« Délocalisation » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit

« Délocalisation » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit

Des salariés de Bridgestone devant le site de Bethune, le 17 septembre 2020, au lendemain de l’annonce de la fermeture de l’usine.

Nul syndicaliste en colère ni ouvrier désemparé ou élu local impuissant. Loin du choc provoqué par la fermeture annoncée de l’usine Bridgestone de Béthune, les premières occurrences du terme « délocalisation » dans Le Monde ne s’accompagnent d’aucune condamnation. Au contraire, elles semblent même parée de vertus. Question de contexte. Nous sommes le 8 décembre 1959, les « trente glorieuses » n’en sont qu’à leurs débuts et il n’est question ni de plan social, ni de transfert de production à l’étranger.

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C’est une tout autre problématique qui agite alors la France : l’asymétrie entre Paris et le « désert français ». Pour rétablir l’équilibre, suggèrent certains, pourquoi ne pas faire migrer une partie des forces de production vers la province ? L’idée paraît séduisante, à défaut d’être aisée à mettre en œuvre. « Techniquement les délocalisations sont (…) très difficiles », constate Maurice Le Lannou, qui cite les travaux de géographes selon lesquels la région parisienne présente « un agrégat d’activités industrielles, toutes reliées aux autres activités parisiennes et solidaires ».

Le textile retourne sa veste

Lorsqu’il est employé le 2 mai 1973, délocaliser signifie bien, cette fois, implanter des usines dans des pays où la main-d’œuvre est bon marché. Mais, là non plus, nulle connotation négative. L’économiste Charles-Albert Michalet invite les entreprises françaises à devenir des multinationales. Il constate « le manque d’intérêt des entrepreneurs français pour l’investissement dans les pays en voie de développement, si ce n’est dans le secteur traditionnel de la production des matières premières ». « Le bas niveau des coûts salariaux ne retient l’attention que d’une minorité d’entre eux », semble-t-il regretter. Pourtant, l’évolution de l’économie mondiale ne laisse, selon lui, pas d’autre option : l’industrie française « doit suivre la voie américaine et passer par le développement de la production dans le tiers-monde ».

Le concept mettra du temps à convaincre. D’abord parce que l’aventure paraît risquée. Même l’industrie textile traîne des pieds, soucieuse de préserver ses emplois. « La mode est aujourd’hui à la délocalisation. Étonnant revirement du secteur de l’habillement, qui jusque-là se montrait plutôt réticent devant la sous-traitance à l’étranger, rappelle Dominik Barouch, le 29 août 1986. Même évolution de la part des pouvoirs publics qui multiplient aujourd’hui les mesures pour faciliter la tâche aux industriels. Hier on accusait le travail à l’étranger de supprimer des emplois à l’intérieur de l’Hexagone. Aujourd’hui on se demande si la France n’a pas plus perdu que gagné à avoir voulu à tout prix employer ses nationaux. »

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LJD

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