Risques en 2023 pour la santé mentale des salariés

Carnet de bureau. Le paysage conjoncturel ne présage rien de bon pour la santé mentale des salariés. Les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés ou homologués ont en effet bondi à partir du deuxième trimestre 2022, en hausse de 51,8 % sur un trimestre, selon le ministère du travail. L’avocat de droit social David Guillouet, du cabinet Voltaire Avocats, constate de son côté « un retour des litiges liés aux plans sociaux qui augmentent ». Et les défaillances d’entreprise ont augmenté de 50 % en un an.

Les restructurations, qui accompagnent les PSE, sont toujours une menace potentielle pour les salariés, aussi bien pour les partants que pour les restants. En effet, « la santé mentale est affectée lorsqu’il y a déséquilibre entre les facteurs de risque – surcharge de travail, rapport agressif avec un manageur – et les facteurs de protection – soutien social, soutien familial, développement des compétences, sentiment d’utilité », explique Camy Puech, président fondateur de Qualisocial, cabinet de conseil en prévention des risques psychosociaux (RPS).

Trois facteurs de risque majeur apparaissent à l’annonce d’une restructuration : l’insécurité économique, la perte de sens (mon poste est supprimé, donc je suis inutile) et la dégradation des relations sociales (défiance à l’égard des manageurs, priorisation de l’intérêt personnel). Tandis qu’aucun facteur de protection n’apparaît. Il y a donc déséquilibre. Le risque pour l’entreprise est que la restructuration se passe mal.

Des entreprises davantage surveillées

C’est sans doute pourquoi les demandes d’accompagnement pour projet de restructuration se multiplient en ce début d’année chez Qualisocial. « Depuis janvier, on reçoit plus d’un dossier par semaine, précisément neuf dossiers nous sont parvenus sur les deux premières semaines de 2023, contre quarante pour toute l’année 2022. Et elles concernent des projets importants avec fermeture de site d’entreprise de plus de 300 personnes, voire de grandes entreprises qui suppriment 10 % à 15 % de leur effectif », confie Camy Puech.

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Les entreprises se mobilisent d’autant plus qu’elles se savent davantage surveillées. La responsabilité de l’employeur vis-à-vis de la santé des salariés n’est pas nouvelle. En application des articles L. 1233-30 et L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’identifier et de prévenir les risques induits par tout projet de restructuration. Mais « à la suite de l’augmentation des litiges post-PSE, l’administration est devenue plus exigeante sur le respect par les employeurs du traitement des RPS », explique Me Guillouet.

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Santé au travail : les promesses de l’intelligence artificielle pour améliorer la prévention

Le chien-robot SCAR, développé par l’école des Mines de Nancy, dans le laboratoire souterrain de Bure (Meuse), le 11 mai 2021.

Lorsque des accidents surviennent en entreprise, les comptes-rendus sont souvent rédigés de façon spontanée, sans formatage. Des propos libres qui apportent de nombreuses précisions, une richesse contextuelle, mais ont leur revers : ils sont très difficiles à exploiter. Une problématique que des outils d’intelligence artificielle (IA) pourraient pallier, forts de leur capacité à faire ressortir d’une masse textuelle récurrences des signaux faibles.

L’IA peut-elle être un atout pour la santé et la sécurité des travailleurs ? C’est ce que pensent aujourd’hui nombre de scientifiques, qui observent le potentiel croissant de solutions technologiques et les perspectives prometteuses qu’elles dessinent pour la prévention en entreprise. « Les avancées sont impressionnantes, note Martin Bieri, chargé d’études au sein du laboratoire d’innovation numérique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Dans des organisations qui comptent des métiers à risque, où l’on observe beaucoup d’accidents, l’IA peut être une aide précieuse pour exploiter les données et mieux comprendre la multiplication d’incidents. »

Des solutions sont d’ores et déjà déployées dans certaines d’entre elles, comme le logiciel Plus de la société Safety Data – Omnicontact. Il doit « améliorer la sécurité grâce au traitement automatique de données textuelles et faire office d’aide à la décision », explique l’une de ses salariés, Céline Raynal. D’autres outils ambitionnent de surveiller en temps réel les espaces de travail et leurs occupants, dans le seul but déclaré de les sécuriser, et de lancer une alerte si un danger est repéré.

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Certaines sont déjà déployées dans des organisations, comme les caméras embarquées sur véhicule de chantier Blaxtair, qui permettent de détecter des piétons grâce à un système de reconnaissance de personnes. D’autres sont encore à l’état de test, mais pourraient trouver leur place dans les entreprises dans la décennie qui vient.

L’aide des robots collaboratifs

C’est le cas des équipements connectés capables de mesurer et de transmettre des données biométriques du salarié (la fréquence cardiaque, par exemple) et des positions articulaires. « L’IA sera en capacité de donner l’alerte sur la fatigue d’un travailleur en combinant l’analyse de différents paramètres, explique Timothée Silvestre, chargé de prospective au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L’enregistrement de certains mouvements ou du cumul de poids portés pourront par ailleurs être réalisés avec des capteurs portés, afin de prévenir des risques pour le corps du salarié, notamment de troubles musculosquelettiques. »

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Pourquoi les SCOP sont des boucliers anticrise pour leurs salariés

Dans un atelier de la SCOP Maurer-Tempé, spécialiste de la transformation des produits carnés, à Kingersheim (Haut-Rhin), le 1er décembre 2022.

Le saviez-vous, la France compte le plus grand producteur au monde de fleischschnacka, et elle a bien failli le perdre. Pour qui n’est pas familier de cette spécialité alsacienne, la voilà qui apparaît : un mitonné de pot-au-feu qu’une machine étale sur de la pâte à nouilles et qu’avec un tour de main des hommes et des femmes, charlotte sur la tête et blouse floquée à leur prénom, roulent et ficellent en vue de sa vente dans la grande distribution.

« Si on ne s’était pas positionné, tout ça disparaissait. Ça aurait été dommage », commente Mathieu Rouillard, 51 ans, PDG de la société coopérative de production (SCOP) Maurer-Tempé, à Kingersheim (Haut-Rhin). C’était en 2019. L’entreprise qui commercialise saucisses et spécialités alsaciennes connaissait un énième redressement judiciaire, des plans sociaux ayant réduit drastiquement les effectifs – d’un millier dans les années 1990 à 1993 lors de sa reprise en SCOP par ses salariés à 125 aujourd’hui.

« Si on n’avait pas eu le mouvement des SCOP à nos côtés et leurs dispositifs financiers, on n’aurait pas pu convaincre nos partenaires bancaires, souligne Mathieu Rouillard d’emblée. Sans compter tout l’accompagnement, il y a un vrai suivi derrière. » L’une des raisons, explique-t-il, de la résilience des entreprises coopératives. Contrairement à ce que le récent échec de Scopelec, SCOP spécialisée dans le déploiement de réseaux télécoms, pourrait laisser penser, leur taux de pérennité à cinq ans est plus élevé que la moyenne (73 % en 2021, contre 61 %, selon la Confédération générale des SCOP).

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L’autre raison tient, selon M. Rouillard, au modèle lui-même. « Sans lui, on n’aurait pas surmonté les quatre crises qu’on a connues en quatre ans », répète-t-il avec conviction en faisant visiter l’entreprise. A savoir la flambée des cours du porc après la fièvre porcine africaine, la pandémie due au Covid-19 et la désorganisation du marché qu’elle a provoquée, et aujourd’hui l’inflation et la crise de l’énergie.

Un salarié, une voix

Il existe plus de 4 000 SCOP en France, pour 81 000 employés, un chiffre en nette augmentation ces dernières années. Même si elles sont organisées et hiérarchisées comme des entreprises conventionnelles, leur spécificité tient d’abord à leur gouvernance démocratique : les salariés détiennent la majorité du capital social et des droits de vote et, si tous ne sont pas associés, ils ont vocation à le devenir. Quels que soient le poste, le statut ou le montant du capital investi, chaque employé dispose d’une voix égale, pour voter les décisions cruciales mais aussi élire, en assemblée générale, le PDG et le conseil d’administration (CA), parmi les salariés volontaires.

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Revalorisation salariale des enseignants : des primes entre 0 et 292 euros net mensuels à l’étude

Le budget est connu depuis plusieurs mois : 635 millions d’euros pour une augmentation « inconditionnelle » à partir de 2023, 1,9 milliard en 2024. Les deux hypothèses présentées aux syndicats mardi 24 janvier dans le cadre des concertations sur la revalorisation salariale des enseignants viennent apporter une déclinaison concrète à ces enveloppes globales et projeter les enseignants, les conseillers principaux d’éducation et les psychologues de l’éducation nationale-conseillers d’orientation dans ce qu’ils pourront percevoir ou non à partir de septembre 2023.

Un chantier, hautement sensible au vu des attentes, sur lequel Emmanuel Macron s’est engagé pendant la campagne présidentielle. Face au décrochage des rémunérations depuis des décennies, le chef de l’Etat a promis d’augmenter de 10 % les enseignants pour arriver à un minimum de 2 000 euros net par mois pour tous. Au fil des mois, ce pourcentage de hausse est devenu « une moyenne » aujourd’hui basée sur les rémunérations perçues en 2020, toutes indemnités comprises. Jean-Michel Blanquer, le prédécesseur du ministre actuel, Pap Ndiaye, avait initié à l’automne 2020 un Grenelle de l’éducation, qui avait abouti à l’octroi de « primes d’attractivité » en début de carrière. Les discussions d’aujourd’hui en sont le prolongement.

Le document de travail, auquel Le Monde a eu accès, joue sur une hausse de cette « prime d’attractivité ». Dans la première hypothèse émise mardi, seuls les enseignants jusqu’à vingt-six ans de carrière verraient leur salaire augmenter. Les nouveaux titulaires recevraient 153 euros par mois pour atteindre une rémunération mensuelle nette de 2 079 euros. Les professeurs entre six et onze ans d’ancienneté connaîtraient l’augmentation la plus conséquente, avec une prime de 292 euros net mensuels, pour arriver autour de 2 300 euros net par mois. Les hausses seraient ensuite dégressives pour arriver à 71 euros de plus par mois à vingt-six ans d’ancienneté, pour un salaire de 2 700 euros net.

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« Choc d’attractivité »

Dans la seconde hypothèse, moins probable de l’avis des observateurs, tous les enseignants seraient augmentés, quelle que soit leur ancienneté. Après vingt-cinq ans de carrière, la hausse serait de 36 euros par mois. Les évolutions dans les six premières années de carrière seraient identiques au premier scénario mais seraient moindres ensuite. Les enseignants stagiaires et les contractuels seraient, quoi qu’il en soit, concernés par ces augmentations.

Autres leviers proposés : reconnaître une partie de l’expérience professionnelle des personnels en reconversion professionnelle ou encore élargir les promotions, à savoir le passage de la classe normale aux grades supérieurs de la hors classe et de la classe exceptionnelle. Ces scénarios « doivent permettre de discuter avec les représentants syndicaux mais rien n’est tranché à ce stade », tient-on à préciser au ministère de l’éducation nationale, où l’on affirme « jouer le jeu de la concertation et être à l’écoute des propositions des organisations représentatives ».

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Sandrine Treiner quitte la direction de France Culture

La directrice de France Culture, Sandrine Treiner, tient une conférence de presse, en août 2018, à Paris.

Tous les regards étaient tournés vers elle, et sans doute la situation était-elle devenue trop inconfortable. Plutôt que de subir les événements, Sandrine Treiner a annoncé, mardi 24 janvier, sa décision de quitter la direction de France Culture, qu’elle occupe depuis 2015. « Ces derniers mois ont été compliqués. Pour notre collectif et pour France Culture, que j’aime tant, je veux clore ce moment difficile, a-t-elle confié à ses désormais ex-équipes dans un long mail envoyé à la mi-journée, mardi. (…) Il va de soi que j’ai fait des erreurs, et j’en suis désolée. »

Un article de Libération, paru en septembre 2022 et faisant état d’une grande rudesse dans le management, avait convaincu la direction générale de Radio France de diligenter une enquête afin de faire remonter les critiques des salariés. Plus de 150 personnes se sont présentées à la cellule d’écoute, afin d’apporter leurs témoignages au sujet de l’ensemble de la direction, et pas seulement de Sandrine Treiner.

Dans les écrits recueillis par Le Monde, les noms de l’ancien délégué aux programmes, Jean Beghin, parti à la retraite à l’automne 2022, mais aussi de Jean-Marc Claus, délégué à la production et à l’antenne, étaient parfois cités. « Si le rapport confirme que la situation était grave, il faudra se demander comment on a pu en arriver là à France Culture sans que des alertes ne remontent », juge un salarié, consterné du silence qui semble avoir prévalu pendant tant d’années.

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« Tout est plus périlleux pour les femmes »

« J’ai à cœur, par ce choix personnel difficile, de permettre à France Culture de retrouver un climat de sérénité, a fait savoir au Monde Sandrine Treiner. Après huit années de direction, il fallait de toute façon une nouvelle impulsion. » Dans son mail, la dirigeante dresse le bilan, flatteur, de son action à la tête de France Culture. Arrivée en 2010 comme chroniqueuse culturelle dans l’émission de la mi-journée, Sandrine Treiner a très vite été nommée conseillère de programmes par Olivier Poivre d’Arvor, avant de lui succéder à la direction de France Culture cinq ans plus tard, à l’arrivée de Mathieu Gallet à la présidence de Radio France.

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Depuis, l’audience de la station n’a cessé de progresser (3,1 % d’audience cumulée en novembre et décembre 2022, soit plus de 1,7 million d’auditeurs quotidiens, selon Médiamétrie), portée par la matinale de Guillaume Erner (775 000 auditeurs), ainsi que des émissions renouvelées. Cette ancienne journaliste au Monde se félicite aussi des développements numériques qu’elle a impulsés, jusqu’à faire de France Culture « la deuxième radio de France la plus téléchargée ».

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Sandrine Treiner, directrice de France Culture, démissionne

La directrice de France Culture, Sandrine Treiner, tient une conférence de presse, à Paris, le 27 août 2019.

« J’ai décidé de quitter la direction de France Culture. » C’est par un très long courriel interne, envoyé mardi 24 janvier à l’heure du déjeuner, que Sandrine Treiner a annoncé à ses équipes sa décision de se retirer. La directrice a préféré ne pas attendre les conclusions de l’expertise réclamée par la direction de Radio France à la suite d’une enquête parue dans Libération, en septembre, faisant état de « brutalité » dans le management de la station. Ces conclusions étaient attendues pour la semaine prochaine.

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Dans ce message, Sandrine Treiner dresse le bilan de toutes les actions qu’elle a menées au cours des huit années qu’elle a passées à la tête de la station, laquelle a été portée à des audiences jamais atteintes jusqu’alors (3,1 % d’audience cumulée à la dernière mesure Médiamétrie). Reconnaissant que la maison a parfois été traversée de « désaccords », elle esquisse un mea culpa : « Parfois, à l’évidence, renforcés par la distance, la séparation, la difficulté à se réunir, la réduction des temps informels, parfois aussi la vitesse des évolutions, le stress, la surcharge de sujets, nous nous sommes moins bien compris. J’en prends ici en responsabilité toute ma part. ».

Une « nouvelle impulsion »

A ses yeux, tout est également « plus périlleux pour les femmes », écrit-elle. « J’en ai moi-même fait les frais par le passé. Pour les femmes en responsabilité, d’une manière particulière. Nous voilà soumises à des injonctions contradictoires, subissant largement des représentations sociales bien établies auxquelles parfois nous avons encore du mal à répondre et que parfois malheureusement nous contribuons à entretenir », se justifie-t-elle.

« J’ai à cœur, par ce choix personnel difficile, de permettre à France Culture de retrouver un climat de sérénité, explique au Monde Sandrine Treiner. Après huit années de direction, il fallait de toute façon une nouvelle impulsion. » La dirigeante, que son entourage décrit comme « émue », devrait quitter son poste à la fin de la semaine. La direction générale de Radio France annoncera prochainement, en interne, le dispositif de direction qu’elle compte mettre en place pour lui succéder. Déjà, des noms circulent pour la remplacer, à commencer par celui de Marc Voinchet, actuellement à la tête de France Musique.

Réforme des retraites : pour les professeurs, « enseigner dans ces conditions jusqu’à plus de 64 ans, c’est impensable »

Dans le cortège de la manifestation contre le projet de loi du gouvernement visant à réformer le système des retraites, à Paris, le 19 janvier 2023.

Dans la salle des maîtres de l’école de Thierry Pajot, depuis plusieurs semaines, il n’est plus question de Covid-19 comme ces trois dernières années, de revalorisation salariale ou de pénurie d’enseignants. Il est question de départ à la retraite. « Chacun se demande quand il pourra partir après la réforme et avec quelle décote, tout le monde fait des simulations en ligne », relate ce directeur d’école niçois.

A 59 ans, celui qui est aussi secrétaire général du Syndicat des directrices et directeurs d’école fera partie des premières générations d’enseignants concernées par la réforme des retraites voulue par le gouvernement et présentée lundi 23 janvier en conseil des ministres. Elle prévoit un recul progressif de l’âge légal de départ de 62 ans aujourd’hui à 64 ans en 2030. Elle augmente également la durée de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein : de quarante-deux ans aujourd’hui à quarante-trois ans en 2027. M. Pajot a beau avoir toujours pensé « garder son poste tant qu’[il] aura[it] la santé », il s’envisage davantage comme directeur à temps plein que devant une classe après 62 ans : « J’ai 31 élèves dans mon CM2 aujourd’hui, et 17 nationalités différentes. Ça demande beaucoup… Est-ce que je serai encore en capacité de faire ça longtemps ? »

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La même question revient en boucle chez tous les enseignants, et beaucoup y répondent par la négative, au regard de leurs conditions et de leur rythme de travail actuels. Lors de la première journée de manifestation, le 19 janvier, le ministère de l’éducation nationale a dénombré 42 % d’enseignants en grève en primaire et 34 % dans le secondaire – des estimations inférieures à celles des syndicats, mais qui placent le mouvement parmi les plus mobilisateurs des vingt dernières années. « C’est un métier génial mais qui demande des heures et des heures de travail pour préparer ses cours, se renouveler, corriger des dizaines de copies, accompagner les élèves, monter des projets… C’est impensable de travailler comme ça jusqu’à plus de 64 ans, ou alors je ne le ferai pas aussi bien qu’aujourd’hui, et la qualité de l’enseignement en pâtira », estime ainsi Emmanuelle (elle n’a pas souhaité donner son nom), 47 ans, professeure d’histoire-géographie en lycée et opposée à la réforme.

« C’est physique de tenir une classe »

Tous soulignent « l’usure professionnelle » qu’ils ressentent et qui pèse d’ores et déjà sur les fins de carrière. « C’est physique de tenir une classe, surtout qu’elles sont de plus en plus chargées et que les élèves sont de plus en plus hétérogènes ! », résume Philippe Courtois, professeur en collège de 60 ans. Et de préciser : « Vous avez intérêt à être au meilleur de votre forme pour encadrer un groupe d’une trentaine d’adolescents car vous êtes seul en responsabilité et ne pouvez pas relâcher votre attention une minute. »

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Les métamorphoses du design

Entreprises. Sobriété, empreinte carbone, numérisation universelle : l’époque actuelle est-elle une épreuve existentielle pour le design ? Certainement, si l’on réduit ce terme à la multiplication des objets séduisants. Mais elle lui offre au contraire un terreau fertile, lorsqu’il est compris comme une contribution à de nouveaux modes de vie.

Pour comprendre cette tension, il faut rappeler une double évolution : d’une part, celle des pensées et des valeurs qui ont inspiré les designers ; d’autre part, celle des entreprises qui ont accordé au design une place variable en fonction des enjeux techniques et stratégiques qu’elles rencontraient.

C’est cette double évolution que retrace un numéro spécial de la revue Entreprises et histoire (n° 108, septembre 2022). Il s’en dégage l’idée qu’il ne s’agit plus seulement de penser un design qui s’adapterait mieux à l’entreprise, mais que design et entreprise doivent se réinventer ensemble pour être à la hauteur des défis contemporains.

Invisibilisation du « chauffage pour tous »

Une des originalités de ce numéro tient à ce qu’il ne reprend pas l’histoire traditionnelle du design : celle qui va des métiers d’art aux « formes modernes » des années 1950, en résonance avec les mouvements de la mode ou les contre-cultures de la société. Car cette histoire ne rend pas compte de l’impact des transformations techniques des entreprises et de leurs stratégies commerciales.

C’est ainsi que l’article consacré au « design du feu » au XXe siècle par Renan Viguié, doctorant en histoire, montre que l’esthétique classique de « la cheminée » et du « coin du feu » a cédé face à la stratégie d’invisibilisation du « chauffage pour tous » qui répondait mieux au développement de la construction immobilière.

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De même, l’histoire de la production de lunettes au XIXe siècle, analysée par Corinne Doria, enseignante en histoire, souligne la précocité de la tension entre objet de luxe et objet médical qui traverse toujours les logiques des designers.

Il y a aussi entre logique du design et logique des entreprises des liens plus structurels. Matthew Holt, professeur d’histoire du design, rappelle une généalogie qui ne passe pas par l’histoire des formes, mais par les théories plus larges de la gestion scientifique, de l’organisation ou des systèmes artificiels.

Une intégration limitée

Ainsi, le management moderne est indissociable de la quête d’un design plus intégré à la conception collective d’entreprises capables d’incarner, dans des objets, des systèmes techniques ou des relations, les valeurs de l’époque. Cette intégration du design a-t-elle eu lieu ? Un débat organisé par la revue entre une designer (Anne Asensio) et deux chercheurs en design (James Auger et Armand Behar) reconnaît que, dans les entreprises, cette intégration est restée limitée, mais que la pression des défis sociétaux, environnementaux et culturels contemporains devrait l’imposer.

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Repérages, paranoïa et petites notes en détention : enquête autour du périple meurtrier du « tueur de DRH »

« Pendant l’intégralité de l’interrogatoire, Gabriel Fortin est resté silencieux, les yeux dans le vague. » Accusé d’avoir tué une conseillère Pôle emploi et deux directrices des ressources humaines (DRH), les 26 et 28 janvier 2021, il se mure toujours dans le même « silence », répété depuis deux ans sur ses procès-verbaux (PV) d’audition. Mutique face aux enquêteurs. Pas plus bavard face à la juge d’instruction.

L’ingénieur au chômage de 47 ans, mis en examen pour trois assassinats et une tentative, a également refusé de participer aux reconstitutions, restant dans le fourgon pénitentiaire. Le travail des enquêteurs a toutefois permis de retracer son parcours, et une plongée dans ses données numériques a commencé à le faire parler malgré lui. Sans compter les notes manuscrites saisies dans sa cellule.

Le dossier, que Le Monde a consulté, raconte « la vengeance froide et déterminée d’un homme intelligent », selon les termes de l’ordonnance de mise en accusation. Renvoyé devant la cour d’assises de la Drôme, son procès devrait se tenir en juin. Contactés, ses avocats n’ont pas donné suite.

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Le 28 janvier 2021, à 9 h 20, une Hyundai rouge est percutée par des policiers sur le pont Frédéric-Mistral, à Valence. Gabriel Fortin est interpellé au volant. Dans la voiture : un Glock 9 mm et près de deux cents munitions. Dans la poche avant droite de son jean : deux cartouches 9 mm et un stylo. C’est la fin d’un périple meurtrier de trois jours.

Vingt minutes plus tôt, il était entré dans une agence Pôle emploi sous un faux nom. La main fourrée dans un sac plastique, il fait les cent pas dans la salle d’attente. Avant de se diriger dans un couloir, de choisir un bureau et de faire feu. Patricia Pasquion, responsable indemnisation à Pôle emploi, est tuée d’une balle en pleine poitrine. Le tireur, lui, s’enfuit.

De l’autre côté du Rhône, Gabriel Fortin entre tout aussi prestement dans les locaux de Faun Environnement, une entreprise qui fabrique des bennes à ordures. Casquette vissée sur son crâne rasé et sac plastique toujours à la main, il cherche « Philippe C. ». Sans succès : l’employé ne travaille plus ici. Il finit par trouver la DRH, Géraldine Caclin, et la touche mortellement avant de fuir à nouveau, abandonnant sur place son 9 mm enrayé.

Corps criblé de balles

En quelques heures, les enquêteurs tirent les premiers fils d’une investigation qui durera un an et demi. Ils découvrent que Gabriel Fortin était ingénieur chez Faun entre 2008 et 2009. La victime avait géré son licenciement et ce Philippe C. qu’il recherchait était son ancien chef. Gabriel Fortin avait ensuite été rattaché au Pôle emploi de Valence jusqu’en 2012, sans qu’aucun lien direct soit établi avec Patricia Pasquion. « L’hypothèse la plus probable », avance le policier chargé de l’enquête dans un PV de synthèse, est que Pôle emploi incarnait le « symbole de son échec professionnel » et que « Mme Pasquion se trouvait sans doute au mauvais endroit au mauvais moment ».

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Réforme des retraites : le gouvernement ne reviendra pas sur le report de l’âge légal de départ à 64 ans, selon le ministre du travail

Il a fermé la porte à un recul du gouvernement sur le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a affirmé, lundi 23 janvier, que « revenir sur ce point serait renoncer au retour à l’équilibre du système ».

« Les mesures d’âge que nous prenons », le relèvement de l’âge légal (64 ans en 2030) et l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation (quarante-trois ans dès 2027) « permettent de ramener le système à l’équilibre en 2030 » ; ces mesures sont « tout à fait fondamentales », a fait valoir M. Dussopt lors du compte rendu à la presse du conseil des ministres.

« Revenir sur ce point serait renoncer au retour à l’équilibre et donc manquer de responsabilité pour les générations futures », a-t-il ajouté, tout en reconnaissant que le gouvernement a « un désaccord avec les organisations syndicales », vent debout contre toute mesure relative à l’âge légal.

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Introduire « plus de justice »

Le projet de budget rectificatif de la Sécurité sociale dans lequel est inscrite la réforme des retraites, présenté au conseil des ministres de lundi, est porteur de « 18 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2030 », a précisé M. Dussopt.

Selon le gouvernement, ces économies sont censées permettre d’équilibrer le système et d’introduire « plus de justice », avec notamment une pension minimale relevée à 1 200 euros brut pour une carrière complète, qui doit concerner 1,8 million de pensionnés actuels et environ 200 000 nouveaux retraités chaque année.

Prise en compte des carrières longues, amélioration du compte professionnel de prévention (pour la pénibilité), index sur l’emploi des seniors assorti d’une sanction financière en cas de non-publication pour les entreprises de plus de trois cents salariés, suppression des régimes spéciaux… Le ministre du travail et son collègue de la fonction publique, Stanislas Guerini, ont égrené les points fondamentaux du projet de loi.

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Cinquante mille personnes concernées dès cette année

Le report de l’âge légal de départ dès septembre « pourrait conduire cinquante mille personnes à décaler leur départ » cette année, a estimé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Parmi les futurs retraités de 2023 (probablement plus de sept cent mille comme les années précédentes), un sur quinze partira plus tard que prévu.

Une mesure qui pourrait entraîner « une baisse des dépenses » de 200 millions d’euros dès cette année, juge le HCFP. Le « maintien dans l’emploi » de ces actifs doit également générer « des recettes supplémentaires », non chiffrées mais qui « devraient être faibles ». En tout cas insuffisantes pour compenser la revalorisation des petites pensions, « dont le coût (…) a été provisionné à hauteur de 400 millions ».

En y ajoutant 100 millions pour « des mesures sur la pénibilité et l’usure professionnelle » et autant pour celles « en faveur des transitions emploi-retraite », l’ardoise des « dépenses supplémentaires » s’établit à 600 millions d’euros. Soit un « coût net estimé à 400 millions », poursuit le HCFP, qui en conclut que « la réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023 ».

Pas de « dérapage » des dépenses des retraites, selon le COR

Manifestation intersyndicale contre le projet de réforme des retraites, à Paris, le 19 janvier 2023.

Questionné sur la possibilité que le texte soit modifié lors du débat parlementaire, M. Dussopt a répondu :

« Chaque fois qu’un amendement nous permettra d’améliorer le texte sans renoncer au retour à l’équilibre en 2030, ni aux fondamentaux de la réforme, évidemment nous y serons ouverts. »

De son côté, le président du Conseil d’orientation des retraites (COR), Pierre-Louis Bras, a donné un autre son de cloche concernant l’équilibre du système, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, jeudi 19 janvier. Selon lui, « les dépenses ne dérapent pas (…). Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et, même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre », a exposé M. Bras, s’appuyant sur le dernier rapport annuel du COR, qui projette quatre scénarios économiques.

Toujours selon lui, « dans une seule hypothèse, on revient à l’équilibre en 2045 ; dans l’hypothèse qui sert de référence dans le cadre de la réforme, le déficit perdure jusqu’en 2070 ». Et de conclure : « Le gouvernement (…) a fait un choix. »

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Le Monde avec AFP