Archive dans 2023

Au travail, des « risques invisibles » pèsent sur la santé des femmes

Des femmes « davantage exposées à des risques invisibles et silencieux », des statistiques genrées « insuffisamment exploitées », des politiques de prévention « focalisées sur l’homme moyen » : après plus de six mois d’enquête, la délégation aux droits des femmes du Sénat a livré le 28 juin, dans un rapport de Laurence Rossignol (Parti socialiste), Laurence Cohen (Parti communiste), Annick Jacquemet (Union centriste), Marie-Pierre Richer (rattachée Les Républicains), ses conclusions sur les liens entre travail et santé des femmes.

Alors que le nombre d’accidents du travail explose chez ces dernières depuis vingt ans, ces liens demeurent encore « impensés », s’alarme le rapport. Dans un marché du travail qui s’est largement tertiarisé, les femmes sont désormais les premières victimes de troubles musculosquelettiques et sont trois fois plus nombreuses à faire état de troubles psychiques liés au travail que les hommes.

Statistiques « très peu exploitées »

Pourtant, les statistiques genrées, quand elles existent, « sont très peu exploitées », a signalé Annick Jacquemet lors de la présentation du rapport. Aussi, l’Assurance-maladie ne se penche pas sur les statistiques sexuées en termes d’accidents du travail, « statistiques dont l’organisme dispose pourtant ».

Cette « supposée neutralité », mais aussi la volonté de ne pas faire de discriminations entre les salariés, a conduit les entreprises et les politiques publiques de prévention à se focaliser « sur l’homme moyen, à savoir le travailleur masculin », a poursuivi la sénatrice du Doubs. Le rapport fait notamment un focus sur le secteur du soin, composé à 80 % de femmes, où les salariés sont nombreux à effectuer des horaires atypiques.

Or les liens entre travail de nuit et cancer du sein ont longtemps été ignorés, a rappelé Marie-Pierre Richer. Et de relever qu’après des années de bataille juridique, c’est seulement en mars 2023 qu’une ancienne infirmière a pu faire reconnaître son cancer du sein comme une maladie professionnelle.

Dans le secteur du nettoyage, qui concentre une majorité de femmes de plus de 50 ans en situation précaire, les salariées sont non seulement exposées à de la pénibilité physique, mais aussi à sept produits cancérogènes courants en moyenne dans les produits de nettoyage qu’elles utilisent. Sans que les pouvoirs publics s’emparent du sujet, s’est émue la sénatrice.

Equipements pensés pour « l’homme moyen »

Quant aux équipements de prévention, au matériel ou encore aux postes de travail, ils sont également pensés pour le gabarit de l’« homme moyen », a pointé Annick Jacquemet : et la sénatrice de donner l’exemple des « gants de protection utilisés par les soignantes et les femmes de ménage », « qui sont trop grands et laissent passer les produits ». Exposées à des risques encore mal mesurés, soumises à des carrières moins linéaires que les hommes, les femmes sont seulement 23 % à bénéficier du compte personnel de prévention.

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A Fos-sur-Mer, ArcelorMittal tente d’éviter la sanction de l’inspection du travail

Le complexe ArcelorMittal de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), le 2 mai 2023.

Dans la chaleur écrasante du début d’été, l’usine ArcelorMittal de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) gronde dans un halo rougeâtre. L’imposant site sidérurgique, qui produit chaque année quatre millions de tonnes d’acier, fonctionne toujours ce jeudi 29 juin, plus d’une semaine après la décision de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités de lui imposer une procédure immédiate d’arrêt de son département aciérie, pour mise en danger d’une partie de ses salariés. Une sanction inédite pour le géant industriel, assortie en cas de refus, de menaces de peines d’emprisonnement et d’amendes allant jusqu’à 10 000 euros par travailleur concerné.

Mercredi 28 juin, au cours d’un comité social et économique (CSE) exceptionnel, la direction a assuré aux représentants du personnel que la procédure d’arrêt était en cours. Mais qu’elle prendrait au moins huit semaines, « pour prévenir tout risque environnemental et tout risque d’endommagement irréversible de l’installation industrielle », explique-t-elle dans un communiqué. Un délai que certains syndicats jugent disproportionné. « On n’arrête pas une usine comme ça facilement, reconnaît Sandy Poletto, délégué central CGT de l’entreprise. Mais habituellement, cela se fait en deux ou trois semaines. »

La direction d’ArcelorMittal Méditerranée joue-t-elle la montre pour gagner le temps d’infléchir une décision qu’elle considère « infondée et disproportionnée » ? Jeudi 29 juin, elle a convoqué un second CSE exceptionnel en moins de quarante-huit heures pour faire valider aux représentants du personnel et à la médecine du travail la quatrième mouture de son « plan d’actions » visant à répondre aux injonctions de l’inspection du travail. Force ouvrière (FO), organisation majoritaire dans l’entreprise depuis 2022, et la CFE-CGC ont voté pour. La CGT, minoritaire, s’y est opposée estimant, entre autres, que « le budget attribué aux mesures n’était pas clairement chiffré ». La CFDT, elle, s’est abstenue. A l’issue de la réunion, ArcelorMittal a adressé à l’administration une demande de suspension des opérations préparatoires à l’arrêt.

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« Faire cesser la situation dangereuse avérée »

Au-delà d’un discours conciliant et d’une communication de crise confiée à l’agence parisienne spécialisée Image 7, la réaction du groupe de sidérurgie apparaît tardive. La première alerte officielle date du 10 mai 2023. Dans un courrier adressé à la direction de l’usine, l’inspection du travail dévoile les résultats d’un contrôle alarmant effectué le 25 avril dans le département aciérie. Les inspecteurs, accompagnés de représentants de la Caisse d’assurances retraite et de santé au travail (Carsat), décrivent des espaces de travail couverts de « poussières agglomérées », des processus de fabrication déclenchant une « importante mise en suspension de poussières inhalables », l’absence « de système de captation [des poussières] à la source ».

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A Paris, un salarié décède sur le chantier du bassin d’Austerlitz, les mesures de protection en question

Chantier de construction du bassin d’Austerlitz, un bassin de stockage et de traitement des eaux de la Seine, visant à rendre le fleuve plus propre pour les Jeux Olympiques de Paris 2024. Le 15 juin 2023.

Un accident du travail s’est produit vendredi 16 juin, à Paris. En fin de matinée, Amara Dioumassy, maçon chef d’équipe chez Darras et Jouanin, a été mortellement percuté par une camionnette, en contrebas de l’Institut médico-légal et du square Albert-Tournaire (Paris 12e). Le chauffeur, salarié de la Société auxiliaire des distributions d’eau (SADE), venait d’entrer en marche arrière afin de charger une benne à béton sur cette portion exiguë du chantier du bassin d’Austerlitz, située juste à côté des voies de circulation sur le quai de la Seine. Marchant dos au camion, la victime ne l’a pas vu arriver, ni entendu, en raison de la forte circulation.

Les pompiers n’ont pu ranimer le salarié de 51 ans, travaillant dans cette filiale de l’entreprise Urbaine de Travaux depuis plusieurs années. Il repose encore aujourd’hui à l’Institut médico-légal, sa famille attendant de pouvoir inhumer son corps au Mali.

Ce chantier réalisé par le groupement Impluvium (qui réunit la SADE, Urbaine de Travaux et trois autres entreprises) a pour but d’améliorer la qualité de l’eau de la Seine en stockant l’excédent de pluie lors de fortes précipitations. Il doit se terminer en mai 2024 en vue des Jeux Olympiques, où plusieurs épreuves de natation auront lieu dans le fleuve.

Ni « homme trafic » ni « bip sonore »

Si l’enquête de police ouverte à la suite d’un accident mortel est toujours en cours, des photographies du chantier prises le lundi 19 juin et consultées par Le Monde montrent un déficit de mesures de protection, notamment pour les ouvriers piétons. Délégué syndical central CGT de la SADE, Lyes Chouai ajoute que « le camion n’avait ni bip sonore d’alerte ni caméra de recul », et que le chantier n’avait pas d’« homme trafic » pour orienter les engins.

Le chantier a été arrêté une dizaine de jours, et n’a repris que mercredi 28 juin. Un grand nombre de modifications ont été apportées : un marquage au sol jaune est apparu, de même qu’un cheminement piéton prenant la forme d’un tapis rouge, des glissières en béton armé pour le protéger, ou encore des panneaux sens interdit ou « sortie de chantier ». « Ils ont rendu le chantier propre. Ce qu’ils auraient dû faire dès le début, mais ça coûte du temps et de l’argent », déplore Lyes Chouai.

Maîtresse d’ouvrage et financeuse du projet, la Ville de Paris confirme cette interruption. « Le chantier a repris après une réunion de l’instance de coordination en matière de santé, sécurité au travail et validation des mesures de prévention par l’inspection du travail, indique-t-elle. La suspension du chantier permet de faciliter les mesures d’enquête, de vérifier et d’adapter le cas échéant les mesures de prévention en santé-sécurité au travail. » Les deux entreprises concernées, Darras et Jouanin ainsi que la SADE, n’ont pas souhaité répondre aux questions du Monde, au motif que « des enquêtes sont en cours ».

Clergerie, dernier vestige de la chaussure de luxe « made in France », racheté par un groupe américain

Clergerie est fixé sur son sort. Placée en redressement judiciaire mercredi 29 mars, l’entreprise historique de Romans-sur-Isère (Drôme) a trouvé un repreneur américain. L’offre à 700 000 euros de Joe Ouaknine, riche entrepreneur au français impeccable, propriétaire du groupe de chaussures Titan Industries et seul candidat en lice, a été acceptée par le tribunal de commerce de Paris, jeudi 29 juin. La marque, l’atelier romanais ainsi que quelques boutiques françaises sont sauvés. En revanche, 55 % de la masse salariale va être supprimée, soit 79 personnes promises au licenciement sous un mois.

Propriétaire de plusieurs marques aux Etats-Unis – dont l’enseigne de luxe Badgley Mischka, peu connue de ce côté-ci de l’Atlantique – l’homme d’affaires se targuait, lors de son audition, le mercredi 14 juin, d’avoir « suffisamment d’expérience » pour redresser la situation financière de Clergerie. « C’est une marque avec beaucoup de potentiel. J’ai sondé les grands magasins, tous m’ont confirmé que la clientèle était là. » Pour redynamiser les ventes, Joe Ouaknine veut produire « de nouvelles références qui répondent à la demande du moment » pour « dépoussiérer » la marque « tout en gardant son ADN », grâce à l’appui de ses fournisseurs aux quatre coins du monde.

Mais, pour mettre en œuvre ses ambitions, le propriétaire de Titan Industries (50 millions d’euros de chiffre d’affaires) s’est dit contraint de supprimer une soixantaine de postes. « Ça ne marche pas car il y a trop de monde à payer… », se justifiait-il au Monde, lors de son audience. A l’usine de Romans-sur-Isère, seul « un ouvrier sur trois » restera à son poste, précise Valérie Treffan, élue CFE-CGC. Une situation « compliquée pour les licenciés » qui risquent d’avoir « des difficultés à retrouver un emploi », s’inquiète Sandrine Martorana, employée à la production depuis vingt-quatre ans et au chômage partiel depuis avril. « Peut-être dans le secteur de la maroquinerie… Mais dans celui de la chaussure, c’est impossible ; il n’y a plus rien en France. »

« Mauvaise gestion »

D’autant plus que les syndicats redoutent d’autres licenciements à venir dans l’usine. « C’est un distributeur qui sous-traite toute sa production en Chine », pointe Christophe Charon, comptable et élu CFE-CGC, qui craint que « dans deux ans, la production à Romans soit définitivement terminée ». Il revient à Joe Ouaknine de persuader les employés de l’entreprise qu’il est attaché au « made in France ». Vingt-neuf d’entre eux sont repris dans cette unité de production, tandis que 55 sont licenciés.

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L’Assemblée nationale adopte le projet de loi sur le partage de la valeur

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, à l’Assemblée nationale, le 27 juin.

« Cet accord nous oblige. » En ouverture de l’examen en séance publique du projet de loi sur le partage de la valeur, lundi 26 juin, son rapporteur, Louis Margueritte (Renaissance, Saône-et-Loire), avait donné le ton des discussions à venir. Pour le camp présidentiel, les députés devaient « retranscrire fidèlement » – selon les mots maintes fois répétés du ministre du travail, Olivier Dussopt – l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en février par toutes les organisations patronales et syndicales, à l’exception de la CGT. Ce fut chose faite, après quatre jours de débat, avec l’adoption en première lecture, jeudi 29 juin au matin, de ce projet de loi à une large majorité de 112 voix pour, 27 contre et 8 abstentions.

La coalition présidentielle a pu notamment compter sur les voix des élus Les Républicains (LR) et du Rassemblement national (RN). A gauche, les socialistes ont aussi voté en faveur du texte alors que les « insoumis » et les communistes se sont opposés au texte. De leur côté, les écologistes se sont abstenus. « C’est un très bon message qu’on vient d’envoyer à la démocratie sociale », s’est réjoui Louis Margueritte après le vote.

L’accord transposé dans ce projet de loi de quinze articles vise à étendre et à faciliter – de manière expérimentale pendant cinq ans – les mécanismes de partage de la valeur, tels que la participation, l’intéressement ou une prime aux entreprises de 11 à 49 salariés. Le texte impose notamment à celles qui réalisent un bénéfice « au moins égal à 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives » de « mettre en place » un de ces dispositifs. Cette mesure pourrait concerner « 1,5 million de salariés supplémentaires » d’ici « deux à trois ans », a précisé M. Dussopt.

Retranscription « un peu machiavélique »

Dans la lignée du projet de loi sur le pouvoir d’achat adopté en juillet 2022 qui prévoyait notamment le triplement du plafond de la prime partage de la valeur – plus connue sous le nom de « prime Macron » –, le texte vise aussi à généraliser son usage en permettant aux entreprises de la distribuer deux fois par an, avec la possibilité de la verser sur un plan d’épargne salariale. A l’occasion des explications de vote jeudi matin, le député communiste de Seine-Maritime, Jean-Paul Lecoq, a déploré une retranscription « non pas fidèle, mais habile et même un peu machiavélique de l’ANI ». « Pourquoi ? Parce qu’en réalité, et nos débats l’ont bien montré, la transposition de cet accord national interprofessionnel aura très peu d’effets pour les travailleurs », a-t-il critiqué. De son côté, le député Renaissance de Paris, David Amiel, a salué un texte qui acte « un principe de justice. Quand une entreprise gagne plus, les salariés eux aussi doivent gagner plus ».

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Chez le géant bancaire suisse UBS, une saignée sociale historique

A Zurich, en Suisse, le 19 mars 2023.

Pour des milliers d’employés de banque helvétiques, c’est l’information dont ils se seraient volontiers passés, à quelques jours du début des vacances d’été. Selon l’agence Bloomberg, le nouveau géant bancaire UBS, qui a repris son rival Credit Suisse (CS) en quasi-faillite, s’apprêterait à supprimer 35 000 emplois sur les 120 000 que compte le groupe dans le monde depuis la finalisation du rachat, lundi 12 juin.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés UBS, nouveau colosse d’une place financière suisse fragilisée

La moitié des 45 000 employés de CS « absorbés » dans la nouvelle entité devraient perdre leur travail, dont presque 12 000 sur ses différents sites de Zurich, la place financière helvétique, qui n’a jamais enregistré pareille saignée de toute son histoire. Wall Street et la City seront durement affectés également, puisque s’y trouvent les principales équipes de l’activité de banque d’investissement qui a provoqué la chute de la maison Credit Suisse.

« Ce sont des chiffres d’horreur, écrit la lettre spécialisée zurichoise Inside Paradeplatz. UBS démantèle complètement Credit Suisse. » Ce sont les employés de bureau occupés aux tâches administratives qui paient le plus lourd tribut. Roger Nordmann n’est pas indifférent à leur sort. Le député socialiste vaudois fait partie de la commission d’enquête parlementaire chargée d’étudier les responsabilités dans la débâcle Credit Suisse. Il se dit écœuré par le traitement réservé aux soutiers du navire amiral de la finance helvétique : « On licencie en masse ceux qui n’y peuvent rien, les employés du back-office. Dans le même temps, les responsables de la descente aux enfers peuvent continuer à se vautrer dans les bonus énormes qu’ils garderont en dépit du dommage avéré qu’ils ont causé. »

Une opération par étapes

Au terme de l’opération, un quart seulement des 16 000 personnes issues de Credit Suisse qui étaient salariées sur le territoire helvétique devraient réussir à sauver leur place dans le nouvel ensemble bancaire. En clair, c’est à une éradication pure et simple de la culture de Credit Suisse qu’est en train de procéder la direction générale d’UBS, sous la houlette de son directeur général, Sergio Ermotti. L’emploi sera « le volant le plus difficile » de l’intégration, avait-il affirmé, lors du Swiss Economic Forum, à Interlaken (Centre), il y a trois semaines, sans davantage de précision.

UBS s’est refusé, mercredi 28 juin, à confirmer les informations de Bloomberg, selon lequel l’opération se fera par étapes. Pendant l’été, et sans préavis, parce que les dispositifs sociaux en vigueur aux Etats-Unis et au Royaume-Uni le permettent, ce sont les places de New York et de Londres qui devraient voir les premiers licenciements.

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« L’Innovation, mais pour quoi faire ?  » : la face sombre d’une « religion moderne »

Livre. Franck Aggeri s’est attaqué à un mythe : l’innovation. Il a décidé de porter un regard critique sur un concept qui prend la lumière à merveille, qui ne connaît que peu de remises en question et dont on « célèbre [les] vertus et [les] prophètes pour construire un monde meilleur ». Un propos iconoclaste que le professeur de management à Mines Paris Tech-PSL mène avec rigueur et pédagogie dans L’Innovation, mais pour quoi faire ? (Seuil).

Pour ce faire, l’auteur invite à se détourner de l’intensité grisante qui semble entourer l’innovation, cette « nouvelle religion moderne » présentée comme « un ensemble de promesses et de potentiels », qui vise le plus souvent à « servir le projet d’une croissance sans fin, de rendements financiers exorbitants ou de performances irréalistes ».

Un pas de côté qui doit permettre de s’interroger sur la manière dont une culture de l’innovation s’est progressivement imposée dans nos sociétés. L’auteur retrace l’histoire de cette pensée positive, démontrant notamment l’influence du modèle de « destruction créatrice » de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). Il souligne également la priorité donnée au court-termisme, qui se concentre sur les gains présents sans anticiper les conséquences négatives qui pourraient survenir dans le futur.

Son propos est justement de montrer que les innovations ont aussi leurs « faces sombres », des zones d’ombre qu’on peine à rendre visibles. De fait, leurs effets négatifs sont aujourd’hui peu anticipés. Des normes environnementales et sanitaires sont parfois mises en place face aux innovations technologiques, mais elles ont leurs limites.

« La normalisation est en retard sur les innovations, elle ne repère que les effets connus », note l’auteur qui s’interroge : « Que savons-nous des impacts potentiels à long terme des nanomatériaux ou des biotechnologies (…) ? Peu de choses. Et, lorsque des effets négatifs seront révélés, il sera probablement trop tard pour agir car de telles technologies auront été disséminées dans un grand nombre de produits de consommation courante. »

Effets indésirables

Différents biais sont à l’œuvre, contribuant à minorer les points noirs des innovations. L’effet d’échelle notamment : ce n’est que lorsque l’innovation est largement déployée qu’ils sont révélés. « Au moment de son introduction, le Roundup a été présenté comme une grande avancée permettant de lutter efficacement contre les mauvaises herbes, note M. Aggeri. Maintenant que son usage est devenu massif, ses effets sur la santé publique et sur la biodiversité sont devenus criants et sont la cause de mobilisations sociales pour demander son interdiction. »

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Du pareil au même placé en redressement judiciaire, Sergent Major en procédure de sauvegarde

Un magasin de la marque de vêtements pour enfants Du pareil au même, à Paris.

Nouveau coup dur pour le prêt-à-porter : les marques de vêtements pour enfants Du pareil au même (DPAM) et Sergent Major viennent à leur tour allonger la longue liste des enseignes en difficulté récemment placées sous la protection de la justice française. Le groupe, qui possède ces deux enseignes, a annoncé avoir été « impacté » par « les crises sociales, la pandémie de Covid-19, la crise énergétique et l’inflation ».

Comme ses concurrents frappés par cette conjoncture défavorable, DPAM a été placé mercredi 28 juin en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny, tandis que Sergent Major a été placé en procédure de sauvegarde.

L’enseigne Natalys, autre marque détenue par la holding Générale pour l’enfant (GPE), est pour le moment « épargnée », car, « beaucoup plus petite » que ses sœurs avec ses 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle ne connaît pas « de problématiques aussi lourdes », a expliqué à l’Agence France-Presse une source proche du dossier.

La holding Générale pour l’enfant, qui emploie 2 500 salariés, a subi un recul de 100 millions d’euros de son chiffre d’affaires sur la période du Covid-19 « en raison de la fermeture des magasins pendant la pandémie », a précisé la même source, selon laquelle le chiffre d’affaires a atteint 275 millions d’euros en 2022. « Le plan de restructuration prévoit une fermeture ou cession de 47 magasins Sergent Major et 87 chez Du pareil au même », tous en France, selon elle.

GPE possède 850 magasins répartis en France, Belgique, Espagne, au Portugal, en Italie, en Allemagne, au Luxembourg, en Slovaquie et en Suisse.

Le groupe a dévoilé son plan de restructuration, incluant notamment un développement de sa stratégie numérique avec pour objectif de réaliser 25 % de ses ventes en ligne « à l’horizon 2027 », fort d’un investissement de 5 millions d’euros. Il envisage également une « extension à l’international sur de nouveaux marchés (Moyen-Orient) et le développement du réseau d’affiliés en France comme en Europe (Grèce) ».

Cocktail détonnant

Camaïeu, Kookaï, Burton of London, Gap France, André, San Marina, Kaporal, Don’t Call Me Jennyfer, désormais DPAM et Sergent Major… Ces marques bien connues du consommateur français ont souffert d’un cocktail détonnant : pandémie, inflation, hausse des coûts de l’énergie, des matières premières, des loyers et des salaires, et concurrence de la seconde main. Il a été fatal pour certaines marques, qui ont été liquidées, comme Camaïeu en septembre 2022, dont le licenciement des 2 100 salariés a fortement marqué les esprits. D’autres sont en redressement judiciaire, comme Kookaï ou Burton of London.

Sans en arriver là, d’autres encore réduisent la voilure, taillant dans les effectifs et fermant des magasins, comme Princesse Tam Tam, Comptoir des cotonniers (groupe Fast Retailing) ou Pimkie. Ces difficultés en série « m’interpellent », a déclaré mercredi soir sur BFM-Business la ministre du commerce, Olivia Grégoire. « Je suis préoccupée par cette crise, mais j’ai à cœur de dire qu’il y a aussi toujours des marques qui s’en sortent bien », a-t-elle poursuivi sans pour autant les citer.

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Certaines des entreprises en difficulté ont par ailleurs du mal à rembourser les prêts garantis par l’Etat (PGE) accordés durant la crise sanitaire. Pour l’habillement, la sortie de la pandémie n’a pas signifié un retour à la situation d’avant le Covid-19 : les ventes sont restées en 2022 près de 10 % inférieures à leur niveau de 2019, selon Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM).

Pour Olivia Grégoire, « certaines enseignes vivent une crise de surcapacité avec parfois deux magasins dans la même rue piétonne. Ça impose trois choses aux acteurs : s’engager sur le chemin de la seconde main, personnaliser beaucoup plus les approches et renforcer la stratégie » numérique, a-t-elle insisté sur BFM-Business.

« Depuis le début de l’année, c’est 10 000 emplois qui ont disparu », estimait la semaine dernière Yann Rivoallan, président de la Fédération du prêt-à-porter féminin, en marge du défilé du géant chinois de la « fast fashion » SheIn, qu’il accuse de « détruire les emplois français ».

Le Monde avec AFP

Orange tire un trait sur sa banque en ligne

Six ans après sa naissance, Orange Bank vit ses derniers jours. Réuni dans l’après-midi du mercredi 28 juin, et après plusieurs mois de réflexion, le conseil d’administration de l’opérateur télécoms a rendu son verdict : c’est fini pour l’activité de la banque en ligne créée, fin 2017, sous l’impulsion de l’ancien PDG Stéphane Richard. Des négociations exclusives ont été engagées avec BNP Paribas pour reprendre la clientèle, a confirmé Orange. Un comité social et économique d’Orange Bank devait se tenir jeudi 29 juin, en matinée, pour informer les salariés.

A l’image des difficultés d’Orange Bank à se faire une place au sein du groupe, la sortie se fait par la petite porte. Après avoir espéré trouver un repreneur pour l’ensemble de la structure (clients, salariés et informatique), quitte à lui verser une grosse somme d’argent pour couvrir les pertes futures – des discussions ont été menées en ce sens, notamment avec le fonds d’investissement Cerberus –, l’opérateur a dû se résoudre à la solution minimale : ouvrir sa base de clients à BNP Paribas.

Avec cet accord de référencement, la première banque française pourra contacter les clients d’Orange Bank pour leur proposer de transférer leur compte chez elle, probablement avec une prime de bienvenue. Ce schéma avait été retenu par ING lors de la cession de sa branche française à Boursorama. Pendant ce processus, « il n’y aura aucun changement (…) pour les clients », assure Orange.

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Orange Bank dispose d’un peu plus de 1,5 million de clients en France, détenant 1,7 milliard d’euros d’encours dans leurs comptes ordinaires ou d’épargne. Elle a également plusieurs centaines de milliers de clients en Espagne. Un autre accord est en négociation avec BNP Paribas dans ce pays.

Plus de 1 milliard d’euros de pertes

Il reviendra donc à Orange de fermer la société et surtout de reclasser ses 700 salariés environ, répartis sur deux sites, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et à Amiens. Ce qui promet de nouvelles tensions dans le groupe, alors que plusieurs restructurations sont en cours, dans la division pour les entreprises (Orange Business), le réseau de boutiques et certaines fonctions support. L’opérateur s’engage à reclasser en interne l’ensemble du personnel de sa banque.

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En fermant Orange Bank, le groupe fait le calcul que les charges liées à l’arrêt de l’activité seront inférieures aux pertes que l’établissement aurait continué à essuyer au cours des prochaines années. Depuis sa création, la banque en ligne, qui n’a jamais gagné d’argent, a accumulé plus de 1 milliard d’euros de pertes d’exploitation. Orange a dû réinjecter plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année pour renforcer les fonds propres. Et a dû financer la remise à niveau de la plate-forme informatique héritée de Groupama Banque, beaucoup trop lourde pour une banque en ligne, surtout face à des néobanques aux structures plus légères.

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