A France Culture, « tout le monde guette » le résultat d’une enquête sur les relations au travail

Sandrine Treiner, directrice de France Culture, à Paris, le 25 août 2015.

Mi-janvier, à l’occasion des derniers résultats d’audience radio, les journalistes ont pu échanger avec Sandrine Treiner, la directrice de France Culture, ravie de commenter le succès de sa station. En interne pourtant, « on ne la voit plus beaucoup », assurent les collaborateurs avec lesquels Le Monde a échangé. Depuis l’automne 2022 et la mise en place d’un dispositif d’écoute des salariés, la dirigeante se fait discrète. Fini les bruyants débriefings de la matinale autour d’elle dans l’open space. Terminé les réunions où, racontent certains, les gens craignaient de s’attirer une réflexion salée.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Sibyle Veil est reconduite à la tête de Radio France

D’ici à la fin du mois, au plus tard début février, le cabinet d’expertise Alcens, mandaté par la direction de Radio France, devrait remettre son rapport. Sibyle Veil, la présidente, prendra ensuite quelques jours avant de décider des suites à lui donner. Sandrine Treiner devra-t-elle être sanctionnée ? Se verra-t-elle proposer une autre fonction ? « Tout le monde guette » ce qui va se passer, résume un journaliste.

La station est sur les charbons ardents depuis le 20 septembre et la parution dans Libération d’un article – « A France Culture, un “système de violence et de soumission” venu d’en haut » – qui décrivait un management qualifié de « brutal », « vertical », « autocratique », voire « méchant » par plusieurs de nos interlocuteurs.

Burn-out et départs

Les soutiens à Sandrine Treiner y ont lu un règlement de comptes reposant sur des témoignages anonymes, donc sujets à caution. A l’exception de ces quelques proches, tous ceux que nous avons contactés ont cependant requis la même discrétion. « Nous, les producteurs [les présentateurs d’émission], sommes dépendants du fait du prince », justifie l’un d’eux.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés France Inter, Franceinfo et France Culture concluent une belle saison en plein débat sur la redevance

Même prudence chez les réalisateurs, les auteurs de documentaires ou de fictions, les pigistes et intermittents auxquels la station fait appel – chacun a l’exemple d’un collègue « blacklisté », ou « placardisé », à citer. « Pour Sandrine, si on n’est pas avec elle, c’est qu’on est contre elle », résume une ancienne de la maison. Des situations de burn-out ont été identifiées (à des postes administratifs), et des départs (une directrice de la communication, une responsable RH) ont eu lieu. La dirigeante n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde.

En novembre-décembre 2022, France Culture caracolait à 3,1 points, l’un de ses records absolus

Dès la rentrée 2016, un communiqué du syndicat UNSA de Radio France titrait « France Culture, malade de sa direction » et faisait état d’« intimidations » et de « mépris », et appelait à « une relation apaisée avec l’ensemble des personnels de France Culture et la rédaction ». A l’époque, Sandrine Treiner dirigeait la station, qu’elle avait récupérée à 1,8 point d’audience cumulée, depuis un an seulement. En novembre-décembre 2022, France Culture caracolait à 3,1 points, l’un de ses records absolus. « Cela fait des années qu’on se plaint de la façon dont on est traités, insiste un témoin. La direction de Radio France a tout fait pour ne pas le voir, parce que les audiences étaient bonnes. »

Il vous reste 46.01% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Retraites : la délicate mission des ministres envoyés « à la rencontre des Français » pour défendre la réforme

Réunion militante du parti Renaissance, avec le député Mathieu Lefèvre, la première ministre, Elisabeth Borne, et le ministre du travail, Olivier Dussopt, à la veille du mouvement social contre la réforme des retraites, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), le 18 janvier 2023.

« On a une invitée surprise ce soir ! » Il est un peu plus de 20 heures, ce mercredi 18 janvier, et la réunion publique sur la réforme des retraites est déjà bien commencée, quand Elisabeth Borne fait une entrée remarquée dans la salle du Théâtre Antoine-Watteau de Nogent-sur-Marne. Sous les applaudissements de la cinquantaine de personnes de cette commune aisée du Val-de-Marne, venues poser leurs questions au député local (Renaissance) Mathieu Lefèvre, et au ministre du travail, Olivier Dussopt – que plusieurs participants avouaient ne pas avoir reconnu à son arrivée –, la première ministre s’avance, ravie de son effet. Elle est là pour « échanger » et rappeler la ligne du gouvernement : réformer les retraites vise à « assurer l’avenir de notre système, aujourd’hui en danger » grâce à un projet de « justice » et de « progrès social ».

Au lendemain de la présentation des modalités de la réforme, le 10 janvier, le président de la République, Emmanuel Macron, avait exhorté son gouvernement à aller faire de la « pédagogie » sur le terrain. Entre une matinale radio et un entretien avec la presse quotidienne régionale, plusieurs membres du gouvernement ont choisi de renouer avec un format qui avait fait florès au moment du grand débat en 2019 : la réunion publique. « On a beaucoup parlé avec les syndicats et les oppositions, maintenant il faut aller à la rencontre des Français », justifie l’entourage de Gabriel Attal, ministre délégué au budget, qui indique vouloir tenir le rythme d’un rendez-vous par semaine.

Le premier, qui s’est tenu le 12 janvier, a réuni une cinquantaine de personnes – commerçants, petits patrons, aides-soignantes, pompiers, ouvriers, fonctionnaires… – dans la salle polyvalente de Juvisy (Essonne), à l’invitation du député (Renaissance, ex-Les Républicains) Robin Reda. L’exercice, en terrain électoral conquis, n’a pas empêché un feu nourri de questions, reflet des inquiétudes, voire de la colère des participants.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites : « Le satisfecit apparent du gouvernement tranche avec le ressenti général des Français »

« Mon mari travaille à Rungis, il se lève à 2 heures tous les matins, porte des charges lourdes, marche 15 à 17 kilomètres par nuit. S’il s’arrête à 64 ans, je me demande comment il va faire », explique Sophie. Emmanuel est sapeur-pompier professionnel depuis trente ans : « Travailler deux ans de plus, ça va m’emmener à 59 ans. Porter 40 kilogrammes de matériel sur le dos, ça passe quand on a 20, 30, 40 ans. Arrivé à 50, ça commence sérieusement à tirer sur la corde. » « Et les apprentis, qui commencent à 16 ans, se lèvent à 3 heures du matin pour toucher 350 euros ? », lance une boulangère-pâtissière.

Il vous reste 69.05% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les « mompreneures », ces mères qui quittent leur emploi pour créer leur entreprise : « Il y a des mois où je ne gagne que 800 euros, j’en ai des nœuds à l’estomac »

Les mompreneures se retrouvent souvent à mener de front le travail domestique, le soin aux enfants, et leur activité professionnelle.

« J’ai de la chance, je suis hyperlibre dans mon emploi du temps. Il est 16 heures, et je peux m’arrêter de travailler pour vous parler », se félicite Céline Bourgoin, 40 ans, depuis le sous-sol de sa maison marseillaise. Ce matin, elle s’est levée à 6 h 30, a déposé ses deux enfants à l’école, avant de s’atteler à ses projets de couture. Depuis qu’elle a créé son commerce de produits textiles en 2014, elle a triplé son temps de travail et réduit son salaire de près de 1 000 euros par mois. « Il y a des mois où je ne gagne que 800 euros, j’en ai des nœuds à l’estomac », soupire Céline Bourgoin, même si elle répète qu’elle n’a « jamais regretté » sa reconversion. « Jusqu’en 2010, j’étais éducatrice spécialisée, je travaillais énormément, j’arrivais en retard à la garderie, je cochais toutes les cases de la mère indigne. Ça devenait très dur moralement, il fallait absolument que je change de vie », insiste-t-elle.

Comme Céline Bourgoin, des centaines de jeunes mères françaises décident de quitter le salariat pour créer leur propre entreprise. On les appelle les « mompreneures », ou « mampreneuses », d’après un terme né aux Etats-Unis au début des années 1990 et importé en France à la fin des années 2000, dans une période où les pouvoirs publics cherchent à promouvoir l’entrepreneuriat pour tous, avec la création du statut d’autoentrepreneur en 2008. La majorité des mompreneures créent des microentreprises, dans des secteurs proches de leur précédent emploi ou dans des domaines liés à la parentalité, au coaching ou à l’expression de soi. « Ces femmes ont entre 30 et 40 ans, des enfants en bas âge et occupaient jusqu’alors un emploi salarié à responsabilité dans lequel elles étaient très engagées. Parce qu’elles sont aussi très engagées dans la parentalité, elles se sentent rapidement dépassées. Elles se disent que le statut de travailleur indépendant leur offrira une plus grande flexibilité », détaille Julie Landour, maîtresse de conférences à Paris Dauphine-PSL et autrice d’une enquête auprès de quatre cents mompreneures.

Dans les faits, ce nouveau statut demande souvent une organisation au cordeau : chez Céline Bourgoin, on retrouve deux tableaux Velleda pour planifier la répartition des tâches domestiques, des sessions de « batch cooking » pour préparer les repas de la semaine tous les dimanches, des listes de courses et un budget établis à l’euro près. Son mari, ingénieur de recherche au CNRS, assure le suivi des devoirs et s’occupe des enfants le mercredi, mais Céline se considère comme la « cheffe d’orchestre » de l’organisation familiale au quotidien.

Il vous reste 73.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Go Sport en redressement judiciaire : les salariés satisfaits, mais inquiets d’une éventuelle « casse sociale »

Devant un magasin Go Sport, à Melesse (Ille-et-Vilain), le 16 janvier 2023.

Groupe Go Sport a été placé en redressement judiciaire, jeudi 19 janvier. « Par un jugement solidement motivé, le tribunal de commerce de Grenoble a constaté l’état de cessation des paiements de la société Groupe Go Sport et a ouvert une procédure en redressement judiciaire », a annoncé le parquet de Grenoble dans un communiqué. D’après les juges, « l’état de cessation des paiements est caractérisé au 5 janvier 2023 par un passif s’élevant à 14 047 957 euros ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’avenir de Go Sport mobilise la justice

Le Tribunal de commerce de Grenoble a donc suivi les avis des commissaires aux comptes, KPMG et Ernst & Young, qui, à l’automne, avaient alerté sur la situation de cessation de paiements de l’entreprise, en dépit des dénégations de son actionnaire, le groupe Hermione People & Brands (HPB), détenu par la Financière immobilière bordelaise (FIB) de l’homme d’affaires Michel Ohayon.

Cette décision intervient après l’ouverture, en novembre 2022, d’une enquête préliminaire pour « abus de bien social », à la demande du parquet du tribunal de Grenoble, à la suite de la « révélation de faits délictueux » par les commissaires aux comptes. D’après des informations du quotidien Libération, publiées le 18 janvier, les enquêteurs entendent faire la lumière sur des transferts de fonds totalisant plus de 50 millions d’euros opérés depuis la trésorerie de Groupe Go Sport, notamment vers Camaïeu, actif que détenait la FIB jusqu’en octobre, date de sa liquidation judiciaire. Le rachat de Gap, que la FIB avait imposé à Go Sport, pour un montant de 38 millions d’euros, interrogeait aussi les salariés.

« Pas dupés par les manipulations de l’actionnaire »

Le parquet de Grenoble avait requis l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire pour Go Sport, qui avait bénéficié de deux prêts garantis par l’Etat, en 2020 et 2021, pour un montant total de 55 millions d’euros. Les élus du personnel se félicitent de cette décision qui, d’après Christophe Lavalle, leur porte-parole, écarte « l’actionnaire [Michel Ohayon] de la prise de toute décision » et « fait échapper Groupe Go Sport à une procédure de conciliation qu’il souhaitait pour revendre l’entreprise ». « Les juges et le parquet ne se sont pas laissés duper par les manipulations de notre actionnaire », défend M. Lavalle.

Désormais, l’enseigne, qui emploie 2 160 salariés, est pilotée par deux administrateurs judiciaires, les cabinets FHB (à Lyon) et AJP (à Grenoble), pour une première période d’observation de six mois. Ils auront la tâche de réaliser l’inventaire du patrimoine du distributeur et de son endettement contracté à la suite du non-paiement de ses fournisseurs, prestataires et bailleurs. La décision du tribunal de commerce précise notamment que l’enseigne n’avait pas réglé les factures de Rossignol, fabricant de matériel skis, Puma, Adidas et Asics. Soit près de 4 millions d’euros d’impayés.

Il vous reste 39.33% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Microsoft prévoit de licencier 10 000 personnes, soit près de 5 % de ses effectifs

Microsoft va licencier 10 000 employés d’ici fin mars, invoquant l’incertitude économique et les changements de priorités de ses clients. Une décision qui ébranle un peu plus un secteur de la tech déjà touché par plusieurs grands plans sociaux. Le géant informatique américain, qui se sépare ainsi d’un peu moins de 5 % de ses effectifs, prévoit aussi de modifier son portefeuille d’équipements informatiques et de réduire le nombre d’espaces de travail.

« Ce sont le genre de choix difficiles que nous avons fait tout au long de nos quarante-sept ans d’existence pour rester une entreprise importante dans un secteur qui ne pardonne pas à ceux qui ne s’adaptent pas aux changements de plateforme », a souligné le patron de Microsoft, Satya Nadella, dans une lettre aux employés.

Ces mesures d’économies représenteront 1,2 milliard de dollars dans les comptes du deuxième trimestre décalé que le groupe doit dévoiler le 24 janvier. Son chiffre d’affaires est attendu en progression de seulement 2,7 % sur un an, un rythme très faible pour le géant informatique habitué à une croissance à deux chiffres.

Si « les clients ont accéléré leurs dépenses informatiques pendant la pandémie », ils sont maintenant en train de chercher à les optimiser pour « faire plus avec moins », a souligné M. Nadella dans la lettre. Les entreprises du monde entier font par ailleurs preuve de « prudence » face aux risques de récession tandis que les progrès de l’intelligence artificielle secouent le secteur, avance-t-il.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Microsoft admet que « certaines inquiétudes des acteurs européens du cloud sont justifiées »

Deux séries de licenciements, en juillet et en octobre

Microsoft avait initialement résisté grâce au dynamisme de l’informatique à distance (cloud), mais les entreprises tendent à limiter leurs investissements depuis quelques mois par crainte d’une dégradation de la conjoncture.

Microsoft avait déjà procédé à deux séries de licenciements, une en juillet, qui portait selon l’entreprise, sur moins de 1 % des effectifs. La deuxième a eu lieu en octobre et visait moins de 1 000 personnes, selon le site d’information Axios.

Mais d’autres grands groupes du secteur de la tech ont décidé de réduire leurs effectifs ces derniers mois, à l’instar d’Amazon et Salesforce qui ont respectivement annoncé début janvier le licenciement d’environ 18 000 et 8 000 salariés. Meta, la maison mère de Facebook et Instagram, a aussi engagé en novembre un plan social touchant 11 000 postes.

Ces licenciements massifs interviennent après une vague d’embauches dans ce secteur pendant la pandémie, lorsque les entreprises tentaient de répondre à l’explosion de la demande de produits tech pour le télétravail et les divertissements à domicile.

Microsoft, qui selon son site compte actuellement 221 000 employés dans le monde, en avait embauché 75 000 depuis 2019, rappelle ainsi Dan Ives, du cabinet Wedbush, dans une note. Ces licenciements ne sont pas une « surprise » à ses yeux. Le groupe « va continuer à dépenser stratégiquement dans le cloud, les fusions et acquisitions [avec le rachat prévu de l’éditeur de jeux vidéo Activision], les paris sur l’innovation, et continuer à accélérer sur l’innovation tout en réduisant les domaines non stratégiques (matériel, etc.) », prédit l’analyste.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Intelligence artificielle : Microsoft prêt à investir davantage dans la pépite OpenAI

Le Monde avec AFP

« L’employé de base, star inattendue du Forum économique mondial de Davos »

IRA, c’est l’acronyme de l’année, de toutes les conversations au Forum de Davos, en Suisse. En faisant adopter, en août 2022, sa loi Inflation Reduction Act, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait mouche. Avec cette formule inventée, peut-être pensait-il (ou ses conseillers) à ses lointaines origines irlandaises, mais le texte porte mal son nom. En effet, son objectif n’est pas tant de juguler l’inflation, ce qui est plutôt du ressort de la Réserve fédérale, que d’accélérer la décarbonation de l’économie, tout en finançant, à coups de subventions, le retour des usines sur le sol national.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Forum économique de Davos, la fin de la mondialisation est dans toutes les têtes

Cette perspective fait hurler les dirigeants politiques européens et rend jaloux tous les patrons du Vieux Continent. Aditya Mittal, à la tête du sidérurgiste ArcelorMittal, ou Martin Lundstedt, le PDG de Volvo (les camions), disent en substance la même chose : c’est ce qu’il nous faut en Europe afin de pouvoir passer la vitesse supérieure. Les technologies existent pour se déprendre du pétrole ou du charbon, mais il faut en accélérer l’adoption en réduisant leur coût.

Le débat que soulève cette nouvelle donne va au-delà de la question de la compétitivité. Interrogé sur le sujet, mardi 17 janvier, le secrétaire américain au travail, Marty Walsh, a d’abord botté en touche. La question des relations commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis n’est pas son job.

Appel d’air

Cependant, après une pause, il a reconnu que les conséquences sur le sien, c’est-à-dire le travail, seraient considérables. La réalité est que l’Amérique n’a pas suffisamment de personnel qualifié pour répondre à l’appel d’air que va provoquer ce tsunami. La réponse par la formation et l’éducation est essentielle pour ce fils d’immigré irlandais qui fut syndicaliste et maire de Boston.

L’employé de base, invisible, est devenu, du fait des pénuries, l’objet de toutes les attentions. « C’est la première fois que je vois des entreprises comprendre le lien entre le social et l’économique », assure Christophe Catoir, président de la société d’intérim Adecco. Pas d’altruisme soudain, mais la reconnaissance d’un nouveau rapport de force qui pousse les entreprises à lever le pied sur les licenciements, à l’inverse de ce qu’elles avaient fait au cours de la crise financière de 2008.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Dans les entreprises, le rapport de force devient plus favorable aux salariés

Plus spectaculaire est l’appel à ses confrères d’Alan Jope, le directeur général d’Unilever, multinationale de la grande consommation, pour assurer un salaire décent à tous leurs employés dans le monde. « La pandémie [de Covid-19] a accéléré la refonte du contrat liant l’employé à l’employeur », confirme Martine Ferland, PDG de la société de conseil et d’assurance Mercer. Et ce n’est que le début.

Aux Etats-Unis, les astuces de recrutement des petites entreprises : « embauche ouverte », formation en interne…

Mois après mois, le taux de chômage aux Etats-Unis s’affiche extrêmement bas, aux alentours de 3,7 %. La banque centrale américaine augmente ses taux d’intérêt, les économistes prédisent un ralentissement de la croissance… et pourtant, les créations d’emplois se maintiennent à un haut niveau. Cet hiver, tout comme pour l’été 2022, les employeurs ont toujours autant de mal à trouver les bons candidats pour remplir des tâches essentielles.

Et la quête de l’oiseau rare est encore plus difficile quand on est une petite entreprise. Ce que les Américains appellent un « small business », une entité au chiffre d’affaires modeste de moins de 40 millions de dollars (environ 37 millions d’euros) et aux effectifs inférieurs à 1 500 personnes.

Les grands groupes et leurs services professionnels de recruteurs s’étant servis les premiers, les PME se contentent des restes : un sondage de la société de conseil Vistage réalisé en septembre 2022 auprès de 752 petites entreprises montre ainsi que 59 % des dirigeants assurent ne pas pouvoir fonctionner à plein régime, du fait de leurs difficultés de recrutement ; 53 % espèrent embaucher plus de monde dans les douze mois à venir, mais une majorité d’entre eux craignent une pénurie de main-d’œuvre.

Supprimer le diplôme universitaire

Alors que faire ? Changer ses méthodes de recrutement, innover, s’écarter des solutions classiques de bon sens. Vladimir Gendelman, le dirigeant de Companyfolders.com, une imprimerie de dossiers, de classeurs et d’enveloppes de luxe installée à Pontiac, dans le Michigan, a décidé d’éliminer l’obligation d’études supérieures dans ses petites annonces.

C’est son ancienne secrétaire qui l’a fait changer d’avis. Elle avait envie de devenir chef de projet. « Elle ne connaissait rien à l’impression ou au design graphique, explique M. Gendelman. Mais elle a essayé, elle a appris et elle réalise un travail superbe. » Alors, quand le patron de cette structure de seize employés s’est mis en quête d’un directeur marketing, il a immédiatement éliminé l’obligation d’un diplôme universitaire. « J’élargis le vivier de recrutement, dit-il. Je mets l’accent sur l’expérience et la capacité à exécuter. » M. Gendelman demande ainsi aux candidats d’imaginer une campagne marketing. « Il y a des choses qu’on ne peut pas apprendre à l’école », conclut-il.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’immense vague de départs dans les entreprises américaines bouleverse le marché du travail

Diana Manalang, la créatrice de Little Chef, Little Cafe, un restaurant de plats à emporter du quartier du Queens, à New York, chouchoute de son côté ses trois jeunes employés à temps partiel. Elle en avait assez des recrues qui disparaissaient soudainement, arrivaient en retard et n’appelaient même pas pour prévenir de leurs absences.Alors, la cheffe a fait venir des jeunes de l’école de cuisine où elle enseigne. Ils travaillent entre dix et vingt heures par semaine.

Il vous reste 53.59% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Plus direct, mieux accompagné, plus divers… Qu’est devenu le recrutement ?

A quoi ressemblera le recrutement en 2023 ? Les entreprises sélectionneront-elles toujours les candidats à partir des diplômes ou privilégieront-elles les compétences comportementales ? Quels sont les nouveaux canaux pour trouver les bons profils : Snapchat, Facebook, Instagram, TikTok, Twitter ? « Pour les scientifiques, c’est plutôt Twitter », confie Laurent Dépigny, responsable du développement RH de l’Institut Pasteur.

Une quinzaine de responsables de ressources humaines, réunis mardi 10 janvier aux Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis, ont échangé sur leurs pratiques, qui ont profondément évolué ces derniers temps.

Le 11 janvier, l’acteur majeur du secteur laitier Eurial lançait sa première campagne de recrutement sur les réseaux sociaux pour « tester une nouvelle approche » dans la recherche de candidats. « 77 % des candidatures sont arrivées par Facebook, et 82 % des profils étaient adéquats », détaille Bonanza, le cabinet de recrutement chargé de leur campagne. Depuis quelques années déjà, les entreprises ont intégré les réseaux sociaux dans leur recrutement, dans le but d’accélérer les processus et de toucher de nouveaux profils.

L’apport de l’intellignce artificielle

« En 2015, le profil disruptif était le HEC qui avait fait un séjour à Singapour. Cela a beaucoup changé. Mais les recruteurs ont toujours du mal à identifier le bon candidat. Le CV ne présente pas les bonnes informations, explique Jérémy Lamri, pionnier du recrutement en ligne et par appariement, cofondateur du LabRH et du site de recrutement Monkey Tie. Chez Monkey Tie, on recrutait sans savoir où on allait mettre les gens, sur des critères comme la vitesse de compréhension. On a fait des erreurs, mais ça permet de recruter assez vite. »

L’accélération du processus de recrutement se poursuit à l’aide de l’intelligence artificielle, mais les recruteurs n’ont toujours pas le droit de prendre trop de risques. Avec les tensions sur le marché de l’emploi, le travail du recruteur est devenu plus exigeant sur la qualité du processus : le sourcing, le mode de sélection, l’intégration, voire l’adaptation au candidat.

« Face à la pénurie de soignants de 2022, à l’Hôpital américain de Paris, on a dû s’adapter à de nouveaux types de candidats. Une fois par semaine, des infirmières ont ainsi été dédiées à l’accompagnement des nouvelles recrues, et un budget annuel de 200 000 euros a été alloué à la qualité de vie au travail. On a des profils qui viennent de l’industrie, du public, du privé, des intérimaires qualifiées, qui veulent rester en intérim pour préserver l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle, et on recherche cette diversité », témoigne le DRH Jean-Louis Sotton.

Il vous reste 49.34% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Inégalités à la retraite : 64 ans de la vie d’une femme

Catherine Meunier n’est pas du genre à se plaindre. Dans les années 1970, quand son mari est parti en coopération en Afrique du Nord, elle a posé deux ans de disponibilité pour le suivre. Au retour, elle a enchaîné les temps partiels dans la fonction publique pour s’occuper de leurs quatre enfants. Résultat : « Je touche une petite retraite, 1 100 euros par mois − mais tout va bien, je suis mieux lotie que beaucoup d’autres ! », insiste-t-elle. Quand elle repense à sa carrière hachée, elle reconnaît néanmoins, à demi-mot : « En vérité, je n’ai pas eu le choix. A l’époque, il était impensable que le père fasse de tels sacrifices. »

Claudine Lefebvre non plus n’est pas du genre à se plaindre. A 70 ans, elle travaille encore près de Nice – chaque soir, elle récupère les enfants d’une voisine après l’école – pour compléter sa pension, de 1 000 euros mensuels. « C’est assez pour vivre, mais pas pour me permettre d’aller régulièrement voir mes fils à Paris. » Mère célibataire, ancienne vendeuse, elle s’est arrêtée longtemps de travailler pour élever ses deux garçons, avec l’aide informelle de son frère. « Si j’avais compris plus tôt que cela me ferait une retraite aussi petite, je me serais débrouillée pour travailler plus. Mais comment ? »

Selon les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les femmes résidant en France ont touché une retraite moyenne de 1 154 euros brut en 2020, de 40 % inférieure à celle des hommes, de 1 931 euros. Certes, cette différence tombe à 28 % (1 401 euros contre 1 955 euros) si l’on prend en compte les pensions de réversion touchées lorsque le conjoint décède. Et surtout, elle ne cesse de baisser depuis les années 1970, grâce à la meilleure insertion professionnelle des femmes. Il n’empêche : « Selon nos différentes projections, cet écart ne sera toujours pas comblé en 2065 », explique Carole Bonnet, de l’Institut national des études démographiques (INED).

Facteurs inconscients

Pourtant, les femmes sont aujourd’hui plus diplômées : 54,2 % des 25-34 ans ont terminé avec succès des études supérieures, selon Eurostat, contre 46 % des hommes du même âge. En outre, les trimestres supplémentaires accordés à la retraite pour chaque naissance, tout comme le rattrapage salarial déployé par les entreprises au retour des congés maternité, compensent les interruptions de carrière liées aux enfants.

« Mais en partie seulement, tranche Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Car les inégalités de retraite ne résultent pas seulement de la vie professionnelle, mais aussi d’un ensemble de facteurs culturels, personnels ou encore patrimoniaux bien plus larges. » Souvent inconscients, ces facteurs creusent les différences de revenus et richesse entre les sexes tout au long de la vie, explique-t-elle encore. « Et ils démarrent dès l’enfance. » Dès l’enfance, vraiment ?

Il vous reste 74.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le cancer au travail : se taire ou en parler ?

« Suis-je en train de faire une erreur ? » Neuf mois après, Arthur Sadoun, le président du directoire de Publicis, avoue avoir été saisi par le doute au moment de publier en ligne, le 7 avril 2022, après la clôture de la Bourse, un message vidéo très personnel à l’intention des 96 000 collaborateurs du troisième groupe mondial de communication.

Blême, le cou rayé d’une longue cicatrice, le dirigeant de 50 ans y révèle qu’il a été opéré quinze jours auparavant d’une « petite tumeur qui s’est avérée cancéreuse », et qu’il va subir un « traitement de suivi ». Deux minutes vertigineuses, pour M. Sadoun au premier chef, mais aussi pour le capitalisme français : jamais aucun patron du CAC 40 n’avait admis publiquement qu’il souffrait d’un cancer. Une omerta qui contraste avec la relative transparence ailleurs dans le monde.

De Warren Buffett, le légendaire investisseur, à Lloyd Blankfein (Goldman Sachs), plusieurs figures de Wall Street ont révélé ces dernières années être traitées pour un cancer. Quand, en 2014, Jamie Dimon, le PDG de J.P. Morgan, s’est découvert un cancer de la gorge en se rasant, la banque américaine précisait même dans quel hôpital il serait soigné.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Maladie grave en entreprise : comment éviter la double peine pour le salarié

Rien, pourtant, dans le règlement de la Securities and Exchange Commission n’oblige les entreprises cotées à divulguer le bulletin de santé de leurs dirigeants-clés, sauf à ce que cette information soit susceptible d’influencer l’activité. Affaire de génération ? Les jeunes pousses tricolores semblent s’affranchir davantage du culte du secret. Laurent Perrin, cofondateur de Front, une plate-forme de communication pour les entreprises, n’a pas hésité lorsqu’il s’est vu détecter en 2016, à 35 ans, un cancer au testicule.

« Les gens me remerciaient »

« A l’époque, nous étions une vingtaine dans l’entreprise, justifie le polytechnicien. C’était impossible de disparaître sans explication. Le jour même du diagnostic, nous avons averti les salariés. » Quant à Octave Klaba, le fondateur français d’origine polonaise de l’hébergeur OVHcloud, il avait révélé avoir été soigné d’un lymphome en 2012.

« Le cancer reste trop souvent encore la maladie innommable, au sens premier, celle qui suscite la peur et le rejet, souligne la psychiatre Sarah Dauchy. Comme ceux qui guérissent n’en parlent pas, on n’apprend le cancer que lorsque quelqu’un en meurt. Plus nombreuses seront les personnes qui parleront de leur cancer comme d’une maladie grave, certes, mais d’une pathologie comme une autre, plus les représentations associées se diversifieront. »

Il vous reste 76.92% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.