Archive dans mars 2024

« Que sait-on du travail ? » : des « normes viriles » persistent en entreprise

17 % : c’est, en 2019, la part de femmes en emploi qui possèdent le statut de cadre, contre 4 % en 1982. Cette proportion de cadres atteint 21,6 % chez les hommes, selon l’Insee. Alors que les entreprises et les pouvoirs publics ne cessent – en particulier autour du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes – de mettre en avant leurs initiatives, peut-on affirmer que l’égalité femmes-hommes soit en bonne voie ?

Ce n’est pas l’avis de la sociologue Haude Rivoal, dans sa contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

Cette sociologue affirme que l’entreprise demeure fondamentalement masculine, ce qui signifie non pas « qu’elle est dirigée par des hommes », mais que « les pratiques d’entreprises favorisent les hommes ».

Pour établir ce constat, l’autrice fait appel aux travaux de plusieurs chercheurs, mettant en évidence les raisons structurelles de cette lenteur. L’accession de davantage de salariées à des postes à responsabilité est un arbre qui cache la forêt, car cela ne change pas la manière dont fonctionnent les organisations, les inégalités structurelles de salaires et les violences sexistes. Les qualités attendues pour devenir dirigeant ont peu changé, soit la même confiance en soi, et le même investissement sans faille – qui implique de se délester du travail domestique, et exclut dès lors une majorité de femmes.

Un marqueur social

Lorsqu’elles ne sont pas critiquées pour un comportement trop masculin, il arrive que les femmes cadres supérieures soient à l’inverse valorisées pour un management « différent » : « plus doux, plus conciliant, plus horizontal »… Soit, paradoxalement, l’inverse de ce qui permet de gravir les échelons. En s’attardant sur ces traits de caractère très schématiques, ou en les incitant simplement à mieux négocier leur salaire, certains employeurs relèguent la progression des femmes à un problème individuel.

Haude Rivoal explique qu’il s’agit d’un problème de culture, et que la « virilité » en entreprise a su s’adapter aux évolutions de la société pour conserver ses privilèges. En affirmant parfois à outrance une inclusivité et un féminisme qui ne se vérifient pas dans les chiffres de l’entreprise, certains chefs d’entreprise masculins espèrent même protéger leur poste, a pu observer la chercheuse au fil d’entretiens. Le sexisme ou la lutte contre celui-ci est davantage un marqueur social qu’un réel engagement. Dans la manière de manager, la hantise de l’impuissance reste valorisée, de même que la concurrence entre hommes.

Il vous reste 14.58% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les hommes et l’égalité professionnelle : qu’est-ce qui coince encore ? »

[Malgré les engagements affirmés par les employeurs, pourquoi les femmes sont-elles toujours absentes de certains métiers ou postes à responsabilité ? Haude Rivoal est sociologue, associée au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) – Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa). Elle est l’autrice de La Fabrique des masculinités au travail (La Dispute, 2021).]

Ces derniers temps, on s’interroge beaucoup sur le sens du travail, mais moins sur le genre de celui-ci. Pourtant, les faits sont têtus. Qu’il s’agisse des inégalités de salaires, du plafond de verre, ou, plus grave, du harcèlement sexiste ou sexuel au travail, l’actualité ne finit pas de nous rappeler leur persistance. Pourtant, le monde du travail ne cesse de multiplier les initiatives, de clamer sa bonne volonté et de prouver sa « proactivité » en matière de lutte contre les discriminations : de grands patrons s’engagent, des lois incitent et des rapports alertent.

Alors, qu’est-ce qui coince encore ? Les apports des sciences sociales sont nombreux et riches d’enseignements sur l’étude des femmes au travail, des discriminations qu’elles subissent aussi bien que des manières qu’elles ont parfois de les contourner. Mais, que se passe-t-il du côté des hommes ? Leur rapport au travail, à la virilité et à l’égalité a-t-il changé ?

La féminisation du travail ne modifie pas ses structures inégalitaires

Il n’est pas besoin de beaucoup de chiffres pour prouver que les élites (économiques, financières et culturelles) sont toujours masculines. A Bercy, par exemple, les femmes représentent en 2016 seulement 20 % des emplois de cadres alors que le ministère de l’économie est composé à 57 % de femmes. Même dans les filières plus féminisées comme l’administration, les femmes sont sous représentées.

Cette inégalité existe aussi dans les ministères sociaux considérés comme plus « féminins », où elles sont seulement 40 % dans les postes de direction alors qu’elles composent deux tiers des effectifs (Laure Bereni, Alban Jacquemart, 2018). Dans les emplois les moins qualifiés, le constat reste quant à lui très binaire (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2023). Schématiquement : les ouvriers sont encore largement des hommes et les femmes sont concentrées dans les métiers de l’éducation, du nettoyage et du soin. Voilà de quoi désamorcer d’emblée une idée reçue : celle qui suppose que le chemin vers l’égalité n’est plus très long et qu’il ne suffirait plus que d’un renouvellement des générations pour que le partage des tâches et des responsabilités s’installe définitivement.

Il vous reste 87.27% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

En Espagne, l’impossibilité d’un débat serein sur les horaires de travail

La ministre du travail espagnole, Yolanda Diaz, à Madrid (Espagne), le 10 janvier 2024.

« Il n’est pas raisonnable que l’Espagne soit un pays où l’on convoque des réunions à 20 heures. Et ce n’est pas raisonnable, un pays dont les restaurants sont ouverts à une heure du matin. » Yolanda Diaz, la ministre du travail de la gauche radicale, Sumar, a jeté un pavé dans la mare, le 4 mars, en plaidant pour la « rationalisation des horaires » dans une contrée qui vit à un rythme décalé, largement incompréhensible dans le reste de l’Europe.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés En Espagne, début de législature pénible pour Pedro Sanchez

« L’Espagne a la meilleure vie nocturne du monde, avec des rues pleines de vie et de liberté. Et ça aussi crée de l’emploi, a immédiatement réagi, sur X, la présidente du gouvernement régional de la Communauté de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, figure de la droite du Parti populaire (PP). Ils nous veulent puritains (…). Ennuyés et à la maison. »

En Espagne, on déjeune entre 14 heures et 16 heures, ce qui désespère les touristes et ne manque pas de compliquer les relations professionnelles avec les entreprises du reste de l’Europe. Alors que les Allemands sont depuis longtemps rentrés chez eux, près de 30 % des travailleurs espagnols sont encore au bureau à 19 heures, selon une récente étude commandée par le gouvernement. Et près de 10 % y restent après 21 heures. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, à la télévision, le prime time ne commence pas avant 22 heures.

Quasi pathologique

A cette heure tardive, les boutiques de vêtements ferment à peine leurs portes à Madrid, où les horaires commerciaux sont libéralisés depuis 2012, et les Espagnols se mettent à table pour dîner. Ils ont le temps : à Barcelone, les restaurants servent, en salle, jusqu’à 2 h 30 du matin. Et les terrasses de Malaga sont ouvertes jusqu’à 2 heures, au grand dam des habitants, qui aimeraient parfois dormir.

Les Espagnols entretiennent un rapport quasi pathologique avec ces horaires décalés, source à la fois d’une certaine fierté, tant ils sont associés à un mode de vie festif, et d’insatisfaction, car ils signifient, pour beaucoup, l’étalement de leurs heures de travail sur de longues journées, entrecoupées de grandes pauses et terminant tardivement. Le débat qu’ils suscitent n’est pas nouveau. Cependant, Yolanda Diaz a décidé de s’y attaquer, avec la même fermeté que lorsqu’elle a mené la dernière réforme du travail, limitant efficacement le recours aux CDD et autres contrats temporaires.

Son objectif, pour commencer, est de réduire le temps de travail, fixé depuis quarante ans à 40 heures par semaine, et de l’abaisser à 37,5 heures hebdomadaires d’ici à 2025, sans réduction de salaire, l’alignant ainsi sur les heures pratiquées dans la fonction publique. Dès cette année, il devrait passer à 38,5 heures par semaine. Alors qu’avancent les négociations avec les syndicats – et avant que le patronat, très réticent sur la mesure, ne formalise son opinion –, Mme Diaz a aussi proposé d’ouvrir « un grand débat social » sur la « rationalisation des temps de travail ». « C’est une folie de continuer à augmenter les horaires (de travail) à l’infini », a-t-elle ajouté.

Il vous reste 38.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« La priorité n’est peut-être pas tant à la semaine de quatre jours qu’à l’instauration d’un vrai droit à la délibération sur le travail »

Le travail est devenu insoutenable pour une grande partie des salariés, cela ne fait plus guère débat. L’ouvrage collectif Que sait-on du travail (Seuil, 2023), rédigé par une soixantaine de spécialistes à l’initiative de Bruno Palier (et avec le soutien du « Monde »), en a établi un état des lieux précis et documenté.

Pour autant, le déni patronal et gouvernemental demeure. Contraindre les salariés à accepter les emplois tels qu’ils sont, plutôt que de changer le travail : c’est le but des durcissements successifs des règles de l’assurance-chômage ou des pressions sur les médecins, qui prescriraient « trop » d’arrêts de travail, sans oublier la réforme du revenu de solidarité active (RSA).

La semaine de quatre jours, dont Gabriel Attal a prôné l’expérimentation, semble un levier plus positif pour rendre le travail attractif. Mais faute de réduire sa durée, elle risque (comme la journée de douze heures à l’hôpital ou le télétravail pour les cadres) de déplacer le problème sans le résoudre, voire en l’exacerbant par une nouvelle intensification du travail.

La recherche l’a établi : c’est bien au cœur de l’activité, dans son organisation au quotidien, que se logent les causes du mal-être et des pathologies psychiques au travail. Modifier les horaires ne change rien, et pourrait même aggraver la perte de sens et l’éclatement des collectifs. En télétravail pour les uns, en horaires décalés ou en quatre jours pour les autres, quand les équipes pourront-elles se rencontrer et tisser la coopération nécessaire au travail bien fait ?

Ce n’est pas seulement la santé des salariés qui est en jeu, c’est aussi celle de la démocratie. Une longue lignée de chercheurs, initiée par l’économiste et philosophe John Stuart Mill et poursuivie par Carol Pateman, Georges Friedmann, Yves Clot ou Christophe Dejours, a montré pourquoi être soumis toute la journée à un travail répétitif et dénué d’autonomie ne prédispose pas à l’engagement citoyen hors du travail. Une étude confirme que, au-delà du diplôme ou de la profession, le manque d’autonomie au travail est un déterminant important de l’abstention à l’élection présidentielle de 2017 comme aux élections européennes de 2019 (« Le bras long du travail. Conditions de travail et comportements électoraux », Thomas Coutrot, document de travail n° 1-2024, IRES, 2024.)

Santé psychique et affects démocratiques

Plus encore : l’impossibilité de s’exprimer sur son travail, sur les difficultés qu’on y rencontre et les solutions qu’on pourrait proposer favorise clairement le vote pour l’extrême droite. Ainsi, dans les communes ayant privilégié le vote pour la liste de Jordan Bardella en 2019, la probabilité que les salariés disposent de temps collectifs organisés par leur manageur pour aborder des questions d’organisation ou de fonctionnement de leur unité de travail est de 20 % inférieure à la moyenne. Le vote Rassemblement national (RN) est également associé aux horaires atypiques (travail la nuit ou tôt le matin), ainsi qu’à la pénibilité physique, même à métier identique. La France qui trime et souffre au travail sans pouvoir le dire et sans espoir d’y changer quelque chose tend à se venger par, ou à se réfugier dans, le vote pour des candidats autoritaires. Ce n’est pas la seule raison de la montée du vote RN, mais c’en est une qu’on ne saurait ignorer et qu’il est possible de traiter.

Il vous reste 31.59% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Pour attirer et fidéliser les salariés, l’instauration d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle s’impose »

Outre le fait d’être préoccupés par la baisse de leur activité et par l’inflation, les dirigeants de PME connaissent des difficultés pour recruter et un turnover inédit, selon l’enquête de conjoncture de la Confédération des PME (« La santé économique et l’accès au financement des TPE-PME au second semestre 2023 », 12 décembre 2023, CPME). Pour attirer et fidéliser les salariés, l’instauration d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle s’impose. Où en sommes-nous sur ce point ?

Certaines PME ont déjà déployé des actions facilitant cet équilibre en passant à la semaine de quatre jours, à l’image de Pimpant (produits de consommation familiale rechargeables). Dans un autre registre, des congés menstruels sont proposés aux salariées par des entreprises comme Goodays (plate-forme de gestion des interactions clients). Emmanuel Macron a annoncé, le 16 janvier, vouloir faciliter la prise de congé parental pour les salariés. Actuellement, une fois le congé paternité ou maternité terminé, l’un ou les deux parents peuvent décider de prendre un congé parental, avant les 3 ans de l’enfant.

Face aux difficultés pour trouver des crèches ou des assistantes maternelles, cette option est souvent envisagée par les parents salariés. Mais, dans ce cas, le contrat de travail est suspendu, le salarié n’est pas rémunéré par l’entreprise (sauf en cas de congé à temps partiel). Et l’aide sociale minimale proposée par la Caisse d’allocations familiales est de 428,71 euros par mois en 2024 (pour un congé parental à temps plein pour un seul enfant), pour un maximum de six mois. Les entreprises peuvent bien sûr améliorer ces dispositifs légaux.

Confrontation à la réalité

Du côté du droit du travail, l’utilisation de certains dispositifs par l’employeur peut contribuer à un équilibre des sphères de vie : citons l’autorisation d’absence pour actes médicaux nécessaires à un protocole d’assistance médicale à la procréation comptant en temps de travail effectif (le conjoint en bénéficie aussi pour trois de ces examens) ; l’indemnisation dès le premier jour d’arrêt de travail dans le cas d’une fausse couche (sans délai de carence depuis le 1er janvier) ; l’impossibilité de licencier pendant les dix semaines suivant une fausse couche, sauf en cas de faute grave ; le droit pour une femme enceinte d’être affectée à un autre poste si son état de santé le nécessite ; l’autorisation d’absence afin de se rendre aux rendez-vous médicaux obligatoires pendant la grossesse et en postnatal ; les autorisations d’absence pour allaitement pendant un an (non rémunérées, sauf dispositions conventionnelles) à raison d’une heure par jour…

Il vous reste 46.55% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : la volonté de l’Etat de « reprendre la main » sur le régime hérisse les syndicats et le patronat

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances dans son bureau à Bercy, à Paris, le 5 mars 2024.

Décidément, le gouvernement a plein d’idées sur l’assurance-chômage. Depuis son arrivée à Matignon, Gabriel Attal ne cesse de répéter qu’il faut, à nouveau, revoir l’indemnisation des demandeurs d’emploi – sans doute pour réduire sa durée. Bruno Le Maire, lui, vient d’émettre une autre proposition. « L’Etat devrait reprendre la main sur [le régime] de manière définitive », a expliqué le ministre de l’économie, dans un entretien au Monde, daté du jeudi 7 mars. Sa déclaration, validée par l’Elysée, a heurté les syndicats et le patronat, puisque ce sont eux, théoriquement, qui gèrent le dispositif, à travers l’association Unédic. La position du locataire de Bercy s’inscrit dans une épreuve de force, engagée dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, au cours de laquelle l’exécutif n’a cessé de resserrer son emprise sur le système de protection des chômeurs. Et ce processus pourrait aller encore plus loin.

Sur le papier, la gouvernance de l’Unédic est paritaire, c’est-à-dire exercée conjointement par les organisations d’employeurs et de salariés. Mais, dans la réalité, l’Etat est omniprésent, depuis des décennies : son agrément est indispensable pour l’entrée en vigueur des « conventions » négociées par les partenaires sociaux sur les règles d’indemnisation. C’est lui, également, qui se porte garant de la dette du régime en cas de défaut de paiement – ce qui ne s’est jamais produit, jusqu’à présent.

Depuis la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, l’étreinte des pouvoirs publics s’est accentuée. Désormais, le gouvernement fixe les objectifs des négociations entre le patronat et les syndicats dans un « document de cadrage ». En 2019, un nouveau seuil a été franchi après l’échec des discussions entre organisations d’employeurs et de salariés. L’exécutif s’est installé aux commandes, et a imposé des changements de la mi-2019 au début de 2023, à travers une cascade de textes législatifs et réglementaires, qui ont durci les conditions dans lesquelles un chômeur est couvert. Les partenaires sociaux n’ont retrouvé leurs prérogatives que très récemment. Le 10 novembre 2023, ils sont parvenus à un accord signé par l’ensemble des mouvements patronaux et par la CFDT, la CFTC ainsi que Force ouvrière (FO). La « convention » résultant de ce compromis doit maintenant être agréée par le ministère du travail, qui a repoussé sa décision en attendant le résultat de la négociation en cours sur l’emploi des seniors.

« Situation bancale »

L’hypothèse d’une nationalisation à 100 % de l’Unédic ne jaillit pas de nulle part. Elle affleurait déjà dans un livre-programme publié par M. Macron quelques mois avant son entrée en fonction à l’Elysée : Révolution (XO éditions, 2016). En 2018, Muriel Pénicaud, alors ministre du travail, et son équipe avaient plaidé pour que le pilotage de l’Unédic soit confié à l’Etat. « Mais le projet avait été abandonné. Des voix s’élevaient pour dénoncer la verticalité du gouvernement sur la réforme de l’apprentissage, que les régions désapprouvaient, et sur la refonte du compte personnel de formation, menée contre l’avis des partenaires sociaux », raconte Antoine Foucher, directeur du cabinet de Mme Pénicaud lorsque celle-ci était ministre.

Il vous reste 60.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« L’application universelle de la semaine de quatre jours dans la fonction publique semble peu probable, voire peu souhaitable »

Les sondages indiquent qu’une majorité de Français sont favorables à la semaine de quatre jours. Depuis la crise due au Covid-19 et l’essor du télétravail, cette tendance concerne aussi la fonction publique. Selon une étude du Sens du service public avec OpinionWay de mars 2023, 79 % des agents publics seraient enclins à proposer la semaine de quatre jours à ceux qui ne peuvent pas télétravailler.

Un leitmotiv émerge, selon lequel, pour renforcer son attractivité, la fonction publique doit promouvoir la semaine de quatre jours afin de permettre davantage d’individualisation des organisations du travail. Cette affirmation soulève toutefois des interrogations, parfois vite évincées, mais entretient aussi la confusion entre la semaine de quatre jours à trente-deux heures, donc avec réduction du temps de travail hebdomadaire, et la semaine de quatre jours à trente-cinq heures, donc avec allongement de la durée quotidienne de travail.

Dès lors que les effets bénéfiques de la semaine de quatre jours sont censés être nombreux (diminution des temps de transport, liberté accrue dans la gestion de son emploi du temps, davantage de temps pour soi), la fonction publique se doit de l’expérimenter. Elle est d’ailleurs déjà testée, notamment dans certains hôpitaux ou certaines collectivités locales. Il s’avère, à travers ces expérimentations, qu’en libérant une journée sans diminuer le temps de travail hebdomadaire, l’amplitude horaire de la journée de travail est augmentée de quasiment deux heures. Or, allonger la durée quotidienne de travail de certains métiers peut être plus délicat qu’on ne le suppose. L’intensification quotidienne de la charge de travail peut avoir des effets sur la fatigue et le nombre d’accidents. En outre, la hausse du volume horaire quotidien peut engendrer des difficultés à concilier les contraintes de la vie privée (garde d’enfants) avec la vie professionnelle.

Conséquences sur l’harmonie des collectifs

Pour les services publics qui doivent garantir la continuité de leur fonctionnement, les jours « off » communs à tous les salariés, c’est-à-dire des jours de fermeture des services, sont impossibles. Dès lors, la semaine de quatre jours peut avoir de lourdes conséquences pour la cohésion des équipes qui, mathématiquement, se côtoient moins, surtout lorsqu’elle se cumule avec le télétravail. Nous n’avons pas encore de recul suffisant sur ces expériences pour apprécier les effets de la diminution des interactions entre collègues. Toutefois, on note que concentrer la charge de travail sur un nombre de jours plus réduit nécessite de revoir les façons de travailler (durée raccourcie des réunions, processus de décision simplifiés…) et d’allonger la durée quotidienne de travail, mais aussi de réviser et d’enrichir les missions des agents.

Il vous reste 45.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les salariés se sentent dévalorisés par une organisation du travail qui leur rend la tâche plus difficile »

La modernisation managériale, la tertiarisation et l’informatisation des économies ont apporté certaines améliorations des conditions de travail. Mais elles ont distillé une individualisation, une psychologisation de la relation de chacun à son travail, dans le cadre d’une organisation qui reste très prescriptive, ancrée dans l’esprit taylorien et de plus soumise à la pratique du changement permanent. Ce sont là les ingrédients d’une situation délétère, car les aspirations personnelles des salariés à se réaliser et à « grandir » dans le travail viennent se heurter à une réalité d’un travail pensé et organisé par d’autres. Et ce dans une approche très abstraite et désincarnée (Le Management désincarné. Enquête sur les nouveaux cadres du travail, de Marie-Anne Dujarier, La Découverte, 2015).

Lire l’analyse de la chercheuse pour le projet du Liepp | Article réservé à nos abonnés Le paradoxal déploiement du management par les dispositifs

Interrogés sur ce qui les met en situation de « mauvaise relation au travail », 70 % des « travailleurs du savoir » (c’est-à-dire les employés qui mobilisent principalement leurs facultés cognitives, relationnelles, communicatives dans le cadre de leur travail) reconnaissent l’importance des compétences techniques, mais seulement 31 % d’entre eux ont totalement confiance en la maîtrise de ces compétences (« Work Relationship Index », enquête menée par Edelman Data & Intelligence pour HP entre le 9 juin et le 10 juillet 2023 auprès de 15 624 personnes dans 12 pays, dont la France).

Une des raisons qui peut expliquer cette surprenante absence de confiance des salariés en leurs propres compétences provient en fait de la pratique du changement permanent que mettent en œuvre nombre de directions d’entreprise. Restructurations fréquentes de départements et services, recomposition accélérée des métiers, mobilités imposées, changements à répétition de logiciels, déménagements… Ces déflagrations aboutissent à l’obsolescence des savoirs, des connaissances, des expériences individuelles et collectives accumulées par les professionnels, qui se retrouvent en quelque sorte ravalés au rang d’« apprentis à vie », comme le montre le cas de France Télécom (Entre utopie et résignation, la réforme permanente d’un service public, Jean-Luc Metzger, L’Harmattan, 2000).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Conditions de travail : les raisons d’un dérapage

Les salariés perdent tous leurs repères, sont déboussolés et ne peuvent se faire confiance : tout ce qu’ils savent se trouve disqualifié car tout a changé. Ils ont alors à faire d’énormes efforts pour tenter de reconquérir une maîtrise cognitive du contenu et de l’environnement de leur travail, tout en sachant que cela ne leur servira que pour un petit nombre d’années, car de nouveaux changements arriveront nécessairement.

Il vous reste 47.8% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Egalité femmes-hommes en entreprise : avec une note de 88 sur 100, l’index se maintient au niveau de 2023

L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est restée identique en 2024 à celle de 2023, selon l’index publié chaque année à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars.

« La note moyenne déclarée par les entreprises se maintient au niveau élevé constaté en 2023, avec une note de 88/100 en 2024 », annonce ainsi le ministère du travail, d’après les chiffres dévoilés jeudi 7 mars au soir. En 2024, seulement 2 % des entreprises ont obtenu la note maximale de 100, c’est-à-dire que « 98 % doivent encore produire des efforts pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Chaque année au 1er mars les entreprises de plus de 50 salariés doivent calculer et publier leur index. En 2024, le taux des entreprises qui ont publié leur note a augmenté, passant à 77 % contre 72 % en 2023 au 5 mars.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Egalité femmes-hommes : de légères avancées dans la culture

Cinq critères

L’index se mesure sur 100 points avec cinq critères :

  • l’écart de rémunération femmes-hommes (40 points) ;
  • l’écart dans les augmentations annuelles (20 points) ;
  • l’écart dans les promotions (15 points) ;
  • les augmentations au retour de congé maternité (15 points) ;
  • la part de femmes parmi les dix plus gros salaires (10 points).

Lorsque la note globale est inférieure à 75, l’entreprise doit prendre des mesures correctives dans les trois ans.

Toutefois, depuis sa mise en place, en 2019, l’« index Pénicaud » surnom inspiré de l’ex-ministre du travail Muriel Pénicaud – « n’a pas rempli toutes ses promesses » dans la réduction des écarts de genre et de leurs causes, a estimé le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans un rapport rendu public jeudi 7 mars et remis à la ministre du travail actuelle, Catherine Vautrin.

Des pénalités financières, mais une portée limitée

Quelque 4 % des entreprises ont obtenu cette année une note inférieure à 75, contre 5 % en 2023. Le ministère précise que 77 entreprises « ont une note inférieure à 75 depuis quatre ans et sont donc pénalisées », la pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.

Concernant l’indicateur relatif aux augmentations au retour de congé maternité, plus de 6 % des entreprises, soit plus de 1 500 d’entre elles, ont obtenu la pire note, 0.

La parité dans les dix meilleures rémunérations stagne avec une note de 5 sur 10, avec 28 % des entreprises qui atteignent la note maximale de 10, tandis que 32 % des entreprises ont moins de deux femmes dans les dix meilleures rémunérations.

Le HCE a proposé des pistes pour améliorer ce système français de notation-sanction, qui, dans les faits, n’a, pour l’heure, qu’une portée limitée.

Le Monde avec AFP

Réutiliser ce contenu

Indemnités prud’homales : des montants globalement stables depuis la création du « barème Macron »

Tout compte fait, les salariés ne seraient pas perdants. Depuis la refonte du code du travail au début du premier mandat d’Emmanuel Macron, la justice a, grosso modo, maintenu le même niveau de dédommagements pour les individus abusivement licenciés par leur patron. C’est l’un des enseignements les plus frappants d’un rapport récemment publié par France Stratégie, un organisme autonome placé sous la tutelle de Matignon qui évalue les politiques publiques. Les résultats de cette recherche apportent de nouveaux éclairages sur une réforme très critiquée, symbolisant la volonté du président de la République de « libérer » l’économie.

Diffusée le 27 février, l’étude en question cherche à objectiver l’impact d’une des mesures des ordonnances Macron de septembre 2017 : l’encadrement de l’indemnisation prononcée par les conseils de prud’hommes en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Depuis la mise en application de ces textes, les sommes accordées sont soumises à un barème, avec des planchers et des plafonds en fonction de l’ancienneté de la personne et de la taille de l’entreprise.

Cette disposition a pour objectif de donner de la visibilité aux employeurs sur le coût d’une rupture du contrat de travail, en cas de litige avec un de leurs collaborateurs. Il s’agit, aux dires de l’exécutif, de lever la « peur de l’embauche » entretenue par le caractère imprévisible des jugements, les montants alloués pouvant notablement varier d’un tribunal à un autre pour des affaires équivalentes. In fine, cela doit faciliter les recrutements.

Etude sur 260 000 arrêts rendus

Précision importante : le « barème Macron » ne s’applique pas aux licenciements considérés comme nuls par les juridictions, au motif – par exemple – que le salarié a subi une discrimination ou des faits de harcèlement. Dans ces situations-là, les dommages-intérêts sont laissés à l’appréciation du juge et celui-ci peut aller bien au-delà des seuils instaurés en septembre 2017.

Pour cerner l’incidence de ces innovations, une équipe de cinq économistes, parmi lesquels Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, a collecté tous les arrêts de cours d’appel rendus, entre début 2006 et juillet 2022, dans des contentieux relatifs au licenciement – soit près de 260 000 décisions. A partir de cette colossale base de données, des comparaisons ont pu être faites sur les réparations financières attribuées avant et après la réforme.

Quel est le bilan ? L’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse « a diminué de 1,1 mois » de salaire pour les travailleurs dont l’ancienneté était inférieure à cinq ans, écrivent les auteurs du rapport. « Ce n’est pas négligeable », ajoutent-ils, si l’on se réfère aux dédommagements avant l’introduction du barème, qui représentaient en moyenne « sept mois » de rémunération.

Il vous reste 47.63% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.