicats ».

« Inacceptable »

De là à soutenir que la consultation des partenaires sociaux depuis octobre 2022 n’a servi à rien, il y a toutefois un pas, que peu de monde franchit. Plusieurs responsables syndicaux ont même reconnu que des « choses intéressantes » avaient été obtenues, selon la formule de Cyril Chabanier, le président de la CFTC, qui – sans entrer dans les détails – a cité des dispositions en matière de pénibilité au travail et d’emploi des seniors. S’agissant des personnes ayant accompli de longues carrières, il semble que les scénarios gouvernementaux aient évolué : l’idée d’introduire de nouvelles règles pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans n’était pas dans la maquette initiale, à en croire des sources au cœur du dossier.

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« Relations professionnelles, une histoire sans fin ? » : aux origines de la déstabilisation des relations professionnelles

Le livre. Que sont les relations professionnelles devenues ? C’est la question que se posent les contributeurs du 21e numéro de La Nouvelle Revue du travail (NRT) paru aux éditions Erès. Au fil des pages de cette publication spécialisée dans la sociologie du travail, « les auteurs scrutent les profondes transformations des relations professionnelles depuis trois décennies ». Elles sont nombreuses et conduisent, estiment-ils, à une « dérégulation généralisée ».

Pour la comprendre, il faut se pencher sur les mutations qui ont touché souvent violemment les entreprises, leur activité, leur organisation. « Globalisation de la production et des échanges (…), éloignement des centres décisionnels par rapport aux lieux de travail (…), modification du droit du travail par les Etats… » Les transformations à l’œuvre ont bouleversé le monde mis en place à l’après-guerre, signant « la fin du modèle du compromis fordiste ».

« Relation professionnelles, une histoire sans fin ? », ouvrage collectif, « La Nouvelle revue du travail », semestriel (n° 21), Erès, 272 pages, 21 euros.

L’entreprise est devenue une « nébuleuse », estiment Meike Brodersen et Esteban Martinez, sociologues de l’Université libre de Bruxelles. Elle fait intervenir fréquemment sous-traitants, agences de travail intérimaire ou travailleurs indépendants. « [Une] précarisation et [une] diversification de l’emploi à la source de l’affaiblissement de l’acteur syndical », expliquent-ils. Il s’agit là d’un facteur de fragilisation des systèmes de relations professionnelles. « La transformation des structures de pouvoir au sein de l’entreprise » en est un autre, selon les deux auteurs, à l’heure où « l’identification des centres de décision patronaux » devient plus incertaine.

Un « déficit démocratique »

Observés depuis plusieurs décennies, cet éclatement des collectifs de travail et cet éloignement de la figure de l’employeur ne sont pas nés avec l’économie de plate-forme, insistent les auteurs. Ils l’ont précédée. Mais l’ouvrage souligne que le développement des plates-formes numériques (transport, livraison de repas…) a notablement accentué les transformations à l’œuvre.

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De quoi engendrer un « déficit démocratique », lié à « la dissimulation des relations de pouvoir et [à] l’effacement de l’employeur dans son rôle d’interlocuteur patronal au sein d’entreprises repliées sur leur fonction d’intermédiation », expliquent les auteurs. Ils voient là une « gouvernance algorithmique », qui « obscurcit les relations de pouvoir réelles, désincarne le management et pose un défi considérable à l’organisation de résistances de la part des salariés ».

La revue montre comment le « centre des relations de pouvoir » s’est déplacé au fil du temps : il « n’est plus la relation d’emploi, mais la dépendance économique », indiquent les auteurs. Ils soulignent aussi combien ces évolutions mettent au défi les syndicats et rendent délicate « l’organisation de résistances ». Associées à des « réformes libérales », ces transformations ont une conséquence majeure : elles « génèrent une situation économique et sociale dans laquelle le pouvoir salarial est de moins en moins fort par rapport au pouvoir patronal », expose Camille Dupuy, sociologue de l’université de Rouen.

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Retraites : la bataille manquée du gouvernement avec l’opinion

La première ministre, Elisabeth Borne, et son gouvernement arrivent à l’Elysée pour participer au premier conseil des ministres de l’année, à Paris, le 4 janvier 2023.

Le majestueux sapin haut de 4 mètres trône encore dans le vestibule de l’hôtel du Châtelet, qui abrite le ministère du travail. A chaque fois qu’Olivier Dussopt y passe, le ministre jette un œil aux épines grisonnantes qui s’affaissent sous le poids des globes dorés. Et dire que le projet de réforme des retraites était déjà mûr lorsque l’arbre de Noël rayonnait, début décembre 2022… Sa présentation avait été reportée au 10 janvier pour épargner les fêtes de fin d’année.

Le temps est venu, désormais, d’affronter la tempête. Pour un pouvoir en place, « ce n’est jamais plaisant », a consenti le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, mercredi 4 janvier, après le premier conseil des ministres de l’année.

Peu avant, Emmanuel Macron s’était fait sombre en appelant le gouvernement à « ne pas céder aux professionnels de la peur » et à « la conjuration des esprits tristes », tandis que la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne, priait les ministres de « résister aux vents contraires ». La veille à Matignon, elle-même, Olivier Dussopt et le patron de la CFDT, Laurent Berger, ont passé en revue le ballet qui va s’ouvrir, avec ses menaces et ses lignes rouges, et dont, au fond, personne ne veut vraiment.

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Personne, sauf Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat entend bien accrocher la réforme maudite au tableau de son second quinquennat et conserver l’habit réformateur qu’il revendique. Avec l’ambition de « continuer de transformer notre pays face aux corporatismes » ou « à la tentation de l’esprit de défaite », a-t-il insisté dans ses vœux aux Français. Mercredi, le président réélu il y a huit mois a demandé à Elisabeth Borne et à ses ministres de « l’audace ». Ces derniers s’apprêtent à dévoiler une réforme sans surprise ni chamboulement : il s’agit de maintenir le système à flot, pas de le refonder.

Préserver emploi et compétitivité

Jusqu’au bout, la cheffe du gouvernement aura tenu à jouer la concertation, dans une chorégraphie renouvelée de rendez-vous à Matignon avec les syndicats et les responsables politiques. Trois mois de discussions ponctués de deux dîners élyséens, où le chef de l’Etat a jaugé les équilibres au sein de son camp et, entre les huîtres et le fromage, tranché sur la manière de procéder. Le temps de trouver un étroit terrain d’entente avec les partenaires sociaux sur des contreparties, comme la pénibilité ou la pension minimale à 85 % du smic.

Le pouvoir a ainsi focalisé le débat public tantôt sur la méthode – amendement au budget de la Sécurité sociale ou projet de loi à part ? Recours au 49.3 ou vote parlementaire ? – tantôt sur l’âge à atteindre pour percevoir sa retraite à taux plein. Les deux têtes de l’exécutif ont évoqué soit 65 ans, soit 64 ans couplé à l’accélération de la réforme Touraine – elle porte la durée de cotisation à quarante-trois ans d’ici à 2035.

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Amazon va supprimer plus de 18 000 emplois, y compris en Europe

Le patron d’Amazon a annoncé, mercredi 4 janvier, la plus grosse vague de licenciements de l’histoire de l’entreprise sise à Seattle, aux Etats-Unis.

Estimée en novembre 2022 à 10 000 suppressions de postes, la vague de licenciements qui va toucher Amazon est en fait plus élevée. Dans un message publié sur le site du groupe américain de commerce en ligne, son directeur général, Andy Jassy, fait savoir qu’Amazon a révisé son estimation à la hausse et « prévoit de supprimer un peu plus de 18 000 postes », y compris en Europe. Il s’agit de la réduction de personnel la plus massive dans l’histoire de l’entreprise de Seattle.

Sans préciser la répartition de ces suppressions d’emplois, le dirigeant, qui précise avoir décidé d’annoncer « ces nouvelles rapidement » parce qu’elles ont été « révélées » par un employé, mentionne que les salariés concernés « ou leurs représentants, le cas échéant, en Europe » seront contactés par la société le 18 janvier. Il déclare que les licenciements affecteront principalement les magasins physiques de l’entreprise, qui comprennent Amazon Fresh et Amazon Go, ainsi que certains services internes, telles les ressources humaines.

« L’examen de notre planification annuelle (…) a été plus difficile cette année compte tenu de l’incertitude économique et du fait que nous avons embauché massivement au cours des dernières années », dit encore Amazon.

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Croissance anémique en comparaison de ses standards

Le groupe de distribution a, en effet, procédé à de nombreuses embauches pendant la pandémie, afin de répondre à l’explosion de la demande, doublant ainsi son personnel mondial entre le début de 2020 et le début de 2022. Le groupe employait, à la fin de septembre, 1,54 million de personnes dans le monde, sans compter les travailleurs saisonniers recrutés en période d’activité accrue, notamment pendant les fêtes de fin d’année.

« Amazon a résisté à des économies incertaines et difficiles dans le passé, et nous continuerons à le faire », assure le patron du groupe américain. « Ces changements nous aideront à poursuivre nos opportunités à long terme avec une structure de coûts plus solide (…). Les entreprises qui durent longtemps passent par différentes phases. Elles ne sont pas en mode d’expansion massive de personnel chaque année », poursuit-il.

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Amazon a vu son bénéfice net baisser de 9 % sur un an au troisième trimestre 2022. Et, pour le dernier trimestre, Amazon anticipait en novembre une croissance anémique au regard de ses standards, comprise entre 2 % et 8 % sur un an, et un bénéfice opérationnel compris entre 0 et 4 milliards de dollars, contre 3,5 milliards pour la même période de 2021. Le groupe doit annoncer ses résultats annuels le 1er février.

Le secteur de la tech en difficulté

Ce plan de suppressions d’emplois est le plus important parmi les récentes annonces de réductions d’effectifs qui touchent le secteur de la technologie aux Etats-Unis. Les grandes plates-formes au modèle économique fondé sur la publicité font face aux coupes budgétaires des annonceurs, qui réduisent leurs dépenses face à l’inflation et à la hausse des taux d’intérêt.

Meta, la maison mère de Facebook, a annoncé, en novembre 2022, la suppression de 11 000 emplois, soit environ 13 % de ses effectifs. A la fin d’août, Snapchat avait supprimé environ 20 % de ses effectifs, soit plus de 1 200 employés. Twitter, racheté en octobre par Elon Musk, a, pour sa part, congédié environ la moitié de ses quelque 7 500 salariés.

Dernier en date, le groupe informatique américain Salesforce, spécialisé dans les solutions de gestion et dans le cloud (« nuage », soit le stockage de données numériques à distance), a annoncé mercredi se séparer d’environ 10 % de ses salariés, soit un peu moins de 8 000 personnes.

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Le Monde avec AP et AFP

Emploi des seniors : le double discours des recruteurs

Marie-Antoinette Giliberto, chauffeure de bus depuis 10 ans. Retraitée depuis peu, sa compagnie lui a demandé de reprendre du service afin de faire face au manque de conducteurs. Ici à Chateauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), le 3 janvier 2023.

C’est l’un des arguments employés par l’exécutif pour convaincre les Français de la nécessité de réformer le système de retraite : la France compte parmi les pays développés dans lesquels les seniors – comprendre les salariés âgés de plus de 55 ans – travaillent le moins. En 2022, le taux d’emploi des 55-64 ans était de 56 % environ. Certes, une hausse spectaculaire par rapport à un point bas de 29 % atteint à la fin des années 1990, mais bien moins qu’en Scandinavie, où environ 90 % des seniors participent au marché du travail.

Autre limite à cette amélioration, elle concerne principalement les moins de 60 ans. Le taux d’emploi des 55-59 ans est ainsi passé de 38 % début 2008 à 73 % en 2020, selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), en raison notamment de la réforme des retraites de 2010, qui a fait passer l’âge légal de départ de 60 à 62 ans. En France, une fois soufflées les soixante bougies, une personne sur trois seulement reste sur le marché du travail. Au Japon ou en Suède, la proportion s’inverse : deux sexagénaires sur trois environ sont en activité.

Si les seniors sont si peu nombreux à rester actifs dans l’Hexagone, ce n’est pas uniquement parce que les Français manifesteraient un goût plus prononcé que d’autres pour la retraite. Malgré les innombrables rapports ou plaidoyers qui se succèdent autour de l’emploi des seniors, les entreprises ne se pressent pas pour recruter des salariés âgés.

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« Les freins à l’emploi des seniors sont à chercher à la fois du côté des entreprises et du côté des salariés âgés », conclut une note rédigée par trois économistes de la Direction générale du Trésor. Parmi les facteurs identifiés qui freinent l’appétit des recruteurs pour les seniors : la perte d’employabilité, « en raison des conditions physiques ou d’un manque de formation », et le niveau des salaires, « en particulier la rémunération à l’ancienneté parfois décorrélée de la productivité ». Enfin, ajoutent les auteurs de cette note, « il peut exister des effets de discrimination liés à l’âge ».

Réticences

Les enquêtes de terrain auprès des recruteurs confirment ces réticences. Une étude menée par Indeed, l’un des principaux moteurs de recherche d’emploi au monde et publiée en novembre 2022 est particulièrement édifiante. Quatre chefs d’entreprise sur dix interrogés indiquent qu’ils ne prévoient pas d’embaucher un candidat de plus de 45 ans dans un proche avenir – d’ailleurs, 18 % disent « n’en avoir jamais recruté ». A curriculum vitæ équivalent, un sur quatre dit privilégier le candidat plus jeune. Pourtant, ces mêmes recruteurs n’hésitent pas à affirmer, à 68 %, que « les plus de 45 ans ne sont pas assez valorisés dans le monde professionnel français ». Dans une autre enquête Indeed publiée en octobre 2022, un salarié sur quatre disait s’être vu reprocher son âge lors d’un recrutement.

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Le mode d’emploi du cumul emploi-retraite

Antoinette Giliberto, à Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), le 3 janvier 2023. Retraitée depuis peu, sa compagnie lui a demandé de reprendre du service afin de faire face au manque de conducteurs de car scolaire.

Plusieurs options s’offrent aux personnes qui souhaitent poursuivre ou reprendre une activité professionnelle après le cap fatidique de la retraite : rester chez le même employeur sous le régime – peu utilisé – de la préretraite progressive ; prendre le statut de microentrepreneur à condition de ne pas dépasser le plafond de revenus autorisé en fonction de la nature de l’activité, ou recourir au cumul emploi-retraite.

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Ce dispositif, comme son nom l’indique, permet de toucher sa pension tout en percevant des revenus salariaux, sans que ces derniers soient plafonnés. Cette souplesse assure au dispositif un certain succès, d’autant qu’il permet aussi, si l’employeur l’autorise, de poursuivre son activité de manière plus ponctuelle dans son ancienne entreprise, par exemple sous forme de missions ou de CDD.

Certains experts estiment même que la formule peut être gagnante sur le plan financier. « Il peut être plus intéressant de liquider sa retraite dès que l’on a atteint l’âge légal, de toucher ses pensions de surcroît à taux plein et de cumuler ensuite avec un emploi », affirme ainsi Marilyn Vilardebo, présidente d’Origami & Co, une société d’audit et de conseil sur la retraite. Les revenus salariaux compensent alors le « manque à gagner » en termes de montant de la pension – un scénario à affiner et à vérifier au cas par cas en fonction des situations individuelles.

Quoi qu’il en soit, il y a quand même quelques règles à respecter avant de cumuler emploi et retraite. Pour bénéficier d’un cumul dit « intégral » – c’est-à-dire en touchant l’intégralité de la pension due — il faut non seulement avoir tous ses trimestres de cotisations, mais aussi atteint l’âge légal de départ. Il faut également avoir liquidé l’ensemble de ses retraites, autant la retraite de base que les retraites complémentaires.

Versements « à fonds perdu »

Si ces conditions sont remplies, le retraité peut reprendre une activité immédiatement après son dernier poste, et ce sans limite de rémunération. Si elles ne le sont pas – par exemple si le retraité ne perçoit pas sa pension à taux plein –, les revenus qu’il est possible de percevoir sont plafonnés. Et dans certains cas, notamment si l’activité professionnelle se poursuit auprès de l’ancien employeur, il faut respecter un délai de carence de six mois avant de reprendre une activité, sous peine de voir le versement de la pension suspendu jusqu’au terme de ce délai.

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Mais, surtout, « un cumulard » continue à payer des cotisations vieillesse, comme n’importe quel salarié, mais celles-ci n’ouvrent pas de nouveaux droits et n’améliorent pas la pension versée. Des versements « à fonds perdu », en quelque sorte, qui iront bénéficier aux générations suivantes. Si certains s’en accommodent, cette disposition peut en décourager d’autres de reprendre une activité professionnelle.

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Bilan des comités sociaux et économiques : comment le dialogue social s’est fragilisé

A la suite des ordonnances travail du 22 septembre 2017, les instances représentatives du personnel (IRP) – délégués du personnel, comité d’entreprise et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – ont fusionné dans le comité social et économique (CSE) pour les entreprises d’au moins 11 salariés.

L’année 2022 a vu le premier round de renouvellement pour quelque 20 000 CSE sur les 90 000 nouvelles instances représentatives mises en place, fin 2020, d’après les chiffres du comité d’évaluation des ordonnances publiés en décembre 2021. Mais, le gros des renouvellements est attendu pour 2023, avec plus de 50 000 CSE qui arriveront au terme de leur premier mandat.

« Cette réforme répondait à un double objectif, rappelle Emmanuel Dockès, directeur de l’Institut d’études du travail de Lyon (IETL) : une volonté de simplification et une demande de centralisation de la part des entreprises. » « Deux objectifs atteints », estime Nicolas Héron, directeur des affaires sociales du grossiste Metro France. « Le fait que tous les dossiers passent désormais devant la même instance simplifie effectivement les choses et permet d’accélérer le traitement des sujets, apprécie Christian Lambert, directeur des relations sociales de Schneider Electric France, groupe spécialisé dans les solutions énergétiques et les automatismes numériques pour le bâtiment et l’industrie comptant 14 500 salariés dans l’Hexagone et qui a renouvelé son CSE en 2021. Cela nous a également permis, avec nos partenaires sociaux, de cadrer le processus de travail. »

« Les burn-out ne sont pas rares »

« Si la logique de transversalité n’est pas inintéressante, car elle permet une vision globale et un dialogue sur toutes les thématiques, de nombreux effets négatifs sont à déplorer, dont le pire est la fragilisation du dialogue social », constate Luc Bérard de Malavas, consultant associé au sein du cabinet d’expertise et de conseil auprès des institutions représentatives du personnel Secafi (Groupe Alpha).

« L’instauration des CSE a eu pour conséquences une baisse des heures de délégation, une baisse du nombre de représentants de près d’un tiers et une professionnalisation des représentants, énumère Emmanuel Dockès. Un autre problème est celui de la perte de diversité, car, avant cette réforme, différentes fonctions existaient (santé/sécurité pour le CHSCT, porte-parole des réclamations des salariés par le biais des délégués du personnel). Sur le papier, ces fonctions ne sont pas supprimées, mais dans la pratique oui. »

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