Archive dans 2023

A Lyon, les journalistes d’Euronews en grève alertent les dirigeants européens sur « le démembrement de la chaîne »

Dans les bureaux d’Euronews, à Lyon, en novembre 2018.

Journalistes et techniciens de la chaîne Euronews se sont mis en grève dans la soirée de jeudi 16 mars, en réaction à la mise en œuvre du plan massif de licenciements annoncé par la direction, au cours d’un conseil social et économique extraordinaire.

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Votée « très majoritairement » en assemblée générale, selon les syndicats, la grève est prévue jusqu’à lundi 20 mars, possiblement reconductible. Pour les salariés en grève, le plan ne relève pas d’une restructuration, comme le prétend la direction, mais d’un « démantèlement, qui remet en cause la vocation essentielle de la chaîne européenne ». « Avec ce plan qui supprime des pans entiers de notre activité, la ligne éditoriale d’Euronews est complètement remise en cause, la marque de la chaîne est désormais détournée. L’information internationale n’est plus du tout la priorité du projet qui nous est imposé », déclare Marie Jamet, déléguée du Syndicat national des journalistes.

Neuf mois après son rachat par le fonds d’investissement portugais Alpac Capital, la chaîne Euronews, située à Lyon, fait l’objet d’un plan de sauvegarde de l’emploi, qui prévoit 197 licenciements, sur un effectif de 349 salariés permanents, selon le dernier comptage des syndicats. Ce plan supprime les deux tiers de la rédaction. Seules les équipes française et russe resteraient finalement à Lyon, siège de la chaîne depuis sa création, en 1993.

Une perte de 20 millions d’euros en 2022

L’immeuble à l’architecture futuriste, situé sur les bords de Saône, est mis en vente depuis le début de l’année. En 2022, Euronews a affiché une perte de l’ordre de 20 millions d’euros. Le plan de licenciement a pour but de « sauvegarder » la chaîne, afin qu’elle reste un « véritable média européen », a justifié Guillaume Dubois, directeur général, en annonçant le plan devant les salariés, jeudi 2 mars.

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Les effectifs restants seraient redéployés à Bruxelles et répartis dans différentes capitales. « Parmi les journalistes licencié.e.s, se trouvent des consœurs et confrères russes et turcs qui ne peuvent pas rentrer dans leurs pays sous peine d’être emprisonné.e.s », souligne le communiqué de l’intersyndicale. Les syndicats dénoncent l’abandon de tournages et de productions de magazines, transférés à des sous-traitants.

Syndicats et grévistes en appellent désormais aux plus hautes instances européennes, et à chaque dirigeant des Etats membres, pour alerter sur la situation sociale d’Euronews, et la signification politique de cette brutale restructuration.

« Service public essentiel »

« Au moment où la chaîne devait fêter ses trente années d’existence, au moment où l’histoire nous invite à la relance de l’Union européenne face aux crises et à la guerre, la chaîne Euronews est démembrée. Chaque dirigeant politique doit prendre position et nous dire s’il faut nous abandonner, et en finir avec la seule chaîne d’information internationale d’échelle européenne. S’ils ne veulent plus de ce service public essentiel, nous partirons au chômage, mais qu’ils assument devant l’histoire », confie au Monde Alexis Caraco, délégué de la CGT.

La direction affirme que la vocation de la chaîne s’inscrit dans un suivi de « l’actualité des institutions européennes ». Les journalistes d’Euronews craignent que la chaîne européenne ne perde sa vocation informative, au profit « d’une chambre d’écho des lobbyistes, à destination des 10 000 technocrates des structures de Bruxelles », selon Alexis Caraco.

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Les salariés en grève en appellent particulièrement au président de la République, Emmanuel Macron. « Ne laissez pas un fonds d’investissement nous détourner de notre mission de service public, ne le laissez pas licencier 200 personnes en France, au nom d’un projet incertain », insiste le communiqué de l’intersyndicale de la chaîne.

« Ce à quoi aspirent les salariés, c’est exercer un travail qui a du sens »

Les sondages concernant la perspective d’un allongement de la durée de vie au travail dans le projet de réforme des retraites en France ont mis en lumière la perte d’attractivité du travail pour de nombreux salariés. Différents facteurs expliquent cette insatisfaction : faible rémunération, perte de sens, pénibilité, cadences excessives, fragmentation des métiers, injustice sociale, manque de reconnaissance. Ce à quoi aspirent les salariés, c’est exercer un travail qui a du sens, avoir les moyens et le temps de le pratiquer et être reconnus comme des professionnels compétents.

Il est rare que les salariés puissent trouver dans la description de leur métier ou de leur poste de travail une indication sur son utilité sociale. Ils y trouvent essentiellement des listes de compétences. Comment devenir un « pro » si rien n’est dit sur la façon de traiter les situations de travail ?

Dans de nombreuses entreprises ou organisations, on assiste à un accroissement des procédures à appliquer. Si certaines sont à l’évidence nécessaires et ont permis de progresser (gains en qualité et sécurité, réduction de l’incertitude, gain de temps…), leur multiplication à outrance et leur lourdeur reviennent à envoyer aux salariés un message de défiance. « Ce que je fais, ce n’est plus un métier !  », s’exclament, surchargés et découragés, de nombreux salariés.

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Pouvoir intervenir comme un professionnel compétent, c’est avoir les marges de manœuvre nécessaires pour adapter ou inventer ses propres façons de décider et d’agir en fonction de la spécificité des situations et contextes rencontrés. Les procédures ne peuvent se substituer à la capacité de compréhension et d’interprétation d’une situation. Suffirait-il qu’une infirmière « colle » aux détails d’une procédure pour qu’elle puisse être reconnue comme compétente ? Face à l’imprévu et à l’inédit, il faut savoir prendre les bonnes initiatives. Le management et l’organisation du travail ne doivent-ils pas réunir les conditions nécessaires pour que les salariés puissent mettre en œuvre leurs compétences ?

Façons d’agir personnelles

Les salariés souhaitent en conséquence des modalités d’évaluation qui ne se limitent pas à mesurer des écarts par rapport à des normes, mais qui estiment et fassent reconnaître la pertinence de leurs initiatives et de leurs façons personnelles d’agir.

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Lorsqu’ils consultent le contenu de leurs postes de travail, les salariés n’y trouvent qu’une description effectuée selon la seule logique de la division du travail et ne prenant pas en compte les relations de coopération qui leur seraient pourtant nécessaires pour réaliser leurs activités professionnelles. Il en résulte pour eux un isolement croissant face à la complexité des situations à traiter, aux aléas à gérer, aux exigences d’innovation à prendre en compte. Un salarié peut de moins en moins être compétent tout seul. Il doit pouvoir faire appel à la compétence d’autres professionnels. S’il ne peut y avoir de compétence collective sans compétences individuelles, il ne peut y avoir de compétences individuelles sans compétence collective.

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« Les entreprises doivent renforcer la reconnaissance du travail en commun »

On a beaucoup dit et entendu que la critique suscitée par la réforme des retraites était révélatrice d’un nouveau rapport des Français au travail. Ce que l’on a moins dit est que ce nouveau rapport au travail fragilise en premier lieu les entreprises. Les mutations qui sont actuellement à l’œuvre dans le rapport au travail risquent de les déstabiliser à au moins trois niveaux.

D’abord, l’essor du télétravail semble coïncider avec une mise à distance affective à l’égard de l’entreprise. Comme si l’éloignement (et le retour sur soi et la solitude qu’il génère) entraînait une forme de désengagement qui ne peut pas rester durablement sans conséquences sur la motivation des travailleurs, et donc sur la performance des entreprises.

Ensuite, la montée de l’individualisme au travail commence à se traduire par un délitement de la dimension collective du travail et par un affaiblissement du sentiment d’appartenance des salariés à l’entreprise, ce qui rend de plus en plus complexe la tâche des responsables des ressources humaines qui peinent souvent à fidéliser les talents.

Une alternative crédible et désirable

Enfin, l’engouement pour le travail dit « indépendant » (travail de plate-forme, microentreprise, travail en freelance, etc.) pourrait finir par affaiblir la place centrale qu’occupent les entreprises aussi bien comme modèles d’organisation du travail, comme moteurs de l’activité économique et comme piliers du système de protection sociale.

Non pas que le salariat soit aujourd’hui directement menacé – il représente encore la modalité de travail de 80 % des actifs en France –, mais le statut d’indépendant, considéré comme plus libre, plus souple et moins contraignant, constitue pour un nombre grandissant de travailleurs une alternative crédible et désirable au travail en entreprise. La question qui se pose donc à ce jour est celle-ci : l’entreprise peut-elle redevenir le lieu d’un travail en commun efficace et motivant ?

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Réfléchir à cela suppose que les dirigeants et les manageurs d’entreprise reconnaissent qu’ils ont eux-mêmes contribué, depuis des décennies, à affaiblir leur modèle d’organisation en établissant des rapports de plus en plus individualisés au travail (parcours, carrières, relations, modes de reconnaissance, organisation du travail), et que les réponses qu’ils tentent d’apporter aux nouvelles exigences des employés depuis les bouleversements liés à la crise du Covid-19 pourraient renforcer ce mouvement au lieu d’y remédier.

Une approche clientéliste

En effet, en développant des réflexions autour des notions de bien-être ou de qualité de vie personnelle au travail, ils risquent de contribuer à instaurer une approche clientéliste de la part des salariés qui attendent de plus en plus de leurs employeurs qu’ils leur proposent des « services » adaptés à leurs « besoins » personnels.

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« Les Nouvelles calédoniennes », seul quotidien de l’archipel, vont disparaître

La décision est tombée vendredi 17 mars. Malgré les réquisitions du procureur, le tribunal de commerce de Nouméa a officialisé la liquidation judiciaire du groupe Melchior, auquel appartient le seul quotidien de Nouvelle-Calédonie, Les Nouvelles calédoniennes.

Le groupe Melchior, qui employait près de cent vingt personnes, avait racheté le quotidien en 2013 au groupe Hersant, sans jamais parvenir à trouver le bon équilibre. Les Nouvelles calédoniennes, fondées en 1971, sont parues pour la dernière fois jeudi, faute de repreneur.

Ce nouvel épisode judiciaire est le dernier d’un long naufrage pour Les Nouvelles calédoniennes, qui avait déjà vu son édition papier disparaître au début du mois de janvier au profit d’une version entièrement numérique. Une métamorphose qui avait entraîné la fermeture de l’imprimeur Pacifique Rotative, appartenant au groupe Melchior, et le licenciement de dix-sept personnes.

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« Un désastre social et une attaque contre le pluralisme »

« Le délibéré a confirmé l’arrêt du plan de sauvegarde et la mise en liquidation du groupe. Les salaires du mois de mars seront versés, mais à part ça, nous ne sommes sûrs de rien, nous n’avons aucune assurance pour la suite », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Baptiste Gouret, journaliste des Nouvelles calédoniennes et représentant du personnel pour le plan de sauvegarde et la liquidation. La trentaine de salariés présents au tribunal pour entendre la décision ont déploré l’absence de la direction à cette audience.

Jeudi, le procureur Yves Dupas avait demandé que soit privilégié un plan de redressement avec une poursuite d’activité. « C’est le seul quotidien de l’île. C’est important à une période de l’histoire très sensible et alors que les discussions sur l’avenir institutionnel sont ouvertes. Il y a un enjeu stratégique à préserver cet outil de la liberté d’expression, et je tenais à avoir une approche plus sage. Les actionnaires avaient obtenu un plan de sauvegarde il y a seulement quelques mois », avait expliqué Yves Dupas à l’AFP.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a déploré cette fermeture, y voyant « un désastre social et une attaque contre le pluralisme », et en a appelé à la ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, vendredi, dans un communiqué.

Le Monde avec AFP

« La baisse du coût du travail est devenue la pierre angulaire des politiques économiques et sociales françaises »

Le sujet central de la réforme des retraites est en fait celui du travail. Les mobilisations et les sondages montrent que la très grande majorité des actifs est contre l’idée de devoir travailler deux ans de plus. Car le travail est devenu de plus en plus dur, intense, en perte de sens pour la plupart des salariés. Cette dégradation du rapport au travail est directement liée aux politiques économiques et aux stratégies des entreprises françaises visant à lutter contre le coût du travail.

L’ensemble de ces stratégies repose sur une idée martelée en France depuis les années 1980 : le chômage et la faible compétitivité des entreprises françaises sont dus à un coût du travail trop élevé, notamment du fait d’un Etat-providence lui-même trop coûteux, les cotisations sociales qui le financent représentant près de la moitié de la masse salariale. Pourtant, avec des coûts du travail équivalents ou supérieurs, les Allemands ou les Suédois, parce qu’ils ont su investir dans la qualification et la qualité des emplois, arrivent à produire et exporter des produits et services de meilleure qualité ou plus innovants, qu’ils vendent donc plus chers que les nôtres.

Le manque de compétitivité de l’économie française est surtout lié à son positionnement en milieu de gamme : nous sommes trop chers pour ce que nous produisons. Mais plutôt que chercher à améliorer la qualité de nos productions, à monter en gamme, la France a préféré produire la même chose avec moins de monde, en faisant la chasse aux coûts et en intensifiant le travail.

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Depuis le début des années 1980 fleurissent les articles d’économistes et les rapports soulignant le poids trop élevé du coût du travail. En 1987, le patronat lance « la bataille des charges », pour dénoncer le poids trop élevé des cotisations sociales, expliquant par là les réticences à embaucher et la faible compétitivité des entreprises françaises. C’est en 1993 que commencent à la fois la litanie des réformes des retraites, mais aussi des plans généraux de baisse des cotisations sociales.

Efficacité faible

Edouard Balladur, alors premier ministre, veut limiter l’augmentation prévisible des retraites avec sa réforme de juillet 1993, et réduire le coût du travail pour les entreprises avec, en décembre 1993, la « Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle », dont la mesure principale est la réduction d’une partie des cotisations sociales patronales sur les bas salaires (entre 1 et 1,2 smic).

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Depuis lors, la baisse du coût du travail est devenue la pierre angulaire des politiques économiques françaises, aussi bien pour réduire le chômage que pour accroître la compétitivité des entreprises. Des mesures Juppé à celles liées aux 35 heures, des allègements Fillon au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, devenu en 2016 une baisse pérenne, les allègements ont été progressivement étendus à la fois à plus de cotisations sociales (quasiment toutes au niveau du smic, où il ne reste plus que les cotisations retraites complémentaires et chômage), et à plus de salariés, jusqu’à concerner désormais 3,5 smic. En 2021, le montant total des exonérations a atteint 73,8 milliards d’euros : la France est devenue la championne européenne des aides aux entreprises.

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« Si le travail a pu prendre un sens et une valeur autres que le simple fait de gagner sa vie, c’est aussi parce qu’il y a un après »

En 1910, l’une des premières lois visant à instaurer des retraites est qualifiée par la CGT de « mesure pour les morts » : à cette époque, 94 % des travailleurs n’atteignent pas 65 ans. Mieux vaut donc réclamer la journée de huit heures… C’est pourquoi, plutôt que de parler de retraite, Paul Lafargue, dès 1880, revendique Le Droit à la paresse, superbe boutade pour mieux promouvoir une baisse drastique de la durée quotidienne du labeur.

Si l’on associe souvent longueur des journées, pénibilité et continuité du labeur jusqu’à la mort avec l’industrialisation du XIXe siècle, les journées de travail sont très longues depuis bien plus longtemps, à la ville comme à la campagne. Les grandes manufactures textiles du XVIIe siècle se coulent dans des horaires déjà éprouvés deux à trois siècles plus tôt : de treize à quatorze heures de travail par jour ouvrable, avec des normes de productivité exigeantes. Quand les ouvriers ne peuvent plus y satisfaire, ils sont déclassés vers des besognes moins dures mais moins rétribuées. La famille et les institutions charitables sont les seuls recours quand leurs forces les abandonnent. Point de retraite, si ce n’est pour les vieux soldats ou certains serviteurs âgés de l’Etat.

L’industrialisation ne fait que grossir les effectifs de travailleurs soumis à de tels rythmes. C’est à 40 ans pour les hommes et 35 ans pour les femmes que l’on gagne le mieux sa vie dans les filatures de coton vers 1890. Ensuite, plus on vieillit, moins on est rémunéré. La durée quotidienne du travail reste de douze heures effectives dans les industries depuis le décret du 9 septembre 1848, et cela environ deux cent quatre-vingts à deux cent quatre-vingt-dix jours par an. Ce décret est un des premiers signes, timide, d’une intervention de l’Etat dans les questions sociales.

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Mais entre fraude, exceptions légales et secteurs ignorés par la loi, on trouve toujours vers 1880 des ouvriers qui atteignent des maxima analogues à ceux du début du siècle ou de l’Europe préindustrielle, soit 3 400 à 3 700 heures annuelles – contre 1 500 aujourd’hui ! Certes, beaucoup ne travaillent que par intermittence. Mais quand la besogne presse, ils ne comptent plus leurs heures. Le raisonnement par moyennes trouve ici ses limites.

Vision tripartite de la vie

D’autant que la définition des horaires n’est rien sans l’analyse des contenus du travail. L’intensification des gestes n’a pas attendu l’industrialisation : la machine dicte son rythme, les cadences croissent au fil des progrès techniques et obligent à des efforts accrus. Laboratoire de la modernité, la filature, par exemple, exige une mobilisation plus intense des corps et de l’attention. L’intensification concerne également des secteurs peu touchés par la révolution mécanicienne. A la mine, dans le bâtiment, dans les industries du feu, les modes de rémunération (tâcheronnage et marchandage) sont faits pour mettre les ouvriers en concurrence, tandis que la diffusion, à partir des années 1870-1880, du petit matériel (les machines à coudre, par exemple) fait du travail domestique à la tâche le pendant harassant de l’usine. La peine au labeur est ainsi parfois bien plus grande à la fin du XIXe siècle qu’à son début.

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Au Royaume-Uni, un budget pour remettre les Britanniques au travail

En septembre 2022, Kwasi Kwarteng, alors chancelier de l’Echiquier du Royaume-Uni, levait le voile sur un budget offrant de grandes baisses d’impôt, pensant relancer la croissance. Bien au contraire, cela déclenchait une tempête financière, un début de panique des fonds de pension et, pour finir, la démission de la première ministre conservatrice de l’époque, Liz Truss. Six mois plus tard, l’heure est à un retour à la normale : mercredi 15 mars, Jeremy Hunt, successeur de M. Kwarteng, a présenté le budget du gouvernement sans drame ni secousse.

Lire nos explications : Article réservé à nos abonnés Pourquoi l’économie du Royaume-Uni est saisie d’un vent de panique

Il pouvait même se targuer d’un certain rebond. Ses services de prévisions misent sur un recul de 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023. En temps normal, une telle stagnation n’inciterait guère à la fierté, mais il s’agit là d’une nette amélioration par rapport aux prévisions établies en novembre 2022, lesquelles évoquaient une récession de 1,4 % pour 2023.

Ce regain n’est pas spécifique au Royaume-Uni – l’économie européenne, elle aussi, semble éviter la récession – et provient notamment du recul des prix de l’énergie. Cela permet d’entrevoir un fort reflux de l’inflation, de 10,1 % actuellement à 2,9 % à la fin de 2023, d’après les estimations des autorités britanniques. « Les Cassandre avaient tort », affirme M. Hunt.

Recul de la population active

Dans ce contexte apaisé, le gouvernement de Rishi Sunak peut commencer à s’occuper des problèmes de long terme, qui sont nombreux. Ces dernières années, le Royaume-Uni a connu l’une des pires croissances des pays développés. A la fin de 2022, son PIB demeurait légèrement en dessous de son niveau prépandémique, contrairement à l’immense majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il est, à son tour, « l’homme malade de l’Europe », selon l’expression de Keir Starmer, le leader de l’opposition travailliste. Le budget cherche donc à résoudre plusieurs problèmes de fond, en particulier un curieux phénomène qui s’est développé depuis le déclenchement de la crise sanitaire : le recul de la population active.

Le système britannique de santé craque de toutes parts : sept millions de personnes sont actuellement en attente de soins

Depuis 2019, le nombre d’inactifs (des adultes qui ne travaillent pas ni ne cherchent un emploi) a augmenté d’un demi-million de personnes. « Cela fait du Royaume-Uni une exception, note un rapport du Center for Policy studies, un groupe de réflexion. Presque tous les pays développés ont connu une hausse de l’inactivité économique pendant les ravages de la pandémie [de Covid-19], mais c’était généralement provisoire (…). Désormais, la plupart des pays des l’OCDE ont un taux d’inactivité inférieur à celui d’avant la pandémie. »

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« Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », l’ascension sociale des techniciens devenus ingénieurs

Sur le réseau professionnel LinkedIn, Kevin Lapoule, 33 ans, s’est empressé de mettre à jour son profil. Depuis novembre 2022, il n’est plus technicien de maintenance agroalimentaire mais coordinateur maintenance préventive et fiabilité au sein du Groupe Nutriset. La raison de cette promotion ? Dix ans après être entré, avec un BTS en poche, dans cette entreprise spécialisée dans la lutte contre la malnutrition, il a obtenu, en octobre, son diplôme d’ingénieur généraliste par la voie de la formation continue. « Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », se réjouit-il. Après son bac + 2, il avait fait le choix « d’arrêter les études pour entrer rapidement dans le monde du travail, quitte à limiter [ses] perspectives d’évolution professionnelle ensuite ».

Il a finalement, sur le tard, choisi de relever le « challenge » de décrocher le sésame grâce à la formation continue, avec l’appui de son entreprise, qui a financé intégralement son cursus à l’école d’ingénieurs du CESI. Ce type d’accélération professionnelle concerne quelque 1 000 personnes chaque année en France, selon les chiffres de la Commission des titres d’ingénieur (CTI). « Ils étaient quatre ou cinq fois plus il y a trente ans », commente Jean-Louis Allard, vice-président de la CTI et directeur de l’école d’ingénieurs du CESI. Cet établissement fut créé en 1958 par des entreprises pour permettre à des techniciens d’accéder au statut d’ingénieur, dans une France d’après-guerre où les secteurs industriels et du bâtiment en avaient bien besoin, face aux difficultés des écoles d’ingénieurs à fournir suffisamment de cadres.

Mais, au CESI comme ailleurs, la voie de la formation continue suivie par Kevin est aujourd’hui devenue minoritaire : une centaine d’ingénieurs diplômés par an, sur 1 500 au total. Les raisons de cette baisse ? L’allongement de la durée des études, « qui pousse aujourd’hui de nombreux jeunes à continuer vers une formation d’ingénieur après un bac + 2 », explique Fabrice Maerten, responsable des admissions au CESI. Mais aussi « l’explosion de l’apprentissage depuis les années 1990 dans les écoles d’ingénieurs », vers lequel les entreprises se tournent plus spontanément pour financer la formation des ingénieurs dont elles ont besoin, et ce, dès la formation initiale, là où elles préféraient, par le passé, accompagner leurs meilleurs techniciens vers le statut d’ingénieur, dans une logique de conservation des compétences et de fidélisation des collaborateurs.

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Aujourd’hui, si quelque 40 000 étudiants obtiennent le diplôme d’ingénieur chaque année en formation initiale, la formation continue d’« anciens », bien que ne représentant que 2 % des diplômés, constitue toujours « un levier de promotion sociale et professionnelle sans équivalent », selon Jean-Louis Allard. Mais, qu’ils suivent cette formation (1 200 heures en tout) en cours du soir, en alternant les périodes à l’école et en entreprise, par des cours en ligne ou des stages intensifs, le parcours de ceux qui veulent dépasser leur plafond de verre en passant par la formation continue n’a rien d’un long fleuve tranquille.

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Une retraitée autorisée pendant quinze ans à occuper son logement de fonction est soudain menacée d’expulsion

Le salarié qui dispose d’un logement de fonction n’est pas considéré comme un locataire qui bénéficierait d’un bail relevant de la loi du 6 juillet 1989.

Lorsqu’il perd son emploi, il doit rendre le logement, parce que celui-ci est « un avantage en nature accessoire au contrat de travail », selon la jurisprudence de la Cour de cassation. Si, à l’expiration de son préavis ou de son délai pour partir, il se maintient dans les lieux, il est considéré comme un « occupant sans droit ni titre », et l’ex-employeur peut demander au juge l’autorisation de l’expulser.

Mais peut-il attendre quinze ans avant de se prononcer ? Telle est la question que pose l’affaire suivante dans laquelle une retraitée se voit signifier son congé par l’employeur qu’elle avait quitté quinze ans auparavant.

En 1961, la Caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel embauche Mme X. En 1970, elle met à la disposition de celle-ci, moyennant un loyer modique, un appartement qu’elle possède, dans le 14arrondissement de Paris. Le 31 mai 2000, Mme X prend sa retraite. La Caisse centrale ne lui demandant pas de partir, elle se maintient dans les lieux, sans toutefois qu’un contrat de bail ait remplacé la convention d’occupation qui existait depuis 1970.

Lire aussi : La locataire âgée devait bénéficier d’une offre de relogement

Le 25 juillet 2014, la société BPIfrance financement, qui vient aux droits [intervenant pour le compte] de la Caisse centrale, fait savoir à Mme X, désormais âgée de 71 ans – ainsi qu’à d’autres personnes dans la même situation – qu’elle veut vendre le logement, libre de toute occupation. Elle lui donne un an pour partir. Mme X, qui ne peut pas se reloger à un prix équivalent (460 euros), se maintient dans les lieux. Le 21 août 2015, la société demande son expulsion.

Intention de « nover »

En première instance et en appel, les magistrats considèrent que son action est prescrite, donc irrecevable. Mais la Cour de cassation juge, le 30 juin 2021, que cette action, « fondée sur le droit de propriété », n’est « pas susceptible de prescription ». La cour d’appel de Paris, devant laquelle l’affaire est renvoyée, ordonne donc l’expulsion de Mme X, le 24 mars 2022.

Elle écarte l’argument de son avocate, selon lequel « les parties ont entendu nover », c’est-à-dire substituer un contrat de bail à l’ancienne convention de mise à disposition. La cour rappelle en effet que « la volonté de nover ne se présume pas ». Or, constate-t-elle, Mme X ne produit aucun « acte » juridique, prouvant qu’une volonté commune de modifier la substance du précédent contrat existait.

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La féminisation des instances dirigeantes va de pair avec la lutte contre le sexisme

« Le monde dans lequel on vit fait qu’on est biaisé en faveur des hommes en ce qui concerne les postes à responsabilités. Les femmes aussi intériorisent ce biais, en se disant par exemple qu’elles ne peuvent pas être bonnes en mathématiques. » Tel est le constat posé par Violetta Zujovic, chercheuse en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, en introduction des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis. Lors de l’édition du 7 mars, une vingtaine de DRH ont échangé sur l’accès des femmes aux postes à responsabilités.

L’experte du jour, par ailleurs cheffe d’équipe à l’Institut du cerveau, a raconté l’expérience menée au sein de son centre de recherche. « Nous avons essayé de comprendre comment engager notre cerveau pour empêcher d’avoir des automatismes qui catégorisent les personnes dans un rôle spécifique, explique-t-elle. Il y avait 63 % de femmes à l’Institut du cerveau en 2015, et 5 % dans les comités décisionnels. Aujourd’hui, on a réussi, en collaboration avec la DRH, à atteindre 50 %. »

Sur le terrain de l’égalité femmes-hommes, la mesure est le nerf de la guerre. Le 1er mars, toutes les entreprises de plus de mille salariés ont dû rendre publics pour la première fois leurs écarts de représentation entre les femmes et les hommes parmi leurs cadres dirigeants et les membres de leurs instances dirigeantes, comme l’exige la loi Rixain du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « Dans les instances dirigeantes des entreprises, les femmes se partagent les sièges mais pas le pouvoir »

Si quelques participants ont affiché avec fierté leurs excellents chiffres, la discussion s’est concentrée sur les progrès qui restent à accomplir. Dans la branche des institutions de retraites complémentaires et de prévoyance, par exemple, « il y a 70 % de femmes, 53 % dans l’encadrement. En 2015, elles étaient seulement 20 % chez les cadres supérieurs et dans les comités de direction, énumère Marc Landais, DRH de l’Agirc-Arrco. Depuis, nous avons réussi à gagner sept points [de pourcentage], mais il faut continuer à mener des actions volontaristes ». Même constat chez Korian, avec 82 % de femmes, 67 % de manageurs femmes et seulement 22 % au comité exécutif.

Sortir des stéréotypes

Pour ce faire, la mise en place de quotas, lors du recrutement ou des promotions internes, est indéniablement le meilleur moyen de faire progresser les chiffres. « S’il n’y avait pas eu la loi Copé-Zimmermann [qui, en 2011, a instauré les quotas dans les conseils d’administration] et [la loi] Rixain, est-ce qu’on aurait d’aussi bons chiffres ? », avance Rémi Boyer, DRH groupe de Korian.

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