« Les salariés se sentent dévalorisés par une organisation du travail qui leur rend la tâche plus difficile »
La modernisation managériale, la tertiarisation et l’informatisation des économies ont apporté certaines améliorations des conditions de travail. Mais elles ont distillé une individualisation, une psychologisation de la relation de chacun à son travail, dans le cadre d’une organisation qui reste très prescriptive, ancrée dans l’esprit taylorien et de plus soumise à la pratique du changement permanent. Ce sont là les ingrédients d’une situation délétère, car les aspirations personnelles des salariés à se réaliser et à « grandir » dans le travail viennent se heurter à une réalité d’un travail pensé et organisé par d’autres. Et ce dans une approche très abstraite et désincarnée (Le Management désincarné. Enquête sur les nouveaux cadres du travail, de Marie-Anne Dujarier, La Découverte, 2015).
Interrogés sur ce qui les met en situation de « mauvaise relation au travail », 70 % des « travailleurs du savoir » (c’est-à-dire les employés qui mobilisent principalement leurs facultés cognitives, relationnelles, communicatives dans le cadre de leur travail) reconnaissent l’importance des compétences techniques, mais seulement 31 % d’entre eux ont totalement confiance en la maîtrise de ces compétences (« Work Relationship Index », enquête menée par Edelman Data & Intelligence pour HP entre le 9 juin et le 10 juillet 2023 auprès de 15 624 personnes dans 12 pays, dont la France).
Une des raisons qui peut expliquer cette surprenante absence de confiance des salariés en leurs propres compétences provient en fait de la pratique du changement permanent que mettent en œuvre nombre de directions d’entreprise. Restructurations fréquentes de départements et services, recomposition accélérée des métiers, mobilités imposées, changements à répétition de logiciels, déménagements… Ces déflagrations aboutissent à l’obsolescence des savoirs, des connaissances, des expériences individuelles et collectives accumulées par les professionnels, qui se retrouvent en quelque sorte ravalés au rang d’« apprentis à vie », comme le montre le cas de France Télécom (Entre utopie et résignation, la réforme permanente d’un service public, Jean-Luc Metzger, L’Harmattan, 2000).
Les salariés perdent tous leurs repères, sont déboussolés et ne peuvent se faire confiance : tout ce qu’ils savent se trouve disqualifié car tout a changé. Ils ont alors à faire d’énormes efforts pour tenter de reconquérir une maîtrise cognitive du contenu et de l’environnement de leur travail, tout en sachant que cela ne leur servira que pour un petit nombre d’années, car de nouveaux changements arriveront nécessairement.
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