« Que sait-on du travail ? » : le « care » pris au piège de la dualité
La dualité devient un piège lorsqu’on considère systématiquement le « care » comme un travail. Lorsque c’est le cas, ce qui est aujourd’hui défini comme « une réponse complexe aux besoins générés par la vulnérabilité du vivant » doit alors être adapté aux schémas binaires de pensée du travail : travail/hors travail ; salaire/gratuité ; contrat/don. Bien au-delà de cette dichotomie, aborder le « care » comme un travail n’est pas sans conséquences.
C’est ce qu’analyse la professeure de psychologie sociale Pascale Molinier dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.
A l’origine, pour les sociologues des années 1970 intéressés par ces sujets, en investissant la catégorie du travail, il s’agissait de « visibiliser la contribution gratuite des femmes à l’économie domestique et nationale sous tous les régimes politiques », écrit Mme Molinier. La disponibilité permanente des mères a ainsi été avérée.
Sortir du dualisme
Les conditions de santé des travailleurs, et donc leur efficacité au service de la production, avaient jusque-là été incompréhensibles sans la référence au travail domestique réalisé par leurs épouses. Une fois rétabli, ce lien a remis en cause la dichotomie travail/hors travail. Le « care » analysé dans la perspective du travail oblige à sortir du dualisme, démontre la chercheuse.
Il permet également d’« élargir le potentiel politique de la valeur travail ». Donner une valeur économique, sociale et symbolique à des activités qui n’en avaient pas a permis, en les objectivant, de générer un socle à partir duquel des luttes pour la reconnaissance et un meilleur statut social ont été rendues possibles. Encore aujourd’hui, « politiquement, investir la catégorie du travail demeure une stratégie utile pour défendre les conditions de travail », souligne-t-elle.
Toutefois, malgré sa puissance sociale et politique, le « travail » n’est sans doute pas le concept le mieux adapté au « care », également parce qu’il est « difficilement détachable des oppressions qu’[il] a générées (sur les femmes, les esclaves, les peuples colonisés) ». Il ne s’agit donc plus de libérer le travail, mais de développer la pluralité et l’interdépendance, « en mettant au centre de la réflexion la vulnérabilité non comme une essence mais comme un dynamisme relationnel, un appel à la responsabilité vis-à-vis du proche », au-delà de l’économie marchande. S’ouvrir à d’autres possibles.
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