Archive dans 2023

Au Royaume-Uni, comment les syndicats ont redécouvert leur pouvoir de négociation

Dépôt ferroviaire à Ely, dans le Cambridgeshire (Royaume-Uni), le jeudi 5 janvier 2023.

Les Britanniques n’avaient pas connu ça depuis trois décennies. Depuis l’été dernier, de grandes grèves secouent régulièrement le pays, en particulier dans les services publics. Pour aider les usagers à s’y retrouver, les médias ont dû mettre en place des calendriers des grèves.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Royaume-Uni, Rishi Sunak tente de se relancer face à la crise sociale

Cette semaine, du 3 au 7 janvier, deux syndicats se sont relayés pour immobiliser les trains, avec certaines journées pratiquement sans trafic ; vendredi, les agents des autoroutes ont aussi débrayé, ainsi que les examinateurs d’auto-école ; mardi 10 janvier, ce sera au tour des instituteurs en Ecosse, puis le lendemain, aux ambulanciers en Angleterre. La semaine suivante, les infirmières reprennent leur mouvement historique : en décembre, elles avaient effectué leur première grève depuis la création de leur syndicat en 1906, et elles ont prévu deux nouvelles journées d’action.

Les syndicats ne cachent pas qu’ils se coordonnent, pour que les grèves se succèdent les unes après les autres. « L’objectif est d’atteindre une perturbation maximum », explique un syndicaliste, sous couvert d’anonymat.

Renversement de tendance

Les multiples conflits ont même tendance à se durcir. « Nos membres n’ont jamais été aussi déterminés », affirme Mick Whelan, le secrétaire général d’Aslef, qui représente les conducteurs de train. Il parle d’un conflit qui pourrait continuer jusqu’à mai, alors que les premières grèves ont débuté en juin 2022. « Les syndicats se préparent à tenir jusqu’au printemps, au moins », ajoute Kevin Rowan, du Trade Union Congress (TUC), la principale confédération syndicale.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Royaume-Uni, l’épuisement et la colère des personnels de santé

Pour les syndicats britanniques, il s’agit d’un renversement de tendance majeur. Pendant les années de Margaret Thatcher (1979-1990), la Dame de Fer avait violemment lutté pour les mettre à genoux, donnant lieu à des grèves géantes (plus d’un an pour les mineurs en 1984, plus d’un an pour les ouvriers du livre en 1986). Elle y était parvenue, en imposant notamment deux lois, parmi les plus restrictives d’Europe. Désormais, une grève ne peut être organisée qu’après un vote à bulletins secrets des salariés, ce qui peut prendre des mois à organiser dans une grande entreprise. Par ailleurs, les grèves secondaires, c’est-à-dire en solidarité avec une autre entreprise, sont interdites. Les postiers ne peuvent pas débrayer pour soutenir les cheminots, par exemple.

Dans ce contexte, les syndicats ont connu un profond déclin. Le nombre de syndicalistes a été divisé par deux, de 13,2 millions en 1979 à 6,5 millions en 2021. Quant aux grèves, leur nombre a été divisé par dix.

Il vous reste 59.16% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Sur les forums d’entraide, le sacerdoce des bienfaiteurs du Web

Ils s’appellent Kabyll, Lucien ou Nathalie, et peuvent passer, tous les jours, plusieurs heures à aider bénévolement des inconnus.

Ces oiseaux rares sont l’âme des forums d’entraide, répondant chaque jour de façon experte et bénévole aux inconnus qui passent. Le Monde a parlé à une dizaine de ces bienfaiteurs qui, chacun, ont rédigé plusieurs milliers de réponses à des demandes sur la rénovation énergétique, le surendettement, l’acoustique, etc.

Beaucoup expliquent être préoccupés par le sort de leurs semblables. « Je voulais me sentir moins passif face aux ennuis des autres », témoigne Chahumasy, pseudonyme de l’auteur de 25 000 publications sur un forum de vélo. « L’aventureuse », rédactrice de 38 000 publications portant essentiellement sur la contraception, ne voit rien d’exceptionnel dans son implication : « Je viens d’une famille de gauche, j’ai été prof, aider et partager les connaissances, c’est juste normal pour moi », explique celle qui aurait « voulu être sage-femme ».

Nathalie, la créatrice d’un groupe Facebook de décoration, a démarré son activité en réponse à la conjoncture. « Avec ces prix, comment les gens peuvent-ils s’en sortir ? » Elle regrette que le monde soit « devenu donnant-donnant ».

Lire l’analyse : Smartphones difficiles à réparer : mauvaise volonté des fabricants ou contraintes réelles de fabrication ?

Information riche, désintéressée et personnalisée

Le goût de l’entraide revient dans le discours de ces gros contributeurs. « Les forums m’ont dépanné dans mon métier d’infographiste. Renvoyer l’ascenseur, c’est le minimum », argue Kabyll, pilier d’un forum d’assemblage de PC. « Je trouve ça beau. Si tout le monde pouvait faire la même chose, le monde s’en porterait mieux », poursuit-il.

Tous les gros contributeurs ne sont cependant pas entièrement portés par la bienveillance. Pour Benoît, qui intervient souvent sur un forum de vélo, certains piliers de forum répondent sèchement quand les questions leur paraissent trop fermées ou trop souvent entendues. Et « d’autres ont du mal à prendre du recul par rapport à leur propre pratique. Ils axent trop leurs réponses par rapport à celle-ci, n’hésitant pas à “balayer” ce qui ne rentre pas dans leur conception ».

Malgré cela, aux yeux des piliers interrogés par Le Monde, les forums demeurent irremplaçables : on peine à trouver une information plus riche, désintéressée et personnalisée ailleurs. Beaucoup écartent l’idée d’une rétribution en échange de leurs conseils. Nathalie affirme d’ailleurs avoir refusé toutes les offres de sponsoring de son groupe Facebook, qui compte plus d’un million de membres.

Lire aussi (2021) : UFC-Que choisir demande la réforme de l’indice de réparabilité

Certains montrent également une préoccupation profonde pour la planète. « Je suis fâché par la société du tout-jetable, s’emporte un contributeur d’un forum sur le vélo qui a souhaité rester anonyme. La réparation est devenue tellement chère qu’elle ne reste possible que si on y injecte du temps personnel bénévolement. »

Il vous reste 65.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Présenter la réforme des retraites comme juste pour les femmes relève du boniment »

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a assuré, le 30 novembre 2022 sur France 2, qu’un objectif « absolument majeur » de la réforme de retraites était d’« améliorer notre système, parce qu’il est injuste ». A sa suite, la première ministre, Elisabeth Borne, a déclaré à plusieurs reprises que pour que la réforme soit juste pour les femmes, l’âge d’annulation de la décote resterait à 67 ans ! On garderait donc la décote, qui est un abattement très injuste pour les carrières incomplètes et qui pèse par conséquent plus sur les femmes. Elle a été qualifiée en 2019 de « double pénalisation » par le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye. Où est donc le progrès ? L’injustice majeure que constitue l’importante inégalité de pension entre les femmes et les hommes non seulement n’est aucunement prise en compte, mais risque fort d’augmenter avec le recul de l’âge de la retraite comme avec un allongement de la durée de cotisation.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Retraites : « Les femmes ont tout bonnement disparu des cas types présentés dans l’étude finale »

Rappelons la situation. Si les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes (Insee 2022), leurs pensions de droit direct sont inférieures de 40 % à celles des hommes. Ce chiffre est encore de 30 % pour les nouveaux retraités partis en 2020, selon la direction de la recherche du ministère du travail. La retraite amplifie donc encore les inégalités de salaires. Lorsque nos dirigeants sont interpellés sur ces inégalités de pension, la réponse classique est qu’elles se réduisent au fil du temps. En réalité, elles stagnent, comme stagnent les inégalités de salaires.

La baisse en cours du niveau des pensions par rapport aux salaires, conséquence des réformes précédentes, atteint bien sûr de manière plus grave les plus faibles pensions des femmes : le taux de pauvreté des femmes retraitées est ainsi sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), et cet écart a tendance à se creuser depuis 2012, comme le relève le rapport 2020 du Conseil d’orientation des retraites (COR). Le passage, en 1993, à une indexation des pensions sur l’inflation et non plus sur le salaire moyen a entraîné, en période de faible inflation, un décrochage croissant des retraites. Les femmes âgées sont les plus touchées.

Inégalités aggravées

Le COR note que le taux de pauvreté des retraités augmente depuis 2016 pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui vivent seules ; parmi elles, ce taux atteint même 16,5 % pour les femmes. L’annonce d’un minimum de pension à 85 % du SMIC pour une carrière complète est évidemment bienvenue… mais il était déjà prévu dans la loi de 2003 et n’a jamais été appliqué ! Surtout, ce minimum ne concernera pas les personnes déjà en retraite.

Il vous reste 57.11% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Réforme des retraites : « Et si nous laissions aux seniors français le choix de l’âge de leur départ, entre 62 et 67 ans ? »

Un des arguments justifiant de repousser l’âge légal de départ à la retraite est le constat d’une augmentation de l’espérance de vie, qui réduirait le ratio entre actifs et inactifs. Mais prolonger la vie au travail des seniors risque d’avoir un impact négatif sur les soins aux personnes âgées dépendantes fournis par leurs proches.

Selon les données de l’enquête « Emploi du temps » de l’Insee, les seniors à la retraite consacrent en moyenne une demi-heure de plus par jour que les seniors en emploi aux soins aux enfants et aux personnes âgées de leur entourage. Selon nos calculs (appliquant un taux horaire net au smic, sans compter les contributions sociales et faisant l’hypothèse qu’une personne sur deux est retraitée parmi les générations concernées), les soins aux enfants et aux personnes âgées fournis par les retraités français âgés de 62 à 66 ans correspondent aujourd’hui à un montant de 10,7 milliards d’euros par an.

Cette somme ne représente qu’une toute petite partie des frais de prise en charge des personnes âgées que, sans l’aide précieuse de leurs proches, la réforme pourrait engendrer. Il sera en effet très difficile de garder les personnes âgées dépendantes à leur domicile : le secteur de l’aide à domicile étant depuis longtemps en manque structurel de personnel, les places en maison de retraite sont rares et chères. Selon le rapport 2021 de la Commission des comptes de la sécurité sociale, trois personnes âgées dépendantes sur cinq sont prises en charge à domicile pour un coût moyen par personne de 12 000 euros, contre 35 000 euros en Ehpad. Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge évalue l’aide informelle fournie par l’entourage entre 11 milliards et 18 milliards d’euros en 2017.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites : le « dîner de famille » où Emmanuel Macron a tenu la ligne des 65 ans

Le recul de l’âge légal du départ à la retraite pourrait entraver cette solidarité intergénérationnelle et contribuer au creusement du déficit de la sécurité sociale. Cette solidarité profite aussi aux jeunes parents puisque ce sont souvent les grands-parents qui se déplacent lorsque les petits enfants sont malades pour les garder, les parents ne disposant souvent que de cinq jours par an de congés pour enfant malade.

Risque de déséquilibres du marché du travail

Un second argument repose sur les difficultés de recrutement de certaines entreprises sur le marché du travail : ce manque de main-d’œuvre pourrait être comblé en repoussant l’âge de la retraite. Mais les métiers en tension sont souvent les plus exposés aux facteurs de pénibilité au travail, ou sont très spécialisés. Ils pourront difficilement être assurés par des travailleurs seniors. Selon une enquête menée par Pôle emploi en 2022 auprès de 2,4 millions d’établissements et à laquelle un établissement sur six a répondu, les métiers les plus en tension sont les couvreurs-zingueurs, les aides à domicile et les aides ménagères, les pharmaciens, les chaudronniers, métalliers, serruriers, les mécaniciens et électroniciens de véhicule. Parmi les métiers qui embauchent le plus, on compte les salariés de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration et les aides-soignantes.

Il vous reste 52.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Réforme des retraites : « En s’appuyant sur un logiciel économique erroné, la droite puis la Macronie persistent depuis vingt ans dans une impasse »

La volonté d’Emmanuel Macron et de la droite de retarder l’âge de départ à la retraite repose, au-delà de la question du financement, sur la conviction que pour avoir une croissance économique plus forte, permettant de réduire le chômage, il faudrait travailler plus.

Cette conviction a une alliée de poids : la théorie économique, et en particulier la microéconomie, considérée comme le noyau dur de la discipline. Celle-ci enseigne que, pour un état donné de la technologie et de la démographie, le produit intérieur brut (PIB) d’un pays dépend du degré de mobilisation de ses ressources productives, en particulier du travail. Cela s’appelle la « frontière des possibilités de production ». Donc, si l’on allonge la durée du travail, on accroît le PIB.

Et si l’on augmente le nombre de fonctionnaires, ce seront autant de ressources en travail qui manqueront aux entreprises, qui, si l’on en croit cette théorie, sont les seules à innover et à créer véritablement des richesses. D’où, depuis vingt ans, les tentatives ou décisions de remise en cause des 35 heures, de défiscalisation des heures supplémentaires pour encourager les salariés à travailler plus, de recul de l’âge de départ à la retraite, de cumul emploi et retraite, de limitation, voire de diminution, des impôts qui laissent bien des services publics exsangues…

Lire la chronique : Article réservé à nos abonnés Retraites : la réforme maudite qui hante Emmanuel Macron depuis cinq ans

Ce raisonnement appelle quatre remarques. S’il suffisait d’allonger la durée du travail pour augmenter le PIB d’un pays, donc sa puissance économique, tous les gouvernements l’auraient fait depuis longtemps, à commencer par les régimes dictatoriaux ! Or, on ne trouve rien de cela. Au contraire, la réduction de la durée du travail est une longue histoire de revendication sociale et d’intervention publique, depuis deux siècles, commune à tous les pays développés.

Les faits contredisent la théorie

En réalité, rien n’empêche les employeurs d’allonger si nécessaire la durée du travail en recourant aux heures supplémentaires. Pour le droit du travail, ce recours est une prérogative patronale, mais aussi une obligation légale : le salarié qui refuse commet une faute contractuelle passible de sanction. Ainsi, la fameuse semaine de 40 heures du Front populaire, si décriée sur le moment, a été rétablie dès février 1946. Or, elle n’a pas empêché la reconstruction rapide du pays, ni la croissance exceptionnelle des « trente glorieuses ». En 1965, la durée effective du travail était, tous salariés confondus, de quarante-six heures par semaine, soit un dépassement de 15 % de la durée légale. Abaisser la durée légale du travail n’a donc rien de décroissant, sauf à interdire les heures supplémentaires.

Il vous reste 56.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Réforme des retraites : « Les effets de l’âge ne sont ni uniformes ni systématiques »

A la naissance du Conseil d’orientation des retraites, en 2000, sa présidente Yannick Moreau avait rappelé qu’« il serait illusoire de penser qu’on pourra augmenter la durée d’activité (…) si la gestion des ressources humaines n’évolue pas profondément ». Ce souci a été réactivé à chaque réforme des retraites, et c’est encore le cas aujourd’hui : on reparle, et c’est légitime, de la durée de chômage chez les travailleurs seniors, de la pénibilité des tâches qu’ont effectuées bien des salariés âgés ou encore de leurs possibles déficiences de santé et restrictions d’aptitudes.

Lire la chronique : Article réservé à nos abonnés Retraites : la réforme maudite qui hante Emmanuel Macron depuis cinq ans

Mais il est un autre enjeu, moins visible, de la vie de travail dans les années précédant la retraite : ce qui a trait aux conditions de l’activité, et plus précisément ses conditions temporelles. Les difficultés qui surgissent sont en effet fortement liées à une caractéristique majeure de l’évolution du travail dans les pays industrialisés depuis une trentaine d’années : une tendance soutenue à son intensification, avec ses traits bien connus comme le raccourcissement des délais, les horaires plus dispersés ou l’accélération du rythme des changements.

En France, la proportion de salariés dont le rythme de travail est imposé par « des normes ou des délais en une heure au plus » est passée, entre 1984 et 2019, de 5 % à 23 % selon les enquêtes nationales sur les conditions de travail ; celle des travailleurs dont le rythme dépend d’une « demande extérieure exigeant une réponse immédiate » est passée de 28 % à 55 % ; toutes les autres formes de contraintes de temps ont varié dans le même sens et souvent se cumulent.

A chacun son vieillissement

Au regard de ce faisceau de contraintes, les ressources ou les fragilités personnelles sont diverses, comme le sont aussi les compromis que les femmes et les hommes au travail bâtissent, au fil de leur vie professionnelle, entre les exigences de leurs tâches et leur propre rapport au travail, leur santé, leurs compétences et leurs projets. Les effets de l’âge, en ce domaine, ne sont ni uniformes ni systématiques : à chacun son vieillissement, peut-on dire. Le déclin de certaines fonctions est très variable selon les individus ; en parallèle, l’expérience s’enrichit et les stratégies de travail s’affinent. Mais l’intensification peut souligner d’éventuelles déficiences (par exemple, les horaires de nuit viennent accentuer une déstabilisation du sommeil). Elle peut surtout remettre en cause les apports de l’expérience, plus délicate à élaborer et à mobiliser quand les temps se resserrent.

Il vous reste 53.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les aides polémiques à la formation, en cas d’embauche d’un demandeur d’emploi

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi, pour tenter d’estimer ce qu’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

L’objectif du dispositif

Deux dispositifs très avantageux permettent aux entreprises de former leurs futures recrues : la préparation opérationnelle à l’emploi (POE) et l’action de formation préalable au recrutement (AFPR). Ils correspondent à une sorte de « période d’apprentissage » prise en charge par Pôle emploi, avant l’embauche définitive du salarié.

Nés en 2009 à l’occasion de la loi sur la formation professionnelle, ces deux dispositifs n’ont jamais été remis en question dans leurs fondements, malgré des dérives largement médiatisées : en 2013, un supermarché Leclerc a été accusé d’utiliser des travailleurs recrutés au titre de l’AFPR comme de la main-d’œuvre gratuite. D’autres affaires analogues sont sorties dans la presse ou ont été portées devant les tribunaux. Suite à leur médiatisation, quelques ajustements ont été faits au fil des ans afin de mieux encadrer ces dispositifs.

Le fonctionnement

« Je n’ai pas l’impression que la POE et l’AFPR soient très connues », s’étonne Sonia Yangui, juriste experte en droit social au sein du cabinet de conseil SVP. Pourtant, l’employeur a tout à y gagner : tandis que le futur salarié reste sous le statut de demandeur d’emploi pendant qu’il suit sa formation, qui peut aller jusqu’à 400 heures, le coût des frais pédagogiques est pris en charge : 5 euros de l’heure en cas de formation interne à l’entreprise et 8 euros lorsque l’employeur fait appel à un organisme de formation extérieur.

La préparation opérationnelle à l’emploi est réservée aux embauches en contrat de longue durée : elle peut être individuelle (on parle alors de POEI), ou collective lorsqu’elle est portée par un opérateur de compétences (OPCO) ou sur des formations identifiées par un accord de branche d’activité.

Pour en bénéficier, l’employeur doit s’engager à embaucher le candidat à l’issue de sa formation en CDI, CDD ou en contrat d’alternance d’au moins douze mois, d’une durée de vingt heures hebdomadaires minimum. Un cofinancement de la formation par l’OPCO dont dépend l’employeur est aussi envisageable.

L’AFPR est le petit frère de la POE pour les contrats courts : si ses modalités sont similaires, cette aide concerne uniquement les CDD de six à douze mois, les contrats en intérim d’au moins six mois ou encore les contrats de professionnalisation de moins de douze mois.

Il vous reste 36.62% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Réforme des retraites : les syndicats, unis, « se préparent à la mobilisation »

Après trois mois d’échanges avec le gouvernement sur la réforme des retraites, l’état d’esprit des leaders syndicaux n’a pas varié d’un iota : ils sont vent debout contre la principale mesure de ce projet qui devrait repousser à 64 ou à 65 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension, conformément à un engagement de campagne d’Emmanuel Macron. Reçus à tour de rôle, mardi 3 et mercredi 4 janvier, par la première ministre, Elisabeth Borne, ils ont exprimé, à l’issue de leur entretien, une immense frustration, donnant le sentiment que le dialogue avec l’exécutif avait tourné à vide. Ils ont, au passage, réaffirmé leur volonté de s’opposer, tous ensemble, à un chantier dont les grandes lignes doivent être dévoilées le 10 janvier.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites : la bataille manquée du gouvernement avec l’opinion

L’amertume de Laurent Berger était palpable, juste après son rendez-vous à Matignon. Le secrétaire général de la CFDT a évoqué un « dernier tour de piste » qui ne lui a « pas [appris] grand-chose », en dehors du fait que le pouvoir en place était résolu à faire « travailler plus longtemps » la population. D’après lui, très peu d’« éclaircissements » ont été apportés sur des thèmes cruciaux : la prévention de l’usure professionnelle, le maintien en activité des travailleurs âgés, les dérogations pour ceux qui sont entrés avant 20 ans sur le marché de l’emploi afin qu’ils puissent prendre leur retraite de façon anticipée, la revalorisation du minimum de pension à hauteur de 85 % du smic, etc.

« On n’a pas avancé », a renchéri Frédéric Souillot, le numéro un de Force ouvrière, en déplorant le manque de considération dont l’exécutif a fait preuve – à ses yeux – face aux « propositions » de sa confédération. « Ce que j’aurais aimé (…), c’est que le président de la République et son gouvernement cherchent le consensus social pour pouvoir l’imposer à une Assemblée nationale (…) où il n’[a] pas de majorité absolue, a confié François Hommeril, le président de la CFE-CGC. Ça aurait eu de la gueule. » Mais cette option-là n’a pas « été retenue », a-t-il regretté. Pour son homologue de la CGT, Philippe Martinez, c’est la preuve que M. Macron « veut une réforme dogmatique qu’il a décidé de faire sans tenir compte de l’avis des syndicats ».

« Inacceptable »

De là à soutenir que la consultation des partenaires sociaux depuis octobre 2022 n’a servi à rien, il y a toutefois un pas, que peu de monde franchit. Plusieurs responsables syndicaux ont même reconnu que des « choses intéressantes » avaient été obtenues, selon la formule de Cyril Chabanier, le président de la CFTC, qui – sans entrer dans les détails – a cité des dispositions en matière de pénibilité au travail et d’emploi des seniors. S’agissant des personnes ayant accompli de longues carrières, il semble que les scénarios gouvernementaux aient évolué : l’idée d’introduire de nouvelles règles pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans n’était pas dans la maquette initiale, à en croire des sources au cœur du dossier.

Il vous reste 34.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Relations professionnelles, une histoire sans fin ? » : aux origines de la déstabilisation des relations professionnelles

Le livre. Que sont les relations professionnelles devenues ? C’est la question que se posent les contributeurs du 21e numéro de La Nouvelle Revue du travail (NRT) paru aux éditions Erès. Au fil des pages de cette publication spécialisée dans la sociologie du travail, « les auteurs scrutent les profondes transformations des relations professionnelles depuis trois décennies ». Elles sont nombreuses et conduisent, estiment-ils, à une « dérégulation généralisée ».

Pour la comprendre, il faut se pencher sur les mutations qui ont touché souvent violemment les entreprises, leur activité, leur organisation. « Globalisation de la production et des échanges (…), éloignement des centres décisionnels par rapport aux lieux de travail (…), modification du droit du travail par les Etats… » Les transformations à l’œuvre ont bouleversé le monde mis en place à l’après-guerre, signant « la fin du modèle du compromis fordiste ».

« Relation professionnelles, une histoire sans fin ? », ouvrage collectif, « La Nouvelle revue du travail », semestriel (n° 21), Erès, 272 pages, 21 euros.

L’entreprise est devenue une « nébuleuse », estiment Meike Brodersen et Esteban Martinez, sociologues de l’Université libre de Bruxelles. Elle fait intervenir fréquemment sous-traitants, agences de travail intérimaire ou travailleurs indépendants. « [Une] précarisation et [une] diversification de l’emploi à la source de l’affaiblissement de l’acteur syndical », expliquent-ils. Il s’agit là d’un facteur de fragilisation des systèmes de relations professionnelles. « La transformation des structures de pouvoir au sein de l’entreprise » en est un autre, selon les deux auteurs, à l’heure où « l’identification des centres de décision patronaux » devient plus incertaine.

Un « déficit démocratique »

Observés depuis plusieurs décennies, cet éclatement des collectifs de travail et cet éloignement de la figure de l’employeur ne sont pas nés avec l’économie de plate-forme, insistent les auteurs. Ils l’ont précédée. Mais l’ouvrage souligne que le développement des plates-formes numériques (transport, livraison de repas…) a notablement accentué les transformations à l’œuvre.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Ubérisation, et après ? » : les dangers d’un travail en miettes

De quoi engendrer un « déficit démocratique », lié à « la dissimulation des relations de pouvoir et [à] l’effacement de l’employeur dans son rôle d’interlocuteur patronal au sein d’entreprises repliées sur leur fonction d’intermédiation », expliquent les auteurs. Ils voient là une « gouvernance algorithmique », qui « obscurcit les relations de pouvoir réelles, désincarne le management et pose un défi considérable à l’organisation de résistances de la part des salariés ».

La revue montre comment le « centre des relations de pouvoir » s’est déplacé au fil du temps : il « n’est plus la relation d’emploi, mais la dépendance économique », indiquent les auteurs. Ils soulignent aussi combien ces évolutions mettent au défi les syndicats et rendent délicate « l’organisation de résistances ». Associées à des « réformes libérales », ces transformations ont une conséquence majeure : elles « génèrent une situation économique et sociale dans laquelle le pouvoir salarial est de moins en moins fort par rapport au pouvoir patronal », expose Camille Dupuy, sociologue de l’université de Rouen.

Il vous reste 16.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Retraites : la bataille manquée du gouvernement avec l’opinion

La première ministre, Elisabeth Borne, et son gouvernement arrivent à l’Elysée pour participer au premier conseil des ministres de l’année, à Paris, le 4 janvier 2023.

Le majestueux sapin haut de 4 mètres trône encore dans le vestibule de l’hôtel du Châtelet, qui abrite le ministère du travail. A chaque fois qu’Olivier Dussopt y passe, le ministre jette un œil aux épines grisonnantes qui s’affaissent sous le poids des globes dorés. Et dire que le projet de réforme des retraites était déjà mûr lorsque l’arbre de Noël rayonnait, début décembre 2022… Sa présentation avait été reportée au 10 janvier pour épargner les fêtes de fin d’année.

Le temps est venu, désormais, d’affronter la tempête. Pour un pouvoir en place, « ce n’est jamais plaisant », a consenti le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, mercredi 4 janvier, après le premier conseil des ministres de l’année.

Peu avant, Emmanuel Macron s’était fait sombre en appelant le gouvernement à « ne pas céder aux professionnels de la peur » et à « la conjuration des esprits tristes », tandis que la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne, priait les ministres de « résister aux vents contraires ». La veille à Matignon, elle-même, Olivier Dussopt et le patron de la CFDT, Laurent Berger, ont passé en revue le ballet qui va s’ouvrir, avec ses menaces et ses lignes rouges, et dont, au fond, personne ne veut vraiment.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme des retraites, inflation, crise du système de santé : les foyers de tension se multiplient autour du gouvernement

Personne, sauf Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat entend bien accrocher la réforme maudite au tableau de son second quinquennat et conserver l’habit réformateur qu’il revendique. Avec l’ambition de « continuer de transformer notre pays face aux corporatismes » ou « à la tentation de l’esprit de défaite », a-t-il insisté dans ses vœux aux Français. Mercredi, le président réélu il y a huit mois a demandé à Elisabeth Borne et à ses ministres de « l’audace ». Ces derniers s’apprêtent à dévoiler une réforme sans surprise ni chamboulement : il s’agit de maintenir le système à flot, pas de le refonder.

Préserver emploi et compétitivité

Jusqu’au bout, la cheffe du gouvernement aura tenu à jouer la concertation, dans une chorégraphie renouvelée de rendez-vous à Matignon avec les syndicats et les responsables politiques. Trois mois de discussions ponctués de deux dîners élyséens, où le chef de l’Etat a jaugé les équilibres au sein de son camp et, entre les huîtres et le fromage, tranché sur la manière de procéder. Le temps de trouver un étroit terrain d’entente avec les partenaires sociaux sur des contreparties, comme la pénibilité ou la pension minimale à 85 % du smic.

Le pouvoir a ainsi focalisé le débat public tantôt sur la méthode – amendement au budget de la Sécurité sociale ou projet de loi à part ? Recours au 49.3 ou vote parlementaire ? – tantôt sur l’âge à atteindre pour percevoir sa retraite à taux plein. Les deux têtes de l’exécutif ont évoqué soit 65 ans, soit 64 ans couplé à l’accélération de la réforme Touraine – elle porte la durée de cotisation à quarante-trois ans d’ici à 2035.

Il vous reste 74.22% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.