Le profond mal-être des agents communaux : « Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire »
Laurent se tient à genoux, truelle à la main, près de l’entrée du cimetière. Une veuve le croise dans un silence aimable. Lui est dépité : « Pendant que mon fils travaille dans une association de protection de la Loire, moi je bétonne les espaces entre chaque tombe par peur des mauvaises herbes. C’est la réponse du maire au zéro phyto, l’interdiction des désherbants chimiques. Mais où l’eau de pluie va-t-elle s’écouler ? Si on m’avait demandé mon avis, j’aurais proposé une solution plus écolo. » Laurent (son prénom a été modifié) est agent des interventions techniques en milieu rural. Avec quatre collègues, il entretient la voie publique, le cimetière et les espaces verts d’une commune du Loir-et-Cher, qui compte un peu plus de 4 000 habitants, quelque part entre Blois et Saint-Laurent-Nouan.
Un fourgon blanc arrive. Les renforts. A son bord, Jules et Wilfried (les prénoms ont été modifiés). Ce dernier, tatoué, tondu, est tendu : « On ne peut plus faire de vidange d’huile, réparer une tondeuse à gazon, ni renforcer une serrure soi-même. C’est simple, notre atelier mécanique ne sert plus à rien. Tout est sous-traité. Pourtant, j’ai les solutions, je sais faire. Quel gâchis. »
Avec un salaire à 1 400 euros net malgré quinze ans d’ancienneté, Wilfried est allé parler à son maire. « Je lui ai demandé un avancement d’échelon. C’était “niet”, alors j’ai posé ma démission. Il n’a pas essayé de me retenir, juste répondu qu’il ne comprenait pas pourquoi je n’étais pas parti plus tôt. Ici, en un peu plus de deux ans, la moitié du personnel municipal est partie. Ils ont fait un audit mais il n’y a eu aucun changement, aucune remise en question. » Dans un mois, Wilfried travaillera dans une commune de taille similaire, à une quinzaine de kilomètres. « Avec le bouche-à-oreille, tout le monde sait où il ne faut pas travailler… Ce maire ne me remplacera pas de sitôt. »
« Manque de considération »
Ce mal-être qui jaillit d’une simple discussion est perceptible un peu partout chez les agents techniques des petites communes françaises. Les origines de leurs tourments sont multiples : un management vertical obsolète, des économies de bouts de ficelle, une absence de reconnaissance et de visibilité, une perte de sens aussi.
A Saint-Pierre-en-Auge (Calvados), 7 300 habitants, on a déploré une vingtaine de départs d’agents municipaux en deux ans et même deux suicides parmi les effectifs, dont celui, en août, d’un jeune ouvrier des services techniques. Dans un courrier adressé à la gendarmerie, fin août, des agents ont dénoncé « des situations difficiles à gérer psychologiquement après l’arrivée d’une nouvelle directrice des services ». L’organisation était chamboulée, les responsabilités supprimées, les binômes brisés : « Ces méthodes de management ont rapidement détérioré le climat au sein des services », ont-ils ajouté.
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