Un nouvel audit accable les méthodes de management de Lise Boëll chez Plon

Le siège du groupe Editis, en avril 2008.

Les conclusions de « l’analyse d’une situation sensible au sein de la maison Plon (groupe Editis) » rédigées par le cabinet d’experts de la santé psychologique au travail Stimulus semblent particulièrement alarmantes sur le management de Lise Boëll. Cette éditrice historique d’Eric Zemmour et de Philippe de Villiers a pourtant été adoubée, vendredi 3 mars, par la direction d’Editis (Vivendi, groupe Bolloré) comme seule et unique patronne à la tête de Plon, en obtenant la préférence face à sa rivale Céline Thoulouze, qui dirigeait l’autre équipe, historique, de la même maison. Depuis dix-huit mois, Plon était scindée en deux (Plon A et Plon B), chaque entité ayant ses équipes, ses locaux et ses auteurs.

Ce document confidentiel – rendu public par Mediapart vendredi 10 mars et que Le Monde a pu consulter – avait en effet été restitué oralement mercredi 1er mars aux membres du comité de pilotage et à Guillaume Dervieux, directeur délégué à la stratégie et à la transformation et directeur de la littérature d’Editis.

Trente-six des trente-sept salariés ont été auditionnés individuellement dans le cadre de cette enquête réalisée à la suite de deux alertes, l’une du comité social et économique d’Editis, l’autre de la médecine du travail. Il en ressort « des facteurs de souffrance identifiés pour les deux équipes (celles de Lise Boëll et de Céline Thoulouze) ayant des retentissements sur leurs conditions de travail et leur santé psychologique ».

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« La Cyril Hanouna de l’édition »

Une première enquête établie par le cabinet Nayan en novembre 2021 sur le management de Lise Boëll et de ses deux adjoints évoquait déjà « des humiliations répétées en public », une « infantilisation », du « dénigrement », une « remise en question des compétences professionnelles », une « absence de clarification sur le management », « une désorganisation du travail », un « management autoritaire et centralisé » ou encore « des demandes formulées dans des délais intenables ». Des accusations graves mais Lise Boëll, qui avait été clairement menacée de renvoi à la réception de ce premier audit, avait été soutenue in extremis par Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi. C’est lui qui l’avait initialement imposée à la tête de Plon.

Les choses n’ont guère changé. Dans la dernière étude, l’équipe historique de Plon (Plon A) de Céline Thoulouze affirme que « cette maison bicéphale génère une concurrence interne incohérente » en termes de lignes éditoriales, mais aussi vis-à-vis des libraires, des salons, des représentants et des auteurs. Ils jugent que Lise Boëll est « en situation de complète impunité », « qu’elle est intouchable », allant jusqu’à être identifiée comme « la Cyril Hanouna de l’édition ». La direction d’Editis est pointée du doigt comme ayant « créé une situation [qui] a fait des dégâts considérables ». Le cabinet note que Plon A a opté pour une stratégie de « protection du collectif », les salariés se soutenant pour faire front face à Plon B, considérée comme une menace.

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Après la mise à l’arrêt de l’usine de pizzas Buitoni de Caudry, dans le Nord, la crainte d’une fermeture définitive

L’usine Buitoni de Caudry (Nord), le 15 septembre 2022.

L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre et pris tout le monde de court. Le 2 mars, les salariés de l’usine de pizzas Buitoni de Caudry, dans le Nord, apprennent que leur site est mis à l’arrêt « jusqu’à nouvel ordre ». Propriété de Nestlé France, il s’est retrouvé au cœur d’un scandale sanitaire en mars 2022, après la mort de deux enfants et l’intoxication de dizaines d’autre part la bactérie Escherichia coli.

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Les victimes avaient consommé des pizzas surgelées à pâte crue de la gamme Fraîch’Up fabriquées sur ce site. Une première inspection des services sanitaires avait révélé « de nombreuses anomalies graves en matière de nettoyage et d’entretien général des locaux et matériels (…), ainsi que la présence de rongeurs au niveau de l’atelier boulangerie », justifiant la décision de fermeture du site, prise par le préfet du Nord, le 1er avril 2022.

L’usine a rouvert partiellement à la mi-décembre 2022, mais seule la ligne de pizzas à pâte cuite, non concernée par le scandale, a été autorisée à redémarrer. « Nestlé a fait 2 millions d’euros de travaux pour remettre le site aux normes sanitaires. Il est au top aujourd’hui », note Frédéric Bricout, le maire (divers droite) de Caudry, pour qui « la crise a été très mal gérée » par le géant agroalimentaire. Le porte-parole de Nestlé explique la décision d’arrêter la production par « des prévisions de commandes fortement dégradées ».

« Notre usine est désormais nickel »

Il ajoute que « le marché de la pizza surgelée a chuté de 20 % en un an et a d’autant plus impacté la marque Buitoni, en première ligne de cette crise ». Des arguments qui viennent rouvrir une plaie ouverte chez les salariés. « Notre usine est désormais nickel. Tous les tests faits depuis la réouverture le confirment. Et cent quarante personnes vont perdre leur boulot ? », questionne Stéphane Derammelaere, délégué Force Ouvrière, très pessimiste sur une reprise de l’activité après le 30 mars.

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C’est la date qu’a donnée Nestlé « pour revenir vers les partenaires sociaux », précisant qu’« à ce stade, aucune décision n’a été prise pour le futur de l’usine ». Pas de quoi rassurer les salariés, persuadés que le couperet tombera à la fin du mois. « On nous a fait croire que ça repartirait et, du jour au lendemain, plus rien. Moi, je n’y crois plus », se désespère Caroline Teixeira, 45 ans, agent de production depuis dix ans.

Sa collègue Nathalie (qui n’a pas souhaité donner son nom), 54 ans, est dévastée. « On a tout donné pour assurer le nettoyage, et on en arrive là… Nous, on n’a rien fait, ça n’est pas de notre faute. Si on avait repéré un problème, on l’aurait fait remonter. » La voix étranglée par l’émotion, elle ajoute : « On est juste des pions. » Caroline et Nathalie racontent comme elles ont mal vécu d’être pointées du doigt après la mort des deux enfants contaminés par la bactérie.

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« Créer du lien est au cœur de chaque métier du soin »

Pour accompagner dignement les personnes fragiles, âgées ou en situation de handicap, nous devrons collectivement attirer d’ici cinq ans plusieurs centaines de milliers de professionnels.

La formation est un bon moyen d’y parvenir, car elle constitue le premier pan visible pour quiconque envisage d’exercer un métier d’aide ou de soin. Créer un parcours simple qui reflète la réalité vécue au quotidien et motiver sur le long cours relèvent en théorie du b.a.-ba Pourtant, avec près de soixante diplômes différents dans le secteur, nous en sommes encore très loin.

La construction actuelle du secteur, avec une frontière nette entre le secteur du « prendre soin » et celui du soin, ne facilite pas la réflexion. Nous avons ici rendez-vous avec l’histoire.

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Depuis plusieurs décennies, ces deux secteurs sont disjoints et on ignore leur promiscuité au point de fermer les yeux sur de nombreux glissements de tâches quotidiens qui ne sécurisent ni les professionnels ni les personnes fragiles. Nous devons y mettre un terme et abolir ces chasses gardées.

Réduire le champ des diplômes

Car une solution existe, et s’impose de plus en plus comme la réponse logique aux écueils actuels : elle consiste à réduire le champ des diplômes et à mettre en avant une montée en compétences claire, avec trois niveaux de qualification échelonnés sur plusieurs années.

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Le premier niveau serait une formation courte pour « mettre le pied à l’étrier », permettant d’obtenir un diplôme d’Etat inspiré de titres existants – formation des assistantes/assistants de soins en gérontologie (ASG), assistant(e) de vie aux familles (ADVF), etc. – et que nous pourrions appeler « accompagnateur du prendre soin ». Cela évitera l’embauche de personnels non formés, de plus en plus fréquente.

Le deuxième niveau correspondrait à la fusion des diplômes d’auxiliaire de vie et d’aide-soignant : il favoriserait la jonction entre le « prendre soin » et le soin.

Troisième étape, le diplôme d’infirmier, aujourd’hui bien circonscrit. En somme, trois niveaux clairs, que nous pouvons mettre en avant très tôt pour engager dans la durée.

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Allons encore plus loin en considérant que le premier point commun à faire émerger entre tous ces métiers devrait être leur dimension humaine, car ils consistent au premier chef à aider chacun à préserver ou recouvrer son autonomie. Dit autrement, créer du lien est au cœur de chaque métier et les gestes techniques, s’ils sont bien sûr différents, constituent une occasion de créer ce lien singulier, si essentiel pour la personne aidée.

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Derrière l’engouement pour le yoga, le maquis des formations et le quotidien précaire des professeurs

Des drapeaux de prière tibétains ont fait leur apparition le long du canal Saint-Martin. Ce territoire d’à peine cinq kilomètres de long, en plein centre de Paris, concentre les toutes dernières tendances : boutiques à la mode, bars à cocktails et, depuis 2020, un centre de 420 mètres carrés consacré au yoga jivamukti.

Développée dans les années 1980 à New York par deux défenseurs des droits des animaux, cette discipline allie exercices physiques et enseignement philosophique, et attire une jeunesse désireuse de renouer avec une forme de spiritualité.

Fin février, une trentaine d’élèves assistait au cours donné par Ian Szydlowksi-Alvarez, professeur d’origine chilienne, passé par Berlin, Munich ou Barcelone, avant de rallier Paris : « J’ai commencé le yoga en 1988. A l’époque, il n’y avait pas vraiment d’écoles, c’était une discipline marginale, à laquelle m’a initié ma mère, qui était hippie. Aujourd’hui, ça explose : j’ai travaillé dans un studio à New York où on accueillait 500 personnes tous les jours. » Au début du cours, l’enseignant fait vibrer son harmonium et invite la classe à chanter, après lui, des mots en sanskrit antique. « Il s’agit de versets tirés des Yoga-sutras de Patanjali, un recueil d’aphorismes. Le jivamukti est une pratique physique, éthique et spirituelle », précise-t-il, avant de passer à un enchaînement de postures plutôt sportives.

« Chaque cours comporte des chants, de la méditation, de la respiration et de la récitation de textes anciens », explique Sonia Gabriel. La trentenaire s’est plongée dans le yoga il y a plus de dix ans, après le décès de son père. En 2019, elle démissionne de son poste de professeure d’économie à l’université de Beyrouth pour ouvrir le studio Jivamukti à Paris, qui reçoit près de 5 000 personnes chaque mois – des femmes majoritairement, jeunes, souvent très diplômées, et désireuses d’approfondir leur passion.

« Renouer avec son humanité »

Alors que la pratique du yoga a plus que triplé ces dix dernières années, passant de trois millions à plus de dix millions de pratiquants en France, selon une enquête menée par le Syndicat national des professionnels du yoga (SNPY), de plus en plus de yogis s’inscrivent à des formations professionnalisantes.

« Je pratique le yoga depuis mon adolescence. J’ai découvert le jivamukti il y a quelques années, à Amsterdam, grâce à une amie rencontrée à Bali. C’est bien plus qu’un simple sport », témoigne Francesca Dunne, 36 ans. Cette ancienne chargée de communication a quitté son poste chez L’Oréal en 2022 pour devenir professeure de yoga.

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Le compte personnel de formation victime de son succès

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

Le compte personnel de formation (CPF) va-t-il être bridé ? Afin de réduire son impact sur les finances publiques, l’exécutif a discrètement déposé, fin 2022, un amendement au projet de loi des finances 2023, instaurant un reste à charge pour les bénéficiaires. Face à la bronca des partenaires sociaux et des élus, y compris au sein de la majorité, le décret d’application, qui doit notamment fixer le montant de ce reste à charge, est encore dans les tiroirs.

L’objectif du dispositif

Un statu quo sans doute provisoire pour ce dispositif, né sous la présidence Hollande, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle de 2014. Rattachant le droit à la formation à la personne et non plus à son emploi, l’objectif du CPF était d’inciter les actifs à se former davantage, et tout au long de la vie, afin de lutter contre le chômage. Il a remplacé sous une autre forme le droit individuel à la formation (DIF).

Le CPF, mobilisable directement par une application, peut être utilisé pour financer le permis de conduire ou une formation de langue par exemple.

Le CPF permet de financer une formation qualifiante ou certifiante, un bilan de compétences ou encore une validation des acquis de l’expérience (VAE), sans avoir à passer par son employeur. Il peut être utilisé pour financer le permis de conduire ou une formation de langue, par exemple. Après l’élection du président Macron en 2017, le tout jeune dispositif a été réformé. Depuis 2019, le CPF n’est plus exprimé en nombre d’heures mais en euros et est mobilisable directement par une application.

Le fonctionnement

Depuis 2019, un salarié à temps plein ou au moins à mi-temps voit son compte alimenté à hauteur de 500 euros par année de travail (ou 800 euros pour les actifs peu ou pas qualifiés ou en situation de handicap), dans la limite d’un plafond de 5 000 euros (8 000 euros pour les peu ou pas qualifiés ou en situation de handicap). En dessous, le budget alloué est calculé en fonction de la durée de travail. Dans le secteur public, le dispositif diffère. L’autorisation de l’employeur reste nécessaire et le CPF demeure crédité en heures : 25 heures par an, jusqu’à 150 heures maximum.

Le déblocage du CPF est relativement simple : le demandeur sélectionne une formation sur le site Internet Moncompteformation.fr ou l’application ad hoc et réserve la session souhaitée. Après acceptation de son dossier par l’organisme, le financement de sa formation est automatiquement débité de son CPF. D’autres acteurs peuvent aider le bénéficiaire à financer sa formation : son employeur, les opérateurs de compétences (OPCO), Pôle emploi, le conseil régional… Le montage du dossier se fait entièrement en ligne.

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Caviste, une reconversion prisée chez les trentenaires

Sur la photo de son compte LinkedIn, Coraline Lan-Lemasson, 35 ans, pose tout sourire avec un tire-bouchon entre les mains. Un accessoire qui résume à lui seul sa nouvelle vie professionnelle. Cette ancienne responsable du marketing dans l’industrie pharmaceutique a rencontré son époux, Thomas, 35 ans également, au sein des Laboratoires Pierre Fabre. Après un début de carrière prometteur, le jeune couple s’envole pour un tour du monde de neuf mois. A leur retour en France, en 2019, ils tentent, en vain, de renouer avec le métro-boulot-dodo parisien. Au bout de six mois, l’envie de se reconvertir leur semble évidente. « On voulait exercer un métier plus concret, raconte la jeune femme, avec enthousiasme. On s’est souvenu que les deux choses qui nous avaient le plus manqué en voyage, c’étaient le vin et le fromage. On a donc décidé de s’engager dans ce secteur passion. »

Les jeunes mariés ont beau avoir quelques connaissances acquises au fil de visites de vignobles et de bonnes tables, ils ont commencé par se former. Pendant un an, Coraline a suivi les cours du Centre interprofessionnel de formation des commerces de l’alimentation de Toulouse pour obtenir son certificat de qualification professionnelle (CQP) de vendeur conseil caviste. Une formation pour laquelle elle n’a rien déboursé, le tout étant financé par la branche professionnelle. Après quelques mois de recherche et un prêt à la banque, Coraline et Thomas ont inauguré, en septembre 2021, La Bonne Combine, un lieu chaleureux au cœur de la capitale de l’Occitanie, qui allie 300 références de vins et un peu moins de fromages.

Le couple Lemasson n’est pas le seul à avoir choisi de bouleverser son quotidien pour s’installer au milieu des bouteilles de rouge et de blanc. « Depuis le Covid, nous avons constaté l’arrivée de jeunes professionnels, relate Patrick Jourdain, président du Syndicat des cavistes. Souvent lassés par un quotidien urbain, ils quittent leur emploi pour se lancer dans le secteur en quête d’une autre qualité de vie. » Patrick Jourdain n’est pas étonné de cet engouement. Depuis plusieurs années, la proportion de reconversions « frôle les 80 % ». « Les cavistes qui s’engagent en formation initiale dans la profession sont très rares », poursuit-il. En général, les profils sont toujours les mêmes : des CSP+ passionnés, souvent d’anciens cadres dans la banque ou la grande distribution, qui se tournent vers un milieu qui les fait rêver.

Pas de diplôme spécifique

« Après le Covid, les gens ont redécouvert leurs cavistes, ces commerçants de proximité restés ouverts pendant le confinement, analyse Géraldine Gossot, la directrice de l’Université du vin de Suze-la-Rousse (Drôme), une formation réputée dans le milieu. Beaucoup ont alors sauté le pas pour concrétiser leur envie de changement et on a eu un gros coup de chaud sur les inscriptions à la rentrée 2020-2021. » Un succès qu’elle explique par des raisons culturelles, puisque « beaucoup de gens sont passionnés par le vin en France » mais aussi par l’accessibilité du métier. « C’est une profession généraliste, concrète, qu’on peut exercer sans se former de manière trop technique, analyse-t-elle. Devenir vigneron, c’est plus difficile par exemple. »

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Matthieu Lépine brise le silence sur la mort au travail

Matthieu Lépine, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 3 mars 2023.

Taille moyenne, barbe bien taillée, tenue sombre. Matthieu Lépine, 36 ans, est professeur d’histoire et de géographie au collège Lenain-de-Tillemont de Montreuil (Seine-Saint-Denis), mais il pourrait tout aussi bien être bassiste d’un groupe de rock. Il admet d’ailleurs avec une pointe de gêne avoir été le chanteur d’un groupe de copains, durant son ­adolescence à Laval (Mayenne). « Je ne savais pas chanter, mais il fallait bien que quelqu’un s’y colle », avoue-t-il en souriant. La phrase pourrait illustrer le combat qui l’occupe depuis plus de six ans : faire connaître au grand public le drame des morts du travail. Entamé sur les réseaux sociaux, son « travail », comme il ­l’appelle lui-même, a donné lieu à un livre. Dans L’Hécatombe invisible (Seuil), qui vient de paraître, Matthieu Lépine ­poursuit son inventaire des morts au travail et dénonce les négligences systémiques qu’elles illustrent.

« Mourir si jeune et si vieux, avec ce putain de statut d’autoentrepreneur qui fait de vous un ouvrier sans en avoir les droits… Ces deux morts m’ont poussé à vouloir être plus efficace. » Matthieu Lépine

C’est une phrase d’Emmanuel Macron qui l’a déterminé à se lancer. En 2016, à quelques jours du forum économique de Davos, celui qui est alors ministre de l’économie de François Hollande dit sur BFM-TV que « la vie d’un entrepreneur, elle est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier. Il peut tout perdre, lui. » Matthieu Lépine est alors un jeune professeur dans un collège classé REP +. Après avoir fait ses armes à l’université Rennes-II lors du mouvement contre la réforme du contrat première embauche, en 2006, il s’est engagé au Parti de gauche, puis à La France insoumise, participant, en 2012 et en 2017, aux campagnes d’Alexis Corbière à Montreuil. Dans le même temps, il tient un blog sur l’histoire des luttes sociales.

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Après la « petite phrase », il commence à recenser quotidiennement les accidents du travail. Début 2019, deux autoentrepreneurs meurent à quelques jours d’intervalle. Michel Brahim, couvreur à la retraite, continuait de travailler pour compléter sa pension de 700 euros mensuels. Franck Page, 19 ans, coursier pour Uber Eats, décède à la suite d’un accident de la route. « Mourir si jeune et si vieux, avec ce putain de statut d’autoentrepreneur qui fait de vous un ouvrier sans en avoir les droits… Ces deux morts m’ont poussé à vouloir être plus efficace », explique-t-il aujourd’hui.

Selon les calculs de Matthieu Lépine, au moins 896 personnes sont mortes d’un accident du travail en 2019. Cette même année, l’Assurance-maladie en dénombrait 733 et la Dares 790, soit le taux d’incidence le plus élevé d’Europe selon les données d’Eurostat.

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Réforme des retraites : le dispositif sur les « carrières longues » ne profite pas aux travailleurs les plus éprouvés

Lors de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites, sur le vieux port de Marseille, le 7 mars 2023.

Voilà deux notes que l’exécutif et les parlementaires auront en tête au moment des arbitrages sur la réforme des retraites. Publiées lundi 6 mars par l’Institut des politiques publiques, elles montrent que le système dit des « carrières longues », réservé aux personnes ayant commencé à travailler tôt, ne profite pas principalement à celles qui sont les moins qualifiées ou les plus abîmées par leur emploi. Allant à rebours des idées reçues, un tel constat est susceptible d’influencer des choix à venir, puisque le gouvernement – aiguillonné par des députés de droite – envisage d’étendre le dispositif, selon des modalités incertaines à ce stade.

Créé en 2003, rendu plus généreux en 2012, le mécanisme des carrières longues permet de partir à la retraite avant l’âge légal – soit 62 ans, aujourd’hui. Pour bénéficier de cette dérogation, il faut avoir commencé sa vie active avant 20 ans et afficher une « durée d’assurance » au moins égale à celle qui est requise pour une pension à taux plein (quarante-trois ans, à terme). Ces règles ont un impact significatif : pour la génération née en 1953, par exemple, elles ont offert la possibilité d’un départ anticipé dans près d’un cas sur quatre, si l’on raisonne sur le régime général.

Ce corpus de normes « est souvent vu comme touchant des personnes peu diplômées (…), ayant plus souvent exercé des métiers manuels » ou physiquement éprouvants, écrit Patrick Aubert, l’auteur des études. Or, le lien entre la pénibilité professionnelle et le fait d’être éligible au dispositif n’est « pas aussi évident qu’il n’y paraît ».

Explications : Les questions pour comprendre la réforme des retraites : petites pensions, carrières longues et impact pour les femmes

Ceux qui ont eu droit à une retraite avant 62 ans « pour carrière longue » ont « une espérance de vie égale, voire supérieure à celle des autres retraités non invalides ». Ils semblent aussi « moins souvent en situation de handicap ». Ainsi, parmi les individus qui sont partis à 60 ans ou à 61 ans durant la période 2017-2020, 5 % disent avoir été fortement limités dans leurs activités au cours des douze premiers mois de retraite et 10 % déclarent avoir été « limités mais pas fortement » (contre 7 % et 16 % chez ceux qui sont partis à 62 ou 63 ans, « hors invalidité ou handicap »).

« Trous de carrière »

Si l’on s’intéresse aux catégories sociales, l’étude montre que les ouvriers et les employés non qualifiés sont « nettement sous-représentés » dans les départs anticipés. De même, seuls 2 % des bénéficiaires du système de carrières longues font partie des retraités les plus modestes, s’agissant de la génération 1954.

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« L’Hécatombe invisible » : quand le travail tue

Le drame a lieu en 2014, dans les Vosges. Sophie, 21 ans, travaille au sein de son entreprise spécialisée dans le recyclage de fibres. La jeune femme se charge de l’entretien d’une étireuse. Toujours en marche, la machine va lui happer le bras puis le reste du corps. L’employée meurt sur le coup. Le patron sera condamné en 2016 à trois ans de prison avec sursis pour homicide involontaire dans le cadre du travail, et à 45 000 euros d’amende. « Et pour cause, la machine (…), qui avait été récemment acquise auprès d’un fournisseur chinois, ne répondait absolument pas aux exigences françaises en matière de sécurité », explique Matthieu Lépine dans son ouvrage L’Hécatombe invisible (Seuil).

Depuis quatre ans, ce professeur d’histoire-géographie s’est donné pour mission de « briser le silence qui entoure les milliers d’accidents du travail graves ou mortels qui surviennent chaque année en France ». Il a entrepris leur recensement quotidien par le biais des réseaux sociaux. Son essai est une deuxième étape pour « rendre visible ce qui ne l’est pas ».

Au fil des pages, les drames se succèdent. Dans le BTP, où l’auteur rappelle qu’en moyenne un employé meurt chaque jour travaillé, mais aussi dans l’agriculture, le bûcheronnage, l’industrie, les transports… M. Lépine raconte en détail des chutes, des écrasements, des travailleurs ne rentrant pas chez eux après leur journée à l’usine, des vies brisées, des mères, pères, conjoints ou enfants portant le deuil.

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Au-delà du constat, l’auteur met en relief les défaillances qui augmentent les risques. Il n’y a pas de fatalité, à ses yeux : un accident du travail « résulte toujours d’un manque. Manque de formation, manque d’information, manque d’évaluation des risques, manque de respect à la législation en matière de sécurité et de santé ».

Déficit d’information et de prévention

Dans cet essai engagé, il pointe les failles des entreprises en matière d’organisation et la prime aux impératifs économiques, déplorant « un monde du travail où la sécurité passe souvent après la rentabilité ». Dans le même temps, il souhaite aussi « confronter les politiques aux conséquences de leurs actions ou de leur inaction ». M. Lépine cible notamment le « détricotage en règle » du code du travail, à travers, entre autres, la loi « travail » de 2016.

L’orientation actuelle du monde du travail ne peut, selon lui, que fragiliser ses acteurs. « Au nom de la flexibilité, le recours à une main-d’œuvre extérieure, intérimaire, sous-traitante, détachée, voire sans papiers, s’est généralisé depuis une trentaine d’années (…). Evoluant dans un environnement éphémère, contraints à la polyvalence et insuffisamment formés, on confie pourtant [à ces travailleurs] les tâches parmi les plus dangereuses », s’insurge-t-il. Une situation qui touche tout particulièrement les plus jeunes.

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La coopérative sucrière Tereos, affectée par la flambée de l’énergie et des matières premières, se déleste de trois usines en France

A la raffinerie de la coopérative sucrière française Tereos, à Lillers (Pas-de-Calais), le 18 novembre 2011.

Nouvelle restructuration dans la filière sucrière française. La coopérative Tereos, connue pour ses marques La Perruche et Béghin Say, a annoncé, mercredi 8 mars, sa décision de se délester de trois usines. Deux seront fermées, en l’occurrence la sucrerie d’Escaudœuvres, dans le Nord, et la distillerie de Morains, à Val-des-Marais, dans la Marne, avec respectivement 123 et 26 postes supprimés. La troisième, le site de transformation de pommes de terre en fécule d’Haussimont, également dans la Marne, cherche un acquéreur.

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Cette décision stratégique intervient alors que Tereos, forte d’un chiffre d’affaires 2021-2022 (clos fin mars) de 5,1 milliards d’euros, tente de redresser ses comptes. Une opération délicate. Sa dette nette a encore augmenté de 22 %, sur les neuf premiers mois de son exercice fiscal 2022-2023, à 2,9 milliards d’euros. Le groupe, dont les revenus sont en forte progression, a prévenu que sur l’ensemble de l’exercice la dette sera supérieure à celle de l’année précédente. En cause : la forte hausse du coût des matières premières et de l’énergie, qui a conduit à une augmentation du besoin en fonds de roulement.

Crise de gouvernance

Or, c’est justement ce lourd endettement qui avait suscité une crise de gouvernance inédite à la tête du géant sucrier, qui fédère 12 000 agriculteurs en France. A l’issue d’une longue épreuve de force, des coopérateurs menés par Gérard Clay avaient contraint au départ, en décembre 2020, les dirigeants historiques, critiqués pour leur politique de développement jugée risquée.

Depuis, M. Clay assume la fonction de président du conseil de surveillance de Tereos, mais deux directeurs généraux se sont succédé. Le troisième, Jorge Boucas, nommé après les deux évictions, qui dirigeait la coopérative laitière Sodiaal, prendra ses fonctions en avril. Sa feuille de route a été tracée. « Il lui reviendra d’achever le redressement du groupe coopératif, de déployer dans les meilleurs délais le plan de décarbonation face aux enjeux énergétiques qui touchent notre industrie et de proposer au conseil d’administration de nouvelles orientations de croissance », a précisé Tereos.

L’objectif fixé par la nouvelle direction était de faire passer la dette sous la barre des 2 milliards d’euros d’ici à 2024. Tereos a déjà vendu son activité amidonnière en Chine, puis s’est séparé de sa filiale au Mozambique et d’une sucrerie en Roumanie. Le couperet tombe, maintenant, sur la France.

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L’enjeu est de saturer au maximum les usines pour accroître la rentabilité d’outils très consommateurs de ressources financières. D’autant que cette industrie lourde doit se décarboner. Or, la sucrerie d’Escaudœuvres nécessitait peut-être plus que d’autres des investissements. En avril 2020, la rupture d’une digue de cette usine, qui retenait les eaux de lavage de betteraves, avait entraîné une pollution de l’Escaut. Tereos a été condamné, en janvier, à verser 9 millions d’euros de dommages et intérêts.

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