Plongée dans les « prisons dorées » des multinationales : « C’était irrésistible. A 30 ans, je triplais, voire quadruplais mon salaire »

Benjamin Pinguet a 25 ans et « le sang rouge ». C’est la couleur de son hémoglobine, certes, mais surtout celle de son entreprise, pour laquelle son cœur bat depuis quatre ans : Generali, la troisième compagnie d’assurances au monde, symbolisée par un lion ailé rouge, mastodonte italien coté des milliards d’euros en Bourse.

Après une phase de recrutement qui a duré six mois, le jeune homme a intégré la multinationale « le 1er mars 2020 » – il récite la date comme s’il parlait de son mariage. Benjamin Pinguet a commencé en bas de l’échelle, comme conseiller commercial, à Grenoble. Le 1er septembre 2022, il est muté à Lyon sur un poste intermédiaire, avant de devenir « inspecteur manager de performance » le 1er janvier de cette année. Le voilà désormais cadre supérieur de niveau 6, avec dix collaborateurs sous son aile.

S’il donne beaucoup à son entreprise, c’est parce qu’elle le lui rend bien. « Je me sens complètement redevable », dit-il, d’autant plus reconnaissant qu’il est titulaire d’un BTS technico-commercial, et donc non représentatif des jeunes les plus diplômés. La liste de ses avantages n’en est pas moins longue comme le bras. D’abord, sa rémunération, que lui-même qualifie d’« exceptionnelle » : entre 7 500 et 12 000 euros net par mois, « selon les performances de l’équipe ». Ensuite, une complémentaire santé « très haut de gamme »« tout est intégralement pris en charge ». Et puis un intéressement de 4 700 euros nets cette année.

Il y a aussi des « primes points », qui dépendent du nombre de contrats signés pour des produits ciblés – entre 750 et 3 500 euros tous les quatre mois. Une « prime de fidélisation » selon les portefeuilles en gestion – entre 250 et 500 euros par mois. Une prime collective destinée à tous les cadres – soit 6 000 euros en début d’année. « Et d’autres primes à droite à gauche, selon des objectifs », ajoute encore le salarié.

Avantages en nature

Vous avez le tournis ? Ce n’est pas fini. De nombreux avantages en nature se greffent à ce généreux package financier. Benjamin Pinguet dispose d’une voiture de fonction, qu’il peut utiliser à sa guise, pour un week-end en amoureux ou un rendez-vous professionnel. On lui paie carburant, péage, assurance et entretien du véhicule. « Tout est pris en charge », répète-t-il. Sans oublier le comité d’entreprise qui l’arrose à son tour de cadeaux et de réductions en tout genre.

Dans un contexte de tension sur le marché du travail, aujourd’hui très favorable aux diplômés bac + 5, les jeunes cadres peuvent se permettre d’être plus exigeants. « Le rapport de force a évolué : la période est à la guerre des talents », déclare Aurélie Robertet, directrice d’Universum France, une société de conseil en « marque employeur » qui, chaque année, interroge les étudiants des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce sur leur entreprise idéale.

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Au Kenya, des « entraîneurs » de ChatGPT s’élèvent contre leurs conditions de travail

ChatGPT, ce n’est pas seulement un algorithme qui a réponse à tout, ou presque. Pour construire le célèbre outil d’intelligence artificielle (IA) sorti fin 2022, des milliers de petites mains ont été embauchées à travers la planète afin de l’entraîner à bien répondre, en le formant notamment à savoir reconnaître et mettre de côté certains des contenus qu’il trouve sur Internet.

Bill Mulinya a fait ce travail pendant cinq mois, entre fin 2021 et début 2022. Ce jeune Kényan de 30 ans dirigeait une équipe de quinze personnes qui entraînaient le futur ChatGPT à discerner les propos haineux, violents ou relevant du harcèlement pour le compte de Sama, un important sous-traitant des Big Tech, les grandes entreprises du secteur. Dans le cadre de ce contrat conclu avec le concepteur du chatbot, OpenAI, leur job consistait concrètement à lire, toute la journée, des textes trouvés dans tous les recoins du Web et à leur apposer des qualificatifs – ou « étiquettes » – précis afin de les signaler à l’algorithme. Une deuxième équipe était assignée aux textes à caractère sexuel.

« Au début, quand vous commencez à lire ces contenus, c’est ok, raconte M. Mulinya, casquette et chemise, en buvant un smoothie à la terrasse d’un café de Nairobi. Mais quand vous lisez ça en continu, ça commence à s’infiltrer dans votre tête. L’un de mes collègues était une personne très joviale, extravertie. Quand le projet s’est terminé en mars 2022, il était totalement changé, il avait peur de tout. » Nécrophilie, suicide, maltraitance d’enfants… Heure après heure, texte après texte, plusieurs anciens employés ont raconté développer des angoisses, des troubles du sommeil ou de la sexualité. « A un moment donné, presque toute l’équipe m’a demandé d’être en congés, ajoute-t-il. En tant que chef, vous savez que ça signifie qu’il y a un problème. »

« Dommages causés à la santé mentale »

Le contrat devait durer un an. Mais Sama a demandé sa résiliation « immédiatement » après « que les équipes ont attiré l’attention du management », soit au bout de quelques mois, explique dans un courriel le sous-traitant – qui a annoncé arrêter définitivement ce type de contenus. De son côté, OpenAI affirme, également par courriel, reconnaître « la difficulté de ce travail » pour les sous-traitants : « Leurs efforts pour assurer le caractère sûr pour l’utilisateur des systèmes d’intelligence artificielle sont d’une immense valeur. »

La valeur de ce travail, justement, est au cœur de plusieurs affaires qui agitent l’écosystème tech de Nairobi ces derniers mois. La capitale kényane, avec sa main-d’œuvre peu chère, éduquée et anglophone est devenue une plateforme de sous-traitance pour la Silicon Valley. Le pays se dépeint même, un peu pompeusement, en « Silicon Savannah » : le gouvernement veut introduire l’apprentissage des bases du codage informatique dès l’école primaire et vante sa jeunesse comme un vivier pour les géants du Web, façon Bangalore africain.

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Le commerce et la restauration ont créé plus de 586 000 emplois entre 2006 et 2022

Dans le quartier de Montmartre, à Paris, le 11 octobre 2023.

L’emploi dans le commerce et la restauration est-il, depuis des années, sur le déclin ? C’est ce qu’a cherché à savoir Christophe Noël, le délégué général de la Fédération des acteurs du commerce dans les territoires, las d’entendre de nombreux professionnels se plaindre des répercussions sur l’emploi de « l’augmentation du commerce sur Internet », et d’un secteur d’activité qui ne va pas bien, « puisqu’on voit les boutiques fermer les unes après les autres et les centres-villes se désertifier », surtout depuis la crise sanitaire. Il a donc voulu en avoir le cœur net, en réalisant une étude avec le cabinet SAD Marketing, basée sur des données de l’Insee, de l’Urssaf et de la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance, et publiée jeudi 19 octobre.

Résultat : plus de 586 000 emplois en équivalent temps plein ont été créés dans le commerce et la restauration entre 2006 et 2022, soit une augmentation de 25 % du nombre d’employés. Davantage que les 11 % de progression du nombre d’emplois salariés en France. Un écart également valable post-Covid : 7,2 % d’effectifs en plus dans le commerce et la restauration depuis 2019, contre + 5,8 % pour l’emploi salarié total.

L’ensemble du commerce, restauration incluse, employait près de 3 millions de personnes en 2022, « soit 15 % des emplois salariés en France » (11 % dans le commerce et 4 % dans la restauration). « Arrêtons avec ce discours malthusien sur le déclin inexorable du commerce, cela ne se voit pas dans l’emploi », en conclut M. Noël. Seul écueil de ces chiffres, ils n’intègrent pas les petits commerçants indépendants qui n’emploient aucun salarié, et que l’Urssaf ne comptabilise donc pas.

Certains pans d’activités fragilisés

Internet, qui représentait 12,4 % du commerce de détail en 2022 (contre 0,9 % en 2006), n’aurait donc, à en croire l’étude, pas amoindri les effectifs globaux du secteur ni d’ailleurs son activité. « Le chiffre d’affaires du commerce et de la restauration atteint 589 milliards d’euros en 2022, en hausse de près de 25 % depuis 2006 » et de 12 % depuis 2016, mentionne l’étude.

Toutefois, certains pans d’activité ont été fragilisés par l’essor du Web, car, au niveau microéconomique, « plus le poids de l’e-commerce est élevé, plus l’impact sur l’emploi est fort », fait remarquer l’étude. La chute est « notable » dans les commerces spécialisés en équipement de la personne (− 6 % d’effectifs et − 13 % d’établissements sur quinze ans), alors que la part de la vente à distance progressait de 8 % à 14 %.

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Nokia annonce la suppression de 14 000 emplois

Le siège de Nokia, à Espoo, en Finlande, le 16 mars 2021.

Jusqu’à 14 000 emplois supprimés. C’est ce qu’a annoncé, jeudi 19 octobre, le groupe finlandais d’équipements de télécommunications Nokia, dans le cadre d’un nouveau plan de réduction des coûts. Le groupe a mis en avant une baisse de 69 % de ses bénéfices au troisième trimestre à 133 millions d’euros (140 millions de dollars) par rapport à l’année précédente. Après la publication des résultats, le cours de l’action Nokia a baissé de 2 %, à 3,26 euros.

L’équipementier télécoms, engagé dans une bataille pour les réseaux 5G avec son rival suédois Ericsson et le chinois Huawei, a annoncé avoir vu ses ventes chuter de 20 % à 4,982 milliards d’euros au troisième trimestre par rapport à 2022. « Nous avons constaté un certain ralentissement dans le rythme du déploiement de la 5G en Inde, ce qui signifie que la croissance n’y était plus suffisante pour compenser le ralentissement en Amérique du Nord », a déclaré Pekka Lundmark, le directeur général de Nokia. Celui-ci a également exprimé sa tristesse quant à la suppression massive d’emplois, soulignant que « les décisions les plus difficiles à prendre sont celles qui ont un impact sur notre personnel ».

Le programme d’économies du groupe devrait permettre des réductions de coûts allant jusqu’à 1,2 milliard d’euros d’ici 2026, en ciblant notamment les réseaux mobiles, ainsi que les services cloud et réseau. Selon le directeur général, « le chiffre d’affaires net du troisième trimestre a été affecté par l’incertitude actuelle » mais celui-ci prévoit néanmoins « une amélioration saisonnière plus normale dans nos activités de réseau au quatrième trimestre ».

Le Monde avec AFP et Reuters

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Indemnisation des accidents du travail : le rétropédalage du gouvernement

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, lors d’une conférence sociale au Conseil économique, social et environnemental, à Paris, le 16 octobre 2023.

Sous la pression de plusieurs associations et des syndicats, le gouvernement revoit sa copie. Mercredi 18 octobre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, a adressé une lettre aux partenaires sociaux pour leur indiquer qu’il propose le « retrait » d’une mesure réformant l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. Inscrite à l’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, celle-ci va donner lieu « à de nouvelles discussions » entre les organisations d’employeurs et de salariés, ajoute M. Dussopt dans son courrier. La décision du ministre permet de couper court aux critiques selon lesquelles l’exécutif était sur le point d’offrir un cadeau aux entreprises, tout en réduisant les sommes dues aux victimes d’un préjudice physique causé par leur activité professionnelle.

Il s’agit d’un petit coup de théâtre dans une affaire qui a commencé en début d’année. Le 20 janvier, la Cour de cassation renverse sa jurisprudence dans deux arrêts concernant des salariés morts d’un cancer du poumon après avoir inhalé des poussières d’amiante sur leur lieu de travail. Au cœur de ces litiges, il y a le système de réparations, mis en place à partir de 1898 sur la base d’un compromis entre les syndicats et le patronat. Lorsqu’un individu est reconnu, par la « Sécu », comme étant victime d’une pathologie ou d’un accident lié à son métier, il touche une rente de la part de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) du régime général. Ce même individu peut, en outre, percevoir de nouveaux dédommagements – sous la forme d’une majoration de sa « rente » – si son employeur est condamné pour « faute inexcusable ».

Les décisions de la Cour de cassation améliorent ce mécanisme protecteur. Désormais, les victimes ont droit à une réparation complémentaire, pour leurs souffrances physique et morale, sans avoir à prouver que ce dommage spécifique n’est pas pris en charge – alors qu’auparavant elles devaient le démontrer. Une évolution, permise donc par les arrêts du 20 janvier et saluée par deux organisations connues pour leur engagement de longue date sur ces problématiques : l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante et autres maladies professionnelles (Andeva) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath).

Un compromis remis en cause

Mais ce dossier connaît un rebondissement, avec l’accord national du 15 mai sur la branche AT-MP, que les syndicats et le patronat signent à l’unanimité. Ceux-ci ont une position différente de celle de la Fnath et de l’Andeva. Les partenaires sociaux estiment que la nouvelle jurisprudence remet en cause le compromis « historique » de 1898 et l’indemnisation dans les procédures sans faute inexcusable de l’entreprise. Ils demandent donc au gouvernement de corriger par la loi les effets des arrêts du 20 janvier.

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« L’enjeu est de mettre en place les bons outils pour que le travail redevienne rémunérateur »

Avec la conférence sur les bas salaires et le début de l’examen par le Sénat du projet de loi sur le partage de la valeur, l’agenda social de ce mois d’octobre est bien rempli. On ne peut pas dire que les corps constitués et les partenaires sociaux ne se mobilisent pas pour répondre à une crise sociale qui s’installe.

Pourtant, le moment est sans doute venu de reconnaître que le modèle social français est en état de mort cérébrale. Le décrochage inéluctable des revenus du travail par rapport à ceux du capital et le retour de l’inflation lui ont été fatals.

Alors que les dépenses de la Sécurité sociale pour les volets santé et retraite augmentent sous l’effet conjugué du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie, leur financement est précisément asséché par les mesures du moment. A savoir la baisse massive des cotisations sociales sur les salaires inférieurs à 1,6 fois le smic et la multiplication des dispositifs de partage de la valeur qui ont pour effet de « variabiliser » la rémunération du travail et de la soumettre à un régime social plus favorable pour les entreprises.

A court terme, ces dispositions atteindront probablement l’objectif recherché, qui est de soutenir le pouvoir d’achat. Mais, à moyen terme, les entreprises s’ajusteront. Qu’on les appelle intéressement, participation, prime de partage de la valeur, plan de partage de la valorisation de l’entreprise, ces dispositifs restent des frais de personnel pour les entreprises et seront comptabilisés comme tels. Or, il est dans la nature des dirigeants d’entreprise de maîtriser leurs coûts et de ne pas accorder plus qu’il ne leur semble nécessaire.

500 000 euros au terme de quarante-cinq ans de carrière

L’enjeu est plutôt de mettre en place les bons outils pour que le travail redevienne rémunérateur et qu’il redonne aux salariés la capacité d’améliorer leur niveau de vie, sans nuire au financement de la Sécurité sociale. Cela commence par s’extraire de problématiques insolubles pour adresser la bonne cible : le capital.

Quand une entreprise verse des dividendes ou bien que la valeur de son action monte, ses coûts ne sont pas impactés, sa compétitivité n’est pas affectée, au contraire. L’entreprise est d’autant plus satisfaite quand cela bénéficie à ses salariés plutôt qu’à des fonds de pension étrangers. D’où l’attractivité et la puissance de cette réussite française : l’actionnariat salarié. Mais pour que celui-ci change la vie des gens il faut qu’il soit universel et massif, ce qui est un objectif inaccessible en l’état. En effet, comment imaginer que des salariés qui ne peuvent pas finir le mois puissent acheter des actions ?

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Jérôme Denis et David Pontille, finalistes du prix « Penser le travail » : « De nombreux professionnels se posent la question de la valorisation de la maintenance »

L’essai Le Soin des choses. Politiques de la maintenance est une plongée dans le monde de la maintenance, analysé par Jérôme Denis et David Pontille, respectivement professeur de sociologie à Mines Paris-PSL et directeur de recherche au CNRS. Il vient d’être nommé au prix Penser le travail 2023. Les auteurs s’expliquent sur son apport au monde du travail.

Dans votre ouvrage, vous parlez du « soin des choses » comme un sujet négligé par les entreprises et par la recherche, mais capital pour l’avenir de nos sociétés. En quoi la maintenance s’inscrit-elle dans l’actualité du XXIe siècle ?

Jérôme Denis : Face à la crise environnementale, la maintenance apporte une solution pour « faire durer ». Les élèves architectes construisent aujourd’hui dans une situation problématique. Faire durer les bâtiments, par exemple, leur apparaît comme une réponse. La maintenance s’inscrit dans l’actualité des pays riches, notamment pour les grandes infrastructures (routes, ponts, réseaux d’eau). Beaucoup de choses sont vieillissantes, sans que la maintenance ait été prise en compte. Dans cet ouvrage, on a développé la question du « faire durer », la rencontre entre les êtres et les objets et la question de leur fragilisation. La maintenance rend sensible aux dégradations à l’œuvre, et l’attention aux traces vise à saisir chaque phénomène dans sa singularité.

Comment en êtes-vous venus à vous intéresser à ce sujet ?

David Pontille : C’était au cours d’une enquête démarrée en 2007 sur le renouvellement des panneaux consacrés aux usagers du métro parisien. A l’issue d’une de nos dernières rencontres, la responsable de la normalisation de l’ensemble de la signalétique de la RATP nous a proposé de voir « les gars de la maintenance ». C’est ainsi que la maintenance a surgi comme un thème de recherche que l’on a pris au sérieux. De précédents ouvrages en sociologie et en ergonomie existaient sur le sujet du point de vue organisationnel, avec le prisme du risque, mais disaient peu de choses du travail lui-même, de l’action des mainteneurs.

J.D. De nombreux acteurs issus de mondes professionnels très différents, dans la santé, l’énergie ou la défense, se posent, de façon urgente, la question de la valorisation de la maintenance. Les mainteneurs ont une forme d’expertise de proximité avec les choses qui n’est pas complètement formalisable. Il y a un enseignement lié à la matière elle-même. Si l’on veut prendre en considération la maintenance, il faut prendre en compte la maintenabilité des choses. Il existe aussi un autre enjeu, celui de laisser une marge de manœuvre aux mainteneurs. Ils savent comment réagissent les machines. L’externalisation, par exemple, peut poser un fort risque de pertes d’expertises.

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Le profond mal-être des agents communaux : « Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire »

Laurent se tient à genoux, truelle à la main, près de l’entrée du cimetière. Une veuve le croise dans un silence aimable. Lui est dépité : « Pendant que mon fils travaille dans une association de protection de la Loire, moi je bétonne les espaces entre chaque tombe par peur des mauvaises herbes. C’est la réponse du maire au zéro phyto, l’interdiction des désherbants chimiques. Mais où l’eau de pluie va-t-elle s’écouler ? Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais proposé une solution plus écolo. » Laurent (son prénom a été modifié) est agent des interventions techniques en milieu rural. Avec quatre collègues, il entretient la voie publique, le cimetière et les espaces verts d’une commune du Loir-et-Cher, qui compte un peu plus de 4 000 habitants, quelque part entre Blois et Saint-Laurent-Nouan.

Un fourgon blanc arrive. Les renforts. A son bord, Jules et Wilfried (les prénoms ont été modifiés). Ce dernier, tatoué, tondu, est tendu : « On ne peut plus faire de vidange d’huile, réparer une tondeuse à gazon, ni renforcer une serrure soi-même. C’est simple, notre atelier mécanique ne sert plus à rien. Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire. Quel gâchis. »

Avec un salaire à 1 400 euros net malgré quinze ans d’ancienneté, Wilfried est allé parler à son maire. « Je lui ai demandé un avancement d’échelon. C’était “niet”, alors j’ai posé ma démission. Il n’a pas essayé de me retenir, juste répondu qu’il ne comprenait pas pourquoi je n’étais pas parti plus tôt. Ici, en un peu plus de deux ans, la moitié du personnel municipal est partie. Ils ont fait un audit mais il n’y a eu aucun changement, aucune remise en question. » Dans un mois, Wilfried travaillera dans une commune de taille similaire, à une quinzaine de kilomètres. « Avec le bouche-à-oreille, tout le monde sait où il ne faut pas travailler… Ce maire ne me remplacera pas de sitôt. »

Des affiches de prévention placardées sur une porte du local du service technique de la ville de Saint-Gervais-la-Forêt (Loir-et-Cher), le 16 octobre 2023.

« Manque de considération »

Ce mal-être qui jaillit d’une simple discussion est perceptible un peu partout chez les agents techniques des petites communes françaises. Les origines de leurs tourments sont multiples : un management vertical obsolète, des économies de bouts de ficelle, une absence de reconnaissance et de visibilité, une perte de sens aussi.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les agents publics perdent le sens de leur travail, alerte un collectif

A Saint-Pierre-en-Auge (Calvados), 7 300 habitants, on a déploré une vingtaine de départs d’agents municipaux en deux ans et même deux suicides parmi les effectifs, dont celui, en août, d’un jeune ouvrier des services techniques. Dans un courrier adressé à la gendarmerie, fin août, des agents ont dénoncé « des situations difficiles à gérer psychologiquement après l’arrivée d’une nouvelle directrice des services ». L’organisation était chamboulée, les responsabilités supprimées, les binômes brisés : « Ces méthodes de management ont rapidement détérioré le climat au sein des services », ont-ils ajouté.

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Métiers en tension : le gouvernement amorce un recul sur la régularisation des travailleurs sans papiers

Le ministre du travail, Olivier Dussopt (à droite), discute avec des responsables syndicaux et la première ministre Elisabeth Borne, lors de la conférence sociale au Conseil économique, social et environnemental, à Paris, France le 16 octobre 2023.

Le climat actuel aura-t-il raison de la jambe gauche du projet de loi « immigration » ? Après l’attentat d’Arras, le texte, qui doit être examiné au Sénat à partir du 6 novembre, est au cœur des débats. Alors que le parti Les Républicains (LR) font de l’article 3, qui prévoit de simplifier la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, une « ligne rouge » et menace de ne pas voter en faveur du projet de loi, la disposition pourrait être enterrée. En tout cas, sa portée largement amoindrie.

L’exécutif réfléchit depuis des semaines à la façon de procéder et pourrait finalement privilégier la création d’une nouvelle circulaire de régularisation plutôt que de créer un titre de séjour de plein droit, par le biais de la loi. Le 24 septembre, le président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même entrouvert la porte à une modification du texte. « Là-dessus, je pense qu’il y a un compromis intelligent à trouver », avait-il souligné, sur TF1 et France 2.

Place Beauvau, on avance désormais qu’une nouvelle circulaire pourrait voir le jour. Elle ne remplacerait pas celle de 2012 dite « circulaire Valls », qui liste des critères de régularisation pour motif familial ou professionnel et que les préfets appliquent de façon discrétionnaire et très différente selon les territoires. Grâce à ce texte réglementaire, environ 30 000 personnes sont admises au séjour chaque année.

L’objectif de la circulaire supplémentaire à laquelle le ministère de l’intérieur réfléchit serait de permettre à des travailleurs sur des métiers en tension d’être régularisés « en contournant le pouvoir de l’employeur », précise l’entourage de M. Darmanin. « Il ne s’agit pas de créer un flux [d’immigration] mais de sincériser [régulariser] un stock », que les services évaluent à environ 8 000 personnes par an.

Dussopt toujours « ouvert sur la forme »

Aujourd’hui, s’il veut demander une régularisation par le biais de la circulaire Valls, un travailleur sans papiers doit non seulement prouver qu’il vit en France depuis au moins trois ans, présenter un certain nombre de bulletins de paie, mais il doit, en outre, demander à son patron de remplir un formulaire officiel d’embauche. L’article 3 du projet de loi prévoyait de faire sauter ce « verrou » de l’employeur dans les métiers en tension et de créer un droit à la régularisation moyennant trois ans de présence en France et huit fiches de paie.

Place Beauvau, on pourrait désormais se contenter d’une circulaire qui aurait l’avantage de « garder le pouvoir d’appréciation des préfets ». La régularisation ne serait donc pas de plein droit mais resterait à la libre appréciation des services de l’Etat dans les départements.

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