« Les entreprises ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité si elles violent une promesse de contribuer au bien commun »
Tribune. La montée en puissance de la responsabilité sociétale de l’entreprise se confirme de jour en jour sous l’impulsion de parties prenantes (collaborateurs et clients notamment) dont l’exigence sur ces questions est particulièrement marquée au sein des générations les plus jeunes.
Dans le droit-fil de la recommandation n° 11 du rapport Notat-Senard, la loi Pacte du 22 mars 2019 a consacré la possibilité pour une société d’inscrire une « raison d’être » dans ses statuts. Dès les premiers mois d’application, cette option a rencontré un succès réel qui devrait se confirmer une fois que le flou sur la portée juridique de l’expression de cette « raison d’être » sera dissipé.
Ce flou résulte en effet d’une formule du rapport Notat-Senard, reprise dans l’exposé des motifs de la loi Pacte, suggérant que cette stipulation ne serait qu’« une indication qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés ».
Or cette vision est contestée par la doctrine juridique dominante, qui estime que la méconnaissance par un dirigeant d’une clause statutaire sur la raison d’être est de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la société et des associés, et à justifier sa révocation.
Au regard de la rédaction des articles 1850 du code civil et L. 225-251 du code de commerce, qui énoncent que « les dirigeants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, [… ] de la violation des statuts […] » et de l’introduction par la loi Pacte elle-même d’une disposition imposant expressément au conseil d’administration ou au directoire des sociétés anonymes de prendre en considération la raison d’être lorsque celle-ci est définie dans les statuts (art. L 225-35 et L 225-64), la possibilité pour les associés d’une société de mettre en cause les dirigeants au titre d’une méconnaissance de la raison d’être statutaire ne fait guère de doute.
Obligation de conformité
Certains auteurs estiment, sur la base de la jurisprudence financière, que les sociétés offrant leurs titres au public encourent également un risque de sanction administrative pour information mensongère. Enfin, la société elle-même pourrait se voir opposer judiciairement par des tiers une obligation de conformité à la vision exprimée dans ses statuts.
Face à une possible mise en cause de leur responsabilité, les dirigeants des sociétés françaises décidant d’adopter une raison d’être peuvent être tentés de s’en tenir à une formulation générique et abstraite, donnant peu de prises à ceux qui voudraient se prévaloir devant les tribunaux ou les autorités d’une absence d’alignement entre la vision exprimée et les actes. Cela semble être l’approche de bon nombre d’entreprises, y compris celles du CAC 40 ayant choisi une raison d’être. Carrefour a, par exemple, inscrit l’enjeu de « la transition alimentaire pour tous » dans ses statuts. Atos a complété son objet social comme suit : « Chez Atos, notre mission est de contribuer à façonner l’espace informationnel. Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique. Partout dans le monde, nous permettons à nos clients et à nos collaborateurs, et plus généralement au plus grand nombre, de vivre, travailler et progresser durablement et en toute confiance dans l’espace informationnel ».