« Que sait-on du travail ? » : les usines du futur n’ont rien à envier à celles des « Temps modernes »
40 %. C’est l’ampleur de la chute des effectifs dans le secteur automobile français de 2004 à 2020. Soit 130 000 emplois perdus sur cette période qui coïncident avec un transfert de production par délocalisations successives en Europe de l’Est, en Espagne, au Portugal, en Turquie, au Maroc.
Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr, le sociologue du travail Juan Sebastian Carbonell démontre comment la mondialisation et la modernisation du secteur ont dégradé les conditions de travail : en renforçant le chantage à l’emploi et en introduisant le management par le stress.
En effet, les délocalisations se sont accompagnées de restructurations avec de nouveaux impératifs financiers. C’est alors que « le chantage au maintien de l’emploi en France est devenu un puissant levier entre les mains des constructeurs lorsqu’il s’agit de revoir à la baisse les conditions de travail », souligne le sociologue. Pour faire la chasse aux petites économies et aux gains de productivité, les entreprises ont opèré à de profonds changements dans les organisations de travail en introduisant le lean dans les usines.
Cette méthode de management inspirée du « Toyotisme » promet une production au plus juste de ce que demande le marché en évitant le gaspillage et en limitant les stocks grâce à l’adaptabilité des salariés en poste et au soutien des intérimaires. « Lorsque Toyota s’installe dans le nord de la France et monte en cadence la production de la Yaris en 2004, un ouvrier sur quatre est intérimaire ou en CDD », illustre M. Carbonell.
L’évolution législative a encadré le mouvement. Les « accords de compétitivité » en 2008, puis ceux du « maintien dans l’emploi » en 2013, ceux de « préservation ou de développement de l’emploi » en 2016, et enfin « de performance collective » en 2017 ont facilité l’extension du temps de travail parfois sans contrepartie ou presque.
Dans l’industrie automobile, ils ont ainsi donné naissance à l’overtime. Des demi-heures ou des heures supplémentaires annoncées parfois la veille, parfois le jour même pour absorber les variations de la demande, les pannes et les ruptures d’approvisionnement. Concrètement, ces changements n’ont pas apporté la zénitude promise aux salariés, mais des journées à rallonge, des horaires imprévisibles, une surveillance entre les ouvriers et une dynamique accusatoire.
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