Archive dans décembre 2023

« Nous ne sommes pas des esclaves » : en Champagne, les saisonniers des vendanges confrontés aux dérives croissantes

Triste année dans les vignes de Champagne… Une femme et trois hommes y sont morts en septembre en participant aux vendanges : un Polonais, trois Français. Le plus jeune avait 19 ans, les autres entre 40 et 50 ans. L’une de ces personnes s’est écroulée alors qu’elle cueillait du raisin noir, une autre a fait un malaise avant de tomber d’un engin, une troisième a été retrouvée sans vie chez elle, après avoir également fait un malaise dans les vignes… Rien que des arrêts cardiaques, semble-t-il. Toutes avaient dû affronter, des heures durant, des températures folles, supérieures à 40 °C. La justice devra déterminer les causes précises de leur mort, dire aussi s’il y a eu des négligences, et identifier d’éventuels responsables. Pour qu’il y ait des poursuites pénales, un lien clair devra être établi entre ces décès et le non-respect des réglementations.

Le problème, pour la filière, c’est que ces enquêtes s’ajoutent à divers dossiers embarrassants. En septembre, des investigations ont été ouvertes auprès du parquet de Châlons-en-Champagne pour « traites d’êtres humains » concernant, cette fois, les conditions de travail et de rémunération d’une centaine de vendangeurs étrangers et sans papiers d’Afrique de l’Ouest ou travailleurs d’Europe de l’Est. Ailleurs, ce sont les structures d’hébergement qui ont été ciblées : quatre d’entre elles, jugées insalubres, ont fait l’objet de fermetures administratives depuis le début de l’année.

Ces affaires contribuent à lever le voile sur un visage méconnu du champagne, l’envers du décor, en quelque sorte : le monde des saisonniers employés durant la période de la récolte. Chaque année, sur trois à quatre semaines, la région accueille ainsi 120 000 personnes. Pourquoi de tels effectifs, nettement supérieurs à ceux des autres régions vinicoles ? Simplement parce que la réglementation en vigueur en Champagne exige que toutes les grappes soient coupées à la main, et non par une machine.

Situation inquiétante

Au regard de la masse de saisonniers employés, les drames ou incidents signalés peuvent paraître peu nombreux. C’est l’argument avancé par David Chatillon, président de l’Union des maisons de champagne (UMC), le regroupement des marques prestigieuses. Sans pour autant minimiser la gravité des faits (« Nous sommes sous le choc, abasourdis, il ne faut pas que cela se reproduise »), M. Chatillon souligne le « caractère très marginal » des cas problématiques. Même son de cloche du côté du Syndicat général des vignerons.

Il n’empêche : la situation est suffisamment inquiétante pour que le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), organisme rassemblant toute la filière, se soit alarmé fin septembre : « Il est capital que les dérives et les comportements inacceptables cessent. La sécurité et la protection des vendangeurs doivent devenir une priorité absolue. »

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Emmanuel Macron se rabat sur l’économie, en remettant à l’honneur le plan d’investissement France 2030

Emmanuel Macron lors de la présentation de son plan France 2030, à l’Elysée, le 12 octobre 2021.

Le TGV, le Concorde, le général de Gaulle et Pompidou. C’est en invoquant explicitement la France des « trente glorieuses », ses figures politiques et ses grands projets, qu’Emmanuel Macron a présenté son projet France 2030 dans le faste de la salle des fêtes de l’Elysée, le 12 octobre 2021.

Ce plan à 54 milliards d’euros lancé au sortir de la crise sanitaire avait l’ambition de « bâtir la France de 2030 » et de « faire émerger les champions de demain » en consacrant plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public au développement de quelques objets emblématiques d’une souveraineté retrouvée – avion bas carbone, voiture électrique, petits réacteurs nucléaires, biomédicaments, lanceur spatial réutilisable…

« Si nous ne prenons pas ce virage de l’innovation et de l’industrialisation, nous continuerons de dégrader nos déficits extérieurs, parce qu’on continuera de dépendre et d’importer, et nous continuerons de créer trop peu d’emplois, trop peu d’opportunités pour nos jeunes et donc de les réparer par de la dépense publique », expliquait alors le chef de l’Etat.

Faire des Français « des bâtisseurs »

Deux ans plus tard, M. Macron, fragilisé sur la scène politique française par les répercussions de la crise au Proche-Orient, entend profiter du deuxième anniversaire de ce plan censé « répondre aux grands défis de notre temps » pour revenir sur son terrain de prédilection, l’économie, et ainsi « s’extraire de la gestion des urgences », explique son entourage. « Il faut avoir la vision du temps long qui permet de projeter les Français vers l’avenir et d’en faire des bâtisseurs », poursuit-on, rappelant que la vocation du plan est « d’aller au-delà du second quinquennat ».

Le chef de l’Etat espère donner lui-même une incarnation à ce programme, dont la multiplicité des objectifs avait fait redouter un risque de saupoudrage, en présentant quelques-uns des projets financés à l’occasion d’un déplacement à Toulouse lundi 11 décembre. Pas moins de quatre ministres l’accompagneront, dont celui de l’économie, Bruno Le Maire. La ville a été choisie à dessein pour la diversité des programmes qui y sont financés par France 2030, dont évidemment ceux autour de l’aéronautique et de la décarbonation de l’aviation. De nouveaux axes d’investissements doivent également être annoncés.

« La moitié des fonds de France 2030 ont déjà été engagés [soit 27 milliards d’euros, dont environ 7 effectivement décaissés], bénéficiant à 3 000 projets portés par 3 500 entreprises », indique-t-on à l’Elysée, précisant que les projets lancés à ce stade – pour l’essentiel des fonds publics investis dans des entreprises innovantes, complétés par des financements privés – devraient permettre de créer ou préserver près de 56 000 emplois à l’horizon 2030.

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Le télétravail toujours plébiscité par les salariés, malgré les risques sur leur santé

Quels sont les effets du travail hybride sur les conditions de travail des salariés ? Ces derniers répondent de manière paradoxale : 92 % d’entre eux vivent bien ou très bien leur situation en télétravail, mais 35 % considèrent que le temps de travail est plus élevé à distance qu’en présentiel, selon la première étude de l’Observatoire du télétravail, animé par l’Union générale des ingénieurs cadres et techniciens (Ugict) de la CGT.

Cet observatoire, créé en décembre 2022, réunit scientifiques (sociologues, psychologues, économistes…) et syndicalistes, afin de mieux comprendre l’évolution du phénomène en valorisant des travaux de référence sur le télétravail et en organisant ses propres études.

Son tout premier questionnaire a été diffusé sur les réseaux sociaux entre juin et octobre 2023, et a recueilli 7 800 réponses, dont 5 400 exploitables. « L’échantillon a été redressé pour correspondre aux caractéristiques de la population française et corriger des biais de sélection », précise Emmanuelle Lavignac, membre du bureau de l’Ugict et chargée d’enquête pour la société de sondage Ipsos.

Economies sur les temps de trajet

L’analyse des réponses aux 117 questions permet d’établir un portrait-robot des Français concernés par le télétravail : il s’agit plus probablement d’une femme cadre ou ingénieure, entre 30 ans et 39 ans, qui travaille dans le secteur privé, dans l’informatique, les télécommunications ou l’industrie. En effet, 77 % des répondants à l’enquête sont des cadres ou ingénieurs (tous genres confondus), contre seulement 15 % de professions intermédiaires.

Si le travail à distance séduit, c’est majoritairement car il « permet un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle » (82 %), en permettant notamment de faire des économies sur les temps de trajet – pour neuf répondants sur dix, c’est la principale motivation à la demande de télétravail – ou de pause. « Il y a aujourd’hui, en particulier chez les cadres, une grande porosité entre temps travaillé et temps non travaillé. Le télétravail est une option qui les aide pour reprendre la main sur leur temps de travail », commente Caroline Blanchot, secrétaire générale de l’Ugict.

Les salariés reconnaissent aussi des gains de productivité, et la moitié d’entre eux disent avoir gagné en autonomie. « Seuls 3 % des répondants se sentent surveillés, déclare Caroline Diard, professeure associée en management des RH à TBS Education et membre de l’observatoire, qui a réalisé un focus sur la perception du management à distance. Les rares salariés concernés sont ceux qui télétravaillent le plus fréquemment et dont la charge de travail est élevée. »

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Pour autant, ils font état d’une augmentation de la charge de travail à distance. C’est principalement le cas pour les cadres au forfait jour et les manageurs. Un tiers des salariés avouent même qu’ils allouent le temps gagné grâce au télétravail… au travail. « Les salariés n’arrivent à optimiser que le temps de travail non rémunéré. Plus de la moitié d’entre eux disent que leur entreprise ne fait pas d’évaluation du temps de travail ni de la charge de travail, alors que c’est une obligation légale, précise Emmanuelle Lavignac. 36 % bénéficient d’un droit à la déconnexion dans leur entreprise. »

Open space et « flex office »

Ces constats s’accompagnent de craintes sur la santé : 31 % des pratiquants reconnaissent avoir déjà télétravaillé en étant malade, sans se mettre en arrêt. « Déjà qu’ils prennent moins de pauses et déjeunent moins longtemps, on peut imaginer un impact à long terme sur leur santé », juge Mme Lavignac.

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Dans un contexte où les entreprises tentent de pérenniser leur politique de télétravail – en le revoyant à la baisse pour certaines –, les syndicalistes constatent, en outre, une « réorganisation à marche forcée des espaces de travail ». La mise en place du travail hybride s’est accompagnée d’une réorganisation de leur espace de travail en open space pour 26 % des répondants, ou en « flex office » pour 32 %, ce qui signifie que l’entreprise propose moins de postes de travail qu’il n’y a de salariés.

Les conclusions de cet observatoire permettent au syndicat d’alimenter ses revendications, comme un décompte clair des heures en télétravail ou la meilleure prise en charge des frais à distance par les employeurs. Dans les mois à venir, des enquêtes qualitatives se concentreront sur des points précis, notamment l’impact du télétravail sur les femmes ou le sentiment d’isolement perçu par certains télétravailleurs.

Chômage des seniors : Olivier Dussopt souhaite relever de deux ans l’âge d’accès à une indemnisation plus longue

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a déclaré dimanche 10 décembre vouloir relever de deux ans l’âge d’accès à une indemnisation plus longue pour les chômeurs âgés, sans reprendre la proposition de Bruno Le Maire de raccourcir la durée d’indemnisation.

« Nous souhaitons que cette majoration de la durée d’emploi des demandeurs d’emploi seniors soit décalée de deux ans, de 55 à 57 ans, pour être cohérents avec ce que nous avons fait sur l’âge de départ à la retraite et parce que nous savons qu’un des enjeux pour le plein emploi en France, c’est l’emploi des seniors », a dit Olivier Dussopt lors de l’émission « Questions politiques » sur France Inter, avec Le Monde et France Télévisions.

La durée maximale d’indemnisation des chômeurs par l’assurance chômage est actuellement de dix-huit mois jusqu’à 52 ans, vingt-deux mois et demi pour les 53-54 ans et vingt-sept mois pour les 55 ans et plus.

La principale mesure de la réforme des retraites, mise en place en 2023, est le recul de deux ans de l’âge légal du départ à la retraite, à 64 ans. Fin novembre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait considéré qu’une indemnisation plus longue pour les plus de 55 ans était une façon de « mettre à la retraite de manière anticipée les plus de 55 ans ». Il avait dit vouloir abaisser la durée de leur indemnisation sur celle des autres chômeurs, de vingt-sept à dix-huit mois.

Pour Olivier Dussopt, « la question n’est pas tant la durée [d’indemnisation] que de faire en sorte que nous n’ayons pas des systèmes » qui incitent à « sortir les seniors du marché de l’emploi ». Il a rappelé que le taux d’emploi des seniors était beaucoup plus bas en France que la moyenne européenne. Un relèvement de deux ans des bornes d’âge devra « s’accompagner d’un effort de formation », a précisé le ministre du travail.

Il a par ailleurs défendu la rupture conventionnelle, un dispositif qui là encore ne doit pas être utilisé pour faire sortir plus tôt des seniors du marché du travail. « La rupture conventionnelle est un outil de fluidité, il y en a 500 000 par an, a-t-il fait valoir. Année après année, la part des ruptures conventionnelles dans les motifs de fin de CDI reste stable, de 11 % à 12 % »

« Nous voulons trouver les moyens » pour que « la rupture conventionnelle ne soit pas utilisée comme un outil de sortie du marché du travail des seniors, mais que cela reste un outil de fluidité, de liberté » et d’accord réciproque entre le salarié et son employeur, a détaillé le ministre.

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Le Monde

Le « design fiction » pour améliorer la santé au travail d’ici à 2040

Un homme vêtu d’une tenue de barrista regarde un robot LG CLOi CoBot Barista préparer du café, sur le stand LG, le 8 janvier 2020, au Consumer Electronics Show à Las Vegas (Nevada).

« J’adore les chantiers (…). Dire que j’ai failli abandonner ce métier à cause des problèmes physiques qu’il m’a causé… Depuis que j’ai rejoint Co-peint, je peux me reposer sur des “cobots” [robot amené à collaborer directement avec un salarié] de dernière génération pour réaliser les tâches les plus difficiles », raconte dans une vidéo Guillaume, 63 ans, peintre en bâtiment et pilote de cobots à Strasbourg en 2040.

Guillaume, qui a trouvé l’entreprise idéale pour continuer son métier dans des conditions compatibles avec son âge, est en fait un pur produit de l’intelligence artificielle créé par Marc Malenfer du département veille et prospective de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et Pierre-Antoine Marti, directeur d’études au cabinet Futuribles international, pour aider les acteurs de la prévention (médecine du travail, ressources humaines, représentants de salariés) à se projeter à cet horizon. Leur travail, réalisé pour l’analyse prospective annuelle de l’INRS « Le travail en 2040 », a été présenté le 20 novembre à Paris.

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« La consolidation du pilotage et de la gouvernance de la prévention des risques professionnels et de la santé au travail est un enjeu majeur des prochaines années », affirmait le plan gouvernemental santé au travail 2021-2025. Le duo a donc construit une dizaine de portraits sur la base des tendances identifiées par un groupe pluridisciplinaire de chercheurs pilotés par l’INRS pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Leur analyse prospective dessine deux grandes évolutions du pilotage des organisations : la « plateformisation » portée par une gestion algorithmique et, en réaction, le développement de modèles coopératifs. L’entreprise de bâtiments et travaux publics Co-peint, aussi fictive que Guillaume, a ainsi été créée sur la base du constat d’une probable exploitation injuste des travailleurs du bâtiment par les plates-formes spécialisées, et des difficultés des indépendants à accéder aux cobots de qualité.

« Notre modèle permet à certains peintres d’éviter la désinsertion professionnelle en fin de carrière » : ainsi se présente, dans le rapport de l’INRS, la société fictive Co-peint, qui, grâce à son statut de coopérative d’activité et d’emploi, permet à ses travailleurs indépendants de profiter d’une caisse sociale commune et d’être copropriétaires des cobots.

La mise en récit à travers des portraits imaginaires, le « design fiction », de l’INRS reproduit et prolonge les dynamiques actuellement à l’œuvre dans le monde du travail qui ont un impact sur le quotidien des salariés : l’automatisation, le vieillissement, la diversification des statuts d’emploi, l’usage des outils de communication… De quoi dépassionner le débat sur les destructions massives d’emplois que beaucoup prédisent et interroger des pistes d’avenir.

« La crise nous a ouvert les yeux » : après un conflit social à la fonderie Bouhyer, salariés et dirigeants désamorcent les tensions

Dans la fonderie Bouhyer à Ancenis-Saint-Géréon (Loire-Atlantique), lors d 'une coulée et fusion de fonte, le 12 mars 2019.

Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que s’est demandé Jacques Aumont, le directeur industriel de la fonderie Bouhyer, à Ancenis-Saint-Géréon (Loire-Atlantique), dont l’usine s’est retrouvée quasiment à l’arrêt après un mouvement social déclenché à la suite de demandes d’augmentations de salaires.

« On fait des contrepoids en fonte pour contrebalancer les éoliennes, par exemple. On fait des moules à usage unique. C’est un métier très manuel, exigeant physiquement. Le bruit, la chaleur, la poussière, c’est notre environnement. On recrute des personnes qui ont été cassées par la vie », explique M. Aumont. Impossible de revaloriser significativement leurs rémunérations au vu du contexte économique. Et pourtant, il fallait trouver une issue à la crise pour que la société continue d’exister.

Pour être conseillé, il s’est alors tourné vers la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, qui l’a envoyé vers l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). « Quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur, l’amélioration n’est possible que si les deux parties, employeur et salariés, veulent avancer. On constitue des groupes avec plusieurs entreprises que l’on réunit régulièrement par demi-journée et on les invite à former une équipe avec les salariés et les manageurs pour identifier leurs points forts et leurs points faibles », explique Frédéric Doreau, l’expert de l’Anact de la région Pays de la Loire qui a accompagné l’entreprise Bouhyer.

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Le travail réalisé avec la fonderie a permis d’établir que les conditions de travail s’étaient dégradées sur trois points : le manque de reconnaissance, l’inadaptation du management et la déconnexion entre la direction et les salariés. « Il existait une volonté de transformer l’entreprise en lançant des projets, mais avec une acceptation modérée des salariés, qui nous reprochaient de ne pas assez les associer », souligne M. Aumont. « Il y a à la fois des attentes des salariés, qui voudraient que les manageurs soient des ressources, et des nouveaux dirigeants, qui aspirent à manager autrement », selon M. Doreau.

Quant à la reconnaissance financière, « on a fait ce que l’on a pu pour les salaires, mais la crise nous a ouvert les yeux sur le fait que, dans des métiers aussi exigeants en conditions de travail, le management est compliqué », poursuit M. Aumont. « Avec des collaborateurs, des chefs d’équipe, des ingénieurs, on a travaillé à la mise en place d’un nouvel outil pour améliorer la compréhension de ce que les collaborateurs avaient à contrôler sur les pièces, et en image, car beaucoup ne maîtrisent pas la langue [française], décrit-il. On a associé nos collaborateurs. On affiche ce que l’on fait en étant plus transparent sur l’organisation du travail. Et l’on a renforcé les réunions de communication avant chaque prise d’équipe. Ça a créé un niveau de dialogue différent pour emmener le collectif vers l’amélioration de l’entreprise. »

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Conditions de travail : les raisons d’un dérapage

Des manageurs tiraillés entre le téléphone, la messagerie WhatsApp, les réunions en visioconférence, la gestion des salariés à distance et la préparation du rendez-vous de 13 heures, des intérimaires qui arrivent sur un chantier sans connaître l’identité réelle de leur employeur, des préparateurs de commandes guidés par une oreillette et gérés par un algorithme… Le monde du travail en France semble vivre une tension perpétuelle.

« La dégradation des conditions de travail est aujourd’hui une évidence. Il n’y a pas de débat », souligne l’économiste Thomas Coutrot. Une évidence qui constitue une menace pour la santé publique et toute l’économie, affectant au passage la productivité et les comptes sociaux. Le coût moyen du désengagement des employés était de 10 070 euros par an et par salarié en 2022, selon le baromètre annuel du cabinet Mozart Consulting.

Cette même année, « le coût des mauvaises conditions de travail sur le financement de la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l’Assurance-maladie est de 11,7 milliards d’euros pour les prestations nettes », précise Maëlezig Bigi, chercheuse affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET). Le montant des indemnités journalières pour maladie et par salarié a augmenté de 12 % en dix ans, selon la Caisse nationale d’assurance-maladie.

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A tout le moins, les conditions de travail ne s’améliorent plus depuis plus d’une décennie. S’agissant des accidents du travail, après une forte baisse d’un tiers entre 1950 et 2010, on constate une stagnation autour de 650 000 par an, précise l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.

Ce triste bilan de l’environnement de travail s’est aggravé depuis 2017 avec une augmentation de la pénibilité et des risques psychosociaux (RPS) : « Le nombre d’assurés partis en retraite ayant acquis au moins 1 point [de pénibilité sur le compte professionnel de prévention] au cours de leur carrière est en constante progression : il est passé de 6 610 en 2016 à 21 380 en 2021 », soulignait, en mars, le Conseil d’orientation des retraites, alors même que tous les facteurs de pénibilité ne sont pas pris en compte par ce dispositif.

Quant au baromètre des RPS publié par le cabinet Empreinte humaine, réalisé auprès de 2 000 salariés et publié fin novembre, il révèle que 48 % des salariés sont en détresse psychologique. Sept sur dix affirment que cette situation est due à leur activité professionnelle. « Tous les indicateurs de santé mentale que nous mesurons depuis 2020 se dégradent », alerte Christophe Nguyen, sociologue du travail et cofondateur du cabinet.

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Cumul emploi-retraite ou retraite progressive, comment choisir ?

Question à un expert

Quelle est la différence entre prendre une retraite progressive et faire du cumul emploi-retraite ?

Le cumul emploi-retraite et la retraite progressive permettent tous deux de percevoir une pension de retraite tout en travaillant.

Etre en retraite progressive, c’est conserver un statut d’actif et bénéficier de revenus complémentaires liés à la retraite. On continue à acquérir des droits sur tous ses revenus d’activité, ce qui peut permettre ensuite de partir à taux plein (c’est-à-dire avec un taux de pension non minoré), voire avec une surcote.

Etre en cumul emploi-retraite, c’est conserver son statut de retraité et bénéficier de revenus complémentaires d’actif. Avec ce dispositif, on continue aussi à acquérir de nouveaux droits à la retraite, depuis la réforme entrée en vigueur en septembre.

Mais le principe est différent : on se constitue une seconde pension de retraite au régime de base (et au régime complémentaire Agirc-Arrco, si on est salarié) – pensions qui sont parfois plafonnées et conditionnées, sans surcote possible.

La retraite progressive sera davantage choisie par des personnes qui n’ont pas encore l’âge pour partir mais qui souhaitent limiter leur activité.

Le cumul emploi-retraite correspond à des personnes qui peuvent partir à la retraite (éventuellement minorée si elles n’ont pas tous leurs trimestres), mais qui souhaitent ou ont besoin de compléter temporairement leurs revenus en reprenant une activité.

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Yannick Alléno, un chef insatiable

Ici, tous les goûts et tous les coûts sont permis. A l’Alléno Paris, restaurant trois-étoiles installé dans le Pavillon Ledoyen, sur les Champs-Elysées, le client n’est pas roi mais demi-dieu. Vous aimez le turbot ? Le voici sur un lit d’ail, avec une sauce italienne qui rappellera votre voyage à Florence. Avec des cèpes ? On ira les cueillir pour vous en forêt de Fontainebleau et on les servira devant un bouquet d’orchidées jaunes, dont on sait que vous raffolez. Votre vin préféré, un chambertin de 1961 à 3 500 euros la bouteille, aura été ouvert la veille.

Le chef Yannick Alléno, dix-sept restaurants et quinze étoiles Michelin disséminés sur la planète, assure que le client doit rester marqué d’« une empreinte mémorable » en se levant de table. Pas une simple « expérience », mot galvaudé par la concurrence, mais « une trace émotionnelle, affective, qui s’apparente à un spectacle vivant ».

Chaque repas est ajusté sur mesure selon « la conciergerie de table », une liturgie qu’il a inventée et théorisée dans Tout doit changer. Quel ­service pour le grand restaurant ?, publié en janvier 2021 à compte d’auteur. Yannick Alléno annonçait, avec ce concept qui inverse la loi de l’offre et de la demande, rien moins qu’une révolution.

« Dès qu’une table est réservée, j’appelle les gens et j’ai avec eux une conversation très psychologique, explique Fanny Perrot, directrice de salle de l’Alléno. Qui sont-ils ? Est-ce un repas d’affaires, en amoureux, en famille ? Qu’aiment-ils en particulier ? Ont-ils des fleurs préférées ? Puis nous composons le menu en conséquence, sans le dévoiler à l’avance. Cela plaît beaucoup. Les gens se croient uniques, ils sont enchantés. Et pour nous, en cuisine comme au service, tout devient simple puisque tout est prévu à l’avance. »

Plus de gaspillage, de turbots invendus et de plats renvoyés en cuisine. Plus de coups de feu de 21 heures, quand les troupes sont déjà fatiguées. Fini aussi les commentaires rageurs qui démotivent la brigade. Sur le site TripAdvisor, les clients se félicitent de leur goût original. Le Pavillon Ledoyen, avec trois restaurants (Alléno Paris, L’Abysse, un restaurant de sushis, et Pavyllon, un « comptoir gastronomique ») et cinq étoiles cumulées, est le fief de Yannick Alléno, ce grand brun de 54 ans aux cheveux drus, à la mâchoire carrée et au regard noir, le cœur du réacteur d’une ambition : sauver et rénover la gastronomie française.

La conversion au luxe

Yannick Alléno est en ébullition permanente, « en avance de dix ans sur tout le monde, admire Gérard Bardin, son chef exécutif depuis une quinzaine d’années. Il invente sans arrêt, c’est mon guide spirituel. » Innover, avancer, investir… « Sans cela, la gastronomie française disparaîtra », prévient Yannick Alléno, un millier d’employés à travers le monde sous sa bannière étoilée. Le quinquagénaire porte beau dans sa veste de cuisine brodée, tout droit tombée de « Top Chef », l’émission de M6 où il a son rond de serviette depuis 2011.

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« L’assurance-chômage est une ressource budgétaire trop précieuse pour être supprimée »

Vouloir réformer l’assurance-chômage est toujours un exercice difficile. Tailler dans les droits se révèle en revanche une tâche beaucoup plus facile à justifier avec quelques fausses évidences, et toujours payante. Mais pourquoi, dans ces conditions, ne pas aller au bout de cette « logique » et supprimer l’assurance-chômage : le plein-emploi ne serait-il pas atteint plus vite ?

Pour le moment, il n’y a pas de refonte générale du système, mais plutôt une politique de grignotage des droits qui concerne les modalités d’indemnisation des seniors. Le ministre de l’économie veut en effet réduire à dix-huit mois la durée potentielle d’indemnisation des seniors, soit une coupe de 30 % qui s’ajouterait à la baisse de 25 % décidée il y a moins d’un an. Peu importe que 40 % des allocataires de l’assurance-chômage aient moins de 35 ans, et 85 % moins de 55 ans.

Considéré comme trop généreux par Bercy, le régime d’assurance-chômage est rendu responsable du faible taux d’emploi des seniors. Las ! c’est prendre le problème par le mauvais bout. Aujourd’hui, les seniors sont victimes d’une double discrimination, à l’emploi et à l’embauche. Si les seniors conservaient leur emploi, ou en retrouvaient un facilement, ou bien si, licenciés, ils recevaient des offres d’emploi « raisonnables », ils n’utiliseraient pas ou pas longtemps leurs droits à l’assurance-chômage, et n’auraient pas parmi tous les chômeurs la plus faible probabilité de retour à l’emploi. Or, bien que ces discriminations soient clairement établies, aucune politique publique n’est mise en œuvre pour les combattre.

Une épargne de précaution

Il faut ensuite rappeler que l’assurance-chômage est une épargne de précaution. Mutualisée, elle est très redistributive et très efficace économiquement, pour les individus et les entreprises. Comme les autres chômeurs, les seniors n’y sont éligibles qu’après avoir cotisé et perdu involontairement leur emploi. Le risque de chômage est à la fois pour eux moins fréquent mais plus grave, car bien souvent sans rémission. Ses conséquences sont d’autant plus sensibles que les seniors ont en général contribué pendant de nombreuses années, donc payé cher cette assurance.

A 60 ans, un senior qui n’a jamais connu le chômage a contribué environ quarante ans, donc environ quarante mois de salaire net, soit l’équivalent de plus de soixante mois d’allocations. Réduire les droits potentiels à dix-huit mois, moins 50 % en un an, revient à taxer de 50 % l’épargne de précaution des chômeurs : qui oserait un tel impôt sur les Livrets d’épargne populaire (LEP) ou les Livrets A sous prétexte d’incitation à l’emploi ? La logique n’est pourtant pas différente.

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