L’argot de bureau : le « corpoworking » ou la villa du travail débridé
Imaginez une maison où réside une grande famille, mais où l’ambiance n’est pas au beau fixe : les parents ne s’entendent plus, chaque enfant est terré dans sa chambre, et le plus âgé est à deux doigts de partir pour emménager en colocation avec des amis.
Face à ce désengagement, les parents décident du jour au lendemain d’accueillir de jeunes actifs dynamiques qui logeront dans la maison en échange de services : petits plats, ménage, organisation de tournois de jeux vidéo. « C’est win-win [« gagnant-gagnant »] », s’écrie la mère en signant le contrat.
En entreprise, un espace de « corpoworking » remplit peu ou prou ce cahier des charges, en transformant par exemple tout le rez-de-chaussée d’un immeuble en espace de coworking. Pourquoi « corpo » ? Car l’espace est hébergé par une société bien déterminée (corporation). En corpoworking, une entreprise accueille donc aux côtés de ses salariés, des indépendants (éventuellement ses prestataires), des start-up ou des salariés nomades.
Version augmentée du « flex office »
Le mot est vilain, certes, mais l’intention est louable : le projet vise l’émulation, en faisant coexister des sphères qui ne se rencontrent pas ou peu. Les premiers exemples datent du début des années 2010 et concernent alors des géants des technologies en quête de renouveau.
Si une entreprise peut financer ces lieux ouverts (ou tiers-lieux) par pure charité – à Toulouse, Action Logement a financé un réseau d’espaces de corpoworking pour limiter les déplacements domicile-travail et recréer du lien social –, le modèle cherche souvent à faciliter la réalisation de certains projets, avec des partenaires.
Il en va ainsi de la Villa Bonne Nouvelle, dans le quartier du Sentier, à Paris : cet ancien immeuble des standardistes des PTT est depuis 2014 la « vitrine de l’innovation RH du groupe Orange ». Elle propose aux free-lances et aux start-up un espace de 350 mètres carrés afin d’expérimenter de nouvelles pratiques managériales. Triés sur le volet, ses soixante occupants ne restent pas plus d’un an dans la Villa, le temps d’apprendre à vivre ensemble comme dans une émission de télé-réalité de grande qualité.
Sorte de version augmentée du « flex office », qui abolit le bureau individuel, le corpoworking veut stimuler la créativité et briser le quotidien monotone de cadres en CDI… Même s’il est évident que ces seules nouvelles relations ne les rendront pas hyperengagés en un claquement de doigts. Pour la direction, ce sera tout de même l’occasion de se présenter comme une « grande famille », ouverte à tous, que les DRH et directeurs de l’immobilier qualifieront plus sobrement d’« écosystème hybride ».
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