Retraites : « lI faut prendre en compte les “années blanches” de milliers de jeunes scientifiques »
Avec raison, les conséquences des réformes des retraites qui se succèdent sont analysées sous l’angle des carrières longues et de leur pénibilité. Elles sont au cœur du mouvement de contestation du report de l’âge légal de départ à 64 ans. Une proposition consiste à allonger les durées de cotisation des plus diplômés. Or, les allongements de durée de cotisation pénalisent déjà fortement une population très diplômée et au parcours spécifique : les chercheurs et les chercheuses.
Entre 1985 et 2007, des milliers de jeunes scientifiques, en particulier en sciences du vivant, ont exercé une activité de recherche rémunérée et à temps plein qui, aujourd’hui, n’est pas prise en compte pour leur retraite. Un rapport sur « les conditions de travail illégales des jeunes chercheurs » publié en 2004 l’explicitait. Avant un éventuel recrutement dans la filière de recherche française, les chercheurs effectuent un doctorat (trois ans minimum) et pour la plupart, un ou des séjours post-doctoraux (deux à cinq ans en moyenne, mais souvent plus) dans des laboratoires en France ou à l’étranger. Pour cette activité de recherche, ces scientifiques étaient payés par des « libéralités », c’est-à-dire des bourses qui n’ouvraient droit ni à la sécurité sociale ni à la retraite. Ces bourses sélectives provenaient d’associations caritatives (Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, Ligue contre le cancer, Fondation pour la recherche médicale), des régions, de l’Union européenne, d’autres pays ou d’organisations internationales (l’Organisation européenne de biologie moléculaire)
Ce système a pris fin en 2007 avec leur remplacement par des CDD. Un séjour post-doctoral de plusieurs années en France ou dans les instituts de recherche et universités étrangères les plus prestigieuses était et reste le « parcours d’excellence » considéré comme indispensable par les organismes de recherche pour prétendre à une carrière académique. Les scientifiques étaient alors rémunérés par des bourses françaises ou internationales hautement compétitives, ou par le laboratoire d’accueil à l’étranger sans que cela leur ouvre de droit à la retraite. Ces situations, quasi systématiques il y a une vingtaine d’années dans certains pays comme les Etats-Unis, perdurent. De plus, les enfants nés pendant ces années ne sont pas pris en compte dans le calcul des droits à la retraite des chercheuses.
Déficit de droits
Dans certains cas, les chercheurs post-doctorants ont contribué aux caisses de retraite du pays d’accueil sans que ces cotisations soient prises en compte dans leur relevé de carrière. Certains pays, comme le Royaume-Uni, ne reversent pas de pension pour des durées de cotisation inférieures à dix années. D’autres, comme la Suisse, conditionnent le versement de la pension à une démarche – longue et difficile – de la caisse de retraite française vers la caisse suisse. Enfin, certaines conventions bilatérales permettent de prendre en compte les années passées dans le pays étranger dans le calcul du taux de retraite en France, mais ne s’appliquent plus si la personne devient in fine agent de la fonction publique. C’est le cas de l’accord conclu entre la France et les Etats-Unis. De nombreux chercheurs en activité dans des organismes publics sont donc concernés. Aucun rachat des trimestres travaillés correspondant à l’activité financée par les libéralités ou effectuée à l’étranger n’est possible. Enfin, le rachat de trimestres d’études est souvent inabordable pour la plupart au vu des salaires dans l’enseignement supérieur et la recherche de ceux et celles ayant eu la chance d’y être recrutés.
Il vous reste 64.34% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.